16- Les couleurs de nos amours

Ecrit par lpbk

« Ouvre ! »

Pas question mon pote. C’est plus compliqué de dire non quand tu as déjà la bague sous les yeux. Ah non ! Je ne vais pas me marier demain. Pas moi Nowa. Je ne suis pas prête à devenir une madame machin chose.

« Bébé. », fait-il le plus calmement du monde.

Il faut que je fasse un tour aux toilettes.

« Excuses-moi. », dis-je en me levant pour sortir de table.

Ma tête tourne. Je sens mon estomac en train de se tordre dans tous les sens. J’ai tout à coup froid. Je marche péniblement jusqu’aux toilettes en priant pour ne pas vomir dans la salle. Je sens des fourmis qui grimpent le long de mes membres.

Dès que je pousse la porte derrière moi, je me penche et je vomis tout le contenu de mon estomac. J’en ai mal aux tripes. Je revois sa tête, cet écrin, ce fichu message et j’ai tout de suite cette envie de me vider l’estomac. Combien de temps il s’écoule avant que je sente une main sur mon dos.

« Nowa ! »

Il m’attrape les cheveux.

Pourquoi est-ce qu’il m’arrive toujours ce genre de choses ? Ce diner pouvait être juste romantique Seigneur et là, il est à la limite du dégueu. Je suis sûre que son « plan cul » ne s’est jamais retrouvé dans pareille posture. Je le nez dans les WC. C’est plus que pathétique. J’implore la miséricorde divine. Que la foudre s’abatte sur moi.

Il m’accompagne jusqu’au lavabo et m’aide à me laver le visage. Je me confonds en excuse dans un bredouillement à peine audible. Je quitte le restaurant dans ses bras, sous le regard inquiet des autres clients. La tête contre son torse, je me laisse bercer par les battements rythmés de son cœur.

 

Rudy EYA

Ça doit bien faire deux heures qu’elle dort là, tout près de moi.

Je n’avais jamais vu un cadeau avoir un tel effet sur une femme. Je continue de faire glisser ma souris tout en me remémorant cette sacré soirée qui était pourtant était bien partie pour être romantique. Son bug de tout à l’heure à l’évocation de son message avait manqué de m’arracher un puissant éclat de rire. Un seul « je t’aime » et elle se mettait dans de ces états. Mon estomac gargouille. Je meurs de faim. Je rabats l’écran de mon ordinateur avant de le pousser sous le lit. J’arrête la veilleuse et je me glisse sous les draps.

Je prends le soin d’enfouir ma tête dans ses cheveux. Ils ont commencé à pousser. C’est vrai, je la préfère avec les cheveux longs. Ils sentent horriblement bons. C’est presqu’une torture de les avoir si près de moi. Je pose un baiser sur son épaule avant de passer ma main sur sa taille. Elle respire doucement. C’est agréable.

« Je t’aime bébé … », confie-t-elle dans son sommeil.

Je souris.

« Moi aussi je t’aime. »

 

Un moment, dans les profondeurs la nuit.

Je sens son souffle chaud s’écraser contre mon visage.

Je sens ses doigts dessiner des formes sur mon flanc.

Je sens sa jambe se replier sur moi.

« J’espère que je ne rêve pas ! », grommelais-je mi endormi.

« Je crois bien que si. »

« Alors j’espère ne jamais me réveiller. »

Nous restons là allongés dans mon lit silencieux. Je finis par me rendormir sous le bonheur de ses caresses.

 

Nowa NYANE

Fausse alerte ! Ce n’était pas une bague mais une paire de boucles d’oreilles que je compte mettre ce lundi matin.

C’est un jour spécial pour moi. Mamie m’a déjà appelé pour me féliciter. D’avance. Tout comme Mimi. Cette femme est un vrai diamant. Et que dire de Rudy qui m’a envoyé le message du jour. Pour le moment, il fait un carton dans ma tête et dans cet organe bizarre qu’on appelle le cœur.

C’est aujourd’hui que je vais apposer ma signature sous le bas d’un contrat de travail. Je me suis entrainée toute la journée d’hier chez Rudy. Je tiens à ce que ma signature soit impeccable. Je lui ai piqué son stylo parce que ceux qu’on vend dans ce pays ! Hum… Je préfère me taire.

J’arrive avec Georgette. Vu qu’elle a pratiquement les mêmes proportions qu’Iris, celle-ci lui a filé quelques vêtements. Même si je m’étais promis de ne plus jamais lui adresser la parole, j’ai fini par céder. De toutes les façons, c’est ma meilleure amie, j’ai bien le droit d’être en colère contre elle.

J’ai un large sourire dessiné aux lèvres. Je me rappelle de la première fois que je suis rentrée dans cet ascenseur. J’étais toute petite, toute timide. Toute tout. Et là, c’est une femme heureuse, épanouie qui s’apprête à faire ses premiers vrais pas en tant que salariée.

 

Je traverse le hall en me précipitant presque. Je manque de me prendre la jambe dans le tapis du 17ème étage. Celui réservé à l’administration. Je passe devant les bureaux sans porter aucune attention à ces hommes et femmes qui me regardent. J’arrive jusqu’au dernier bureau où je trouve une secrétaire en pleine conversation avec un jeune homme.

« Bonjour madame, j’ai rendez-vous avec monsieur OVOUNOU. », lui dis-je.

Elle lève les yeux sur moi un instant puis comme si j’étais invisible, elle retourne à sa discussion. Je la regarde montrer des dents devant cet homme qui est le prototype même du salop made in Côte d’Ivoire. Il est là à lui cracher des phrases sorties de vieux films et elle est toute béate.

« S’il vous plait mademoiselle je … »

Elle pousse un juron. Je suis sûre qu’elle vient de Yopougon. Avec ses dents alignées comme celles d’une scie à bois. Je garde tout de même mon calme. Il ne faudrait pas qu’à cause d’elle je froisse mon costume ou que je perde une boucle d’oreille. Elles ont dû couter terriblement cher.

« Mademoiselle ! »

« Eh pardon ! Y a quoi même ? Vous venez trouver les gens en train de parler il faut seulement les couper ? »

« Je pensais que nous étions dans un lieu de service. »

« Service ? Est-ce que ça veut dire que je suis alors à ton service ? »

« Je peux tout simplement passer et vous laisser à votre jeu du chat et de la souris puisse qu’on sait que d’ici une heure, le chat attrapera la souris. »

Le monsieur s’est tout de suite éloigné. Elle pousse encore un juron.

« Donc tu penses que tes tchurr là on achète ça à Carrefour ? Toi-même TCHUURR ! »

Elle attrape son téléphone et m’annonce. Ses yeux sont rouges de colère. Tant pis, ça lui apprendra à jouer les malades avec les folles. De toutes les façons, je suis tellement heureuse que je vais faire comme si elle avait été courtoise. Ça vaut mieux pour elle.

« Mademoiselle NYANE. »

Je promène mon regard dans le bureau. Il m’a l’air glacial. Aucun objet personnel. Des tas de prix accrochés sur les murs. L’africain aime trop les titres c’est bien connu.

Il tourne des pages de mon dossier et fais semblant de lire quelque chose. Il ôte ses lunettes. Des yeux de fouine c’est la première chose qui me passe en tête. La nature n’a pas été généreuse envers lui. Je suis peut-être tacheté et maigre comme un clou mais lui il est chauve, laid et il a l’air mesquin. Un sacré cocktail !

« Ça fait 27 mois que vous êtes en place chez nous. »

« Tout à fait ! 27 mois soit 2 ans et trois mois de stage. »

« Estimez-vous heureuse d’avoir eu un stage dans notre agence. Des tas de jeunes tueraient pour être à votre place. »

Il ne peut pas aller droit au but ? Le nombre d’heures de travail, le salaire … ce genre de choses.

« Que pensez-vous pouvoir nous apporter ? »

Il est con ou il fait exprès ? J’ai bien envie de lui planter mon talon là où je pense. Non content de m’avoir exploité pendant 27 mois, aujourd’hui il me demande ce que je peux apporter de nouveau ? Tu n’as qu’à lire les conclusions de tous ces projets auxquels j’ai participé connard.

« Tout est inscrit dans ce dossier. Celui que vous avez en mains. »

Il joue avec son stylo et le bruit que fait celui-ci en butant sur la table commence à m’énerver. J’ai bien envie de lui planter mes ongles dans son crâne ultra dégarni.

« Eh eh ! Ce n’est pas parce que vous avez étudié à l’étranger que vous êtes forcément bonne mademoiselle. »

Bonne ? Expression très peu professionnelle. Et toi ? Tu as fait tes études où ? Dans un caniveau ? Et dire que le gouvernement lui assure un salaire grâce aux impôts que je paie. Il est au courant au moins ?

Ses lèvres se déforment en un sourire victorieux.

« Je vous ai trouvé une place. Ce n’est pas ce que vous espériez mais voilà, vous-même vous savez que le chômage prend de plus en plus d’ampleur donc il faut … »

« Mais encore ? »

« Nous avons un poste de secrétaire qui est disponible. »

« Pardon ? Vous pensez que je suis montée jusqu’ici pour un poste de secrétaire ? »

« Mais ma fille, il ne faut pas être difficile comme ça. Une belle femme comme toi as besoin de travailler ? »

« OK ! Je crois que votre cerveau doit être en train de geler. Je vais vous aider à le ramener à 37°C. Primo, arrêtez avec les adjectifs qualificatifs dans le genre belle, bonne. Ils n’ont pas leur place ici. Segundo, je n’ai pas passé deux ans au service publicitaire pour me retrouver à faire du café et des photocopies pour un monsieur dans votre genre. »

Il se racle généreusement la gorge. J’en ai pitié pour ses cordes vocales.

« Vous pensez que toutes ces femmes comme vous qui sont là à faire des cafés et des photocopies comme vous dites ne valent pas mieux que vous ? On veut vous aidez, vous venez faire de longs discours. De toutes les façons, c’est le seul poste disponible et vu votre ancienneté, nous avons pensé qu’il vous intéresserait. »

Ce n’est même pas la peine de répondre à cette boule de billard. Je me lève et je prends la direction de la porte. Qu’il aille raconter toutes ses idioties à une autre. Je claque la porte en sortant, ce qui fait sursauter miss dents de scie derrière son bureau. Moi Nowa NYANE venir m’assoir devant un bureau pour faire ma belle. Trop peu pour moi. Je préfère aller m’assoir tranquille chez moi. On serait dans un pays de droit que je les aurais attaqués en justice pour exploitation. Je m’enfonce dans l’ascenseur avec une seule idée. Quitter au plus vite ces locaux. Deux ans d’esclavage. C’est trop ! Lupitaa saurait de quoi je parle.

Je suis en train de vider mon bureau. Autour de moi, des dizaines de paires d’yeux font semblants d’être très occupés et pourtant, tout le monde me regarde.

« Tu montes déjà ? »

Humm… Je regarde Georgette. Malgré ses grosses lunettes de soleil à la Paris HILTON, on devine bien que quelqu’un l’a passé à tabac.

« Mais Nowa ! Répond au moins. »

« Ils me proposent une place de secrétaire. », lui expliquais-je sans m’arrêter.

« Ce n’est pas vrai ! » 

« Je te jure ! Aide-moi s’il te plait. »

« Et tu comptes t’en allez comme ça ? »

« Tout à fait. Je préfère aller rester chez moi. Chaque matin, je paye un taxi pour me rendre ici. Et chaque soir, je dois en prendre un autre. Il vaut mieux que je reste dormir devant la télévision. »

Elle reste un moment, l’air de réfléchir.

« Tu as raison ma belle ! C’est mieux de rester dormir. Attends, moi aussi je vais ramasser mes affaires. Il vaut mieux quitter avant qu’on te quitte. »

C’est exactement ça ma Georgette.

Derrière nous, les causeries vont bon train. Tant pis pour ceux qui trouvent que nous manquons d’ambition mais c’est notre choix. Personne parmi eux ne paye quoique ce soit pour nous.

Un fois nos affaires rangées, nous descendons attendre un taxi.

 

Me voici donc au chômage de façon officielle.

Je suis en colère. Je décide de passer à l’institut pour voir Mimi. Peut-être qu’un bon soin saura me mettre de meilleure humeur.

« Cinq longues années d’études pour ça. Quand je pense que même en travaillant dans un MacDo je gagnais bien plus qu’en exerçant ma passion, j’ai envie decrier à l’arnaque. »

Je tripote tous les produits placés devant moi alors que Mimi est en train de rafraichir ma coupe.

« Et puis le secrétariat, nous savons toutes comment ça finit. J’ai l’air d’une fille qui se mettrait dans le lit d’un quinquagénaire pour son loyer ou ses factures ? Aïe ! Mimi », m’exprimais-je en avançant mon buste vers l’avant.

« Tu veux m’arracher le cuir chevelu ? »

« Fais attention à ce que tu dis ma petite ! »

J’ai dû la blesser en parlant de quinquagénaire.

« Je m’excuse Mimi ! Tu sais bien que ça n’a rien à voir avec toi. »

« Je sais mon cœur. Mais fais gaffe aux mots que tu emploies. »

Je reviens en place en soupirant.

« Parfois, je me dis que je n’ai pas de chance. Regarde, avant je n’avais pas de mec mais j’avais un job  et là, j’ai un mec mais plus de job. C’est vrai que Dieu ne donne pas tout. Et puis, il y a ces autres à qui tout sourit. Absolument tout. Mais pourquoi tu ris Mimi ? »

« Parce que ça fait du bien de savoir que tu es amoureuse. Tu sais maintenant ce que je peux ressentir pour ton père. Je me sens chanceuse de l’avoir dans ma vie Nowa. »

Erreur ma jolie. Belle erreur. Lui c’est une arnacœur. Il va bientôt te transpercer le cœur avec un sabre.

« Nowa ! Eh, téléphone ? »

Je regarde sur l’écran.

« C’est Rudy ! Il vient sans doute aux nouvelles. »

Elle pose un bisou au sommet de ma tête avant de s’éloigner. C’est réconfortant !

« Salut princesse. »

« Salut. »

« Humm… la voix trainante ! Vas-y raconte-moi. »

J’ai un moment d’hésitation.

« Je t’écoute mon cœur. »

« Je ne l’ai pas signé ce contrat. »

« Tu es où ? Je passe te prendre. »

Je lui indique précisément où je suis et il me promet d’arriver dans moins d’une heure

 

Rudy EYA

Quand j’arrive, je suis un peu déçu. Nowa est au fond de la grande pièce en train de se faire couper les cheveux j’ai bien l’impression. Il faudrait que j’établisse un putain de titre de propriété sur sa chevelure à ma belle.

Une demoiselle filiforme à souhait passe devant moi et me dit bonjour en me gratifiant d’un clin d’œil. J’ai envie de lui crier qu’en ce moment je suis à fond sur une superbe cap-verdienne aux grands yeux couleur miel mais je lui rends un bonjour poli et strict.

Nowa tourne légèrement la tête et quand elle m’aperçoit, elle me lance ce sourire qui me fait quitter la terre. Cette fille est une pure merveille.

Je m’avance doucement vers elles. Tous les regards sont focalisés sur moi ; on ne doit pas en voir des hommes dans le coin. Je salue ces dames avec un léger sourire jusqu’à arriver dans les un mètre carré de ma dame de cœur.

« Bonsoir mesdames. »

« Bonsoir. », me répond cette dame.

Je plonge ma main dans la sienne, elle la serre fort.

« Tu as dû griller des feux pour faire aussi vite. »

« Ils sont pour la plupart en panne. »

Elle a un petit sourire. J’aime la faire rire.

« Mimi, je te présente Rudy ! Rudy, je te présente Mimi. »

« Je vois au nom de qui déposer ma plainte pour désaccord capillaire. Enchanté Mimi. »

« Ah ha ha ! J’exécute les ordres c’est tout. Moi de même. Je lui enlève ce ci et elle est à toi. »

« OK ! »

Moi qui pensais que l’action serait imminente, je suis bien déçu. Ce n’est qu’un quart d’heure après qu’elle lui enlèvera ce tissu. Entre temps, je me sentirai comme dans la fosse aux lionnes avec tous leurs regards et leurs sourires en coin.

Nous saluons Mimi et nous nous en allons main dans la main.

 

« Je pourrai toujours t’embaucher comme cuisinière ! »

Un coussin atterri sur mon visage.

« Je suis sérieuse. »

« Moi aussi. Arrête d’utiliser toutes ces choses pour ma frapper. Je ne les ai pas encore payées et je ne tiens pas à finir chez S.O.S. Hommes battus. On prend ceci ? »

Ma maman m’a appris que la meilleure des thérapies pour une femme est le shopping. J’ai donc décidé de faire le tour de quelques enseignes avec ma dame nouvellement déclarée chômeuse.

Installés sur une banquette, je la regarde essayer des paires de chaussures toutes aussi belles les unes des autres. La demoiselle lui en apporte une autre. J’ai l’impression qu’on l’a envoyé étrangler ma carte.

« Elles sont très belles madame. »

« Merci. Et toi, tu les trouves comment ? »

« J’aurai préféré que tu me poses la question pour des dessous affriolants. »

Pourquoi me regardent-elles ainsi toutes les deux ? Je suis sincère.

« Ne faites pas attention à lui. Il ne dit que des bêtises. »

Mon téléphone sonne. Serait-ce une mise à l’épreuve en ce qui concernerait la sincérité ? Je m’éloigne pour répondre.

« Salut ! »

« Bonsoir, tu vas bien ? »

Elle est sérieuse Tina ?

« Viens-en au fait. Je suis occupé. »

« Je crois que la dernière fois j’y suis allée un peu fort donc je te propose qu’on se voit pour en parler. »

« Moi ça me convient la façon dont nous nous sommes quittés. En plus je n’ai vraiment pas de temps. »

Nowa est déjà en train de venir vers moi.

« Allez Rudy, ne sois pas vache avec moi. »

Je soupire en me grattant la tête.

« Mon choix est fait bébé. », me lance-t-elle en s’appuyant au meuble de la caisse.

« Ah ! Tu es avec elle c’est ça ? »

« Arrêtes tes gamineries. J’ai des choses à faire, on en reparle après. »

Je raccroche, je change son nom Tina dans mon répertoire par Ayem. Comme ça si elle soupçonne quelque chose, je pourrai toujours lui dire qu’Ayem est ma sœur. C’est juste un petit mensonge pour la bonne cause. Pour l’heure je dois aller payer pour ces quatre paires de chaussures. Heureusement que j’ai un bon boulot moi.

« J’étais sérieux, tu pourrais venir vivre avec moi. », lui répétais-je en passant un bras autour de son cou.

Les couleurs de nos...