21. Le couple à l'honneur
Ecrit par Samensa
ELA
Nous sommes arrivés tôt au
domaine du fiancé d’Api. Je dis domaine parce que la propriété est incroyable. Elle
s’étend sur une dizaine d’hectares avec des arbres fruitiers à perte de vue. Il
faut dire qu’Api a tiré le gros lot.
Je me suis proposée en aide à la
cuisine pour les plats africains mais les femmes m’ont ramené vers les
desserts. A cause de mon état, elles ont catégoriquement refusé que je les aide
avec des plats qui nécessiteraient trop d’efforts. Je me suis donc occupée des
quiches, nems, gâteaux au four et autres. J’ai en effet supervisé une
demi-douzaine de filles de la maison.
Il est 11 heures. Les invités
commencent à affluer. Assise dans un coin de la terrasse car étant déjà
épuisée, j’observe mon mari. Sa capacité à cacher ses sentiments me fascine. A
la maison, il me traite comme si rien ne s’était passé et ici, il sourit et
devise joyeusement avec les invités, principalement des membres de ma famille.
Ma sœur entre dans la cour,
escortée des femmes de la famille. Des cris de joie l’accueillent. Avec un
sourire éclatant, elle salue de la main la foule. Heureuse, pas de doute, elle
l’est vraiment. Et cet étincelle dans ces yeux… jamais je n’aurais cru que ma
sœur puisse aimer quelqu’un jour surtout un homme comme lui, un homme qui a le
double de son âge. C’est vrai qu’il fait vraiment jeune pour son âge toutefois,
il faut reconnaitre que c’était improbable. J’ai toujours cru qu’elle finirait
avec un bon à rien. Au contraire, elle nous a ramené un homme responsable,
capable de subvenir à ses besoins et apparemment extrêmement amoureux.
Les cérémonies plus
traditionnelles avec les libations et les discussions sur les cadeaux ont été
faites tôt le matin entre les membres de la famille. Cet après-midi n’est
qu’une réception pour montrer à notre entourage que « l’homme est
capable ». Les cadeaux de ma sœur sont exposés au salon à la vue de
tous : bijoux, pagnes, boissons alcoolisées de qualité supérieurs, sacs de
riz, produits vivriers et même des appareils électroménagers et électroniques…
Je souris lorsque j’entends les
messes basses de deux invitées :
-Elle a de la chance oh !
-C’est quoi tu appelles la
chance ?
-Mais regarde ! Tout ce
qu’elle a eu. Le gars même on sent qu’il dort dans l’argent. Il est frais comme
du poisson nouvellement pêché. Elle a eu le gros lot.
-Fhum. Si c’est pour marier un
vieillard pour avoir le gros lot, non merci.
-Orh toi vraiment. Tu n’as rien
et c’est toi qui fais la grande gueule. Tes gars avec qui tu sors là peuvent
rivaliser avec lui ? Le vieux ?
-Oh non non, on n’est pas encore
à ce stade hein ! Ce n’est pas de moi qu’on parle.
-Moi je dis juste que quand on
n’a rien, on ne fait pas la grande gueule. Point !
L’autre fâchée cherche à s’éloigner
de son amie qui la suit toujours en lui lançant des paroles moqueuses.
Ah les femmes, toujours en train
de critiquer les autres, leurs amies. L’hypocrisie féminine. Elles te sourient
en face mais te jettent des ordures dans le dos.
Mon regard est attiré par une
forme qui me semble familière. Mon cœur fait un bond quand je le
reconnais : David. Je ne crois pas qu’il ait fait le bon choix de venir
ici. Je jette un coup d’œil en direction d’Eric qui lui aussi fixe son frère, de
manière dédaigneuse. Alors là, ça ne sent pas bon du tout surtout que David
vient me prendre dans ses bras.
Je me dégage bien vite pour
éviter que mes expressions ne me trahissent.
-Que fais-tu ici ? Je
chuchote.
-Je fais partie de la famille
voyons.
-David, ce n’est pas une bonne
idée de te venir ici surtout quand tu sais que mon mari est dans les parages.
-Eric, c’est Eric. Répète-t-il
exaspéré. Pas ton mari.
-Oh s’il te plait, tu ne vas pas
venir faire une scène ici. C’est la dot d’Api. Garde ta jalousie pour plus
tard.
-Ayehla, tu m’as manqué. Je voulais
te voir. Tant pis si Eric est ici. Il sait déjà pour nous deux donc je ne vois
pas pourquoi on devrait avoir peur de lui. On se voit après.
Sans attendre de réponse, il se
dirige vers le couple pour le féliciter.
Je suis aussitôt bousculée par
quelqu’un. Je m’apprête à me plaindre à ce dernier quand mon cœur fait un autre
bond dans ma poitrine, deux fois en moins de 15 minutes. Je suis stupéfaite en
voyant Raïssa.
La carte d’invitation lui servant
d’éventail, elle m’adresse un sourire narquois avant de me dépasser.
Décidément, rien ne s’annonce
bien.
ERIC
Il a osé. Il a osé se pointer ici
malgré tout. Bon Dieu, qu’est ce qui ne va pas dans sa tête ?
Je bous littéralement de colère.
En plus d’avoir bafoué mon honneur d’homme, il vient aussi me narguer ? Le
voir discuter avec Ela m’a transpercé le cœur. J’ai eu tellement mal que j’ai
failli crier mon ras-le-bol devant les invités. Heureusement que le fait de
penser au mal que cela causerait à ma belle-famille en particulier Api pour qui
ce jour est exceptionnel m’a refroidi. Pour me calmer, je sors passer un coup
de fil à Nancy. Lui parler et entendre les babillages d’Elie me mettent de
meilleure humeur.
J’entre au moment où il est
demandé de passer à table pour le déjeuner dans ce qui semble être une salle de
fête. Je sens la gêne d’Ela près de moi mais ne m’en préoccupe guère. Mon
silence la tue et c’est tant mieux. A défaut de pouvoir lui casser la gueule
car elle est une femme, je me contente de lui faire mal psychologiquement.
C’est ma seule arme efficace.
Le déjeuner se passe plutôt bien.
Entre les discours des membres de la famille et les
« dédommagements » qui sont payés par la famille du futur marié,
l’ambiance est bonne enfant.
Alors que la cérémonie tire à sa
fin, un petit montage photo est passé sur l’écran géant au fond de la pièce pour
montrer la vie des époux. Après les photos d’enfance de l’homme, celles d’Api
apparaissent. Une petite fille joufflue très taquine et espiègle, toujours
souriante sur les photos. Sur certaines, elle est avec sa sœur qui a l’air plus
calme. Des photos du lycée apparaissent, je les reconnais pour la plupart et
même que je fais partie de certaines d’entre elles. La belle époque, celle de
l’amour fou entre Ela et moi. Une photo nous montre Ela, Api et moi. Api au
milieu, nous entoure des bras en riant tandis qu’Ela et moi nous regardons
amoureusement.
« Et maintenant, notre couple préféré ! » Affiche
l’écran avec des écritures noires sur un fond rouge.
Les secondes qui suivent : c’est
le silence total dans la salle. Près de moi, Ela tremble tellement que j’entends
ses dents claquer. Moi, j’ai l’impression de recevoir un coup de poing au
visage.
En grand et à la vue de tous, Ela
en train d’embrasser David. L’une des photos du lounge.
De loin, je vois des personnes
s’activer pour éteindre le projecteur. Trop tard, je pense qu’à ce stade,
personne n’a besoin de dessin de comprendre. Aussi, tous les regards sont
braqués sur nous. Des chuchotements commencent à s’élever autour de nous.
Je me lève rapidement lorsque ma belle-mère
s’avance vers nous.
La gifle retentissante qu’elle
assène à sa fille me laisse bouche bée.
-Comment ? com…
Portant la main à sa poitrine, elle
s’écroule avant de pouvoir terminer sa phrase. J’essaie de la réanimer pendant
qu’Ela se jette à ses pieds pour toucher sa mère. Son père lui demander de
s’éloigner d’un geste de main. Ce qu’elle fait les larmes aux yeux. Bientôt
nous sommes entourés de curieux.
Papys, le fiancé, se propose
d’emmener Mme Aké ave sa voiture vu l’urgence. Api quant à elle se rue sur sa
sœur pour la faire lever.
-Tu vas vu ce que tu as
fait ? crie Api.
-Je suis désolée. Répond
doucement Ela.
-Tu vois où tout cela nous a
mené ? Elle éclate en sanglots. Tu as gâché ma fête. Ma fête Ela !
C’était censé être l’un des plus beaux jours de ma vie.
-Je suis désolée. Ela se met à
pleurer à son tour.
-Tu ne vois pas que je n’en ai
que faire de tes excuses. Regarde la honte que tu as mise à la famille ? Je
t’avais prévenu ! Je t’avais prévenu ! Elle s’essuie les larmes et
d’un ton sec, ajoute : je te jure que s’il arrive quelque chose à maman
par ta faute…
Pour terminer sa phrase, elle toise
sa sœur avant de suivre son fiancé à la voiture.
De mon côté, je m’empresse de
ramasser mes affaires. Avec le scandale et le malaise de ma belle-mère, la fête
est finie.
J’ai mal de voir Ela effondrée
près de moi mais que puis-je faire ? Je ne laisse paraitre aucune émotion
et m’adresse à elle de manière neutre :
-Tu veux que je te raccompagne à
la maison ou David le fera ? De toute manière, votre relation est
officielle maintenant.
Pour toute réponse, elle se remet
à pleurer de plus belle. Lorsque j’aperçois mon frère venir à sa rescousse, je
me dis qu’il est vraiment temps de partir.
Faisant fi des commentaires, je
marche jusqu’à ma voiture et démarre dans un crissement de pneus. Quelques
kilomètres plus loin, je suis obligé de faire une halte tant ma vision est
brouillée par les larmes que j’ai dans les yeux. Ces larmes qui représentent
toute la rage d’un homme humilié et blessé dans son être.
NANCY
Il est environ 2 heures lorsque
la sonnerie de l’appartement me réveille. Je cours ouvrir, un peu sceptique, lorsque je vois sur le vidéophone qu’il s’agit
d’Eric.
Dès que j’ouvre, il me tombe dans
le bras. J’ai un haut le cœur tant il empeste l’alcool. Enervée, je le repousse
violemment comptant bien lui dire deux mots pas gentils du tout. Mais lorsqu’il
s’adosse à la porte et qu’il me regarde de ses yeux larmoyants, les mots me
restent en travers de la gorge. Il me tend ensuite les bras.
Je ne me fais pas prier pour le serrer
dans mes bras et de lui caresser le dos pour calmer ses sanglots.
Nous restons au pas de la porte
un long moment avant de nous décider à entrer. Il va s’étendre directement à
plat ventre sur le canapé. Moi, je vais m’assoir au sol, près de sa tête. Je lui
caresse doucement la tête pendant que nous nous regardons dans les yeux.
-Ça va mieux ?
Il me fait non de la tête.
-Tu sais une bonne douche te fera
le plus grand des biens ?
Encore un autre non.
-S’il te plait.
Il me regarde longuement avant de
me suivre dans ma douche. Je lui donne le nécessaire avant d’aller lui préparer
du thé. A mon retour, il est douché et étendu, endormi dans mon lit en
serviette.
Je le couvre donc avant de
prendre des couvertures pour moi et mon
fils dans mes bras. Direction, la seconde chambre. Après avoir fait coucher Elie,
je me rends dans le salon pour éteindre les lumières.
Sur la table basse, le téléphone
d’Eric sonne. Je le prends dans l’intention de l’éteindre lorsque je tombe sur
la photo de l’appelant. Une personne que je connais que trop bien. David.
Choquée, je dépose le téléphone à
sa place initiale. Mille et une questions me viennent à l’esprit. Comment Eric
connait-il David ? Pourquoi David l’appelle-t-il ? Donc David est
dans ce pays ? Il reçoit mes messages ?
La nuit est longue, je n’arrive
pas à fermer l’œil. Alors le père de mon fils n’est pas loin. Et il ne daigne
même pas faire signe de vie.