20. Aide moi
Ecrit par Samensa
ELA
La maison est plongée dans un
silence de cimetière.
Maman est en train de se reposer
sur la terrasse. Elle est à la maison depuis ma sortie de l’hôpital, il y
environ une semaine. Elle a tenu à rester avec ma tante pour s’occuper de moi,
en utilisant des méthodes plus traditionnelles. Je ne suis pas épargnée des
décoctions à base de feuilles amères, de lavements et autres. Et je dois dire
que ce traitement nous fait du bien à mon bébé et moi.
Mon bébé. L’enfant d’Eric. Après
tous les calculs que j’ai effectués, je suis sûre et certaine que cet enfant
est de mon mari.
Je me rappelle du jour où je le
lui ai confirmé. Il s’est seulement contenté de me regarder sans un mot. Un
regard dégoûté et froid.
Il me parle très peu. Lorsque
nous sommes en public, il sauve les apparences avec des gestes anodins mais une
fois en intimité, c’est le silence total. Toutefois, il veille à ce que je ne
manque de rien et que je sois bien traitée.
Eric n’a jamais abordé le sujet
de ma liaison avec son frère depuis ma sortie. Personne ne peut savoir à quel
point cela est lourd à supporter. Vivre avec une personne à qui vous avez fait
du mal et qui ne vous tient rigueur de rien, c’est la pire des punitions. J’ai
maintes fois essayé d’aborder le sujet, en vain.
Avec David, c’est compliqué.
Quand il a appris pour ma grossesse, il a espéré que l’enfant soit de lui. Il a
vite été déçu sans pour autant reculer devant sa volonté de me faire sienne.
Nos communications se limitent à des SMS. Je ne peux plus faire l’affront à mon
mari de parler à David devant lui.
Tout ce que je désire à cet
instant, c’est d’être bien dans mon corps et dans mon esprit pour ce petit Etre
qui vit en moi. Cet Etre que j’aime déjà de tout mon cœur. C’est exceptionnel,
ce lien mère-enfant.
Plus tard dans la soirée, je
raccompagne maman au portail suivi du majordome qui transporte ses affaires. En
effet, elle doit retourner chez elle pour superviser les préparatifs de la dot
de ma petite sœur.
Après lui avoir fait la bise, je
retourne m’assoir dans le salon. Eric entre peu de temps après et vient
s’assoir près de moi avant d’enlever ses chaussures.
-Belle journée de travail ?
Je demande.
-Tout va pour le mieux. Et
toi ?
-On va bien.
-Bien alors.
Il demande à la domestique de lui
apporter un jus de fruit qu’il prend, devant la chaine de sport.
-Eric ?
-Oui ?
-On en est où ?
-Je ne comprends pas ta question.
-Eric, je t’ai été infidèle. Et
tu ne dis rien… tu ne fais rien. Je ne sais même pas si tu m’as pardonné.
Il se met à rire doucement.
-Te pardonner ? Non, ne t’en
fais pas, surtout pas. Je ne t’ai rien pardonné ma chérie. M’as-tu présenté des
excuses pour quoi que ce soit ?
-Mais tu ne me laisses pas
l’occasion de te parler !
-Pour me dire quoi ? Ecoute
moi, je n’ai pas envie d’entendre tes bêtises. Tu attends quoi de moi ?
Que je t’accorde ta liberté ? Pour que tu ailles courir après l’autre
imbécile. Je te rendrai bien trop service.
-…
-Retiens juste qu’on est
marié ! Et ça ne changera pas de sitôt. Tu portes mon enfant de surcroit.
Et si jamais, tu essaies de me faire un faux coup avec ton amant, toute la Côte
d’Ivoire saura quel genre de trainée tu es.
-Tu ne peux pas m’obliger à
rester avec toi !
-Oh que si !
-Tu ne peux pas rester avec une
femme qui ne t’aime pas ! Où est ton orgueil d’homme ? Hein ?
-Tu peux me dire tout ce que tu
veux, ça ne changera rien. Maintenant, laisse-moi tranquille. Je ne suis rentré
plus tôt que pour regarder mon match.
-Non, je…
-J’ai dit : tais toi !
Hurle-t-il avant d’augmenter le son de la télévision.
Fin de la conversation avec mon
mari.
Au milieu de la nuit, des
chuchotements me réveillent. Eric est au téléphone.
-Quoi ?
-…
-D’accord, calme toi. J’arrive.
Envoie-moi ton adresse.
-…
-Je suis là dans peu de temps,
prépare toi.
Après avoir enfilé une tenue
correcte, il sort de la chambre en trombe. Il est 3 heures du matin.
NANCY
J’ai dû demander la permission à
mon supérieur pour pouvoir descendre plus tôt pour rentrer chez moi. La nounou
de mon petit Elie m’a informé du fait qu’il ne se sentait pas bien.
Effectivement, lorsque je suis
rentrée, j’ai trouvé mon fils en fièvre. Pour faire baisser sa température, je
lui ai fait prendre un bain froid et des médicaments. Ça semblait marché
puisqu’il s’est aussitôt endormi l’air d’aller mieux.
Cependant, aux environs de
minuit, la température d’Elie a augmenté. J’ai usé de toutes les recettes que
je connaissais pour y remédier sans succès. C’est lorsqu’il a commencé à vomir
que j’ai paniqué. Il fallait aller à l’hôpital.
J’habite une commune assez pauvre
de la ville d’Abidjan. Malgré le fait que je travaille, mes moyens s’avèrent
insuffisants pour me loger plus décemment dans cette ville où le coût de la vie
est de plus en plus élevé. Je vis donc dans ce qu’on appelle une cour commune
avec 6 autres familles avec qui je partage toilette et douche. Niveau sécurité,
ce quartier craint alors sortir toute seule cette nuit est une option à bannir.
Je téléphone donc à mon frère.
J’entre dans une rage noire lorsque son numéro sonne occupé plusieurs fois. A
ce moment, l’état de mon fils s’aggrave : en plus d’être tout brulant, il devient
pâle et faible. Voir mon enfant dans cet état m’arrache des larmes.
Je réfléchis.
La seule personne que je connais
et qui peut m’aider est un homme marié. Et l’appeler à cette heure n’est pas
raisonnable mais ai-je le choix ?
-Allô ? Me répond une voix
ensommeillée.
-Eric, c’est Nancy, j’ai besoin
de vous.
-Pardon ?
-C’est Nancy. J’ai besoin de
vous. C’est une question de vie ou de mort.
-Quoi ?
-Elie est souffrant. Il ne va pas
bien. (Je me mets à sangloter) s’il vous plait, j’ai besoin que vous m’envoyiez
à l’hôpital. S’il vous plait.
-D’accord, calme-toi. J’arrive.
Envoie-moi ton adresse.
-J’habite la commune d’Abobo. Je
t’envoie les détails par SMS.
-Je suis là dans peu de temps,
prépare toi.
Eric arrive une vingtaine de
minutes plus tard et nous conduit dans une clinique privée malgré mes
protestations. Elie est rapidement pris en charge par un médecin de garde.
Eric et moi, nous asseyons dans
la salle d’attente. Il passe une main autour de mon épaule.
-Eh ça va aller. me dit-il
doucement.
-J’espère… Elie est tout pour
moi, s’il devait lui arriver quelque chose, je ne m’en remettrai pas.
Il m’attire contre lui.
-Chut. Ne t’inquiètes pas, il va
aller bien. N’aie pas de pensée négative.
J’essuie discrètement les larmes
qui me chatouillent les yeux.
-Sinon, merci d’être venu malgré
l’heure. Je sais que vous êtes un homme marié.
-Ne t’inquiète pas pour cela. Tu
sais quoi ? Ferme juste les yeux pour te reposer un moment.
Il me caresse l’épaule à l’aide
de son pouce alors que je me rapproche plus de lui.
-Je n’arriverai pas à dormir sans
nouvelle de lui. Vous ne pouvez pas comprendre ce que je ressens actuellement.
-Comme tu veux… De grâce,
tutoie-moi Nancy. Je suis plus un ami que le patron. D’accord ?
-D’accord.
Quelque temps après, le médecin
nous annonce que mon fils va mieux mais devra rester en observation jusqu’à
midi. Je décide donc d’attendre afin de rentrer avec lui. Eric se propose de me
tenir compagnie. Lorsque je tombe de fatigue, il m’invite à dormir la tête
posée sur ses genoux. Ce que je fais volontiers.
A mon réveil, je me surprends à
être dans les bras d’Eric qui est endormi. Je me permets de le contempler un
moment. Il est terriblement attirant avec la barbe qui lui assombrit le menton.
Son parfum musqué m’enivre. Je n’ai qu’une envie, celle de rester dans ses
bras. Je prends mon temps pour contempler son visage, ses traits fins, son air
paisible.
Il ouvre les yeux surprenant mon regard
sur lui. Et il me sourit. Un sourire qui me trouble au point de me faire
sourire bêtement aussi. Il me serre un moment contre lui avant de se lever et
de faire les cents pas pour se dégourdir les jambes.
-Ah j’ai mal partout ! Pas
facile de dormir dans des sièges. Plaisante-t-il.
-En effet. Il est déjà 8 heures,
tu ne vas pas rentrer ? Ta femme va s’inquiéter.
-Non je ne crois pas… Ecoute, je
repasse te chercher dans un moment. Je rentre me changer.
-D’accord.
Je me sens tout d’un coup seule
en le regardant partir. C’est comme s’il laissait une grand vide en partant.
En me conduisant à la sortie de
l’hôpital, au lieu d’emprunter la route de mon quartier, il m’envoie jusqu’à
l’un des immeubles de PICI qui vient d’être rénové. Je suis plus que surprise lorsqu’en
entrant il me lance un « Bienvenue dans ton nouveau chez toi ! »
-Quoi ?
-Euh… bienvenue chez toi !
-Tu me racontes quoi là ?
-Désormais, tu vivras dans cet
appartement.
-Parce que ?
-Parce que j’en ai décidé ainsi.
-C’est hors de prix pour moi.
C’est un haut standing !
-Je sais. Et l’argent n’est pas
un problème.
-Merci pour tout. Toutefois, je
ne peux pas accepter tout ça. Ce serait déplacé d’accepter un cadeau de mon
patron, un homme marié !
-Je ne le fais pas pour toi mais
pour ton fils. Je ne voulais pas te mettre mal à l’aise en te disant ça mais tu
as vu l’endroit dans lequel tu vis avec lui ? Je ne peux pas aider tous
ceux qui sont dans le besoin, c’est sûr. Avec toi j’en ai l’occasion et j’ai
les moyens de le faire, alors pourquoi pas ?
-Que vont penser les gens ?
-Personne n’en saura rien si tu
le désires. Et même si, je me fiche pas mal de ce que les gens peuvent penser
de moi. Et tu devrais en faire de même.
-…
-Nancy, accepte cette aide pour
le moment. Quand tu en auras les moyens, tu feras ce que tu voudras. Pense à
ton fils.
Je regarde mon fils couché dans
le canapé. Il a peut-être raison. Je dois faire passer les besoins de mon fils
avant ma fierté.
-Merci. Finis-je par lâcher
résignée.
-Enfin ! Je croyais que ce
mot n’allait jamais sortir ! répond-il en riant.
Il fait ensuite monter les
paquets qui s’emplissaient dans le coffre de la voiture. Je suis émue en les
ouvrant : couches, céréales pour bébé, vêtements, vivres,… tout ce dont
j’ai besoin pour m’installer.
Eric est vraiment adorable.
Il m’aide même à donner à manger
à Elie puis le berce pour l’endormir. Ensuite, il participe à l’aménagement de
la maison en faisant les travaux d’homme de la maison.
Quand il rentre chez lui, tard
dans la soirée, je me couche en me demandant qui est cette femme qui ose
cocufier un homme comme Eric ?
RAISSA
Ce matin quand j’arrive à la
pharmacie, les filles sont attroupées dans un coin de la pharmacie. Curieuse,
je vais m’y affairer à mon tour.
L’une des filles brandit une
carte d’invitation, celle d’une cérémonie de dot. Je suis exaspérée lorsque je
me rends compte qu’il s’agit de la dot d’Api. Certaines me rient au nez en
disant que c’est la fille qui m’a corrigé. Les pétasses !
Mais pourquoi les filles Aké ont
autant de chance ?
Je passe ma vie à chercher le
bonheur en ce bas monde. C’est comme si Dieu m’avait oublié. Pourtant, ces
filles qui sont nées avec une cuillère en or dans la bouche ont tout pour vivre
heureuses.
Injustice.
Cette cérémonie de dot sera hors
du commun, je m’en assurerai. Je me considère déjà comme une invitée. Je vais
montrer à tous qui sont vraiment Ela et David.
Il a mal fait de me rejeter comme
une moins que rien.
En tout cas, qu’ils se tiennent
prêts. Abidjan sera sur un pied ce jour-là.