22- Les couleurs de nos amours

Ecrit par lpbk

Nowa NYANE

« Bonjour ! », dis-je en fouillant mon sac.

« Bonjour mademoiselle. », me répond l’agent.

« Euh… j’ai rendez-vous avec Tina NYANE. »

« Pièce d’identité s’il vous plait. »

Je la lui tends et j’attends qu’il me mette sur le registre des visiteurs.

Un sourire courtois et je peux prendre l’ascenseur.

Tina travaille à la SGBCI. Elle est trader. C’est en quelque sorte une négociatrice chargée d’anticiper les fluctuations boursières afin d'engendrer des profits. Autant vous dire qu’en affaires, elle est imbattable.

Je monte jusqu’au 13ème où se situe son bureau. Pas de protocole pour passer sa secrétaire. Elle me connait déjà. Tina est en pleine conversation téléphonique quand j’entre. Elle parle de choses et d’autres dont je ne comprends absolument rien. Je m’installe et j’attends en trainant sur mon portable.

Elle pousse un carnet devant moi en me faisant signe de tourner les pages.

« Pour les faire-part. », chuchote-t-elle en éloignant le téléphone.

Je parcours les quelques pages sur lesquelles elle a griffonné en essayant de déchiffrer les mots sur les côtés.

« Fleurs, romantisme, couleurs, … »

J’examine soigneusement les croquis jusqu’à ce qu’elle finisse par raccrocher.

« J’espère que je n’ai pas été trop longue. »

« T’inquiète ! »

Elle vient se mettre à côté de moi afin de me donner quelques explications.

« Nous avons choisi le thème du romantisme. »

Tout s’explique. Je comprends mieux tous ces petits cœurs et son gribouillage.

Elle tire la chaise et s’assoit.

« Tu vois, c’est pour les faire parts. Je voudrai que tu t’en occupes. Tu sais que tu as toujours été l’artiste de la famille. »

Pardon ?

« Arrête de me regarder ainsi. J’ai marqué tout ce qui me plait derrière. »

Elle veut se lever mais titube et retombe dans le siège à côté de moi.

« Tu vas bien ? »

« Hmmmm… Ne t’inquiète pas. »

« Tu me fais peur là »

Elle sourit.

« J’ai rendez-vous avec mon médecin tout à l’heure. Il va encore me prescrire des vitamines, des minéraux et du repos sauf que je n’ai pas le temps de me reposer. »

« Tu devrais peut-être prendre quelques jours. »

Elle me regarde étrangement.

« Euh Tina, tu peux arrêter de me fixer ainsi ? »

« Tu es différente. Je ne saurai dire pourquoi mais tu as quelque chose de changé petite sœur. »

Je soulève un sourcil. Je ne comprends strictement rien à ce qu’elle raconte et puis il faut que j’y aille moi. J’ai des courses à faire.

Tina me raccompagne jusque devant l’ascenseur.

 

Rudy EYA

Je viens d’arriver chez ma mère et j’ai déjà la migraine. Ca crie de partout, ça m’énerve. Elles ne peuvent pas la fermer une seule seconde ces bonnes femmes ?

Je traverse le salon où ma mère est en train de s’égosiller en traitant Ayem de tous les noms d’oiseaux. Je lui lance un « salut » et je continue dans la cuisine. J’ouvre le frigo et j’attrape un carton de jus de fruit. Je le secoue, il n’en reste plus beaucoup. Je vide le carton sans un verre.

« Donc toi aussi tu veux t’y mettre ? Quelles sont ces façons d’entrer chez sa mère même ? », hurle ma mère en entrant dans la cuisine.

Elle regarde le carton dans ma main.

« Et puis on t’a dit que les verres c’est pour les chiens ou les chats ? Et puis ferme-moi le frigo-là avec ta tête on dirait noix de coco. »

« Bonjour maman ! Tu vas bien ? Moi aussi je vais bien. »

« Tchurrr… », fait-elle en sortant.

« Comment elle va ? »

« Il faut lui demander. »

« Ayem ! » criais-je.

« Foutez-moi la paix ! », répond-t-elle depuis sa chambre au premier.

Je regarde maman. Elle est installée dans le salon et fait semblant de ne pas avoir entendu la réponse de son insolente de fille.

« Ayem descends ici tout de suite sinon tu vas t’entendre crier. »

Je dis ça et je m’en vais m’assoir avec maman.

« Tu as vu ta sœur non ?! Tu as vu comment elle est. Un jour tu vas venir trouver que je l’ai tué. »

« Arrête de dire des bêtises maman. »

On entend claquer une porte et quelques minutes après, Ayem nous fait grâce de sa présence. Dans quelle pétrin elle s’est mise ma petite sœur en allant se mettre en cloque par je ne sais trop qui. Mais celui-là, quand je l’aurai chopé, il lui faudra faire lui-même les connections entre ses neurones pour qu’il se souvienne de la couleur de ses cheveux.

« Tu es encore venu pour me bastonner ou pour m’insulter ? », demande-t-elle les bras croisés.

« Ni l’un ni l’autre Ayem. J’ai quelque chose à vous dire. Donc pose tes fesses et écoute. Je vous laisserai le temps de vous entretuer plus tard. »

Maman tourne la tête vers moi et me toise en poussant un long juron. Ayem boude mais s’assoit quand même. Me voici réunis avec les femmes de ma vie. Il en manque deux mais ce n’est que partie remise. De toutes les façons, Saria sera vite au courant.

« Bonjour Ayem ! »

Elle serre les dents. Elle a de la chance que je sois de si bonne humeur sinon je lui aurais déjà cassé les dents.

« Toi aussi laisse nous avec tes salutations. Tu veux nous dire quoi même ? »

« J’ai rencontré une femm… »

Ma mère se lève et commence à crier et chanter en patois. Elle enlève son foulard et le noue au niveau de ses reins.

« C’est à croire qu’elle te pensait gay ! »

« Maman, tu peux te calmer ? Je n’ai pas fini. »

Elle prend mon visage entre ses mains et m’embrasse sur la joue avant de se rassoir.

« Dieu est grand ! Dieu est puissant ! »

« Je disais que j’ai une femme dans ma vie et je voudrai vous la présenter. »

« Awéééééé ! Merci Seigneur ! »

Elle est à nouveau en train de tourner en rond en esquissant quelques pas de danse.

« Et elle est vierge cette femme ? »

Quoi ?

Maman s’arrête tout de suite et lui lance son regard l’air de dire « je vais te tuer ».

« Je veux savoir si ça t’arrive de faire l’amour avec elle parce que ici maman fait comme si elle nous avait eu avec le saint esprit et toi, tu me donnes l’air d’être de ceux qui attendent le mariage. »

Je vois où elle veut en venir. Je laisse maman se charger de la remettre à sa place. Bientôt, elle nous quitte pour aller s’enfermer dans sa chambre. Maman la suis jusqu’aux escaliers.

« Donc elle pensait que j’allais applaudir ? Moi j’ai attendu mon mariage avant d’écarter les jambes. Je ne sais pas si c’est la télé qui vous rend bêtes comme ça. », crie-t-elle en revenant s’assoir avec moi.

« Rudy ! Tu disais qu’on la rencontre quand ? »

Tu es trop pressée la vieille.

« Ce n’est pas encore décidé. Mais ça se fera bientôt maman. »

« Bientôt c’est quand encore ? Si tu venais avec elle aujourd’hui ça allait te faire quoi ? »

« Humm… pour qu’elle nous prenne pour des fous ? »

« Tchurrrr… »

« Il faut que j’y aille. Je t’appelle pour te donner un jour maman. » 

Elle est déjà vexée donc elle ne me répond pas. Trop susceptible la vieille !

 

« Arrête ! J’ai besoin de me reposer. »

Elle réprime un rire.

Ca fait quelques minutes qu’elle me tire le nez, les oreilles, qu’elle me pince. Je suis sûr qu’elle n’a plus sommeil et qu’elle ne sait pas quoi faire. Du coup, il faut que je me  réveille pour lui tenir compagnie dans son ennui.

Elle continue. J’attrape sa main et j’ouvre les yeux.

« Hummm… Ce n’est pas drôle. »

« Désolée ! », dit-elle le sourire aux lèvres.

« Tu ne veux pas te lever ? Et puis tiens, Ayem t’a appelé quatre fois. »

Elle me lance mon portable sur le lit après s’être levée. Elle est déjà toute habillée. Je regarde le portable. En fait c’est Tina. Ça m’aurait étonnée que ma sœur m’appelle.

« Reviens te coucher ! »

Elle ne se fait pas prier pour revenir se glisser sous les draps. Elle passe une jambe sur moi.

« Tu vas l’annoncer comment à tes parents ? »

« Je ne sais pas ! Papa, maman ! Je m’installe avec mon petit-ami. »

« Non ! »

« Pourtant c’est la vérité ! »

« Ca fait genre j’ai l’intention de m’envoyer en l’air chaque soir. »

« C’est aussi la vérité. »

« Je suis sérieux ! »

« Moi aussi. Et puis, je peux juste ne rien leur dire. Après tout c’est ma vie privée. »

« On a dit qu’on allait faire les choses bien. Et faire les choses bien c’est dire la vérité à tes parents, rencontrer ma mère ce soir. »

« Quoi ? »

« Désolé mon cœur. »

Elle me donne un coup.

« Mais pourquoi tu ne m’as pas prévenu depuis ? »

« Je n’avais aucune envie de te voir stresser comme tu le fais déjà. »

Elle veut retirer sa jambe mais je la retiens.

« Je te promets que ça va bien se passer. En plus elle ne pourra pas te juger sur tes capacités de cuisinière vue que tout se passe à la maison. Dis-toi que tu pourras voir ma chambre d’ado. »

« Hmmm… Lève-toi ! »

Je relâche sa jambe et elle s’extirpe à nouveau du lit. J’en profite pour filer sous la douche et quand je la rejoins, elle pose devant moi un chocolat chaud et des gaufres.

Nowa est une excellente cuisinière. J’avale rapidement mon petit-déjeuner. Je la regarde faire la vaisselle et ranger. Ma mère va l’adorer. Pour mes sœurs, je ne sais pas mais je vais tout gérer.

 

Le soir, un peu avant 19 heures, je traverse le portail de la maison et je me gare dans l’allée. Elle n’a pas dit un mot durant le trajet.

« Regarde-moi ! »

Elle se tourne vers moi.

« Tu es magnifaïk ! »

« Hmmm… toi tu es trop flatteur ! »

Elle est simplement vêtue d’un jean bleu et d’une chemise rouge dont elle a retroussé les manches. Avec ses ballerines, elle est plus petite qu’Ayem. Bon c’est un peu ça la vie. Il y a des petites et il y a des grandes. Nowa fait partie de l’équipe des petites tout comme Saria et Ayem, elle fait partie des grandes.

« Allez respire ! Tout va bien se passer. », lui glissais-je à l’oreille alors que nous traversions la porte principale.

Dès que maman nous a vu, elle s’est levée pour venir nous embrasser. Elle à mis une grande robe blanche ornée de petites fleurs bleues et sur sa tête, son éternel foulard est noué.

« Maman, je te présente Nowa. Nowa, je te présente ma mère. »

« Comme mon nom c’est maman ! Je m’appelle Angèle et je suis ravie qu’une aussi jolie fille se balade avec ce vilain crapaud. »

« Merci madame. », dit-elle.

« Venez vous installez. »

Alors que nous marchons derrière ma mère, je lui donne une tape bien gentille sur les fesses. Elle sursaute.

« Arrête ! »

« Ils vont bien tes parents Nowa ? », demande maman dès que nous nous installons.

« Oui ! Merci. »

« Mais il ne faut pas avoir peur. Je ne vais pas te manger ma fille. Ou bien elle est timide Rudy ? »

« Pas le moins du monde. Elle est où Ayem ? »

Elle frappe dans ses mains.

« Celle-là ! Hmm… elle est sortie avec une de ses amies. J’espère pour elle qu’elle sera bientôt ici sinon elle va aller habiter chez sa copine en même temps. »

« Elle parle seulement ! Il n’y a que moi pour remettre cette gamine en place. »

« Mais il n’est pas si tard ! Peut-être qu’elle a besoin de souffler un peu. »

Erreur fatale ! Ma mère la regarde genre tu es de la même trempe ou quoi ?

« Elle ira respirer quand elle sera chez elle. Je ne sais pas ce que vous les jeunes vous voulez. Au lieu d’étudier, c’est une grossesse qu’elle me ramène. A mon époque on allait la marier de force à l’auteur de la grossesse là. »

« Mais je pensais que tu voulais des petits enfants ! »

Elle me toise et s’en va dans la cuisine d’où elle revient avec des rafraichissements et des cacahuètes salés.

« Tu vois qu’elle ne mord pas. », dis-je à Nowa en lui faisant un clin d’œil sexy.

« Bonsoir tout le monde ! »

Maman se retourne et je pense qu’elle a dû la foudroyer du regard sauf que comme Dieu aime trop cette fille, elle n’est pas tombée. Tout au contraire elle avance jusqu’à devant Nowa.

« Moi c’est Ayem, la dernière des EYA et voilà, je suis enceinte jusqu’au cou. », lui dit-elle en caressant son ventre.

Je vais lui casser la gueule.

« Enchantée ! Moi c’est Nowa, la copine de Rudy. »

« Maman, ton petit-fils ou ta petite-fille meurt de faim. On passe quand à table ? »

« Pardon dégage ! »

Elle se tourne vers Nowa.

« Tu vois Nowa, tu vois ma souffrance ? Tout ça à cause d’une malheureuse grossesse. Rassure-moi vous utilisez bien des préservatifs ? Parce que je vois mal mon frère pratiquer l’abstinence. »

Je ne sais pas ce qui s’est passé à ce moment dans la tête de Nowa mais tout d’un coup, alors que moi je fantasmais déjà à l’idée de sauter sur le cou d’Ayem, elle part dans un fou rire et tout de suite, ma sœur la suit. J’ai manqué deux épisodes je crois. Que quelqu’un m’explique. Heureusement que maman était allée faire un tour à la cuisine.

« Ayem ! », commençais-je déjà fou de rage.

« Arrête mon cœur. Elle rigole c’est tout. », me dit Nowa en agrippant ma cuisse.

Quand je dis qu’elle est chanceuse cette fille.

Maman nous invite à passer à table. Elle nous a fait de l’attiéké. J’aurai dû lui dire que ce n’est pas le truc de Nowa.

« C’est très bon ! »

« Merci, ma chérie. »

« Sinon tu fais quoi dans la vie ? », lui demande ma mère.

Elle explique sa situation professionnelle et maman ne manque pas de lui dire de garder la foi.

« Et c’est quand le mariage ? »

Je manque de m’étouffer.

« Ayem s’il te plait ! »

« C’est juste une question maman. C’est bien la première fois qu’il nous présente une de ses copines de façon officielle. »

« Euh pour le moment on va juste s’installer ensemble Ayem. », lui répond Nowa.

« Ah ?! », crie maman.

J’aurai préféré lui annoncer la nouvelle d’une autre manière mais voilà, Ayem a tout gaché. Même si elle continue de parler, je vois qu’elle est contre cette idée de vivre ensemble. Elle doit être jalouse. Jusqu’à présent, j’étais son bébé. J’étais celui qu’elle appelait à n’importe quelle heure pour n’importe quoi et là, je vais vivre avec une femme. Je comprends qu’elle soit boulversée.

Quand le repas se termine, Nowa se propose de l’aider à débarrasser. Je les laisse entre femmes et je m’en vais rester au salon. Elles pourront faire connaissance.

 

Nowa NYANE

La maman de Rudy est une femme d’un certain âge. C’est la maman africaine typique. Toujours en train de crier, de faire d’un rien une montagne. Elle dégage quelque chose de fort et de serein à la fois. Ça se voit qu’elle aime beaucoup ses enfants et j’imagine que la grossesse de sa dernière doit lui avoir fait un grand choc. Un peu comme tout à l’heure quand j’ai eu la maladresse d’exposer notre projet de vivre ensemble. Il a dit qu’il fallait faire les choses bien alors voilà, elle est au courant.

« Tes parents pensent quoi de cette histoire de vivre avec Rudy ? »

« Maman, lâche l’affaire. Ils sont adultes. »

« Je t’ai demandé quelque chose ? », dit-elle en lui lançant un torchon au visage.

« Euh, on ne leur en n’a pas encore parlé. »

« Et toi ma fille tu vas aller tomber comme ça dans le foyer ? Sans prévenir tes parents ? »

« Je suis sûre qu’elle va te sortir ses conseils de vieille Nowa. Les 101 leçons de madame EYA ! »

« Dégage là-bas ! »

« Je suis dans ma chambre ! »

Je continue d’essuyer les couverts sous le regard de ma potentielle belle-mère. Il faut voir comment je m’applique.

« Nowa laisse d’abord ça et vient t’assoir ici. »

Je la rejoins à la table.

« Tu sais, Rudy n’est pas un ange mais ce n’est pas un démon non plus. Pire c’est un homme. Tu es déjà bien lancée dans la vie, concentre-toi sur ta vie. Cherche du travail ou toi-même crée ton travail. S’il veut rester avec toi-même si tu es en Chine, il viendra à toi. Les hommes sont des sorciers ! »

C’est fort ! Je ne peux réprimer mon rire. Et je l’entraine elle aussi.

« Tu ris mais je suis sérieuse hein. Il faut encore réfléchir. C’est toi qui devras cuisiner matin, midi et soir. C’est toi qui devras t’occuper de la maison. C’est toi qui devras t’occuper de lui, de ses amis. C’est à quel moment que tu vas chercher le travail ? C’est mieux de continuer dans ce que vous appelez copain copine ma fille. »

Je soupire devant sa franchise.

« Je sais que tu l’aimes mais l’amour ne doit pas détruire tes rêves ma chérie. Si ma fille Ayem était venue me demander avant d’aller faire les bisous en cachette là, j’allais lui dire d’attendre. Tu vois où les bisous nous ont conduits. Je ne te demande pas de le quitter mais il faut bien réfléchir. On dit qu’il faut bien prendre l’élan avant de sauter mais ce qu’on ne dit pas c’est qu’il faut regarder s’il n’y a pas de caillou pour nous faire trébucher et tomber dans le trou. »

« Hmmm… »

« Tu as compris ma fille ? Parce que je ne veux pas que tes parents viennent dire ici que mon fils à briser tes rêves. »

« J’ai compris ! »

« C’est bien ! Tu peux venir me voir quand tu veux. »

« Merci maman. »

 

Rudy EYA

« Tu vois que ça c’est bien passé. », lui dis-je en enclenchant la marche arrière.

« C’est mon charme naturel qui a opéré. »

Les couleurs de nos...