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Ecrit par lpbk

La première vraie relation de Zoé s’était installée et avait tout chamboulé sur son passage. Le tourbillon de sentiments s’était mêlé à l’effervescence des excursions romantiques. Malgré le peu de sous en poche, cet amour l’avait fait voyager dans de belles destinations européennes. Elle vivait la Dolce Vita dans les rues romaines, un sorbetti à la main. Ils s’embrassaient face à la façade gothique de la Sagrada Familia. Ils s’empiffraient des succulentes gaufres de Liège de Dandoy sur la Grand-Place de Bruxelles.

Zoé eut soudain le vertige quand elle fut avertie d’un simple SMS que les parents de Vincent qui montaient à Paris le temps d’un week-end désiraient la connaître. Leur jeune histoire vieille d’un an et demi méritait-elle une rencontre officielle avec sa famille ? Zoé avait toujours estimé que les présentations étaient solennelles et annonçaient un éventuel mariage. Bien sûr, en dépit de leur amour, il était peu probable qu’un tel projet se profile à l’horizon. Jamais elle ne s’amuserait à montrer le premier petit copain à ses parents. Devait-elle y voir le signe d’un engagement plus profond envers elle ? Elle se rasséréna. Chez Vincent, ce simple dîner ne voulait peut-être rien dire. Puis, elle en profiterait pour connaître davantage les Héron. Vincent étant très peu bavard à leur sujet. Zoé savait juste que sa famille, vivant en banlieue lyonnaise, comptait son père, un médecin généraliste de campagne, un unique grand-frère, médecin également, et sa mère, femme au foyer. Son cœur s’accéléra de nouveau. Et s’ils la rejetaient ? Considérant qu’elle n’était pas assez bien leur fils. Leur différence sociale n’avait jamais été un frein, mais pour moins que ça des histoires d’amour avaient été piétinées.  

Quelques jours avant la rencontre, Zoé avait sondé Vincent. Elle lui posait des questions, d’apparence anodine, sur leurs opinions politiques, leurs fréquentations, etc.  Les réponses devaient lui permettre tel un profiler de dresser le portrait de sa famille. Une simple psychologie de comptoir qui indiquerait l’issue de la soirée, selon les positions à droite ou à gauche des Héron. Malheureusement, l’interrogatoire n’avait rien donné de tangible. Le résultat était mitigé. Lasse, Zoé avait fini par demander franco à Vincent, si potentiellement, ses parents pouvaient avoir un problème avec sa couleur de peau. Préférant savoir où elle mettait les pieds. Gêné, Vincent répondit qu’il n’en avait aucune idée. Les Héron n’avaient jamais été confrontés à ça. Le plus exotique de leur proche était d’origine espagnole. Zoé insista. Elle lui demanda s’il avait déjà entendu des propos douteux. Elle n’avait pas prononcé le mot, mais tout dans son expression et ses pincettes le hurlait. Il semblait évasif, mais affirma que non. Zoé ne fut pas rassurée pour autant, mais fit abstraction de ses sentiments. Après tout ce dîner pourrait bien lui réserver des surprises. Au pire des cas, il ne durerait que deux heures et elle pourrait toujours s’éclipser prétextant une rage de dents ou une appendicite. 

Les parents de Vincent avaient choisi un bistrot dans le 11e où ils aimaient se rendre lorsqu’ils montaient à Paris. On y concoctait une cuisine succulente du sud-ouest « qui fond en bouche » comme le répétait la mère de Vincent. Ils étaient arrivés le vendredi soir et repartaient le dimanche. Chacun avait donc convenu d’un dîner le samedi. 

Toute la semaine et quelques heures avant la rencontre, Zoé s’était torturée pour trouver la tenue idéale. Elle vidait littéralement sa penderie et jetait ses vêtements à travers la pièce à coups de « trop vulgaire », « trop sage », « trop gamine », « trop street », « trop trop ». Elle avait harcelé Bébé, Adjoua, Linda, Google et avait fini par appeler Vincent au secours. Il devait probablement savoir ce que ses parents aimeraient. Il ne fut pas d’une grande aide. « Tant que tu ne viens pas en string, ça devrait le faire » se contenta-t-il de dire. Après des hésitations et revirements, elle choisit de porter une robe noire à col Claudine. « Classique et efficace », se convainc-t-elle face à sa glace. 

Zoé avait légèrement du retard et culpabilisait d’avoir absolument tenu à prendre un bouquet de fleurs pour sa mère. La première impression était primordiale et ne changeait que très rarement. Elle n’avait aucune envie qu’on lui rabâche la fameuse heure africaine. Elle entra dans le restaurant, se présenta au serveur qui lui indiqua où se trouvaient les Héron. Ils étaient attablés dans un coin. Zoé fut surprise qu’ils n’échangent aucune parole. Vincent était sur son téléphone, sa mère zieutait la décoration et son père grignotait des cacahuètes. 

– Bonsoir, je m’excuse, je suis vraiment désolée du retard. 

– Dis donc l’heure, lança le paternel en tapotant sur le cadran de sa montre. 

Zoé émit un léger rictus et tendit le bouquet en direction de la mère de Vincent. 

– Tenez, c’est pour vous, Madame Héron, 

–  Oh ! C’est très aimable de ta part, tu peux me tutoyer et m’appeler Valérie. Zoé c’est ça ? 

– Oui, acquiesça Zoé. 

–  Et pas de cadeau pour moi ? demanda Monsieur Héron. Tu mises sur le mauvais cheval, jeune fille. Dans cette famille celui qu’il faut soudoyer c’est moi et pas Valérie, elle ne va rien t’apporter de bon, s’esclaffa Monsieur Héron.  

Zoé s’assit aux côtés de Vincent qui paraissait mal à l’aise. 

– Alors tu viens d’où Zoé  ? 

– De région parisienne.  

–  Oui, mais je veux dire d’où exactement ? Enfin tu es de quelle origine ? 

– Ah… Ivoirienne. 

– Ouh la, mauvaise expérience avec une ivoirienne. Une jeune fille qui a dépouillé un de mes cousins. J’espère que tu ne comptes pas faire la même avec mon fils. 

– Bernard…

–  Maman, c’est Zoé qui faisait justement l’exposé James Bond avec moi, celui que le prof a adoré, interrompit Vincent pour changer de discussion. 

–  Ah la la, je paye cette école une fortune pour que tu prennes les cours pour des bals costumés. J’ai vu un commentaire sur Science Po qui appelait cette vaste fumisterie sciences-pipo. 

– Bernard… arrête. 

Valérie lança un regard réprobateur à son mari, mais il n’en avait strictement rien continuant son cancan. 

– Tu aurais dû faire médecine comme ton frère et moi au lieu de poursuivre tes études de géopolitique. N’y a-t-il rien de plus sensé que de sauver des vies ? 

– Bernard…

– Je n’avais juste pas envie de faire médecine Papa. 

Bernard avait pincé ses lèvres qu’il tordit en une affreuse grimace. Zoé fut assez choquée du torrent de reproches qu’il adressait à son fils. Vincent encaissait sans broncher, lui qui d’habitude cherchait toujours à avoir le dernier mot. Valérie regardait Zoé, l’air de lui dire que ce genre de scènes était assez exceptionnel et qu’au fond les deux s’adoraient. Mais Zoé comprit mieux pourquoi Vincent évoquait très peu sa famille. Le pater semblait être étouffant et directif. À l’entendre, son fils était un raté qui s’était écarté de la voie royale de la médecine. Savait-il qu’il s’adressait à un futur diplomate ? Enfin, du moins c’était l’ambition de Vincent, un jour, faire partie des grands de ce monde. Zoé comprit alors, que ce besoin incessant de montrer qu’il connaissait tout sur tout et sa condescendance sur sa culture générale, n’était que le fruit d’un manque de confiance en soi nourri par les remontrances de son père. Elle le regarda avec compassion et eut envie de le serrer fort dans ses bras, lui susurrer qu’il était le meilleur et qu’à ses yeux il valait bien plus que tout. 

Le serveur interrompit les bavardages de Bernard pour prendre les commandes de chacun. Vincent eut enfin du répit entre les différents plats. Occupé à engloutir sa nourriture, le père oubliait son fils et tout ce qui le répugnait chez lui. Le reste du repas n’en fut pas moins houleux, Zoé qui pensait être la cible toute désignée fut attristée d’assister impuissante à l’exécution de Vincent.  

– Oui j’avais compris, c’est tellement mieux de manipuler son petit monde et de soutenir des politiques qui détruisent des vies. Ton frère aujourd’hui fait des missions en Asie du Sud pour Médecins sans frontières et toi, qu’est-ce que tu fais ? T’apprends à être éloquent. Pff !

 
Marry me