3

Ecrit par anomandaris

Yrdho avait obtenu ce qu'il cherchait : des écailles de sirènes, ingrédient indispensable pour un élixir anti-rides que sa promise convoitait depuis quelques jours. Maintenant, du haut de ses dix-huit ans, il se terrait dans le dos de son père dans le palais royal des Magenta, entouré de deux mains de mages royaux. Orck obtint, en plus de la satisfaction de ses bas instincts de voyeur, une noyade dans une bulle d'eau gelée, un mois plus tard. Et moi ? J'étais sur le point de découvrir mon cadeau. J'avais accepté de venir tester mes compétences de désamorçage de pièges magiques dans la case du plus grand mage d'eau d'Eresia.


Mais aurais-je dû ‒ aurais-je pu ‒ donner une réponse négative à la demande ‒ à l'ordre ‒ de mon futur souverain de l'assister dans sa mission de chevalier servant sa dame ? Aurais-je dû le laisser partir seul avec Orck, permettant ainsi à ce dernier de prendre des points de plus dans le cœur d'Yrdho III, lui permettant d'ici quelques décennies de devenir le prochain Magister d'Eresia ? Je n'étais coupable que d'avoir cédé à mon sens du devoir. Rien de plus.


"S'il vous a vraiment tout expliqué", dis-je avec aplomb, dents serrées, "je ne sais pas ce que vous faites ici, au lieu de partir vous occuper du véritable responsable de cette tragédie.


— Je voulais savoir si tu avais pu trouver la seule faiblesse de l'eau."


Je ne répondis rien. Depuis près de quarante-huit-heures je n'avais pas dormi. J'avais lu une bonne centaine de manuscrits du dernier étage de la bibliothèque de l'école, et tout ce que j'avais pu obtenir de mes lectures était que ce fameux cinquième élément ne pouvait s'utiliser à son potentiel maximum que deux fois, et qu'il était le seul et unique lien entre les quatre autres éléments. Je savais que le sang était le meilleur catalyseur pour renforcer un sort, mais en échange, on perdait une partie de son espérance de vie. J'étais en train de faire des expériences élémentaires en liant mon sang avec mes sorts ‒ au stade où j'en étais, quelques années de plus ou de moins n'avaient plus la même importance qu'avant ‒ quand j'entendis une explosion mouillée, quelques minutes plus tôt ce soir.


Mon père avait congédié tous nos serviteurs depuis que je lui racontai mon aventure chez Bethpeor avec le fils du roi et Orck, pour limiter les dégâts au minimum. Il me lança un sort de non-détection magique basique, efficace tant que je n'utilisais pas aussi de magie. Je le rompis ce matin en rentrant chez moi, épuisé de me cacher, avide de découvrir au plus vite le secret de cette seule faiblesse des sorts aqueux de Bethpeor. Il ne m'en laissa pas le temps.


"J'en conclus à ton silence que la réponse est négative. Dommage. J'aurais donc dû te tuer dans la bibliothèque, au lieu de te laisser venir chercher secours chez mon vieil ami Malachi.


— Vous saviez donc où j'étais ?


— Bien sûr. Les avantages d'être né dans les bas-fonds avant de se hisser aux plus hautes sphères du pouvoir est qu'on a des connexions. Tu n'as pas idée de la taille de mes connexions parmi la plèbe qui vous sert, mon garçon."


Mortifié, je maudis ma cécité à une telle évidence. C'est comme ça que Bethpeor dut remonter jusqu'à Orck. Ce dernier flirtait avec deux jolies servantes de la maison de son père, et il avait dû laisser fuiter quelques indiscrétions sur notre visite nocturne chez Bethpeor. L'idiot.


"Je n'ai rien fait, répétai-je avec moins de conviction.


— En effet, tu n'as rien fait. À part participer à la mort de ma femme."


J'incantai rapidement de la main gauche, brouillant les pistes sur l'origine de mon sort en agitant mes cinq doigts, alors qu'un seul doigt traçait la connexion entre les points de pouvoir que mon esprit généra devant moi pour matérialiser le sort. Voiler le motif de son sort jusqu'au bout permettait de garder l'effet de surprise, indispensable si on ne voulait pas subir de contre-sort. La flamme du chandelier explosa près de mon maître, projetant de grandes langues de flammes un peu partout dans la pièce. Bethpeor grogna, sa robe en feu, et se mit à incanter des deux mains. Je saisis une des grandes langues de feu de la main gauche et la brûlure me mordit. J'avais oublié de lancer un sort d'exclusion calorifique sur ma main, et j'en payai le prix. Je me rattrapai en enchainant deux sorts ‒ l'exclusion calorifique et l'expansion calorifique ‒, alors que l'immense rugissement de la lame de fond de mon maître me parvenait, remontant les escaliers. Une flamme orangée brûlant comme le foyer d'un bûcher dans ma main gauche, je l'utilisai pour fendre la lance de glace au plus près de mon omoplate, puis fit volte-face et plongeai à travers le bois de la fenêtre de ma chambre, près de quatre mètres au-dessus de la cour arrière de la maison. Dans les airs, la lame de fond me percuta, étouffant la flamme de ma main, me précipitant sur les pavés que je heurtai épaule gauche la première ‒ j'entendis un craquement ‒ avant que mon crâne ne frappe aussi le sol.


Fin de la partie 3

La seule faiblesse d...