31- Les couleurs de nos amours

Ecrit par lpbk

Mika BIAM

« Bonjour. Un endroit sympa pour un petit-déjeuner sympa ? »

Je clique sur envoyer et je pose mon portable sur ma table. Je sors d’une longue nuit de garde. Je suis exténué et j’ai faim. Je suis quasiment certain que Noah ne m’a rien laissé de son petit-déjeuner de champion. Mon frère est un putain d’égoïste. Je le compare souvent à Gontran Bonheur dans ma tête et moi, je dois être Donald. C’est vrai que comparé à ce canard vêtu de blanc et de bleu, la vie me sourit plus souvent qu’à lui. Son dernier sourire ? Celui d’un petit bout de femme. Celui que j’ai réussi à lui arracher il y a quelques jours. C’était au téléphone mais c’est déjà ça.

« Couleur café ! »

Pas très original comme nom pour un café.

« Et une fille sympa pour une conversation sympa ? »

« Je ne suis pas sûre qu’elle soit de bonne compagnie. »

Je me décide à l’appeler.

« Salut ! »

« Bonjour Mika, ça va ? »

« Pas trop ! »

« Qu’est-ce qui ne va pas ? »

« Je cherche un peu de compagnie et la personne vers qui je me suis tourné ne semble pas très disponible. »

Elle soupire. Ne dis rien.

« Je sais ! »

« Tu sais quoi ? », demande-t-elle.

« Que c’est plus difficile de dire non maintenant. »

« Tu ne serais pas un peu manipulateur. »

« Juste un peu. Alors tu as dit couleur café ! Tu aimes ? »

« J’aime bien. »

« Alors ? »

« Alors quoi Mika ? Tu risques de t’ennuyer avec moi. »

« Je prends le risque. C’est juste l’instant de boire un café, d’avaler un ou deux pains au chocolat et de se dire bonjour. »

« Tu ne vas pas abandonner n’est-ce pas ? »

« Je ne vais pas abandonner avant que tu dises oui. »

Le silence. Et si elle dit non, il faut vite que je trouve une superbe réplique.

« OK ! On se retrouve donc là-bas. »

« Il faudrait que tu me donnes une adresse. Je ne connais pas trop la ville. »

« Je te fais un message. A toute. »

Quelques secondes après avoir raccroché, je reçois un message. Même si ça semble très détaillé, je crois que j’aurai du mal à me repérer. Je quitte tout de même la clinique avec une idée du chemin à prendre.

 

Nowa NYANE

Il m’a fallu un effort surhumain pour me trainer jusqu’ici et il est en retard. Je scrute le fond de ma tasse de thé, espérant y trouver les grandes lignes de mon avenir.

« Re ! »

Je lève la tête. Il est là, sourire discret aux lèvres. Il s’installe. J’essaie de me donner meilleure contenance.

« Je me suis un peu perdu en chemin. Je m’excuse. »

Il était donc sérieux tout à l’heure. Il ne connait vraiment pas la ville.

« Je n’ai pas attendu longtemps. Et puis, j’ai eu le temps de boire un thé presque divin. »

« OK »

« Comme ça travaillé dans une clinique n’est pas contraignant ! », dis-je en poussant une carte vers lui.

« Pourquoi ? », répond-t-il les yeux rivés sur sa carte.

« Parce qu’à n’importe quel moment, on peut s’en aller prendre des cafés. »

Il lève enfin le nez.

« J’étais de garde cette nuit. »

« Ah ! Ça ne doit pas être terrible pour ta vie sociale. »

Il sourit. Referme sa carte avant de répondre.

« Je n’ai pas une grande vie sociale. Qu’est-ce que tu me conseillerais ? »

« Humm… Un thé avec euh … du pain au chocolat. Et en bonus un jus d’orange. »

Il fait la grimace.

« Quoi ? »

« C’est juste que je n’aime pas le chocolat et que le thé, je préfère le laisser aux japonais. »

« Quoi ? Tu n’aimes pas la bouffe japonaise ? Comment est-ce que c’est possible ? Selon moi, c’est la meilleure des cuisines. »

« On devrait peut-être s’en faire un soir. Un restaurant japonais. »

« On verra. », dis-je en haussant les épaules.

Il finit par prendre un café, deux tartines. Confiture de goyave s’il vous plait. Il a un petit gout pour l’exotisme.

« Tu as perdu du poids. »

« Je sais ! J’envisage une carrière de mannequin. », répondis-je avec humour.

« Tu es un peu trop riquiqui pour ça je crois. »

Riquiqui. C’est bien la première fois. Nous partons dans un fou rire.

« Tu veux que je te montre un truc ? »

« Euh… pourquoi pas ! »

Il prend ma main droite par mon poignet et il dépose son index et son majeur droits sur mon poignet. Moins que dix secondes s’écoulent.

« Donne ta main. Tu vas sentir ton poul. »

Je pose ma main et là, je sens quelque chose. On dirait des battements de cœur. C’est une sensation incroyable. J’ai l’impression d’apprendre que je vis.

« Je peux essayer sur toi ? », lui demandais-je toute excitée par cette découverte.

Il me donne sa main et j’attrape son poignet pour y poser mon pouce.

« Pas le pouce. »

Je lève les yeux sur lui. Nos regards s’accroche une seconde.

« Il y a une veine qui passe par ton pousse. Elle fausserait tout. »

Je parviens à prendre son poul. Je vois bien la tête de Marie et de Pierre Curie quand ils ont fait leurs grandes découvertes.

« Donc c’est tout ce qu’ils font dans les séries ! », dis-je l’air béat en relâchant son poignet.

« Presque tout ! »

Je me jette sur mon croque-monsieur tout dégoulinant de fromage savourant le pain mais aussi ce petit moment. Mika n’est pas un grand bavard mais à chaque fois qu’il ouvre la bouche, c’est quelque chose d’intense qui en ressort. Un rien se transforme en quelque chose d’agréable. De plus qu’agréable.

« Et tu as trouvé quelque chose ? Je parle d’un travail. »

Curieusement, mon avenir professionnel me fait sourire.

« Il y a encore quelques jours, je pensais à monter une boite. »

« Mais … »

« Mais là, je ne sais … »

Mon regard tombe sur mon téléphone. Encore lui. Rudy ! Qu’est-ce qu’il peut bien me vouloir.

« Hey ! », lance-t-il.

Je lève les yeux sur lui.

« Téléphone. Tu devrais décrocher. », finit-il par dire.

Il a raison, peut-être que je devrais décrocher et lui dire une bonne fois pour toute de me laisser respirer.

« Excuse-moi ! »

Je quitte la table.

« Allo ! »

« Hey ! », fait-il.

Hey ? Hey ? J’ai envie de rire.

« On peut parler ? »

« Personnellement, je n’ai rien à te dire après toi, je ne sais pas. »

 

Mika BIAM

Je la regarde tourner en rond, son portable à l’oreille. Je suis tenté de commander un second café, juste pour passer plus de temps avec elle. Je sais qu’elle plait beaucoup à Noah pour que malgré le fait qu’il n’ait pas couché avec elle, il continue à l’appeler.

C’est la première fois que je suis attirée par une femme qui lui plait. Je crois que cette fois, c’est lui qui s’est égaré. Nowa n’est clairement pas son genre.

Elle tourne toujours, encore et encore. Quand elle se retourne, elle me fait un sourire. Je craque. Elle arrive.

« Désolée ! »

« Rien de grave j’espère. », demandais-je alors qu’elle s’installait.

« Euh non ! »

Nous restons silencieux. Elle porte sa tête d’une main et de l’autre, elle dessine sur la table.

« Tu es ailleurs ! »

Elle sursaute. Sourit.

« Pas vraiment ! »

« Tu me racontes ? »

Elle roule des yeux. Ils sont grands, très grands ses yeux. Ils sont beaux. Qu’elle arrête de me regarder ainsi. Je me sens chavirer.

« OK… En fait c’est ma cousine. Il y a que son copain l’a trompé avec une ex et celle-ci est aujourd’hui enceinte. »

Pourquoi les filles s’embarquent-elles dans ce genre d’histoires ?

« Ils ont rompu ? »

« Oui ! En fait pas vraiment, ils ont juste pris leur distance. »

« OK ! Et elle se demande si elle devrait retourner avec lui c’est ça ? »

« Un peu. »

« Et toi ? Tu en penses quoi ? »

Elle me regarde avant de soupirer. Puis de rire.

« Je ne sais pas Mika ! D’un côté il essaie vraiment de la récupérer de l’autre je me dis, un enfant ce n’est pas évident à gérer. Surtout quand l’autre est dans les parages. Et puis, ce serait un peu trop facile pour lui. Je parle de son mec. »

« La vraie question est de savoir si elle l’aime. Si elle l’aime, elle trouvera le moyen de passer sur toute cette histoire. C’est évident que si j’aime réellement une femme je ne lui ferai pas ça… »

« Parce que tu auras la géniale idée d’utiliser un préservatif je suppose ! »

Nous partons à nouveau dans un fou rire.

« S’il met tout en œuvre pour se faire pardonner, elle devrait lui donner une seconde chance. Une seule et cette fois, tout dépendra de lui. »

Je regarde ma montre, près d’une heure et demie est passée depuis mon arrivée.

« On devrait y aller. »

« Oui ! »

Je m’en vais payer l’addition et je la retrouve devant la porte.

« Je te dépose quelque part ? »

« Je vais prendre un taxi. »

« OK ! »

Je traverse avec elle et je la mets dans un taxi. Avant de s’en aller, elle plaque un bisou sonore sur ma joue. Elle sent les fleurs d’un jardin en début de printemps.

 

Quand je rentre à la maison, je trouve Noah. Mon chanceux de frère.

Il est affalé devant la télévision.

« Qu’est-ce que tu fais là ? Tu ne devrais pas être au boulot ? »

« Bof, tu me signeras un certificat de repos. »

C’est tout lui !

« Je suis cardiologue Noah ! Pas généraliste. »

« Tu n’as qu’à dire que mon cœur a lâché un moment et qu’il a besoin d’une pause pour repartir. Et puis, d’où tu sors ? »

« J’ai pris le petit-déjeuner avec Nowa. », répondis-je en allant dans ma chambre.

Il saute du canapé pour me suivre. 

« Tu as déjeuné avec qui ? »

« Nowa. », dis-je en poussant la porte.

« Toi, je te vois venir avec celle-là. Tu as commencé avec les appels et là, vous déjeunez ensemble. Hummm… elle t’intéresse c’est ça ?! »

« Oui ! »

« Oui ? Mais je l’ai vu en premier Mika. »

« Ce n’est pas un morceau de sucre Noah. Et puis, je crois bien qu’elle a quelqu’un. », lui répondis-je en me déshabillant.

« Je m’en fiche. Toutes les femmes ont toujours quelqu’un frangin. C’est un peu pour ça que la vie c’est comme la jungle. »

Il m’énerve avec ces citations à la make by Noah.

« Laisse-la tranquille. Tu vas coucher avec elle et après basta alors pourquoi tu ne canalises pas toute ton énergie sur une autre. »

« Humm… Comme ça je te la laisserai. Et là, tu la détourneras sans danger. »

« J’ai envie de me reposer. Et je pense à quelque chose, il serait temps que l’un de nous quitte cet appartement. »

« Toi peut-être, moi je m’y sens super bien et puis j’ai déjà un peu pété partout. »

Il me laisse une odeur affreuse avant de s’en aller. Je suis obligé d’ouvrir la fenêtre pour ventiler. Noah c’est un putain d’emmerdeur.

 

Nowa NYANE

Je retrouve Tina chez les parents. Apparemment, elle aurait passé sa première échographie. Quand je pense à cette histoire de gamin, j’ai envie de pleurer. Pas que être tata soit une mauvaise chose mais voilà, je pense à Rudy, à cette femme qui attend un enfant de lui et je réalise qu’il m’a trompé. Il a abusé de moi, de ma confiance. De tout.

Il faut pourtant que je fasse bonne figure en observant le cliché de son échographie.

« C’est Tristan qui doit être aux anges. », affirmais-je.

Elle sourit. Je remarque son incroyable beauté. Tina est la définition de la perfection.

« Et comment va-t-on copain Nowa ? », demande ma mère.

Et voilà, tout les regards sont braqués sur moi. Qu’est-ce que je vais leur dire encore ? Qu’il m’a trompé et qu’aujourd’hui, il attend un enfant ? Autant leur dire que je suis nulle dans le choix de mes copains ou encore leur dire à quel point je suis incapable de garder un homme. Houla, j’ai chaud.

Je balbutie un « il va bien » et je prétexte une envie pressante pour aller m’enfermer dans la chambre de ma grand-mère.

Dès que je referme la porte, je respire fort. Je cours vers le lit, histoire que si jamais je tombe dans les pommes au moins, que ce soit sur quelque chose de douillet. J’essaie de contrôler le débit de mon souffle.

« Qu’est-ce que tu as ? »

Maman vient d’entrer dans la chambre et je suis là, comme une madeleine en train de pleurer. Elle avance vers moi.

« Nowa ! Qu’est-ce que tu as ? »

« Rien ! », dis-je en reniflant.

Elle s’assoit près de moi et m’attire vers elle.

« Tu sais, tu peux tout me dire Nowa. »

Je m’effondre de plus belle. Je me demande si c’est toujours Rudy qui me met dans cet état.

« C’est ton copain ? »

« Oui ! », confiais-je la voix hésitante.

Nous restons silencieuses. Elle caresse mon dos.

« Il m’a trompé. »

Elle ne dit rien. Je continue de pleurer. J’ai besoin de me vider de toutes ces larmes que j’ai emprisonné en moi.

« Je ne sais pas si j’arriverai à lui pardonner. »

« Tu l’aimes ? »

Ils ont quoi tous avec cette question ? L’amour pardonne tout je suppose.

« Oui ! Je l’aime. »

« Parle avec lui. Tu sais, tant qu’il y a une once d’amour, tout peut s’arranger mon amour. Parle avec lui Nowa et dis-toi que des erreurs, nous en faisons tous. Maintenant, je vais te laisser, tu vas pleurer un bon coup et après, tu feras ce que tu as à faire. D’accord ? »

« Oui maman ! »

« Tu peux même rester dormir ce soir si tu veux. Tu sais, ta chambre elle n’est pas encore en location. »

Je la regarde et elle essuie les larmes sur mon visage avant de s’en aller.

 

Je dors donc chez mes parents ce soir. Ça fait des années que ce n’était pas arrivé. J’ai l’impression que ma chambre pue le moisi.

Allongée dans mon lit, je me repasse les images de mon enfance. Petite fille timide et intimidée par la vie. Combien de fois ai-je eu envie de mourir dans cette chambre ? Combien de fois Iris et moi avons-nous pensé des atrocités sur nos parents ? Combien de fois ? Et aujourd’hui, alors que tout tombe, alors que tout se casse c’est bien le seul endroit qui me semble perdurer. Qui me semble vivre.

J’attrape mon portable. Décidée !

Et mon doigt glisse dangereusement attiré par cette photo de profil. Un gars. Un homme.

« Hey ! »

« Hey ! Besoin d’un docteur ? »

Smileys ! Et encore un.

« Pas du tout ! »

« D’un petit-déj alors ?! »

« Je ne suis pas une gourmande. »

« Je sais. »

« Juste pour te dire, pour ma cousine, elle a décidé de lui donner une seconde chance. »

Pas de réponse. Et puis.

« OK ! »

« Bonne nuit Mika. »

« Bonne nuit Nowa. »

Maintenant, à nous deux Rudy EYA.

Cinq mots. Un message.

« Il faut qu’on parle. »

Les couleurs de nos...