33. Surprise

Ecrit par Samensa

ERIC

-Nancy ? Nancy ? Réveille-toi.

Une fois éveillée, la jeune femme me regarde avec ses yeux rougis et son visage marqué par l’oreiller.

-Qu’est-ce que tu fais ici ? Lui demandai-je doucement.

-Je t’attendais. La femme de ménage m’a dit que tu étais allé voir ta femme. Elle déglutit à ces mots. J’ai donc décidé de t’attendre.

-Pourquoi ?

-Pour avoir des nouvelles.

Je hausse les sourcils devant son affirmation.

-Ne me regarde pas ainsi. Cette histoire me touche plus que tu ne le crois. Le père de mon fils y est impliqué. D’ailleurs, comment va-t-il ?

-Bien. Il est chez mes parents. Toutefois, il rentrera bientôt au Etats-Unis pour je crois éviter les poursuites que les parents d’Ela veulent lancer.

-Ah bon ?

-Oui. C’est la guerre actuellement. Grimaçai-je.

-Alors là… Je t’ai gardé à manger. Je vais descendre réchauffer tout ça.

-Nancy.

Je la maintiens dans le lit par le bras puis m’assoit à ses côtés.

-Pourquoi tu fais ça ? Je veux dire, on en a déjà parlé non ?

Soupirant, elle plante son regard dans le mien.

-Franchement, je ne sais pas. J’étais couchée chez moi, jurant par tous les dieux que je faisais une croix sur moi. Malgré tout, quelques temps après, je me suis retrouvée ici sans savoir comment. Je ne te demande pas de m’accepter dans ton lit car crois moi, j’ai compris que tu ne voulais plus de moi. Laisse-moi juste le temps de m’y faire. Laisse-moi le temps de me défaire de toi à mon rythme car ton rythme, je ne peux le suivre au risque de finir en épave. Débite-t-elle lentement.

Elle me gratifie d’un sourire entre ses larmes avant de sortir en silence de ma chambre. Incapable de dire un mot, je la laisse partir. Mon cerveau tourne dans tous les sens. Ma conscience me sonne de m’imaginer ne serait-ce qu’une seconde à la place de cette femme. Bien vrai que je l’avais prévenu du final éventuel, il n’en demeure pas moins que je me suis servi d’elle aussi bien comme amante que comme conseillère.

Nancy a usé de tous ses atouts pour me permettre d’être épanoui sexuellement. Je dois reconnaitre qu’elle a toujours su s’y prendre avec moi : c’est une amante exceptionnelle. De plus, elle m’a aidé à traverser mes périodes sombres. Elle m’a fait rire quand j’en avais besoin et m’a orienté dans plusieurs de mes choix.

Qu’est-ce qu’elle n’a pas supporté ? Je buvais parfois comme un trou. Il m’arrivait parfois de prononcer le nom d’Ela lors de nos ébats. Combien de fois ai-je murmuré le nom de mon ex-femme dans mes cauchemars ? Combien de fois l’ai-je hurlé ? Que dires de mes sauts d’humeur ?

Seigneur, j’ai besoin d’aide dans ma vie. J’ai besoin d’avoir un esprit de discernement, de sagesse pour savoir le bon chemin car j’ai l’impression que celui que je veux emprunter n’est pas forcément le bon.

 

Le lendemain matin, samedi, j’invite mon meilleur ami à prendre un pot dans un restaurant de mon quartier. J’ai plus que besoin de lui.

-Je ne sais plus où j’en suis. D’un côté, il y a Ela pour qui je ressens tellement de choses. Tu es témoin de tout ce que j’ai traversé avec elle et de tout l’amour que j’ai pour elle. De l’autre, il y a Nancy qui a réussi à me rendre heureux. Elle m’a permis d’aller de l’avant quand l’autre m’a fait mal. Je sais que c’est ta sœur mais j’ai besoin de ton point de vue, un point de vue objectif.

-Je vais être franc avec toi.

-Tant mieux.

-Quand tu prononces le nom d’Ela, j’ai juste envie de te foutre mon poing dans le visage.

-Oh sérieusement !

-Ah mais je suis très sérieux hein ! Jamais je n’aurais cru que tu sois à ce point idiot.

-Non non, pas d’injures. Rodrigue, non. Objectai-je en souriant.

- Tais-toi et laisse-moi te dire le fonds de ma pensée.

-…

-Je crois que tu es un homme peureux qui a juste peur d’explorer l’inconnu. Si tu me dis que tu aimes encore Ela, je te répondrai que ce n’est que de l’attachement, ce que je conçois vu le temps passé ensemble. Néanmoins, ouvre les yeux ! On peut pardonner l’infidélité mais pas à ce degré ni sous cette forme. Un, elle t’a trompé avec ton frère. Deux, elle l’a fait avant et quelque temps après votre mariage. Trois, elle t’a jeté comme une serpillère sans remord pour s’en aller avec lui. Et, je vais te dire, Ela est une sorcière ! Tu sais pourquoi ?

Je fais non.

-Parce que, continue-t-il, juste au moment où tu commences à essayer de voir plus loin qu’elle et de sortir du trou dans lequel elle t’a mis, elle se souvient du fait qu’elle t’aime. Moi je dis foutaise !!! crie-t-il presque en attirant l’attention des autres clients vers nous.

-Je comprends tout ce que tu dis Rodrigue. Tu peux penser que c’est de l’attachement, moi je reste persuadé que c’est de l’amour.

-Oui parce que tu n’as jamais voulu t’enlever cette histoire de la tête. On se connait mon frère. Tu n’as pas eu de relations assez sérieuses comme celle avec Ela. Vous êtes ensemble depuis tellement longtemps que tu as fini par croire qu’elle est ta moitié et tout le bla-bla habituel.

Il claque des doigts en les faisant passer devant mon visage.

-Réveille toi mon ami. Debout ! Tu es en train de te leurrer. On est dans la vie réelle. En tout cas, à ta place, je ne retournerai jamais avec elle même si l’on me mettait un pistolet sur la tempe.

-Tu es bien dur !

-Ah ben oui, faut que je le sois pour que tu sortes de ta bêtise monumentale.

Il avale à grande gorgée sa bière, en me regardant comme si j’étais vraiment idiot. Ce qui me fait sourire.

-En ce qui concerne ma sœur, reprend-il, je ne te demande pas de l’épouser. J’avais dit à cette idiote de se tenir tranquille mais c’est à croire que vous les Tra Lou avez quelque chose de spécial entre les jambes. Déclare-t-il en riant franchement.

-Tu es à côté de la plaque toi !

-Peut être bien… Juste laisse le temps à ma sœur de faire son deuil. De grâce, ne lui donne plus d’espoir car cela aggraverait la situation. Reste ferme sur ta position de la quitter, elle finira bien pas s’y faire. J’insiste juste sur le fait que tu dois la laisser partir et ne pas lui donner d’espoir. Ma sœur prend les choses un peu trop à cœur.

-Ca, je l’ai bien vérifié. Affirmai-je rêveusement.

-En tout cas, si tu veux être avec Ela, personne ne peut t’en empêcher. Juste, réfléchis- y encore. Pense au fait que depuis le début, elle n’a fait que te tromper sans remord avec toutes ces années que vous avez passé ensemble car je te le rappelle, vous avez vécu ensemble les mêmes hauts et bas. Elle n’a pas eu une réaction à la hauteur de la tienne, elle n’a pas pris en compte ces années d’amour et a couru comme si elle avait le feu aux fesses dans les bras d’un autre homme, ton frère. Et juste après votre mariage. Tu es intelligent, utilises ton cerveau.

 

Deux semaines plus tard

 

NANCY

Le travail est devenu une drogue pour moi. Je me tape tout le boulot du service : le mien tout comme celui de mes collègues. Cela m’aide à oublier mes soucis quand je ne suis pas avec mon fils, le seul homme qui ne m’abandonnera pas.

A tous, je dirai que le chagrin d’amour fait mal. Toutefois, le pire, c’est être le sujet des commérages. Mon Dieu, que n’ai-je pas entendu ? On me traite de tous les noms. Je suis la pute du boss, celle qui a écarté les jambes pour avoir du boulot. Je suis sujet à des moqueries de tout genre : Eric aurait eu marre de se taper le reste de son frère ou bien encore, il s’est finalement lassé de la déjà-mère d’un enfant. Les rires à mon passage, j’en entends. Faire semblant que je m’en fiche, c’est facile toutefois au fonds, je meurs à petit feu. J’ai tellement pleuré qu’une fois, je n’avais plus de larmes.

J’ai perdu exactement 6 kilos. Un exploit, n’est-ce pas ? 6 kilos en moins de trois semaines.

Assise à mon bureau, je tapote de mon stylo, le carnet posé sur la table en passant au crible les factures reçues ce matin. Soudain, les bruits cessent dans l’open space comme par enchantement. Curieuse, je lève la tête et vois Eric se diriger vers moi. Je tourne la tête pour voir s’il y a quelqu’un susceptible de l’intéresser derrière moi, mais non, il y a juste que la baie vitrée.

-Bonjour Nancy.

-Bonjour. Répondis-je hésitante, les mains soudainement moites.

Bon sang, quand est-ce que cet homme cessera de me faire de l’effet ?

-Je vois que tu es occupée.

-Comme tu peux si bien le constater.

Je réponds d’un ton désinvolte qui me surprend. Il ne relève pas et continue :

-Dans ce cas, je ne vais pas m’attarder, je voulais juste te demander de rentrer avec moi ce soir. J’ai à te parler. Donc si tu finis, fais-moi signe.

Comme je ne dis rien, il me tourne dos. Je reste pétrifiée un instant avant de me lever de mon bureau brusquement.

-Euh Eric ?

-Oui ?

-Je vois que tu ne prends pas la peine de me demander mon avis. Qui te dit que j’ai envie de rentrer avec toi ?

-Nancy…

-Je suis désolée mais ce soir, ce ne sera pas possible.

Je me rassieds pour me replonger dans mon travail. Pendant un moment, je sens son regard sur moi puis ses pas s’éloignent. J’expire longuement. Je peux enfin respirer pour évacuer tout la tension que j’avais accumulée depuis que son arrivée.

Son invitation m’intrigue. Toutefois, le plus déroutant se produit les jours suivants. Eric passe son temps à venir me voir au bureau pour me saluer, prendre de mes nouvelles et m’inviter encore une fois. Cet homme a-t-il un problème ? Tu demandes de te laisser et après, tu me poursuis presque ?

Malgré le fait que je meurs d’envie d’accéder à sa demande, je résiste pendant plus d’une semaine.

Cependant, chassez le naturel et il revient au galop. Je finis par accepter de rentrer avec lui un vendredi soir.

Alors que nous nous dirigeons chez lui, le silence devient pesant dans la voiture qui va à une allure d’escargot. Les embouteillages sont terribles à Abidjan aux heures de pointe, alors en début de week-end, c’est la totale.

-Qu’est-ce que tu veux de moi ? Questionnai-je, rompant le silence.

-Juste te parler.

-Et tu as besoin que je sois chez toi pour me parler ? Parce que là maintenant, on danse ?

Il éclate de rire ce qui me fait sourire aussi. Le son de son rire me donne des papillons dans le ventre.

-Elle était bien bonne celle-là. Sois patiente, tu sauras tout bien assez tôt. On va passer au restaurant prendre un plat.

-Non, rentrons directement chez toi. Plus tôt on finira, plus tôt je rentrerai chez moi voir l’homme de ma vie.

Il me jette un regard en biais accompagné d’un « hum, ok ».

-Quoi ? Quoi hum ?

-Rien. Juste que j’adore ta coupe de cheveux. Il n’y a rien de mieux que les cheveux naturels.

Inconsciemment, je me les touche en souriant. Quand je me rends compte de l’air idiot que je dois avoir, je me ressaisis en me tournant vers la portière, la tronche tirée. Eric se moque de moi et je promets de ne plus lui adresser la parole.

Promesse que je romps bien assez tôt, quand nous arrivons à destination et qu’il me titille par des provocations. Me prenant par la main, il me conduit vers sa chambre. J’essaie de me retourner sans succès.

-J’ai quelque chose à te montrer, viens !

-Dans ta chambre ? Eric, ne joue pas avec moi. Laisse-moi partir.

-Je ne vais pas te sauter dessus… A moins que tu ne le veuilles en secret.

C’est moi où il est en train de flirter ?

-Moi ? M’offusquai-je faussement. Je n’en ai pas besoin. D’ailleurs je ne bouge plus.

Je m’accroche au pilier de l’escalier pendant que nous luttons ensemble comme des enfants, en riant, pour que j’y aille. Sans grand effort, il me porte dans ses bras pour me mener jusqu’à la porte où il me fait descendre. Il l’ouvre.

Et c’est la surprise du millénaire. Je reste sidérée et en jetant un regard à Eric, je vois que lui aussi. C’est quoi cette comédie ?

-Alors tu m’as envoyé ici pour que je voie ton ex-femme à moitié nue dans ton lit ? Criai-je au bord de l’hystérie. 

INDECISE