32. En voie de guérison

Ecrit par Samensa

ERIC

L’inexistence d’embouteillages à cette heure de la nuit aidant, j’arrive rapidement au lieu indiquée par Api. Je suis conduit vers la salle d’attente.

Une Api anxieuse fait des va et vient, la main posée sur le bas du dos pour l’aider à supporter le poids de sa grossesse. Non loin de là, sont assis mes ex beaux-parents. Lorsque Madame Aké lève les yeux vers moi, je suis peiné de voir ses yeux rougis par les larmes qu’elle a dû verser. Son mari est aussi touché mais je sens qu’en tant homme, il ne se donne pas le droit de craquer.

Je les salue d’un geste de la tête avant de prendre Api dans mes bras.

-Qu’est ce qui s’est passé ? Demandai-je en me libérant doucement de notre étreinte.

-Les parents ont reçu un appel tard dans la nuit les informant qu’Ela avait été envoyé d’urgence à l’hôpital. J’ai moi-même été réveillée par les pleurs de maman. Ela a eu ce qu’on peut appeler la chance de ne pas avoir été retrouvé morte.

-Comment ça ? Qu’est ce qui lui est arrivé ?

-Il la battait Eric. Me dit Api fermement en me regardant droit dans les yeux.

Je mets du temps à assimiler l’information qui me parvient.

-Quoi ??

-Cottes fêlées, lésions internes, hématomes et j’en passe. Voici ce que ton frère a fait à ma sœur.

-Mais, c’est impossible. On s’est vu ce matin et tout … tout semblait bien aller. Affirmai-je en fouillant ma mémoire à la recherche de ce qui m’aurait échappé.

-Cela n’est pas nouveau selon les voisins. Elle se faisait battre souvent. Ils croyaient à des disputes de couples mais devant le spectacle de cette nuit, tout s’explique.

Je cherche à m’assoir, encore sous le choc de la nouvelle. Je ne m’explique pas ce que je viens d’entendre. Ela battue par David ? Mon esprit me ramène à son attitude bizarre, son air apeuré. Cela aurait dû m’interpellé.

-Et maintenant, qu’est-ce que les médecins disent ? Questionnai-je la gorge nouée.

-Pas vraiment de bonnes nouvelles.

Elle s’assoit près de moi au prix de mille efforts.

-Je te jure que s’il lui arrive quelque chose, je tuerai ton frère… s’il ne meurt pas aujourd’hui.

Je la questionne du regard.

-Il a lui aussi été emmené ici. Elle l’a poignardé pour se défendre.

J’écarquille les yeux d’étonnement. Décidément, l’affaire dépasse ce que je m’étais imaginé. Poignardé ?

-Bon sang, c’est quoi cette histoire ? Je n’arrive pas à croire que cela a pu se passer sous nos yeux.

-Je me sens coupable d’avoir abandonné ma sœur. Affirme Api en s’essuyant furtivement une larme. On n’a pas  cherché à savoir comment elle allait parce qu’on l’a tous accusé et pointé du doigt. Tout le monde pouvait agir ainsi sauf moi, elle était ma sœur et elle m’a toujours soutenu.

Elle éclate en sanglots alors je la prends dans mes bras pour la calmer. Ses pleurs ont le don de raviver ceux de sa mère. Dans cette atmosphère de deuil, je me dois d’intervenir :

-On va tous se calmer s’il vous plait. On ne va pas se comporter comme si elle était morte, voyons ! Le moment est plutôt propice à la prière. Je vous en prie, calmons-nous. N’attirons pas de mauvaises ondes.

Mon téléphone interrompt ma tirade. Les cris de ma mère résonnent quand je décroche. Je la rassure en lui disant que je me trouve déjà à l’hôpital et que tout est sous contrôle. Elle me prévient qu’elle est déjà en route avec mon père.

 

Un quart d’heure plus tard, ma mère débarque affolée.

-Où est mon fils ? Où est ton frère ?

-Maman, doucement. Fis-je en la faisant assoir. Il est en salle d’opération. Ils s’occupent de lui.

-Seigneur, sauve mon fils ! Ne permet pas que quoi que ce soit lui arrive, s’il te plait.

Elle prend son chapelet dans ses mains pour murmurant des prières.

-En tout cas, qu’il ne meure pas ! Il doit payer pour ce qu’il a fait à ma fille ! Déclare à haute voix M. Aké.

Nous restons tous silencieux avant que mon père ne prenne la parole.

-Je crois que le moment est mal choisi pour parler de ces choses. Affirme t-il.

-Non, non, je ne crois pas. Il faut que je vous prévienne dès maintenant. Nous allons porter plainte pour coups et blessures contre lui.

-Ben voyons ! On peut régler tout ça d’une autre façon. C’est la famille.

-La famille ? S’écrie mon ex belle-mère. Il a failli tuer ma fille. Dieu seul sait ce que ce minable lui faisait. Et vous voulez qu’on reste les bras croisés ?

-Ne traite pas mon fils de minable. Répond ma mère piquée au vif. Je ne te le permets pas. Tu fais porter le chapeau à mon fils pour quelles raisons ? Laisse-moi te dire aussi que Dieu seul sait ce que cette fille lui a fait pour le mettre dans cet état. Une moins que rien qui ne sait pas garder ses jambes fermées, même devant deux frères !

-Maman !

-Oui, je l’ai dit ! Et c’est vrai. On sait tous ce qu’Ela est ici. Ne faisons pas semblant. Je maudis le jour où elle a croisé ton chemin.

-Maman, ça suffit !

-Crache ton venin, vieille sorcière. Cela m’atteint à peine. Et rien ne changera, ton fils ira en prison, c’est la place des criminels. Réponds aussitôt Mme Aké.

La seconde qui suit, un médecin vient nous menacer de nous vider à causer de nos cris. Api et moi trouvons judicieux de parler séparément aux parents pour éviter tout débordement. J’envoie les miens sur le parking.

-Maman, c’était quoi ça ? Ce n’est pas digne de toi.

-Tu as vu comment elle parlait de ton frère ? Tu n’as même pas bronché.

-Tu es bien placé pour savoir que tout ce qui touche de près ou de loin à David ne m’intéresse pas.

-Alors, tu vas les regarder faire ?

Je hausse les épaules.

-Eric ?

-Maman, tu dois comprendre que la situation est grave. Il l’a maltraité à un point tel qu’elle se retrouve à l’hôpital. Rien ne saurait justifier cela. Rien du tout.

Elle baisse les yeux, en respirant bruyamment.

-Et si ton fils est ici, c’est parce qu’elle s’est défendue.

-Tu l’aimes toujours hein. Affirme mon père.

-…

-Eh Seigneur, quel genre de fils ai-je mis au monde ? J’ai souffert 9 mois pour accoucher un idiot ? crie-t-elle les yeux au ciel avant de reporter son attention sur moi. Après tout ce qui s’est passé tu continues de l’aimer ?

-Ce n’est pas le débat du jour… Maintenant, on va rentrer à l’intérieur. De grâce, évitez les palabres. Si vous n’avez pas honte, ayez au moins pitié de tous les malades à l’intérieur. Maman ?

-D’accord.

-Papa, c’est bon ?

-Oui.

-Bien !

Nous retournons à la salle d’attente. Cette fois, ils se tiennent tranquille, à  distances respectables.

Je passe mon temps à tourner au rond entre les quatre murs, priant silencieusement que tout aille pour le mieux.

Vers 3 heures du matin, alors que tout le monde s’est assoupi. Un jeune medecin vient nous annoncer que l’opération d’Ela s’est bien passée. Quant au cas de mon frère, il faudra attendre encore.

Les parents d’Ela décident donc de rentrer pour revenir plus frais dans quelques heures.

C’est vers 6 heures du matin que nous avons des nouvelles de mon frère. Robuste comme il est, il ne reste pas longtemps inconscient. Mes parents ont même l’occasion de le voir. Moi, je m’en abstiens car je sais que je serai capable de lui sauter dessus en le voyant.

Je passe toute la journée à l’hôpital avec les parents d’Ela. Je ne rentre chez moi que la nuit alors qu’on attend toujours son réveil.

 

ELA

Des bruits me parviennent dans mon sommeil. J’essaie de bouger tandis que mes membres se refusent à tout mouvement. J’ai la bouche pâteuse et les yeux douloureux. Lorsque que j’arrive à les ouvrir, la lumière m’agresse les yeux me faisant faire un mouvement brusque.

-Elle est réveillée ! Elle est réveillée ! M’man !

Api. J’ai envie de crier de joie en reconnaissant sa voix. Je vois son joli visage se pencher au-dessus de moi et je ne peux m’empêcher de couler des larmes quand elle me touche le bras. Je suis en vie, je ne suis pas morte. Et moi, qui me croyait dans l’au-delà.

Quelques heures plus tard, je suis en meilleure forme. Assise dans mon lit, je discute avec ma famille. Je ris à leurs blagues et anecdotes. Ils me parlent de tous ceux que j’ai ratés comme évènement, des quatre cents coups des membres de la famille. C’est clair qu’ils ont pour objectif de me changer les idées. Ils m’ont tellement manqué.

Je les écoute, la main discrètement posée mon ventre. Mon miracle. Je n’ai pas perdu ma grossesse, m’a annoncé le médecin. Pour le moment, personne ne le sait hormis David bien sûr. Et la prochaine personne qui le saura, c’est le père. En parlant du loup.

-Bonjour !

Les autres s’éclipsent discrètement afin de nous laisser seuls.

Il dépose près de moi un paquet de chocolat ainsi qu’un panier cadeau avant de prendre place dans la chaise près de moi.

-Tu vas mieux ?

-Oui, quand même. J’ai l’impression d’être passée dans une machine à laver mais ça va mieux.

Il arbore un air grave en me regardant fixement et de manière tellement profonde que tout mon corps est parcouru de frissons.

-Ela, qu’est ce qui n’a pas marché ?

-Tellement de choses. Répondis-je en soupirant. Tellement.

-Pourquoi tu n’as rien dit ? Je te connais comme étant une femme forte et assez indépendante pour faire des choix lucides. Ce n’était pas la première fois à ce qu’il parait et tu es quand même rester ! lance-t-il d’une voix qui couvre à peine sa colère.

-J’avais peur. Il me menaçait. Il…

-Ela, j’étais là. Coupe-t-il sèchement. Pourquoi tu n’es pas venu me voir ?

-Pour te dire quoi ? J’avais assez honte. Et d’ailleurs, c’était la punition que Dieu me donnait pour tout le mal que j’avais fait.

-Ela ? crie-t-il apparemment scandalisé. Tu as quoi à la place du cerveau ? Ne te comporte pas comme quelqu’un de pas sensé. Comment peux-tu penser une seconde que tu mérites de vivre ça ?

-Il fallait bien que je paie.

-De grâce tais-toi ou je risque de te dire des choses désagréables. J’ai l’impression de parler à quelqu’un d’autre. Ressaisis-toi !

Comme je me mets à pleurer, il pousse un juron avant de me prendre dans ses bras.

-Je suis désolée d’avoir haussé le ton. Mais tu ne me mets hors de moi en ayant de telles pensées.

Il me caresse doucement le dos en me disant à quel point il était fou d’inquiétude pour moi. Je continue de pleurer malgré tout.

-C’est qui la carotte à son lapin ? me demande-t-il soudain.

J’éclate de rire sur le coup.

-Tu n’es pas sérieux ? Eric, ce truc date du lycée, voyons.

-Mais si le ressusciter te donne de la joie, alors c’est bien. Donc dis-moi, c’est qui la carotte à son lapin ? reprend il sérieux.

-C’est moi.

-C’est qui le thon de mon garba* ?

-C’est Ela. Répondis-je en riant de plus belle.

-Et c’est qui la prunelle de mes yeux ? Demande-t-il encore, la voix un peu plus rauque en me regardant dans les yeux.

-C’est encore moi, Ela. Murmurai-je.

Il me serre contre lui après avoir posé un baiser sur ma tempe.

Tout ce que j’entends à cet instant c’est le battement de nos cœurs.

 

*garba : plat à base de semoule de manioc (attiéké) et poisson thon frit

 

 

 

INDECISE