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Ecrit par Lilly Rose AGNOURET
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Nous arrivons à balayer toutes nos leçons d'histoire-géo. Nous faisons des
questions-réponses pour la biologie.
Il est 19 heures quand Pupuce arrive. Elle nous regarde vraiment pensive avant
de nous annoncer :
« Vous êtes bien tranquilles, les filles ! Personne ne vous a envoyé de message
pour vous dire que Marc-Elise a été transportée d'urgence à l’hôpital général !
»
« Tu rigoles ! », s'écrit Gaëlle.
« Non, ce n'est pas une blague. Sa mère m'a appelée à 18h. J'étais chez les
Mbeng en compagnie de mes frères. Nous avons foncé en voiture à l’hôpital. Je
pensais que vous étiez au courant. »
« Que s'est-il passé ? », fais-je sans voix.
« Elle s'est ouvert les veines au niveau des deux poignets. Elle a perdu
beaucoup de sang. Sa mère l'a trouvée sans connaissance dans la douche. »
« Mais, on lui a parlé là, à 14h ? Pourquoi a t-elle fait cela ? Oh, c'est pas
possible ! », lance Sharonna.
« Je ne sais pas trop. Elle comptait s'en aller de ce monde sans même laisser
un mot. C'est terrible ! Là, les médecins s’occupent d'elle Je suis venue me
changer. Sunita et moi, nous repartons à l’hôpital. »
Sur ce, Pupuce nous abandonne et va prendre une douche. Nous sommes estomaquées
! Plus personne n'arrive à parler. Comment est-ce possible ? Comment tout cela
a t-il pu virer au cauchemar ?
Je prends mon téléphone et appelle Miro.
« Beauté, j'arrive dans une demi-heure. »
« Marc-Elise est entre la vie et la mort. », lui dis-je sans cérémonie.
« Et merde ! Que s'est-il passé ? »
« Elle s'est ouvert les veines. »
« Et moi qui viens de dire au revoir à Marc il y a à peine une heure ! Il vient
d'arriver à Libreville. »
« Ben, dis-lui que tout va mal ici. »
« Et merde ! Bon, je t'appelle tout à l'heure. »
Je raccroche. Gaëlle décide que l'on doit toutes aller à l’hôpital.
« Ça ne sert à rien », fait Jileska. « Laissons Pupuce et Sunita y aller. Elles
nous donneront des nouvelles. Nous prierons cette nuit et irons la voir demain
matin. »
« Oui, tu as raison. Mais je pense que je ne dormirai pas cette nuit. C'est
carrément impossible. Appelons quand même sa mère pour savoir si les médecins
lui ont dit quelque chose. », fait Sharonna.
Jileska prend son téléphone et appelle la mère de Marc-Elise. Elle répond d'une
voix assez faible et on se rend bien vite compte qu'elle pleure.
« C'est comment maman ! Qu'y a t-il ? »
Impossible d'avoir une réponse.
« Je pense qu'on va toutes aller à l’hôpital. Je n'aime pas ça du tout. »
Je file rapidement changer de robe et apprendre la mauvaise nouvelle à maman.
« Mais pourquoi a t-elle fait ce genre de chose ! »
« Je n'en sais rien, maman. Je n'en sais rien. »
« Je ne suis pas rassurée à l'idée de vous savoir toutes seules là-bas, si loin
de Ntchenguè. Il est déjà 20 heures. »
« Miro arrive nous chercher. On sera rentrées avant 22 heures, maman. »
« Non, laisse Pupuce y aller. Toi, reste là. Je ne me sentirai pas bien si vous
partez toutes les deux. Donne-moi mon téléphone. Je vais appeler Élisabeth. »
Elle pose délicatement Ruby dans son couffin et compose le numéro de la mère de
Marc-Elise. Elles se mettent à parler en omiènè et je finis par comprendre que
le pronostic vital de notre copine est engagé. Elle a perdu beaucoup trop de
sang.
Mon cœur s'arrête de battre à ce moment là. L'air autour de mois devient
irrespirable. Mon cœur est tellement lourd que j'éclate en sanglots.
Qu'est-ce qui n'a pas marché ?
Comment n'avons-nous pas compris que sous ses faux airs assurés, notre amie
souffrait ?
Qu'est-ce qui ne tourne pas rond.
Maman raccroche et me regarde complètement perdue.
« J'aimerais que vous restiez toutes ici. Je vais y aller avec Pupuce. Je
n'aime pas du tout ce que me dit Élisabeth. S'il vous plaît, restez ici au
calme, d'accord ! »
Elle se lève et ajuste son foulard. Elle époussette son pagne et mets ses
babouches.
Quand Miro arrive dix minutes plus tard, seules maman et Pupuce s'en vont.
Les filles et moi restons là, sans trop savoir quoi dire, ni penser.
« Qu'est-ce qui ne va pas ? », se demande Gaëlle. « Qu'est-ce qu'on a raté ? »
« Je me suis posé la même question et je n'ai pas obtenu de réponse. »
Sunita, qui n'arrête pas de tourner en rond dans le salon, semble perdre la
raison. Jileska, sa grande sœur, est obligée de la forcer à s’asseoir.
« Il faut que nous restions calmes et priions. C'est toi la sœur en Christ,
Sunita. Alors, prie fort pour éloigner le malheur. »
La sœur de Jileska nous entraîne alors dans un rodéo de prière et de louanges.
Sa voix est tellement angélique, qu'on en oublie un moment pourquoi nous sommes
si triste.
Et dans mon cœur, je me dis : la copine ne peut pas nous laisser tomber. Ce
n'est pas possible.
Le temps s'écoule lentement. On peut ressentir les secondes tellement nous
attendons le coup de fil qui nous sauvera de cette angoisse.
Là, Sharonna sans s'en rendre compte s'écrie : « Marc-Elise, le bac c'est dans
2 semaines, lève-toi, s'il te plaît, lève-toi. »
À ce moment-là, Gaëlle se lève et fait un bond spectaculaire de la chaise sur
laquelle elle était assise. Notre copine rentre en transe et commence à tourner
dans la maison. Nous sommes toutes ahuries. Elles tournent elle tourne,
possédée par les esprits du Ndjembè. Voilà qu'un voix qu'on ne lui connaissait
parle avec autorité.
Que la chair de poule. Mais qu'est-ce qui se passe ?
Notre copine tourne sur elle-même comme une toupie et commence à citer le nom
d'un certain Mpemba. Elle appelle une cette personne, Omwanto wi ndjembè.
Je sais juste que cela veut dire, femme du ndjembè et c'est tout. On ne sait
même pas qui est cette femme. On ne sait même pas s'il faut attraper Gaëlle ou
la laisser. Nous sommes pétrifiées.
Elle tourne sur elle-même, ses bras opérant des mouvements saccadés de grande
force et commence à parler. Elle parle.
Mais comme je ne comprends que la moitié de ce qu'elle dit en omiènè et que les
autres sont fangs, nous sommes dans la panade.
Alors, bêtement, je me mets à taper dans les mains, en rythme, comme je l'ai
déjà entendu dans les veillées que nous avons faites il y a 3 ans pour le
souvenir de mon grand-père. Je tape bêtement dans les mains en espérant que
cela calme Gaëlle.
La transe continue. Elle tourne dans le salon en disant pas mal de choses.
Bientôt, elle en vient à psalmodier certaines phrases. On reste là, interdites.
Personne dans la pièce ne sait quelle attitude adopter. Après une éternité,
Gaëlle s'assoit par terre. Elle se met à coudre le vide. On voit bien les
mouvements de ses bras qui semblent suturer des plaies. Elle se lève dans un
bond aussi prodigieux que le dernier. Elle se met à rire de manière fort
lugubre. Et elle finit par se coucher sur le sol. Endormie.
Mon téléphone sonne dix minutes plus tard, il est 23h 10. Au bout du fil, maman
m'annonce :
« Votre amie est tirée d'affaire. Nous arrivons. »
J'annonce la nouvelle aux filles. Personne ne saute de joie tellement nous
sommes sous le choc du spectacle donné par mademoiselle Gaëlle Azizet.