42- Les couleurs de nos amours

Ecrit par lpbk

Rudy EYA

« Je pensais que tout était exagéré dans les films nigérians mais là, je dois dire que je suis bluffée. »

Ca fait quelques heures seulement que nous sommes arrivés au Nigéria. Je regarde Nowa s’émerveiller devant cette facette de ce pays qui comme tous les pays africains sait séduire les touristes alors qu’il est une grande prison pour ceux qui chaque jour arpentent ses rues. Je suis séduit par le fait qu’elle parle si bien l’anglais. Je savais qu’elle avait appris la langue de Shakespeare mais j’étais loin d’imaginer qu’elle la pratiquait à ce niveau.

« Je ne savais pas que tu parlais si bien anglais. », lui confiais.

« C’est bien de savoir que je te surprends encore. », me répond-t-elle en esquissant quelques pas de danse.

« Allez viens danser avec moi. »

« Tu sais que je n’aime pas danser. Par contre j’aime te voir danser. »

« Tu aimes me voir danser ? Comme ça ? », fait-elle en tournant des reins telle une danseuse orientale.

Je ne sais pas comment mais cette petite femme a su entrer dans mon cœur, dans ma vie. Je la regarde s’effeuiller devant moi comme une Mata Hari des temps modernes. C’est parti pour un petit strip-tease improvisé.

Je me réveille suite à une vibration. Je me lève pour attraper le portable sur la petite bibliothèque. C’est celui de Nowa. Un message de Mika. Je soupire et je reste debout partagé entre cette affreuse envie de lire ce message et celle de retourner m’allonger près de son corps nu. Je finis par prendre son portable et je m’en vais discrètement dans le séjour du petit appartement que nous avons loué.

Je sais que je ne devrais pas mais c’est plus fort que moi.

« Hey ! », lance-t-il après avoir décroché.

« Bonsoir Mika. C’est Rudy, le petit-ami de Nowa. »

Quelques minutes silencieuses s’égrainent. Je suppose qu’il n’avait jamais envisagé ce scénario. Moi aussi, je n’avais jamais imaginé cela.

« Bonsoir. », finit-il par dire.

« J’apprécierai que tu ne la contactes plus. »

Il ne dit rien. Tant mieux. Je lui laisse quand même le temps de répondre et finalement, c’est le « bip » de fin d’appel qui se fera entendre. Je dépose le téléphone sur la table Je reste un moment à réfléchir avant de retourner la rejoindre dans le lit.

 

Nowa NYANE

Je viens d’appeler toutes les personnes que j’aime pour leur souhaiter une bonne et heureuse année. J’ai aussi appelé des personnes dont je n’en n’ai rien à faire. C’était plus pour la forme que pour autre chose je dois l’avouer. Vous savez chez nous les africains, il y a toujours ce cousin qui vous rappellera qu’à Noël vous n’avez même pas daignez lui consacrer quelques minutes de votre forfait.

J’essaie encore le numéro de Mika. Ça ne sonne même pas. J’ai appelé Noah mais je ne lui ai pas demandé si son frère était avec lui. Peut-être qu’il m’en veut pour quelque chose mais quoi ? J’ai beau fouiller dans ma tête mais je ne trouve pas. A moins que ce soit parce que je lui ai fait des remontrances à cause de la façon dont il avait parlé à Vanessa. Il y a tout de même des façons plus polies et plus diplomatiques de dire à une personne qu’on en l’aime pas. C’est vrai qu’il m’avait répondu bizarrement mais de là à faire la tête durant tout ce temps, il abuse quand même.

« Qu’est-ce que tu fais ? », me demande Rudy en revenant de la salle de bain.

« Rien. Je suis prête, nous pouvons y aller. »

Avec Rudy, nous avons prévu d’aller diner au restaurant de l’hôtel ce soir. Je suis épuisé par toutes nos sorties alors, j’ai préféré une soirée au calme, en amoureux.

« J’ai l’impression que nous sommes le plus jeune couple. », lui dis-je en riant.

« Moi j’ai l’impression que tu es la plus jolie de ces dames. »

Il m’arrache un large sourire.

« Il est 19h30. Tu ne devais pas appeler ta mère ? »

Il regarde sa montre.

« Si. Merci de me le rappeler sauf que là, je crois bien que j’ai laissé mon portable dans la chambre. »

« Je vais te le prendre. »

« Non, je le ferai plus tard. »

« Non, tu avais dit 19h et il est déjà 19h30. Je monte prendre ton portable. Passe-moi les clés. »

Je les arrache de sa main et je quitte le restaurant. Je reviens rapidement le retrouver. Les entrées sont déjà servies.

« Tiens ! »

« Merci ! »

« Merci de m’avoir attendu. »

Je suis en train de déplier ma serviette quand il prend la parole.

« J’ai appelé Mika. »

Je continue de manipuler le bout de tissu. Je crois que ce n’est pas lui qui vient de prononcer ces mots. J’attrape ma fourchette.

« C’est pour cela qu’il ne répond plus à tes messages. »

C’est le déclic. Toutes les pièces du puzzle se mettent en place. Je lève mes yeux sur lui. Il comprend que l’heure est aux explications.

« Je l’ai appelé et je lui ai demandé de ne plus jamais te contacter ou te revoir. Je sais que toi tu es incapable de le faire alors c’est à lui que je me suis adressé cette fois. Et pour tout te dire, je ne regrette rien. J’estime que c’est une mesure pour sauver notre couple. »

Je l’écoute sagement en mangeant ma salade. J’espère qu’il est conscient de chacun des mots qu’il emploie et des implications que ceux-ci auront sur le futur de notre relation. Il termine son misérable discours en me demandant si j’ai quelque chose à dire.

« Tu devrais manger. »

Il reste un moment à me regarder. Je soutiens son regard. Qu’importe ce qu’on me dira, je suis persuadé qu’il est scotché par cette réaction ou ce manque de réaction de ma part. Je viens juste de comprendre que je ne pouvais tout partager avec cet homme. Oui, j’aurai dorénavant mon jardin secret.

En remontant ce soir, j’étais bien calme. Dès que nous sommes entrés dans l’appartement, je me suis dirigé vers la salle de bain où je suis restée enfermé un bon moment. Le temps de faire passer ma rage, ma colère, ma haine. Le temps de chercher à comprendre ce qui avait bien pu se passer dans la tête de mon petit-ami. Et Mika ? Pourquoi faut-il toujours qu’il paie les frais de cette relation ? Est-ce ça l’amour ? Où est-il écrit que l’amour nous fait autant souffrir ? N’est-ce pas plutôt un sentiment censé nous rendre meilleur ? Nous apaiser ? Faire ressortir ce qu’il y a de plus beau en nous ?

Les deux derniers jours dans la capitale du cinéma africain m’ont paru être une éternité. Je parlais peu. Rudy n’insistait pas. Mais avait-il seulement la mesure de son acte ?

« Tu restes chez moi ou … », me demande-t-il alors que nous quittons l’aéroport.

« Je vais rester chez moi. J’ai du travail à rattraper. »

Il pose un baiser sur ma main.

« J’ai été heureux de passer ces quelques jours à tes côtés Nowa. »

« Moi aussi. »

Nous nous embrassons une dernière fois avant de nous quitter. Je ferme ma porte et je m’en vais dans ma chambre.

 

 

Mika BIAM

Je relis sans cesse ces derniers messages. J’essaie de me souvenir du son de sa voix. Du parfum de ses cheveux. De l’éclat de son regard.

C’est de plus en plus difficile surtout avec Vanessa à côté. Cette dernière a fini par s’engager toute seule. Les choses sont bien claires entre nous. Elle est persuadée qu’elle me fera oublier Nowa. Elle est convaincue que je finirai par tomber amoureux d’elle. Je me rappelle aussi de la voix de son copain. Tout c’était si vite passé. J’avais juste mis son numéro sur liste noire. Je commence à croire que Noah avait raison sur toute la ligne quand il disait que Nowa et moi ce n’est tout simplement pas possible.

Je crois qu’il y a beaucoup d’âmes sœurs qui ne sont pas ensemble.

« Tu ne trouves pas que c’est un peu grand pour toi seul maintenant que Noah a déménagé ? », m’interroge Vanessa.

« Non ! Je vais transformer sa chambre en salle de jeu. »

« Tu veux qu’on aille faire un tour tout à l’heure ? Mes sœurs sortent manger un truc et je me disais que nous pouvions les accompagner. »

« Je serai de garde ce soir. »

« C’est juste pour deux heures grand max Mika. »

« Il faut que je me repose Vanessa. »

Elle sort de la chambre en boudant. Pourquoi ne comprend-t-elle pas que cette sortie pourrait me couter cher tout à l’heure ? Elle aurait pu s’arranger à ce qu’elle se fasse hier car j’avais ma soirée de libre. Je reste allongé dans mon lit à fouiller dans ma tête des brides de souvenirs et de conversations. Il ne me reste plus rien d’elle. J’étais tellement en colère que j’ai supprimé toutes les photos que j’avais d’elle. Je l’ai même supprimé de ma liste d’amis sur Facebook. Je crois que cette fois, je lui en veux.

 

 

Nowa NYANE

« Tu ne m’as toujours pas dit si tu m’accompagnes au mariage Rudy. Ecoute, j’en ai marre de mettre ça sur le tapis si tu ne veux pas y aller je trouverai bien une personne pour m’accompagner. »

« No… »

« Non ! Ne me dis pas que tu auras beaucoup de travail. S’il te plait. C’est pour le mariage de ma sœur Rudy. Tu me pardonnerais de ne pas aller au baptême du fils d’Ayem sous prétexte que j’ai du travail ? »

Il me regarde sans rien dire. Je reste debout devant lui, les bras croisés.

« C’est dans deux malheureux jours je te préviens. J’espère que tu as le costume bien comme il faut. Et puis tu devrais déjà t’estimer heureux que je n’aie pas insisté pour le diner de répétition. », expliquais-je avant de fermer la porte de son bureau.

Je suis venu spécialement pour lui dire cela. J’ai fini alors, je peux rentrer chez moi et travailler. Ces derniers jours, tout me rappelle Mika. Après notre retour du Nigéria, j’ai bien voulu passer le voir pour tout lui expliquer mais je ne savais même pas ce que je pourrai lui dire. Il n’y a carrément aucun mot pour lui dire ce que je ressens. De plus, le fit qu’il m’ait bloqué de partout semble être un mauvais signe. J’ai refusé d’accompagner Quentin à son rendez-vous avec le dentiste parce que je ne voulais pas tomber sur lui et quand Georgette m’a demandé comment allais le beau docteur, je n’ai pas eu le courage de lui expliquer à quel point mon petit-ami était un idiot. Il y a bien une raison qui me pousse à penser à lui. C’est peut-être ça le destin. Cette sensation qui me rappelle toujours son absence de ma vie. Je soupire en montant dans le taxi.

« Iris, on se verra demain. »

« Mais pourquoi ? »

« J’ai quelque chose à faire. »

« Mais ça ne peut pas attendre ? »

« Non ! J’aurai dû le faire depuis je crois. »

« Tu me plantes ! J’aurai mieux fait de demander à Georgette. »

« S’il te plait ne t’énerves pas. Je t’aime Iris. »

« Tchurr… Flatterie. »

Je raccroche et je change ma destination. Le chauffeur de taxi me jette un regard mauvais à travers le rétroviseur. Je lui fais un large sourire et il se met à rire.

Devant la porte de leur appartement, je respire profondémment, me demandant à chaque seconde si je devrais sonner ou pas ? Et s’il me disait de foutre le camp. Il y a beaucoup de si dans cette histoire bon sang. Il n’y a qu’une seule façon de savoir. Je finis donc par sonner. Une seule fois. Je ne peux pas me permettre le luxe de les déranger.

J’ai l’impression d’attendre une bonne heure avant d’entendre des pas. J’avoue que dans ma tête, je me dis que je devrais vite disparaitre. Me volatiliser par exemple. Je crois que je vais faire demi-tour… mais c’est trop tard. La porte s’ouvre. Mika se tient devant moi. Son regard est différent. Il est froid. Il n’est plus ce regard doux et chaleureux qui se posait sur moi.

« Bonsoir. »

« Bonsoir Mika. »

Je sais que cette fois ça risque d’être difficile. Sans attendre une quelconque invitation de sa part, je le traverse jusque dans le salon. Quand il ferme la porte, mon cœur s’emballe. Je n’ai rien prévu. Qu’est-ce que je vais lui dire.

Il marche jusque dans le salon, le traverse et continue jusque dans sa chambre qu’il ferme.

J’attendrai presqu’une heure toute seule avant de comprendre qu’il n’a pas l’intention de venir à moi pour discuter. Timidement, je me lève et je m’en vais frapper à sa porte.

« Entre. »

Je pousse la porte et je le trouve au milieu de la pièce avec juste une serviette nouée autour de la taille. Ce gars c’est l’homme de mes fantasmes les plus enflammés. Le temps prend une pause. J’observe sa poitrine se gonfler au gré des battements puissants de son cœur. Je sens mon sang parcourir chacune de mes veines, chacune de mes artères pour venir s’arrêter à mon cœur.

« Tu vas rester debout ? »

Seigneur ! Pourquoi me mets-tu à l’épreuve ? Ne serait-ce pas là une tentation divine ?

Je m’en vais m’assoir à son piano. Au moins, je serai de dos, je ne pourrai pas le voir en train de s’habiller s’il compte s’habiller.

Je l’entends ouvrir et refermer les portes de son armoire. C’est un vrai soulagement pour moi.

« Tu disais ? », dit-il en s’installant près de moi.

Il a juste enfilé un short. Et le reste du corps ? A quoi joue-t-il ?

« Je n’ai rien dit. », dis-je en tachant de garder mes yeux sur mes doigts.

Il commence à jouer du piano. Un air doux, délicat. Je ferme les yeux comme pour mieux écouter chacune des notes qu’il joue.

« Combien de fois allons-nous nous séparez pour finir par revenir en arrière Nowa ? », souffle-t-il sans s’arrêter de jouer.

J’ouvre les yeux et je me tourne vers lui.

« Je ne sais pas Mika. Tout ce que je sais c’est que je ne voulais pas que les choses se passent ainsi. », répondis-je en posant ma tête sur son épaule.

« Tu crois que nous allons continuer ainsi ? Tu crois que je serai toujours là à t’attendre ? »

« Je n’en sais rien. Je voudrai tellement que tu cesses de m’attendre, que tu vives ta vie… que tu la vives sans m’attendre. »

« Et si je veux encore attendre. »

« Tu risques de souffrir Mika. »

« Je sais. »

Il va dans un air plus puissant et mélancolique tandis que moi, je m’évade dans mes pensées. Suis-je égoïste de lui demander d’arrêter de m’aimer ?

Quand il s’arrête, nous restons ainsi devant le piano à nous raconter notre vie, nos rêves, nos passions et nos envies. Je suis ravie de savoir qu’il est finalement avec Vanessa même si je sens qu’il n’est pas très emballé par leur nouvelle romance. Qui sait d’ici quelques semaines encore il sera fou d’elle. J’en sais quelque chose.

« Je te dépose, je dois passer chez Vanessa. », me dit-il alors que je suis sur le point de rentrer.

Eh bah pour des partenaires qui ne sont pas sur la même longueur d’onde je trouve ça un peu étrange qu’il aille passer la nuit chez elle. Mais bon, chacun fait vivre son couple comme il le sent. Je suis surprise qu’il m’accompagne jusqu’à devant la porte de mon appartement. Je le suis encore plus lorsqu’il me demande si je ne l’invite pas à prendre un dernier verre. Je souris et j’accepte en lui signalant ben que je suis une femme polie et que si je ne lui ai pas proposé c’est parce que je pensais qu’il était pressé.

Nous passerons la moitié de la nuit dans mon salon à parler de tout et de rien en riant. Son téléphone sonnera toutes les quinze minutes jusqu’à ce que vers 01h du matin, il l’éteigne.

« Tu devrais y aller Mika, il est presque 04h. »

« Tu as raison. », répondit-il en se levant.

Je l’accompagne jusqu’à la porte.

« J’ai passé une bonne soirée Nowa. »

« Moi aussi. »

Nous nous faisons la bise et je ferme ma porte. Vite, il faut que je dorme, que je repose mes yeux le mariage de Tina est demain.

Les couleurs de nos...