6.
Ecrit par lpbk
Deux semaines étaient passées et tout continuait d’aller de travers chez
moi Heureusement que le studio était là pour me faire penser à autre chose. Je
partais très tôt le matin pour ne rentrer que tard. J’allais à des expositions,
au cinéma et je trainais dans les allées des centres commerciaux pour essayer
de faire taire les voix des filles qui depuis notre petite soirée continuaient
de résonner dans ma tête. J’étais absolument du même avis qu’elles mais pour
moi, il était hors de question que je quitte cet homme qui m’avait acceptée
avec mes qualités mais aussi mes défauts. Des fois, j’e, venais à me dire
qu’elles étaient un peu trop dures envers nous. Puisqu’après tout, laquelle
savait réellement ce que nous vivions ? Lenny n’étais amoureuse de
personne et Maeva filait le parfait amour avec Lucas. Toutes les deux étaient des
beautés dignes de figurer sur des podiums tandis que moi, j’étais la grosse de
la famille. Il est vrai que souvent, je me faisais accoster par des hommes mais
ces derniers avaient plus des airs de pervers que de princes charmants. Il y en
avait même qui me demandaient à palper mes seins afin de savoir s’ils étaient
siliconés ou pas. Il y avait aussi ceux qui se contentaient de jeter des
regards furtifs à mon postérieur avant de me gratifier d’un sourire que je
qualifierais de carnassier.
Et puis le jour de mon anniversaire était arrivé et contrairement à la
plupart des femmes, cela ne me procurait aucune joie particulière. Je prenais
une année de plus et cela n’avait aucun impact sur ma vie et encore moins sur
la façon dont je percevais le monde. A peine minuit était arrivé que mon
téléphone s’était mis à sonner. J’avais dû l’abandonner dans le séjour après
avoir activé le mode silencieux. J’avais besoin de dormir car restée éveillée
m’aurait emmené à penser. C’est bien connu, les grandes dates de notre histoire
sont celles qui nous appellent toujours à nous interroger. Bref, tout le monde
voulait me souhaiter un heureux anniversaire. Tout le monde sauf Héritier.
Ce dernier avait pris ses congés en avances car sa sœur disait s’ennuyer.
Ensemble, ils étaient partis pour une destination qui m’était inconnue et
depuis leur départ, je n’avais reçu aucun signe de vie. Les deux premiers jours
je m’étais inquiétée puis j’avais réalisé que si Ambre ne m’avait pas encore
contactée pour me demander des comptes, c’est qu’ils allaient bien. Je savais
que mon fiancé était un sale égoïste, qu’il n’y avait que lui et son ombre qui
comptait mais plus les jours passaient et plus j’espérais qu’il serait de
retour, ne serait-ce que pour ce jour un peu spécial. Hélas une fois de plus, je
fus au regret de constater qu’à tous les coups, je me faisais moi-même
prisonnière. Prisonnière de mon amour
mais aussi de mes espoirs.
Ce matin, j’arrivais au studio en souriant mais à peine j’avais dépassé
la porte de mon bureau qu’il me fallait prendre une inspiration profonde afin
de ne pas craquer. Je m’installais derrière mon bureau et mis en marche mon
ordinateur. Je travaillais pendant trois bonnes heures puis sur un coup de
tête, je me retrouvais sur la page Instagram de mon fiancé qui venait de
publier deux photos. Mon cœur se serra à la vue de ce sourire qui dévoilait des
dents immaculées.
—
Il va bien, je parvins à siffler.
Ces photos me révélaient son état mais aussi le fait qu’il avait
délibérément choisi de ne pas être là ce jour.
—
Non, mais qu’est-ce que j’espérais ? me
demandais-je en refermant cette page.
Les larmes me montaient aux yeux mais je les refoulais. Pour la première
fois, j’étais sur le point de craquer seulement, les cloisons étaient faites de
verre ce qui ne laissait aucune place à une quelconque intimité.
—
Je suis merveilleuse. Je suis forte.
Je me répétais cela comme un mantra avant de me décider à quitter cette
page de malheur pour me replonger dans mon travail.
J’y étais lorsque deux coups furent donnés à ma porte. Je levais la tête
et découvrais avec surprise ma mère et ma cousine. D’un geste de la main, je
les invitais à entrer, ce qu’elles firent immédiatement.
—
Mais qu’est-ce que tu fais là ? demandais-je en
quittant mon fauteuil pour aller les embrasser. Je pensais que Paris et sa
pollution ce n’était plus pour toi.
Cinq mois auparavant, maman avait quitté Paris. Elle disait ne plus
supporter la pression de cette ville. Qu’elle était trop vieille pour se faire
bousculer dans la rue par des jeunes trop pressés. Elle ne supportait plus les
humeurs des caissières, des serveuses, des infirmiers. Elle ne supportait plus
les klaxons incessants. A cinquante-trois ans, elle avait besoin d’autre chose.
Elle avait envie de sentir le vent sur son visage et dans ses cheveux, de voir
les feuilles des arbres valser, d’humer le parfum de la terre. C’est ainsi
qu’elle avait plié ses bagages et était partie pour Noyer, petit village situé
dans la Bourgogne qui parfois était décrit comme une cité médiévale ou encore
une ville vigneronne. Noyers savait donner une image très variée de ce qu’elle
proposait. Des hôtels aristocratiques aux maisons de vignerons en passant par
les anciennes chapelles, ce petit village était un lieu où le temps semblait
s’être arrêté. Vivre à Noyers vous plongeait dans un monde de magie et
d’émerveillement.
—
Tu n’es pas contente de nous vois ? lança Lenny
en se laissant tomber dans l’unique canapé de la pièce. Moi encore je
comprendrais mais tante Mélanie.
J’étais contente de voir ma mère. Surtout que depuis son déménagement je
n’avais pas trouvé le temps de lui rendre visite. Pour toute réponse, je
l’embrassais à nouveau et lui proposais de s’installer sur l’un des fauteuils
en face du mien.
—
Je termine juste ça et on va déjeuner, d’accord ?
Toutes les deux acquiescèrent. Et pendant que je revoyais les dernières
modifications que Julie avait apporté au projet de Brive, maman me racontait
combien elle se sentait bien à Noyer. Elle me parlait de son projet de faire de
la maison une structure d’hébergement.
—
Une sorte de maison d’hôtes. C’est très tendance en ce
moment tu sais et puis ça me permettra d’avoir du monde avec moi.
—
Je pensais que tu voulais justement éviter le monde,
riais-je.
—
Oh, tu sais bien que ce n’est pas la même chose. A
Noyer, il y a de l’espace, il y a les vignes, les champs et la ferme. Tu
verrais mon élevage de lapins que je suis sûre que tu serais jalouse.
—
C’est ça !
Julie qui connaissait bien maman était passée lui dire bonjour. Elle
était venue avec deux stagiaires et ils étaient restés à bavarder un moment
avec elle avant de m’informer qu’ils partaient tous pour la pause. Et moi, ce
n’était que dix minutes après leur départ que je me levais enfin de mon
fauteuil.
—
On va où ? demandais-je à maman alors que nous
étions déjà dans la rue.
—
Ah non, c’est ton anniversaire alors à défaut de te
faire un cadeau, c’est moi qui invite.
Je l’embrassais encore. Maman avait fait le déplacement sur Paris pour
moi et même si elle ne s’en rendait pas compte, c’était là le plus cadeau qu’elle
pouvait me faire. Et même si Lenny se montrait un peu casse-cou, j’appréciais
sa présence à mes côtés.
Maman nous entraina à quelques pâtés de maisons de la place Pigalle et
de ses sex-shops. Elle nous fit découvrir l’hôtel du Hasard qui avait été érigé
à l’écart du bruit mais aussi de la circulation. L’atmosphère était détendue et
conviviale.
—
Maman, dis-je surprise par cet endroit où l’on se
serait bien imaginé refaire le monde.
—
Je suis pleine de ressources, ria-t-elle.
Un monsieur aux allures de dandy s’approcha de nous. Il nous souhaita la
bienvenue puis nous demanda où nous souhaitions nous installer.
—
La terrasse, jeune homme.
—
Mais… Il doit faire au moins douze degrés, maman.
—
Ne t’inquiète pas, elle est chauffée, du moins dans
mes souvenirs elle l’était.
—
En effet, elle l’est. Si vous voulez bien me suivre.
J’étais surprise mais Lenny elle, se contentait de suivre maman le
sourire aux lèvres et son téléphone accroché à ses mains. Après tout, elle
avait toujours eu l’âme d’une aventurière et elle était toujours prête à monter
dans un avion sans même savoir quelle était sa destination. Moi, j’avais trop
peur de l’inconnu. Je craignais de me laisser surprendre par je ne sais trop
quoi.
Nous arrivions finalement devant une porte. Curieusement, le serveur
frappe sur celle-ci avant de tourner la poignée. Il la passe suivi de maman, de
Lenny et enfin de moi.
—
Surprise !
Prise au dépourvu, je regardais tour à tour maman et Lenny. Les
confettis qui avaient explosé continuaient de valser dans les airs sous l’effet
de la pesanteur. Je voyais mon nom inscrit sur une banderole mais je n’y
croyais toujours pas. Il devait y avoir une autre Elsa Lemaire qui comme moi
célébrait un an de plus aujourd’hui.
Alors que je ne réalisais toujours pas ce qui venait de se passer, Maeva
s’approcha de moi avec une écharpe dans une main et une couronne dans l’autre.
—
Joyeux anniversaire, bébé, souffla-t-elle dans mon
oreille avant de me parer telle une reine de beauté.
—
Mais ferme ta bouche, tu risques de faire tomber ta
langue, lança Lenny et me serrant fort dans ses bras.
Alors que j’avais la tête appuyée contre son épaule, je fis un tour
rapide de la salle pour y découvrir tous le personnel du studio, tante Solène
et quelques amis que je ne fréquentais pas très souvent du fait du rythme
infernal de nos vies. Ils avaient tous le sourire aux lèvres. Ils étaient
heureux d’être là pour moi. Ce constat me fit chaud au cœur.
A tour de rôle, ils passèrent pour m’embrasser et me présenter leurs vœux.
A chaque fois, j’étais étonné qu’un tel ait trouvé le temps de venir. Ils
avaient dû prendre des permissions au travail ou encore ils sacrifiaient leur
pause pour moi. Si je n’aimais pas être le centre de l’attention, cette
fois-ci, j’y prenais plaisir. Je discutais, prenait des nouvelles, me laissais
choyer et aimer.
Tout semblait beau, parfait, impeccable. Maman n’arrêtait pas de me dire
à quel point elle était contente de la femme que je devenais. Tante Solène
quant à elle tenait absolument à ce que je goûte les mignardises qu’elle avait
apprêtées pour l’occasion. Il parait qu’avec maman, elles avaient passé la nuit
derrière les fourneaux.
En ce jour, je fêtais mon
anniversaire et il y avait avec moi toutes les personnes qui m’aimaient. Il est
bien vrai que l’année qui venait de s’écouler n’avait pas été de repos mais là,
je me surprenais à souffler, à inspirer puis à expirer. Je me surprenais à
respirer et surtout à ne rien attendre de plus que ces petits moments que je
passais là avec les miens, avec ma famille.
Des cadeaux m’étaient offerts mais celui qui me surprenait le plus était
celui de mes deux chipies. En effet, elles avaient été soft en me réservant une
place dans un grand restaurant de la capitale. Je n’étais pas étonnée qu’elles
n’aient pas pensé à Héritier puisque je savais bien l’idée qu’elles se
faisaient de lui. J’acceptais le diner en les informant que je ne pourrais qu’y
aller le vendredi prochain.
—
Ah non ! La réservation a été faite pour ce soir
alors tu vas nous faire la plaisir d’y trainer tes grosses fesses.
—
Mais après être sortie d’ici, je ne suis même pas sûre
que j’aille encore travailler.
—
Ca on s’en fiche.
—
Alors, t’es d’accord, bébé ?
Je fis deux pas en arrière pour mieux les observer.
—
Toutes les deux-là, on dirait que vous préparez
quelque chose.
Elles se regardèrent un instant puis éclatèrent de rire.
—
Mais non. Et puis qu’est-ce que tu veux qu’on aille te
faire comme mauvais coup dans un restaurant ?
—
Je ne sais pas. Mae…
—
Ah non, arrête de faire ça, tu vas gâcher ta surprise.
Ecoute, bébé, tu as vingt-neuf ans, c’est ton anniversaire. On veut juste te
faire profiter de ça au maximum. Promis, juré, tu ne seras pas déçue.
Même si je n’étais pas très emballée par ce diner en solitaire, j’avais
promis aux filles d’y aller et je n’étais pas du genre à faire des promesses en
l’air.
J’avais pour l’occasion choisi une robe près du corps avec un décolleté
dans le dos. Je l’associais à des escarpins dans lesquels je me sentais bien et
relevais mes cheveux en queue de cheval. Je mettais la touche finale à mon
maquillage lorsque mon téléphone sonna. C’était mon uber. J’attrapais ma
pochette et je sortais de l’appartement.
J’arrivais à l’adresse indiquée sur le carton que les filles m’avaient
remis. Sur le parking, je remarquais un nombre impressionnant de voiture de
luxe. Elles devaient vraiment avoir cassé leur tirelire pour me payer un diner
dans cet hôtel. Subjuguée, je passais la porte tourniquet de l’hôtel et me
dirigeais vers la réception. J’expliquais la raison de ma venue et tout de
suite, on me confia à une dame. Celle-ci me demanda de la suivre. Nous passions
devant un magnifique escalier avant de pénétrer dans le restaurant qui avait
vue sur le grand jardin merveilleusement bien éclairé. Je remarquais rapidement
qu’il n’y avait pas grand monde et que la salle était décorée de façon étrange.
Un serveur s’approcha de moi et m’offrit une coupe de champagne dans laquelle
baignaient des fruits rouges. Je dégustais celle-ci en arpentant la salle et
finalement je me retrouvais sous le ciel étoilé à admirer les fleurs et les
plantes autour de moi. C’était tout simplement merveilleux.
A mon retour dans la salle, je trouvais plus de monde. Les femmes
discutaient entre elles et les hommes buvaient du champagne en les reluquant de
loin. Ils semblaient tous riches et en chaleur. Je me dis intérieurement que je
ne laisserais à aucune l’occasion de me faire quelques avances car une chose
était certaine, ils devaient pour la plupart des hommes mariés à la recherche d’un
coup d’un soir.
—
Tin, tin, tin
Quelqu’un semblait réclamer notre attention. Je suivais les regards et
découvrais une dame sur l’estrade.
—
Bienvenue à tous à notre soirée caritative. Je
remercie les personnes qui ont rendue cela possible et si beau. Elles se
reconnaitront. Comme la plupart le sait déjà, je suis la présidente de l’association
« La terre, notre héritage ». Cette association met l’environnement
au centre de ses actions et de ses projets.
Toute l’assemblée applaudissait, y compris moi. Je n’avais jamais milité
pour un quelconque projet d’intérêt commun mais je trouvais ce genre d’initiative
géniale. D’ailleurs lorsque je pouvais, je faisais des dons.
—
Merci… Le but de cette soirée est de récolter un
maximum d’argent qui servira pour nos divers projets à travers le monde. Au
Brésil, la forêt amazonienne perd en superficie de jour en jour. En Afrique du
nord, on note une avancée plus ou moins rapide du Sahara. En Asie, des îles et
des pays entiers sont ravagés par des tsunamis, des typhons ou encore des
ouragans. Chaque jour, une bonne trentaine de catastrophes secouent l’équilibre
précaire de notre planète apportant avec eux des crises alimentaires,
humanitaires et même sécuritaires. Notre but est de donner une chance à notre
planète, de la préserver afin que nos enfants et les enfants de nos enfants
puissent eux aussi hériter de ses mers, ses océans, ses terres, ses animaux et
ses végétaux. Et pourquoi pas de vous aider à trouver l’amour.
Tout le monde rigolait sauf moi. De quel amour parlait-elle ? Je
pensais que nous étions là pour la planète.
—
Soyez généreux, trouvez votre moitié et passez une
excellente soirée.
Alors qu’ils applaudissaient tous, la dame quitta l’estrade et un homme
prit sa place pour nous expliquer le déroulement de la soirée.
—
Bonsoir à tous, nous allons débuter la soirée. Avant
tout, merci d’écrire vos prénoms sur cette étiquette qui vous a été remise à l’entrée.
Ensuite, collez-la à votre vêtement. Nous allons vous séparez en deux groupes
de douze hommes et douze femmes. Chaque rendez-vous aura une durée de cinq
minutes. Lorsque vous entendrez ce son, vous devrez changer de partenaire et à
l’issu de chaque rendez-vous, vous devrez émettre une appréciation
confidentielle sur la personne que vous venez de rencontrer.
Je l’écoutais d’une oreille puisque je tentais de joindre Maeva. Bien
entendu, elle ne décrochait pas. C’était pareil pour Lenny dont le téléphone ne
sonnait même pas.
—
A la fin de la soirée, nous récupèrerons les papiers
et nous les étudierons. Nous mettrons ensuite en contact ceux qui souhaitent se
revoir de façon réciproque. J’espère que tout est clair pour vous. Sur ce, je
vais appeler les personnes du premier groupe.
Ce groupe était composé d’hommes de plus de cinquante ans et
heureusement, ce n’était pas celui qui m’avait été attribué.
—
Mesdames, installez-vous. Ce sera à ces messieurs de
se déplacer.
Alors que j’étais encore perdue dans tout ceci, le premier homme s’installait
déjà devant moi. Et au moment où la cloche retentissait, mon téléphone vibrait
sur la table. Héritier.