68: la vie d’un homme, la mort d’un enfant
Ecrit par Gioia
***Tao Adamou***
Je me suis levé mû par un désir de prier. Un désir inexplicable. Je touche le cou de ma femme, elle dort et respire profondément. Je fais un tour dans la chambre de mon fils. La couverture et les coussins sont à terre. Lui-même collé au mur comme si quelqu’un le compressait dans ce coin, pourtant il a un grand lit pour un garçon de sept ans. Je le redresse et touche aussi son cou, juste pour me rassurer qu’il est là. Ida est loin, mais je lui ai parlé il y a presque une ou deux heures, du moins avant que je ne monte au lit donc je ne pense, ou du moins je ne me sens pas inquiet pour elle.
Ne pouvant plus lutter davantage contre cet instinct, je fais mes ablutions et déroule mon tapis pour m’adresser à mon créateur, lui recommander ma famille, amis ainsi que projets professionnels.
***Garcelle Ekim***
Tiana qui m’a conduit chez le pasteur a dit qu’elle-même garde son mari au pas grâce aux prières ainsi qu’aux bains composés de feuilles spécifiques que ledit pasteur lui a recommandés. Je peux attester de l’efficacité de ses méthodes, parce que le mari de Tiana est droit dans ses bottes. Jamais 20h ne le trouve dehors ; ou s’il l’est c’est avec elle et leurs enfants. Il ne lui cache rien, bref leur foyer est on ne peut plus stable. Donc je n’ai rien à craindre. Et pourtant c’est la troisième fois que j’essaie de m’encourager à utiliser les cristaux sur TH. Je ne sais pas, j’ai cette crainte stupide que sa vie tourne au vinaigre à cause de moi, ou carrément qu’il meurt. En même temps le pasteur m’a aussi dit que pour qu’il se détache totalement de la bouseuse, il me fallait leur faire ingurgiter à chacun. Leah m’a déjà confirmé qu’elle en a rajouté dans l’arôme maggi de la connasse. Si Leah y est arrivé pourquoi je fais ma trouillarde ?
Des fois il faut juste se lancer dans la vie, je me mets aux fourneaux et cuisine sans accorder plus de temps aux pensées douteuses qui taraudent mon esprit. TH rentrera du travail dans peu.
***Thierry Henry Ndouo***
Le miracle serait-il enfin à ma porte ? Depuis qu’elle a découvert ma bourde, c’est la première fois que ma chérie m’accueille au retour, armée en plus d’un sourire. Je laisse ma sacoche tomber et lui ouvre mes bras. En quelques pas, elle s’y engouffre et mes narines hument son odeur délicatement boisée. Elle a en plus mis mon parfum.
-S’il te plaît, dis-moi que je ne rêve pas, tu ne vas pas me tourner le dos demain ?
-je t’aime, me répond-elle avant de se mettre sur la pointe des pieds
On doit certes parler, mais ceci d’abord. Je lui happe les lèvres avec avidité et grogne de satisfaction quand son bassin colle étroitement le mien. On ne va pas bien loin. Le mur est suffisant ; elle pose ses mains contre ; je remonte sa robe sur ses hanches, et m’abaisse pour lui lécher le minou à grands coups de langue qui la font onduler avec frénésie puis me supplier d’abréger sa torture. N’étant pas dans un meilleur état, je ne me fais pas prier et me redresse prêt à la pénétrer avant de me rappeler brusquement de notre situation
-je…je peux ? ou tu préfères que je porte un préservatif, murmurai à son oreille après une pluie de bisous dans le cou
-prends-moi Thierry, maintenant
J’y vais à fond dès le premier coup, son corps manque presque de s’écraser contre le mur. Elle me presse cependant de maintenir le rythme. Je m’applique à lui ravager la chatte, pour compenser les jours qu’on a manqué à cause de mes conneries. On finit à quatre au sol, et c’est comme ça qu’elle jouit, avec mes doigts frottant les lèvres autour de son clitoris, ma bite en elle, ainsi que mon nom coulant de ses lèvres, tel un supplice. Je la suis de très près, jurant par tous les saints que je vais perdre la tête.
Nous nous recroquevillons sur le tapis d’entrée et je passe ma main autour de ses hanches pour la coller à mon pubis puis je rigole contre son dos, en visualisant notre voisin dans l’appart à gauche du nôtre.
-Qu’est-ce qui t’amuse ?
-Ces derniers jours, le voisin me donnait un air de compassion les fois où on se croisait comme s’il savait ce que je traversais. Avec tout le grabuge qu’on a fait tout à l’heure, je le vois bien me donner un air victorieux s’il nous a entendus
-oh Seigneur, j’étais si bruyante ? dit-elle avec un rire nerveux
-Pas assez à mon goût, tu m’as cruellement manqué bébé. Je te promets de ne plus recommencer, lui soufflé-je dans l’oreille
Elle me repousse légèrement et se retourne pour qu’on soit face à face avant de me répondre
-Ça m’a anéanti que tu puisses me faire ça Thierry. J’aurai attendu ça de tous, mais pas toi, jamais je n’ai douté de tes sentiments, mais tu m’as emmené là. Je te donne certes une autre chance, mais ça sera la dernière.
-C’est compréhensible, et juste pour qu’on soit clair, ça n’a jamais été une question de sentiments avec elle. J’ai cédé à mes pulsions, mais plus jamais, je te le promets chérie, confessé-je avec sincérité avant de lui embrasser le bout du nez
-On célèbre alors ? J’ai cuisiné une tonne
-fais toi belle plutôt, je t’emmène dehors
-Mais j’ai déjà cuisiné Thie…
-Chut, dis-je avec un doigt sur sa bouche. Laisse-moi me rattraper entièrement
-bon d’accord, mais tu as intérêt à garder de la place pour goûter aussi ce que j’ai fait parce que je me suis donnée du mal
J’éclate de rire à cette réflexion. Les femmes vraiment, c’est tout un mystère. Je lui ai rappelé de profiter du moment parce que dans quelques années je vais lui demander de me faire un plat et elle se plaindra qu’on n’est pas sorti depuis une éternité.
-Si ce n’est notre futur bébé, qu’est-ce qui nous cloitra à la maison pendant une éternité.
Le rire qui sort de mes entrailles est forcé, mais heureusement elle n’en fait pas cas, ou j’espère qu’elle n’a pas remarqué. J’essaie de laisser cette histoire de bébé derrière moi, mais d’une certaine façon, il y’a toujours un élément qui force mon esprit à s’en souvenir. Un bébé qui n’existe même pas pff !
Garcelle est fan de cuisine grecque, donc trouver un resto ne fut pas compliqué même si nous n’avions pas de réservation. La soirée était au-delà de mes attentes ; nous avons même pris quelques clichés et transféré à nos proches comme preuve du calme après la tempête. Malheureusement les bonnes choses ne durent jamais, ou du moins mon cerveau n’avait pas capté le message du calme. C’est dans les toilettes que j’ai filé dès notre arrivée et deux heures plus tard j’étais encore sur le pot, vidant mes boyaux.
-chéri, c’est comment tu n’as pas fini ? me demande Garcelle de l’autre côté de la porte
-J’ai essayé…merde, me plaignis-je tout haut, quand la douleur s’est ramassée dans le côté droit de mon bide. C’est la troisième fois que j’essaie de me lever, mais une autre vague suit
-Oh ! c’est le kritharaki qui cause ça ? vu qu’on a pris la même entrée
-je…fais chier, grognai-je à cause d’une énième crampe abdominale
Je ne sais pas concrètement quand je me suis levé de là, mais je suis sûr qu’il ne me restait presque plus d’eau dans le corps. J’ai eu le temps de ressortir une partie aussi par la bouche. Bref les Grecs m’ont eu
-Viens boire un peu de bouillon de carpes Thierry, ça te fera...
Je ne la laisse pas finir que je secoue vivement la tête. Façon j’ai failli mourir tout à l’heure il est hors de question que quelque chose entre et m’y fasse retourner, je lui explique
-mais tu as besoin de reprendre des forces après
-tu as menti, un déluge intestinal me suffit
-ne fais pas l’enfant Thierry, me gronde-t-elle légèrement
-tu es mignonne mon ange, mais…hey, soupirai-je après avoir posé mon corps sur le lit, là où tu me vois, je ne peux plus me lever. Demain, dis-je faiblement, avec les yeux mi-clos
Le lendemain, je me suis levé un peu patraque, mais la fête dans mon organisme semblait s’être calmée. Je me pose pour le petit déjeuner et c’est un cri strident de Garcelle qui me réveille définitivement. Elle a échappé la casserole remplie du bouillon de la veille, en la sortant du frigo pour la réchauffer.
-tu vois quand je t’ai dit que tu devais le boire hier ! m’accuse-t-elle presque
-mais quelle est ma faute dans l’histoire ? dis-je un peu perdu
Elle pousse un long juron, pose brusquement la casserole sur le plan de travail et s’en va en chambre. Le mystère des femmes. Je nettoie les dégâts et jette ce qu’il faut dans la poubelle. Elle se maquille nerveusement dans la chambre quand j’y entre. N’ayant pas la grande forme, je décide de ne pas rajouter à sa peine. Après tout, c’est une quantité importante de bouffe qu’elle vient de perdre. Je porte mes vêtements, lui fais un bisou sur la bouche et sors commencer ma journée. À la pause, j’ai le retour des autres, suite aux photos d’hier. Maman se sent encore obligée de me faire une longue note vocale pour me conseiller sur comment être un bon copain, Vieira ne s’intéresse qu’à quand je vais alors rentrer au pays et Deno est en dernier, avec un simple message.
-good. Si vous vous êtes compris c’est l’essentiel.
-Je suis encore désolé gars. Je promets de ne plus te décevoir
- Comment vous allez gérer pour le bébé et sa mère dont les mains ne restent pas en place ?
-Quel bébé ? c’est du bluff
-Aka, tu as eu du nouveau et je n’étais pas informé ?
-je te rappelle que tu ne me répondais pas
-Je n’ai pas répondu aux messages d’excuses stupides. Explique-moi plutôt l’histoire du bluff
-Il n’y a rien à expliquer. Avant de quitter Lille, elle m’avait surpris avec Garcelle et tu connais les filles, j’avoue que je ne lui ai pas avoué être en couple, donc elle a essayé de se venger avec cette histoire à dormir debout
-OK donc si je suis bien ton raisonnement, c’est toi qui as fait le con sur toute la ligne et tu te permets de traiter les gens de menteurs ? même pas une journée et tu recommences déjà à me décevoir TH. Qu’est-ce qui t’arrive ?
-Je me suis excusé un tas de fois Deno, qu’est-ce que tu attends de plus ? Tu n’as jamais fait d’erreur toi ? Ce n’est pas pour critiquer ta vie, mais tu as vécu la vie d’un homme privilégié. Tu ne sais pas ce que ça fait d’être en chien, travailler d’arrache-pied quand les autres profitent de leurs vies et là où tu vis, on te montre clairement que tu n’es pas le bienvenu. Je n’aurai pas dû, mais voilà, Vita c’était une échappatoire au chaos que je vivais à l’époque.
Il ne répond plus, je fais pareil. C’est bon comme ça. Je ne vais pas non plus passer ma vie à courber l’échine pour une erreur que j’ai reconnue un tas de fois. S’il veut me pardonner, il le fera en son temps. Garcelle n’est pas de meilleure humeur quand je rentre du travail. Elle refuse de sortir du lit, et me dit juste qu’elle veut regarder son film. Foutu bouillon ne pouvait pas choisir un autre jour pour se renverser. Je passe donc la soirée sur le canapé, à regarder les différentes licences pour mon frère. C’est certes pour l’année prochaine, mais je commence déjà à planifier. Je me suis promis qu’il ne vivra pas les conneries que j’ai traversées ici.
Avant de regagner le lit, je vois que des messages de Denola m’attendent. J’hésite entre les lire et laisser pour demain, mais finalement je les ouvre.
-Je n’avais même pas prévu répondre à tes âneries, mais comme il faut tout te dire il semble, je reviens clarifier. Je m’en fous de ce que tu fais de ta bite Thierry, mais quand on baise les gens parce qu’on est en chien, on ne s’invente pas des réalités alternatives pour faire disparaitre les conséquences de nos actes. La moindre des choses quand une femme avec qui tu as eu une aventure te parle d’enfant, c’est de saisir la loi, pour un test de paternité. C’est ce que les gens instruits font, au lieu de jouer au chien au bois dormant, mettant tout sur le compte d’un rêve ou une illusion mensongère. En tout cas, ton père, Henry Ndouo était un grand intellectuel, et ta mère n’est pas en reste. Au moins je pourrais témoigner demain que tu n’as pas pris la bêtise de chez eux.
-Tu étais obligé de m’insulter au point de faire intervenir mes parents dans l’histoire ?
-je suis trop privilégié pour comprendre le sens de ton message
Je lui envoie l’emoji du type qui se frappe le visage. Il me répond la même chose et je laisse tomber. C’est parti pour un mois avant qu’il n’arrête de m’envoyer sur les roses. Je prie tous les saints que Vita se soit trompée ou du moins qu’il y’ait une explication plausible à ce qu’elle m’a annoncé parce que je ne sais pas quoi faire de ça. Je n’arrive même pas à concevoir l’idée que… qu’un enfant de moi est dans la nature.
Le lendemain, Garcelle est de meilleure humeur, mais je ne veux pas risquer l’équilibre de mon couple. J’attends d’être dehors, dans le bus pour aller travailler avant de contacter Vita sur Messenger. Elle ne répond pas à l’appel donc je lui laisse un message.
***Vitalia Andrade***
Quand l’insomnie refuse de plier bagage bien qu’il soit deux heures du matin, tu cherches des articles pour voir si quelqu’un a pensé à faire punir ceux qui donnent l’espoir aux gens, sachant pertinemment qu’ils l’arracheront à la dernière minute. Je sais que mes pensées sont incohérentes, mais que faire ? J’ai du temps d’ici le lever du soleil. A cinq heures du matin j’ai craqué, et me suis rendue en salle de gym, me défouler sur les machines le temps que neuf heures sonnent, puis j’ai continué au bistro pour débuter ma journée de travail.
Même pas deux heures, et je sens un filet de sang couler de mes jambes. Pourtant la semaine passée je n’avais presque pas saigné. Je me rends aux toilettes et mon cœur se comprime à la quantité de sang qu’avait absorbé mon tampon ; une partie avait de surcroît débordé dans mon slip. Conne comme je suis, je n’ai pas pris de tampon, ni une serviette de rechange, ne m’attendant pas à revivre ça. Je n’ai pas le choix que d’approcher le responsable du jour et lui expliquer avec à l’appui la note médicale de l’OB que j’ai revu à Paris, confirmant que j’ai vécu une fausse couche il y a trois semaines de ça. Fort heureusement, il ne me questionne pas plus et je fonce direct sous la douche dès que j’entre à la maison.
J’entendais mon téléphone sonner sans arrêt, mais aucune force pour sortir du bain chaud qui me réconfortait tandis que le sang continuait à couler doucement d’entre mes jambes. Je sors uniquement quand le saignement s’arrête, mais le téléphone non. C’est Hadeya, encore. Elle ne cesse d’appeler depuis que je suis rentrée à Paris. Au bout du je ne sais plus combien appel je décroche finalement. Et elle me répond, d’une voix enrouée, encore.
-salut
-Snif Vita ? Tu vas bien aujourd’hui ?
-bien comme je t’ai dit ce matin
-Il est déjà midi, snif, je venais vérifier que tu…bref, tu fais quoi ?
-Rien d’intéressant, et toi ?
-je regarde bouba l’ourson
-hadeya, soupirai-je
-Bah parce que moi je suis trop confuse, sanglote-t-elle, comment ça se fait que le gynécologue en France n’ait pas pu expliquer les raisons de la fausse couche ?
-ce sont des choses qui arrivent
-Oui maiss, sniiifff, pourquoi toi alors ? En plus tu n’étais pas malade. Il doit y avoir une raison. On doit comprendre tu sais pour
-hade…
-Pour l’avenir, continue-t-elle, ils doivent te faire des examens approfondis. Je le dis parce que ma mère a dit que…
-tu l’as raconté à ta mère ? quand je t’ai demandé de le garder pour toi ? demandai-je décontenancée
-je…je suis désolée, j’étais trop triste, elle m’a cuisiné et…
***Henrique Andrade***
Avant même d’introduire la clé dans la porte de l’appartement j’entendais Vitalia, hurler et gronder quelqu’un avec rage. Je me presse d’ouvrir et un bruit sourd me revient. J’accours et la trouve au sol, recroquevillée sur elle et en sanglots. Je manque de marcher sur son téléphone dont l’écran est totalement brisé
-Bobo qu’est-ce qui se passe ? tu t’es fait mal ? m’enquis-je alarmé
-païïïïïï, hoquète-t-elle
Le reste est si embrouillé que je n’y comprends rien. Avec beaucoup de mal, je l’emmène au lit et j’appelle de l’aide
-tiens bon bobo, paï appelle les secours, la rassurai-je le temps qu’on me réponde
-tu avais raison paï, je suis tellement une andouille, je me pensais prête, mais je n’ai même pas compris que j’étais enceinte. Au lieu de prendre soin de moi, j’ai passé mon temps à fumer et boire, résultat, plus de bébé. Il y a juste moi, un semblant de mère incompétente, qui en plus crie sur son amie qui ne veut que l’aider. Paï qu’est-ce que je dois faire ? J’ai l’impression de mourir à petit feu, me dit-elle avec un air si anéanti que mon téléphone a glissé de ma main, et je me suis laissé tomber sur le lit, sans forces.
Je m’étais préparé dans ma vie pour divers scénarios. Vitalia est une enfant imprévisible après tout donc je la voyais sans difficulté m’annoncer un beau matin qu’elle quittait la France pour Ibiza avec ses amis, faire le tour du monde avec pour seul bagage un sac à dos, ou encore se faire prendre par la police avec Marcia, pour trouble à l’ordre public. Rien d’étonnant venant de mon ex-femme. Ce à quoi je n’étais pas préparé c’était que ma fille tombe enceinte sans avoir fini ses études. Elle m’avait certes présenté un copain durant sa licence, mais la relation s’est arrêtée, à cause de différences concernant leurs disponibilités. Depuis elle est restée seule et lorsqu’elle vivait avec moi je m’assurais de lui mettre des limites. Je n’étais pas pour qu’elle fasse une pause et retourne à Lille au lieu d’enchaîner avec son master. L’une des raisons, je pense c’est que je m’inquiétais qu’elle s’amuse un peu trop. Mais certainement pas qu’elle revienne avec une grossesse. Encore moins qu’elle la perde et se blâme avec des mots que j’ai prononcés dans la colère.
J’ai appelé Marcia, pour qu’elle vienne dès qu’elle pourra. On ne s’est pas souvent entendu sur beaucoup, mais il s’agit de notre fille actuellement et nous n’avons qu’elle comme trésor. Elle a passé la nuit dans ma chambre. Ses larmes ont cessé assez tôt, mais son regard était vide, absent de chaleur et d’émotions.
-paï est désolé bobo, tu sais que je peux dire des bêtises quelques fois, confessé-je
-ce n’est pas ta faute
-Ce n’est pas la tienne non plus meu anjo. Tu es jeune, ses vilaines choses arrivent aux femmes. Mãe ne t’a pas raconté son expérience ?
-elle aussi a perdu un bébé ?
Je hoche tristement la tête avant de lui raconter ce qui s’est passé avec la grossesse avant la sienne puis après elle. C’est un sujet douloureux pour Marcia, donc pas étonnant qu’elle ne lui en ait pas parlé et nous avions décidé après la troisième expérience infructueuse de ne nous contenter de Vitalia. Sa mère est arrivée le lendemain, un dimanche. Nous nous sommes assis en famille pour écouter Vita nous raconter ce qui s’est passé depuis le voyage avec son amie.
-Et pourquoi ne m’avoir rien dit Vi ? On se parlait au quotidien quand même, lui reproche Marcia
-Dans un premier temps j’avais l’impression que mon monde s’écroulait et je refusais de le verbaliser, puis quand le deuxième OB a confirmé le résultat du premier recommandant aussi un curetage, j’ai commencé à me sentir coupable, et j’avais peur que vous me rappeliez ma négligence. Je n’aurais pas trouvé la force de me lever, d’aller étudier si je lisais la déception sur vos visages.
-Jamais je ne pourrai être déçue de toi Vi. Tu excèdes les attentes que j’avais pour toi. En plus j’ai traversé ce que tu vis actuellement, et comprends mieux que quiconque tes raisons, lui dit Marcia après l’avoir pris contre elle
-Même si je suis fâché et déçu, je ne peux pas te fermer mes bras si tu vas mal bobo. Ne pense jamais que tu dois porter ta peine seule. Tant que je serais en vie, je ferais tout pour te protéger, tu ne vas pas mourir, on va traverser cette mauvaise passe ensemble, rajoutai-je après les avoir enlacés tandis que des larmes silencieuses tombaient de ses yeux fermés.
Marcia avait pris un congé d’une semaine donc elle est restée au chevet de Vitalia lorsque j’ai repris le travail. J’ai refusé qu’elle quitte le lit. Les cours attendront ainsi que son travail. Au bout du deuxième jour, les saignements n’avaient toujours pas cessé. Je n’aimais pas cette situation, donc j’ai appelé son gynécologue, une connaissance, qui fort heureusement m’annonçait qu’elle était rentrée de vacances hier et quelqu’un avait annulé son rendez-vous du lendemain.
-paï j’ai pas envie de sortir, rouspète-t-elle après que je lui ai répété pour la deuxième fois qu’on doit sortir de la maison dans une heure
-ce n’est pas normal que tu continues à saigner, allons voir ce qui se passe
-Mais je t’ai expliqué que c’est le fœtus que mon utérus évacue. Je ne veux pas faire de curetage. Mãe dit lui toi
-les fausses couches naturelles prennent du temps Henrique
-Alors on va lui donner quelque chose pour accélérer le processus parce que ça n’aide pas ton moral de rester dans cet état. En plus c’est avec ton gynécologue donc on aura un meilleur suivi
Elle maugrée, soupire, traîne des pieds et reçoit même le soutien de Marcia, mais les deux ne sont pas de taille face à ma détermination. Ma fille ne va pas souffrir indéfiniment. On finit cette consultation et nous passerons à autre chose.
***Arthur Sodji***
J’ai dû reporter mon voyage à Lomé à cause de la charge massive de travail qu’on avait sur les bras. N’ayant pas vu les Adamou depuis belle lurette, j’ai passé noël avec eux avant de m’envoler pour Lomé où je suis actuellement cloué au lit, merci à la fièvre typhoïde pourtant je suis vacciné.
-je vais sortir quand ? demandai-je à l’infirmière qui venait voir l’avancement de ma perfusion
-ne lui prête aucune attention, il se prend pour une machine
-maman Hana, me plains-je
-être grincheux n’accéléra pas ton état mon garçon, l’infirmière ne t’a rien fait et parfois Dieu passe par des moyens douteux pour te faire entendre ce que tu avais refusé d’entendre lorsqu’il avait utilisé la manière douce
-dis simplement que tu es contente de me voir rester plus longtemps à Lomé
-Pourquoi je vais le cacher, dit-elle avec un sourire. Deux ans que j’ai faits sans te voir au nom du travail donc j’en profite
La porte est ouverte timidement et Jennifer fait son entrée avec sa bonne humeur et un panier à la main.
-pitié dis-moi que tu m’apportes un plat super épicé
-À 8h ? rigole-t-elle. Bonjour maman Hana
-bonjour, dit-elle du bout des lèvres
Heureusement Jennifer ne s’en formalise pas. Sa pêche est en haut et j’ai l’eau à la bouche dès qu’elle ouvre son panier. Elle me pose une glacière de macaronis aux gésiers frits et s’apprêtait à me nourrir quand maman l’arrête
-je vais le faire, tu peux poursuivre tes activités
-non ça va je m’en occupe, va te reposer maman, affirme Jen
-Quand est-ce que j’ai dit avoir besoin de repos ?
-Maman hana, interviens-je, quand on est à la retraite, on ne continue pas à venir au travail comme les employés hein. En plus je suis sûr que tu manques à papa Auxanges
-J’ai compris, après t’avoir nourri et tenu compagnie, aujourd’hui tu me chasses pour des macaronis. Merci bien, je vous laisse entre jeunes
-comme on sait tous les deux que tu ne crois pas à tes mots, il ne me reste plus qu’à te souhaiter une bonne journée et on se voit demain
-Bonne journée maman, lui souhaite aussi Jen. Elle nous fait un au revoir de la main avant de s’en aller, et nous laissons le rire que chacun retenait
-est-ce qu’on se moque aussi de sa belle-mère ? taquiné-je Jen
-pardon mange, le sujet là nous dépasse tous les deux
Je mange avec appétit et sans retenue. En plus d’une femme douce, c’est un cordon bleu que Romelio a trouvé. Les doigts de fée de Jennifer sont tellement connus dans notre entourage qu’un collègue de Romelio lui a proposé d’approcher les chaines de télé afin d’obtenir une place pour une émission de cuisine. Vu qu’elle écrit actuellement un recueil de recettes, l’émission sera un bon tremplin pour propulser son recueil. En dehors de ça, la fille est au four et au moulin, portant bien le surnom de Mrs Ceo que lui a donné mon frère.
La perfusion prend fin en même temps que je finis mon plat et comme le médecin m’autorise à faire quelques pas, Jen m’emmène dans le jardin prendre de l’air.
-si tu as des activités tu peux t’en aller hein, je rentrerai seul
-Oh non, j’ai encore du temps, alors tu te sens comment ?
-Ennuyé et vidé. Le travail me manque
-phrase typique d’un accro au travail, se moque-t-elle
-Regarde qui parle, madame je lance plusieurs activités à la fois. Tu en es où avec l’ouverture du snack bar d’ailleurs ?
-Acheter un terrain dans ce pays hein mon cher, je suis dépassée. Avec ce qui est arrivé à tonton Magnim, Romelio préfère qu’on soit extra prudent. Mon ami Eben, un avocat spécialisé en droit de propriété, prévoit rentrer à Lomé le mois suivant. Il nous accompagnera pour l’acquisition des lieux, afin qu’on évite les faux plans
-n’oublie pas hein, c’est moi qui gère le plan
-même si j’essayais, tu n’allais pas me laisser oublier, rigole-t-elle
-j’ai entendu ce rire, et je me suis dit c’est ma femme ça, annonce Romelio avant d’apparaitre
Le sourire de Jennifer est instantané. Elle saute sur ses pieds et noue ses bras autour de son cou avant de l’embrasser.
-tu as pu te libérer
-J’ai menti qu’il me fallait vider en toute vitesse ma vessie. Bandit tu n’es pas encore mort hein, c’est bien continue
-Dégage, dis-je amusé tandis qu’il s’installait à ses côtés et prenait de mes nouvelles, comme s’il n’est pas passé ce matin avant de commencer sa journée. Elle à côté buvait ses paroles, l’admirant comme s’il était la plus belle chose que ses yeux aient vu, tandis qu’il gardait sa main dans la sienne durant notre échange, et la faisait intervenir de temps en temps.
Si ses deux savaient comment ils m’inspirent. C’est peut-être bête à dire, mais avant eux, la seule image positive des couples que j’avais était des gens dans la quarantaine, dont les parents de Romelio, quelques-uns avec qui j’ai vécu en cour commune au village puis bien sûr les autres couples dont celui de tonton Tao, et Eli quand je les ai rencontrés. Inconsciemment j’ai intériorisé que la vingtaine jusqu’à 35 ans c’est pour travailler, gagner de l’argent et bien s’amuser. Ce n’est qu’après qu’on se met en couple pour fonder une famille. Mais tout ça, c’était avant que je côtoie le couple Bemba Junior. J’ignorais qu’on pouvait aimer, être dévoué et complices dans la vingtaine. Depuis leur retour, ils ont l’air d’être sur un nuage. Jennifer dont je suis proche m’a confié qu’ils s’étaient promis de tout régler entre eux, sans faire intervenir leurs familles respectives, quelque soit le problème. Et je dois avouer qu’ils donnent envie quand on est en leur compagnie. C’était même prévu que je finisse mes congés chez eux avant cette foutue maladie, mais bref, ce n’est que partie remise. Je vais me remettre, et un jour je formerai mon couple solide avec Leah Note. OK j’ai sauté du coq à l’âne, mais ce sont les émotions, il faut me comprendre.
Les deux m’aident à retourner dans ma chambre et comme d’hab, Elio me rappelle que je n’ai pas intérêt à mourir d’ici qu’il se pointe en soirée.
Non seulement je reste en vie, mais je me remets si vite, que le médecin me permet de quitter l’hôpital un peu plus tôt. Le jour où je sortais, j’ai cru voir une dame ressemblant à ma tante Germaine, mais le temps que je rattrape la personne, elle n’était plus là. Quand j’étais en France, je lui avais fait signe quelques fois et envoyé de l’argent pour la dépanner. Mais elle n’a pas répondu quand je l’ai prévenu que je rentrais et j’aimerais la voir.
Je me rends enfin chez les Bemba Junior, après une éternité à sentir l’odeur de l’alcool et des médicaments.
-pétez le champagne, le petit chef est là, lançai-je joyeusement
-Regarde quelqu’un, tu veux fêter quoi avec tes joues creuses là ? hey Jennifer, je ne suis pas dedans avec vous si on demande, prévient-il sur un ton faussement alarmé quand elle sort la bouteille de champagne
-c’est juste un petit coup chéri, on célèbre l’année en retard petit chef
-heureusement que tu es là pour lui apprendre les choses madame, blaguai-je après avoir pris la coupe remplie de façon raisonnable pour moi
-Bande de saoulards, bonne année à vous, ne me fatiguez pas trop cette année et je vous aime, lance-t-il et nous toastons tous les trois
Comme j’ai dit chez Jennifer on mange bien et ce soir n’est pas une exception. Les grillades sont au rendez-vous. Je me lèche les doigts et les babines. Romelio jure qu’il a commencé son régime de l’année pour éviter le poids qui vient avec la trentenaire donc il évite tout ce qui est friture, pourtant sa main ne cesse d’aller vers le porc. Je lui rappelle que c’est le gras par excellence. Il me rappelle que c’est sa maison et il peut me jeter dehors à n’importe quel moment. L’ambiance bonne enfant continue et je leur parle enfin de Leah dans les détails, et leur montre une photo.
-mais mais, s’écrie Romelio, tu m’aimes tellement que tu t’en vas chercher un membre de ma famille ?
-Famille ? Laquelle ? ne me dis pas qu’à cause des liens familiaux je ne peux pas la draguer, cette fille détient déjà mon cœur pardon
-ah ça, fallait nous dire depuis que c’était Leah non, on aurait évité le long discours concernant l’argent
-je n’étais pas sûr à l’époque et la grosse bouche d’Ida avait précipité les choses, mais je te confirme maintenant que dans deux ans, je travaille pour nous emmener au stade supérieur
-Les choses que j’aime entendre. Y’a aucun blocage dans la famille, prend moi ça bien et comme il faut
-Toi aussi chéri, c’est quel conseil ça ? rigole Jennifer
-laisse, c’est comme ça qu’on se comprend entre gars, répond-il avec humour
-C’est bizarre et drôle quand même, dis-je. J’ai longtemps parlé de toi, mais jamais elle n’a creusé bien qu’elle sait que je suis togolais
-Tu m’as appelé Elio non ? Elle est d’abord la fille de ma tante paternelle, en plus ils m’appellent Rome ou le chef, depuis. En plus nous ne sommes pas si proches. Je suis plutôt habitué à Kristina
-Et si on l’appelait ? on pourrait lui faire une surprise ensemble, propose Jen
-Tu es partant Arthuro ?
-et comment, dis-je amusé à la tête qu’elle va faire
Jennifer donne à mon frère son téléphone et je lui remets le numéro de Leah. Je me cache comme Jennifer me conseille, le temps qu’elle décroche.
-On n’appelle pas les gens sur vidéo comme ça Elio, elle ne va pas décro..
Je n’ai pas fini la phrase que ma belle a décrochée et sa voix mélodieuse remplit la pièce quand Romelio se présente. Les deux en bons Congolais se parlent direct en lingala, comme si on comprenait quelque chose avec eux. J’allais m’avancer quand j’ai entendu un « chéri attend. » D’elle.
-Romelio, je peux te rappeler s’il te plaît ? Mon gars vient de rentrer
-euh….ton..ton gars ?
-Oui, je vais sauvegarder ton numéro et te rappeler. Toni j’arrive bébé, dit-elle avant de s’empresser de raccrocher
Je sens brusquement le vent souffler sur ma peau ainsi que mon cœur battre dans mes oreilles.
-qu’est-ce qui vient de se passer ? demande Jennifer avec incrédulité
***Leah Note***
Tout va bien pour moi. Toni est passé me chercher pour qu’on passe le week-end ensemble, je devrais me réjouir, mais j’ai constamment cette crainte dans le bas ventre. Une crainte que quelque chose de terrible va m’arriver. Je sursaute dès que je sens la main de Toni sur moi.
-écoute on peut annuler si tu es si nerveuse
-quoi non non, m’empressé-je de dire
-Tu n’es pas du tout dans ton assiette, j’ai à peine effleuré ta cuisse que tu voulais sauter en avant comme si quelqu’un voulait te tuer. Qu’est-ce qui t’arrive ?
-rien c’est…euh…le stress, je n’ai jamais fait tout un week-end avec un homme avant
-Donc on annule ou ?
-jamais, dis-je avec conviction
-il ne faudra pas me donner un coup dans les couilles là-bas si j’essaie juste de te faire un câlin hein, blague-t-il
Je me calme. On va juste faire trois jours à Rouen, pas besoin de paniquer. Nous allons nous câliner, et échanger quelques baisers, mais il sait déjà que je tiens à garder ma virginité. Je n’ai eu le courage de mettre qu’un grain de sel dans l’arôme maggi de Vitalia, donc il n’y a rien à craindre. Sa récente absence n’est pas présage de malheur. Il doit y avoir une raison bien logique derrière. J’écris une dernière fois à Garcelle pour qu’elle me confirme ce que ce sel est supposé faire.
***Garcelle Ekim***
-Ce n’est qu’un sel supposé l’éloigner de moi donc vu que tu es ma belle-sœur c’est un peu normal qu’elle s’éloigne aussi de toi non ? nous sommes une famille après tout, réponds-je à Leah avant de me lever et sautiller de joie
quelque soit ce qui s’est passé, cette fille commence petit à petit à tomber dans les oubliettes, c’est l’essentiel. La nervosité m’avait fait utiliser tout le restant dans le bouillon que j’ai renversé du coup Thierry n’en a pas pris, mais ce n’est pas plus grave. Tant qu’elle est loin de nous, c’est l’essentiel.
Parlant du loup, je m’en vais justement à sa recherche. J’étais au salon, lui dans la chambre en pleine discussion avec sa mère.
-Thierry, tu veux sortir faire un tour ? demandai-je avant d’entrer
Je le trouve assis sur le lit, la confusion plein le visage, ce qui m’alarme directement.
-Il y’a un souci avec maman ? Thierry ? le secouai-je après l’avoir rejoint
***Thierry Henry Ndouo***
Vita était réellement enceinte, elle allait mettre au monde mon enfant et là il est mort. J’ai vu le message en pleine discussion avec ma mère. J’essaie de sortir les mots, face au visage rempli d’inquiétude de Garcelle. Mais je n’y arrive pas. Ma poitrine est trop comprimée. J’avais un enfant dans la nature et il n’a pas survécu. Je n’ai pas réussi à le protéger.