79: Game Over
Ecrit par Gioia
***Thierry
Henry Ndouo***
La dernière chose que je
veux c’est me déplacer. Maman me jure qu’elle va bien, mais Vieira m’a dit
qu’elle perd ses couleurs. Pour mon petit frère, la raison c’est son départ
imminent à Kinshasa. Il n’a pas encore reçu l’admission à l’Institut Supérieur
des Techniques appliquées, mais nous avons confiance que bientôt il sera parmi
les étudiants de cette école. Donc il croit que maman déprime parce qu’elle va
se retrouver seule. Mais je sais que la peur qu’il s’éloigne et peut-être ses
géniteurs le retrouvent y est pour beaucoup. Elle me demande régulièrement, si
les gens là ont essayé de rentrer en contact avec moi. Je la rassure, mais loin
comme je suis, mes mots ne l’atteignent pas. Je ne sais pas comment la mettre
en confiance, que je n’accepterai aucun parent en dehors d’elle. Une partie
sorcière de moi essaie quand le sommeil me fuit, de se demander à quoi
ressemblent ses gens qui m’ont laissé. J’ai bien dit une partie sorcière, mais
je m’emploie à la tuer régulièrement. On ne m’a pas enseigné l’ingratitude donc
hors de question que je commence à l’être en passant derrière ma mère pour me
rapprocher de quelqu’un d’autre.
Je n’avais pas forcément
envie de me déplacer aujourd’hui, mais Garcelle veut absolument qu’on fasse
ensemble les visites d’appartement parce qu’elle a obtenu le poste à Marseille,
donc en tant que copain qui soutient sa copine, j’ai dû ravaler mon ressenti et
bouger avec elle.
Lille Marseille en TGV
c’est loin putain. Nous avions pris un train en matinée, espérant arriver avec
un peu d’énergie, mais je n’avais aucune envie de mettre le pied dehors une
fois que mon cul a touché le lit de la chambre d’hôtel.
— On serait bien ici
non, dit-elle après être tombée à mes côtés
— Par bien, tu veux
dire vivre ici ? Parle pour
toi hein. Qui va se casser le dos à faire les longues distances là ?
— Pourquoi tu ferais
le trajet si on vit déjà ici ?
— Tu es bête ou tu
le fais exprès ? Lucille vit
à Lille, je te signale
***Garcelle Ekim***
L’humeur de Thierry reste
exécrable en dépit du temps qui s’écoule, et le pire c’est qu’il me lance des
phrases comme cette dernière sans réfléchir. Au lieu de m’emporter cette fois,
je garde le silence et lui tourne le dos. Demain, il va être bien secoué donc
je préfère ne rien remuer ce soir et risquer qu’il refuse de m’accompagner demain.
Normalement, j’avais prévu attendre les instructions de mon père une fois
qu’Ida aurait reçu les résultats du test ADN, mais les suspicions de mes frères
m’ont fichu la trouille. Mon ventre ne cessait de se tordre toutes les fois où
il revenait sur ses hypothèses, et les deux autres semblaient y prêter
attention. Je me suis bien sûr empressée d’avertir papa, mais ce dernier a
minimisé mes révélations, prétextant que c’est mon côté féminin qui me fait
trembler, sinon il n’y a rien.
Je ne partage pas son avis. Parce que si son
plan foire, ce sont nos vies entières qui seront affectées donc j’ai planifié
ce voyage sans le prévenir. Je ne veux pas faire partie du rang de celles qui
jouent aux confiantes et finissent par se manger une honte immense comme le monde,
parce que c’est assurément ce qui arrivera si les manigances de papa sont
découvertes. Non seulement il risque de perdre la confiance de ses clients,
mais aussi nous serons la risée de la ville pour les millénaires à venir. Et non
je n’exagère pas.
J’espère que par cette rencontre, la famille
de Thierry lui donnera vite son héritage et vu que j’ai commencé un traitement
de fertilité, nous pourrons sceller au plutôt notre union par un enfant ainsi
qu’un mariage. Et papa pourra libérer Ray de ses filets pour que je dorme sur
mes oreilles. On n’a pas idée d’aimer l’argent facile comme ça. Franchement,
j’ai décidé que si on s’en sort, je ne vais plus planifier ma vie sur les sous
d’autrui. Le stress là est trop pour moi.
Je m’assoupis quand le
corps de Thierry se rapproche du mien et sa main entoure ma taille pour me
coller à lui. Il ne dit pas un mot en revanche. « Seigneur attendrit son cœur comme le bœuf des blancs oh, je t’en prie, aie
pitié, je ne suis pas digne, mais cette fois seulement, fais-moi grâce » priai-je dans mon cœur, avant de me retourner
vers son torse et me coller contre sa chaleur.
Le lendemain je n’ai pas
réussi à avaler un morceau. J’ai dosé l’eyeliner et le fard à paupières pour
que mon air effrayé ne paraisse pas.
— Tu es apprêtée
gué, c’est maintenant l’interview ou comment ? il me taquine
— C’est l’été j’en
profite, dis-je avec un sourire que j’espérais normal
— En tout cas,
heureusement que je suis là, pour surveiller ton type là, allons-y
— Ce n’est pas mon
type, mais mon futur formateur, m’expliquai-je pendant qu’on s’engouffrait dans
l’Uber en direction du domicile d’Ida comme prévu
— Depuis quand un
formateur sert de guide touristique ? Son nom
c’est l’ange Gabriel ?
— Tu es con,
répliquai-je après un léger rire nerveux. Il sait que je viens de loin et il se
fait que sa femme est propriétaire d’un bloc d’appartements donc il essaie de
me placer là. Tu sais qu’on dit que les gens du Sud sont hospitaliers non ?
— En tout cas, je
suis là, si jamais il te proposait son aide pour te draguer en douce, il va mal
taper poteau
— Tu es vraiment
con, répétai-je amusée et un peu heureuse qu’il démontre encore de la jalousie
pour moi
— Pour hier,
commence-t-il en prenant ma main, mais je le réduis au silence par un baiser mouillé
— On n’en parle plus
bébé. Je comprends que tu ne veuilles pas faire de longue distance pour voir
Lulu
— Elle commencera la
crèche dès qu’elle aura un an donc bientôt, donc nous pourrons nous organiser
pour que je vienne te voir régulièrement
— Je t’aime toi, si
tu savais, je t’aime, dis-je émue et c’est lui qui m’embrasse cette fois
C’est l’esprit plus
serein que je pose ma tête sur son épaule tandis qu’on se rapproche de notre
destination.
***
Nous y sommes. Je
descends avec confiance tandis qu’il vérifie que la course est payée sur
l’application.
— Eh ben, dit-il
après avoir sifflé, y’a l’argent dans écologie comme ça ?
J’observe moi-même le
quartier, d’un œil admiratif. Résidence proche de la mer de couleur crème qui
me rappelle légèrement dans sa construction, les anciens châteaux grecs, et qui
donne probablement une superbe vue depuis le balcon. Je rigole en réponse à sa
remarque et prends sa main pour nous diriger vers le portail puis sonne.
— Han en plus, ils
ont piscine quoi, c’est l’écologie que je devais étudier, continue-t-il de
commenter après qu’une voix féminine ait crié depuis l’intérieur « Asad, je vais percer ton ballon si tu le shootes
encore dans la piscine »
— Haha, il n’est pas
trop tard
— Ce n’est pas cette
année que l’université reverra mes p…
Un ballon vole par-dessus
la clôture. Des bruits sourds résonnent et la poignée est de la porte d’entrée
bouge tout d’un coup, ce qui me fait reculer brusquement et cogner
maladroitement Thierry au passage. Un petit métis apparaît quand on ouvre et il
nous fixe, d’un air confus.
— Euh vous êtes
perdus ? il nous interroge
— Non, me repris-je
après un léger coup de coude de Thierry, mais le reste de ma phrase ne sortira
jamais
Un des papas qui était au
dîner de présentation apparaît après avoir hélé le petit garçon par son nom, « Bobby ». Il se fige
sur place et l’air autour de nous s’alourdit automatiquement. Je me retourne
petit à petit, pour voir Thierry, mais un bruit ramène subitement mon attention
sur le monsieur.
— Tonton Tao, tu vas
te faire mal, crie le petit Bobby au papa qui marche titube vers nous, marchant
sur des tessons de la bouteille qu’il avait échappée
J’étouffe aussi un cri,
choquée par le fait qu’il se blesse, mais ne semble pas s’en rendre compte. Il
bégaie des mots dans une langue qui m’est inconnue et s’avance fébrilement
comme s’il allait perdre contenance bientôt.
***Ida Adamou***
— Papa, je hurle
d’effroi après être sortie de ma chambre, car alertée par ceux de Bobby
— Laith…, Ida c’…. c’est…
Allah a éc…outé… nos… prièr..es… Laith, bégaie-t-il après s’être retourné vers
moi, le visage inondé de larmes et le nez coulant
Je fonds en larmes et
fais à peine un pas vers mon papa qu’on entend la voix de maman qui était au
sous-sol
— Non, dis-je la
voix déchirée par l’émotion, mais elle est déjà là, et son visage perd toute
émotion pour j’ignore combien de temps quand elle voit la scène devant nous
Contre toute attente, un
rictus se forme sur sa face. Elle retourne petit à petit la tête et le regard
pétrifié qu’elle pose sur moi me fait regretter mon choix. J’aurais dû leur
dire depuis que j’ai reçu les résultats de ce test ADN, soit quatre jours plus
tôt. Mais au moment de le faire, j’ignorais concrètement comment, surtout que
Garcie ne m’avait confirmé sa venue que la veille de notre rencontre actuelle.
J’aurais définitivement dû les préparer. Papa ne serait pas en train de
s’écorcher la peau sur des tessons de bouteille bien que je le retienne par le
bras et le supplie d’arrêter. Je me tourne vers mon frère qui est tout aussi
retourné par la situation. Son visage est déconfit, sa bouche ouverte et bouge,
mais aucun son n’en sort. Garcie essaie de l’encourager, mais il a l’air
uniquement présent de corps et ne fait que nous fixer.
— Je t’en supplie
Laith, dis-nous…
— Laith, mon
champion, dit papa simultanément avec la main enfin proche du visage de mon
frère, mais ce dernier fait un bon brusque en arrière, et nous regarde avec
peur
— Seul mon père a le
droit de m’appeler son champion ! il nous
crache au visage
— Ton père c’est
celui qui se tient devant toi ! je lui
crache en retour, le souffle coupé par la rage et la blessure. J’agrippe fort
la main de papa et prie que son esprit ainsi que celui de maman étaient assez
embrumés pour manquer ce que Laith vient de dire
— Foutaises ! Je n’ai aucun lien avec des irresponsables qui
abandonnent les gens, vocifère-t-il avant de se tourner vers Garcelle, la
dévisager comme un taureau enragé devant un matador, tandis que cette dernière
reculait au point de buter contre le mur et le suppliait, puis il nous quitte
comme si nous n’étions rien.
Blessée et enragée par sa
réaction, je le suis et hurle en retour.
— Des irresponsables
ce sont ceux qui volent les enfants des autres après avoir fait la pute pendant
des années…
L’air manque soudainement
à mes poumons et je me sens paniquer quand je me rends compte que mon frère est
en train de m’étrangler. Les voix de papa, Bobby et Garcelle m’arrivent aux
oreilles comme des bourdonnements et il me lâche aussi brusquement qu’il m’a
pris par surprise. Il recule avec un air d’effroi, regarde ses mains comme s’il
ne s’est pas rendu compte du geste qu’il venait de poser et sans un mot il
s’enfuit à la course. Garcelle crie son nom, tandis que je tousse et papa me
tapote le dos.
— Papa, il y a maman
qui a fait pipi sur elle, s’écrie mon frère depuis notre devanture
***Macy Wiyao***
Je suis un peu
rancunière, et franchement je m’en fous. Si Seb ne voulait pas de moi avec mon
look, ce n’est pas ma famille qui allait me refuser donc j’ai écourté mon
séjour à Nairobi sans l’avertir et suis descendue à Lomé. J’ai du temps en
masse parce que je débute techniquement un nouvel emploi à la fin de l’été et
mon contrat précédent avait pris fin quelques jours avant que je m’envole pour
Libreville.
Rien ne se compare au
sentiment d’être parmi des gens qui n’ont pas besoin qu’on soit les plus beaux
ou modernes pour tenir à nous. J’ai passé la veille couchée sur les cuisses de
mon père qui me caressait les cheveux tandis qu’on discutait tous les deux avec
tata Hana. Le lendemain, maman et moi avons pris une journée entre filles.
Direction le Spa d’Océane, qui était aussi beau que ce que les photos sur leur
compte Facebook montraient. Nous sommes tombées avec surprise sur son ancienne
secrétaire Emily, qui s’est avérée plutôt professionnelle et courtoise. En gros
tout le contraire de ce qu’elle affichait quand elle travaillait pour maman. En
tout cas, elle nous a donné envie de revenir, ce que je me suis promis de faire
régulièrement avant de rentrer. Et bien sûr, je narguais Aurore avec les
photos, parce que le travail là gère là-bas. À chacun son tour chez le
coiffeur, comme elle m’a fait pareil quand elle est rentrée l’an dernier hein.
Je visite pour la
première fois les locaux de TVT, la chaîne nationale, où Jennifer anime une
émission de cuisine de quarante-cinq minutes, chaque jeudi. Dire qu’elle est la
fierté de la famille, c’est un euphémisme. Papa enregistre tous ses passages et
j’avoue qu’elle ressemble à un poisson dans l’eau sur scène. Je me mets un peu
en retrait, le temps qu’elle finisse avec son producteur puis, elle me rejoint.
— Tu es sûr que tu
ne veux pas passer dans l’émission ?
— Oh non, je vais te
déranger
– Même pas. Ma tante
l’a fait deux fois avec moi et je t’assure, tu ne pourras pas me déranger plus
qu’elle, ironise-t-elle et je pouffe de rire, imaginant bien la scène. Il
faudra que je fouille dans les enregistrements de papa pour voir ça de près.
— Je vais quand même
passer mon tour et admirer l’artisan à l’œuvre, réitérai-je
— Je n’ai totalement
pas la pression hein madame, se marre-t-elle avant de rejoindre le plateau et
la magie débute
Trois heures plus tard,
nous quittons enfin les studios de la TVT. Je continue à m’étonner du fait
qu’une émission qui ne dure même pas une heure demande autant de préparations,
et elle se moque que je n’ai vu que le post enregistrement ça. Vu qu’il est
presque treize heures et elle doit rencontrer un avocat, nous nous rendons dans
son snack-bar qui se trouve à Casablanca, non loin de 3.M.A, l’agence de
transports de maman.
Le premier que je croise
dès qu’on entre dans l’établissement, c’est Axel, un stagiaire de maman avec
qui j’ai pas mal sympathisé depuis mon retour. Il est accompagné de..
— Toujours ponctuel
Mr Tountian, dit gaiement Jennifer à l’homme accoudé au bar avec Axel
— Il faut l’être
quand on rencontre une femme occupée comme toi, tu es en beauté, lui répond
l’homme sur un ton appréciatif après lui avoir fait la bise
– Beau parleur va.
Je te présente…
— Macy, il
l’interrompt avec un air amusé. Axel a prononcé son nom dès qu’il l’a vu
— Yo, grogne-t-il
avec un sourire gêné
— Excusez ma bouche
légère, ironise-t-il avant de se présenter à moi et nous nous mettons à table
J’apprends pendant qu’on
passe commande que c’est à lui que Jennifer a demandé de l’aide pour le litige
de terrain que vit mes parents comme l’avocat actuellement sur le dossier
avance à pas d’escargot. C’est fou comment ils nous disent de ne jamais rien
leur cacher mais ils m’ont gardé dans l’ombre pendant des années concernant
leur situation financière. Ce n’est qu’après ma licence en poche qu’ils m’en
ont parlé. Je comprends l’intention, mais quand même. Tu ne peux t’empêcher de
te sentir mal pour eux. La discussion découle naturellement sur les réalités du
marché immobilier à Lomé actuellement et je suis tellement captivée par les
arguments d’Eben et d’Axel. Et c’est en plein débat que le dernier décide de
nous fausser compagnie, après avoir récupéré sa commande à emporter parce qu’il
doit retourner à l’agence.
— Mais il n’est que
13 h 30, protestai-je avant de me rendre compte que je l’ai fait. Et
me voilà gênée devant les faces surprises et amusées des deux autres. J’allais
m’excuser pour l’intrusion, mais Axel me devance
— J’aimerais finir
la rédaction d’une proposition commerciale pour madame d’ici demain donc je…
— Tu n’as absolument
pas besoin de t’expliquer, c’est le bavardage qui a parlé tout à l’heure
— ça ne me gêne pas,
réplique-t-il avec ce petit sourire gêné que je commence à lui associer. Eben,
on se call ?
— Sans faute, je passerai
voir ta patronne la semaine prochaine de toute façon
— ça marche. Au
revoir Madame, il dit à Jennifer, puis j’ai droit à un bye Macy, dit avec
douceur.
Il n’a pas de voix
rauque. En tout cas, pas comme on s’imagine qu’un homme de son âge…, merde il a
d’ailleurs quel âge ? Je fous quoi
à mater la façon dont son pantalon en tissu moule ses fesses ? Ce n’est pas comme s’il était musclé ou…,
quelqu’un toussote et me tire de ma rêverie.
— J’ai un copain, me
défendis-je automatiquement
— Mais… qui a dit quoi ? me questionne Jennifer avec un air moqueur.
L’embarras chauffe mon cou jusqu’aux oreilles et je m’empresse de boire à
goulot mon haut ainsi de croquer les glaçons pour noyer cette chaleur
étouffante de Lomé.
***Axel Sani***
J’ai lu quelque part, qu’il
y’a des rencontres qui sont prédestinées. Je ne peux pas classer celle entre
Macy et moi dans cette catégorie mais elle n’en est pas moins bouleversante. Nous
avons fréquenté le même collège et je l’ai croisé quelques fois à la va-vite,
mais notre rencontre au terrain de jeu des Laré Aw reste l’événement marquant
dans ma mémoire. Tandis que tous les autres jeunes s’excitaient et sautaient,
elle était tranquille avec son père dans un coin et les deux jouaient au
mini golf. J’ignore si c’est cette tranquillité qui m’a captivé, sa mini-jupe
en jean dévoilant de jolies jambes ou ses lèvres recouvertes de gloss. Mais
pour la première fois de ma vie, j’ai eu envie d’embrasser une fille et c’est à
ce moment que son père m’a interpellé. La peur d’être découvert m’avait poussé
à un doigt de me faire dessus.
Aujourd’hui, c’est une
version plus raffinée de la petite calme que j’ai retrouvée. Son visage n’est
plus aussi recouvert de boutons quoiqu’à l’époque je n’étais pas mieux. Elle
dégage un magnétisme de dingue et j’ai intérêt à me tenir bien loin parce que
béguin ou pas, c’est la fille de ma patronne. Il n’existe aucun scénario dans
lequel un mec comme moi peut se projeter avec une fille pareille. Mais rien ne
m’empêche de rêvasser un peu d’elle… au point qu’elle se matérialise devant mes
yeux ?
— Hey, fait-elle
d’une voix flottante
— Hey, répétai-je
heureux qu’elle soit réellement là et soulagé à la fois que ma rêvasserie n’ait
pas atteint le stade où j’hallucine. Mon cas n’est pas encore perdu.
— Je peux attendre ma
mère ici ? Elle est supposée arriver
après quinze heures
— C’est la boîte de
ta mère Macy, tu peux l’attendre sur le toit si tu désires, lui rappelai-je
avec humour
— Moque-toi bien,
elle plaisante aussi et tire une chaise pour se mettre non loin de moi. Je ne
ferais pas de bruit promis, ajoute-t-elle avant de se mettre sur son téléphone
Ses doigts sont fins et
vernis de rouge carmin. Une couleur présente dans son haut en pagne qui dévoile
légèrement un décolleté pour lequel je n’ai pas encore trouvé de mots.
Appétissant me paraît bizarre mais c’est ce à quoi je pense sur le coup.
— Erm, est-ce que je
dérange ?
— Non du tout, je
suis juste calé sur certains mots que je cherche en mandarin, m’expliquai-je.
OK je n’ai pas fait beaucoup d’effort depuis quelques minutes, mais je ne mens
pas entièrement
— Pour quoi faire ?
— Je rédige une
version en mandarin du contrat que madame a déjà établi
— Wow, tu veux dire
que tu parles mandarin ? fait-elle
stupéfaite, ce qui m’amuse
— Je considère que
je le comprends mieux personnellement, mais je peux tenir une conversation sur
des sujets mondains.
— Eh ben,
considère-moi surprise. Tu as pris des cours, je suppose
— Je continue à en
prendre, deux soirs par semaine. Dans mon programme initial, je m’imaginais un
jour immigrer en Chine mais j’apprécie ce que j’apprends avec ta mère. Elle a
réussi à décrocher un contrat de quatre ans avec un chinois qui parle un
anglais atroce et je me demande encore dans quelle langue ils ont échangé pour
qu’il accepte de lui confier le transport de ses produits manufacturiers
— Crois-moi quand il
s’agit du travail, ma mère surprend toujours, dit-elle avec fierté
— En tout cas je
l’ai constaté. J’espère apprendre le maximum d’elle avant de m’en séparer
— Si elle te fait
confiance pour traduire tout un contrat en mandarin, c’est qu’elle considère
que tu as du talent et elle aime pousser vers le haut ce genre de personnes
— Ah c’est pas…, je
suis ravi qu’elle apprécie mon savoir, me repris-je. J’allais minimiser son
commentaire comme j’ai pris l’habitude de le faire plus jeune, mais durant mes
études supérieures, je me suis éduqué à arrêter ça. Les employeurs ne font pas
confiance aux timorés. Je l’ai vite appris et me suis ressaisi. Je me sais
intelligent et surtout bosseur. Je surligne dans le rapport les mots que je ne
connais pas afin de fouiner dans mes nombreux guides que j’ai à la maison, puis
me remets au travail. Mais voilà que je la relance la conversation, juste pour
entendre sa voix suave pendant que je continue ma tâche. Et tu dis qu’Aïdara
s’en sort bien au Kenya ?
redemandai-je. Ce fut l’une des premières choses que je lui ai demandée quand
nous nous sommes revus ici et qu’elle a reconnu mon nom.
— Oh oui, elle a complété
une formation de parajuriste à l’école de droit du Kenya et honnêtement, il ne
lui manque qu’un emploi
— Fantastique, je… en
fait, est-ce que tu as quelque chose de prévu ce week-end ? demandai-je et surpris à la fois par mon audace.
Qu’est-ce qui me passe par la tête, je l’ignore. J’ai juste envie de l’entendre
parler.
— Euh… ça dépend, qu’est-ce
que tu me proposes ?
— En fait, je prépare
une petite surprise pour mon petit frère qui a eu son bac, et me disais que si
ça te tente, tu pourrais te joindre à nous ? Ce n’est qu’une
proposi…
— Oui je…. j’aimerais
bien, ça me changera un peu les idées. Où se déroulera la fête ?
— Au snack de madame
Jennifer. J’y étais justement pour verser l’avance. Je peux passer te chercher
si tu veux
— Non ne te gêne
pas, je vous rejoindrai dès que tu me donneras l’heure. Mon numéro, commence-t-elle
avant de me le réciter.
Je m’empresse de le noter
et parce que je suis un vrai con, je le sauvegarde sous le nom de « Snack », parce qu’elle
me donne autant envie que mon plat favori, peut-être plus. C’est mon téléphone
non ? Qui va voir de toute façon.
***Farida Adamou***
Je n’arrive pas à sortir
un mot de la bouche, depuis qu’on m’a déplacé pour me poser sur ce canapé. Je
vois bien Ida finir les bandages aux pieds de Tao. Je sens que mon legging est
mouillé, ainsi que les garçons me nettoyer le visage tour à tour avec une
serviette, tout en me demandant si je vais bien. J’entends d’ailleurs les
questions de Tao, mais…
– Qu’est-ce qui se
passe ! m’écriai-je avec une douleur agonisante
dans la poitrine
— C’est ma faute
maman, je suis désolée, j’ai cru que…., qu’il… venait…, nous retrouver. Sa copine
m’a dit qu’elle allait le convaincre parce que la personne qui l’a kidnappé lui
a menti sur nous
— Ida, explique-nous
en commençant par le début, lui dit calmement Tao
Elle s’en va et revient avec
une lettre qu’elle donne à Tao puis se met à nous narrer une histoire plus
farfelue que la quantité innombrable de rêves que j’ai faits sur le jour où je reverrai
mon enfant. À chaque phrase, un gémissement douloureux s’échappait de mes lèvres.
C’est mon fils que j’ai réellement vu ?
— Asad, est-ce que ton
grand frère était réellement ici ? Tu l’as vu
aussi ? je demande à mon fils la tête sur
un ton incrédule
— Je… je sais pas
maman, tu vas mieux dit ? il me
questionne sur un ton effrayé
Je le prends contre moi ainsi
que Bobby qui semblait craintif aussi et les serre de toutes mes forces les
yeux fermés. Un bruit soudain nous alerte. C’est celui d’une gifle et c’est Tao
qui l’a donné à Ida qui se tient la joue mouillée de larmes. Les deux petits
veulent sauter de mes bras mais je les garde fermement contre moi.
— Je te paie des études
de criminologie ou optométrie ? il la gronde
— Optom…étrie
— Et c’est ce qui te
donne le droit de jouer au détective ? Tu vis avec nous,
tes parents ! Et au lieu de nous parler d’une
nouvelle si délicate tu as préféré tout remettre entre les mains d’une personne
que tu connais à peine ? Tu ne cesses
de te plaindre qu’on ne te traite pas comme une adulte et c’est l’action que tu
poses ça ?
— Je m’… excu…. se, balbutie-t-elle
la voix enrouée de larmes. Je voulais seulement qu’on se retrouve com.. comme… une
fam.. ille, je suis désolée maman. Si j’avais su que…
Son père l’enlace et le
reste de ses mots se transforme en sanglots dans les bras de Tao.
— Il ne t’a pas fait
mal mon ange ? il s’enquiert tout en
regardant son cou
Elle secoue la tête et il
lui murmure des mots tranquillisants qui finissent par la calmer. J’en profite
pour aller troquer mes bas mouillés contre des propres. Nous finissons tous
recroquevillés sur notre sofa. Si quelqu’un nous voyait, on pourrait croire que
nous venons de perdre un être cher. Mais l’information commence à s’insérer peu
à peu dans mon cœur. Mon Laith est en vie. Il est tout près de nous. Asad ne s’inquiète
que d’une chose, soit savoir si son père et moi allons bien. Bobby alors ne
comprend rien. Ce ne sont que des enfants qui n’ont même pas dix ans de toute
façon. Une fois qu’ils sont rassurés, les deux retournent à leurs jeux.
— Quel est le numéro
de Laith ? Tao questionne Ida
Elle le lui remet et il
lance l’appel. Quatre essais plus tard, il n’a toujours pas de réponses et nous
commençons à nous inquiéter.
— Appelle sa copine,
proposai-je
Ida lance l’appel et
cette dernière décroche. Son père lui indique de mettre le haut-parleur, et
elle s’exécute.
— Allô Garcelle ? Tu es partie où ? dit ma fille
– Selon toi ? réplique-t-elle avec agressivité
— Vous allez quand
même bien ? Laith est…
— Son nom c’est
Thierry, il t’a dit ou pas ? Tu avais besoin
de traiter sa mère de pute ?
— Mais c’est ce que
tu m’as raconté
— Et ta bouche
devait le répéter ? Bref tu
viens de gâcher tout ce que j’ai trimé pour…
— Oh tu vas arrêter
de jouer la victime hein, la rabroue Ida. Tu as trimé pour faire quoi au juste ?
– Je parle à
Garcelle ? intervient Tao
— Oh… euh, c’est qui
ça ?
— Je suis le père d’Ida.
Où vous trouvez-vous actuellement ? Est-ce qu’il
s’est calmé ?
— Thierry n’était
pas à l’hôtel quand j’y suis retournée donc j’ai conclu qu’il avait certainement
repris le train pour Lille du coup je suis partie
— Avez-vous contacté
les hôpitaux ?
— Non ne me dites
pas que, commence-t-elle paniquée
— Je ne fais que
supposer, vu qu’il a quitté cet endroit, dans un état troublé. S’il vous plaît,
tenez-nous au courant de…
— Monsieur, j’ai
voulu aider votre fille mais elle vient potentiellement de foutre le bordel
dans mon couple. Thierry ne joue pas quand il s’agit de sa mère
— Sa mère c’est
Farida ! proteste Ida sur un ton indigné,
pendant que mon cœur ressent encore la douleur de la morsure que m’a causée cette
phrase. Mon enfant reconnaît une autre femme comme sa mère. Une qu’il aime
visiblement.
J’avais eu un moment d’absence
l’espace d’un instant mais en revenant en moi, les yeux de Tao étaient plongés
dans les miens. Je le sentais me sonder pour savoir si j’allais bien. Je hoche
la tête pour lui signifier de continuer avec la fille. Mes états d’âme ne sont
pas la priorité actuelle.
— Excusez ma fille, l’émotion
est à son comble actuellement. Tenez-moi au courant lorsque vous le
retrouverez, et je m’occuperai du reste
Elle le remercie et ce fut
la fin de l’appel. Les Boulder arrivent cinq minutes plus tard, pour prendre
leur fils, mais ce dernier ainsi qu’Asad ont commencé à leur raconter ce qui s’était
passé avant même qu’on n’en place une. Nous n’avions pas prévu le leur cacher de
toute façon. Les années dernières n’ont fait que solidifier nos relations et
pour nous ils sont des amis, au même titre que les Wiyao. Parker se met
aussitôt à appeler les hôpitaux. Ida s’en va faire le tour des bars proches de notre
maison. Selon elle, il pourrait s’y être réfugié. Tao voulait absolument la
rejoindre mais ses blessures au pied ne lui permettaient pas de conduire, donc il
a continué à contacter les hôpitaux tout comme moi, Héloïse et Parker. J’ai même
oublié qu’on devait manger dans l’histoire, et c’est mon Asad qui m’a surpris
en venant nous dire qu’il avait mis de l’eau à chauffer pour faire des pâtes.
Ida est revenue vers 21 heures.
Elle ne l’avait pas trouvé. Aucun Thierry Henry Ndouo ne fut admis dans les vingt-trois
établissements de santé de Marseille. Les Boulder ont fini par prendre congé de
nous, avec la promesse de revenir à la première heure demain, bien qu’on leur
ait dit que ce n’était pas nécessaire. Ida et Asad se sont endormis dans notre
lit, pendant que je jetais un dernier coup d’œil aux pieds de Tao.
— Tu as mal ?
— Ce n’est rien, reviens
plutôt à côté de moi
Je prends place sur le
bord du lit et pose ma tête sur son épaule gauche. Il m’entoure l’épaule d’un
bras, et me cesse de m’embrasser la tempe.
— Il est en vie Tao,
répétai-je la poitrine douloureuse à cause de l’émotion
— Et il me ressemble
tellement, dit-il sur un rire triste qui me fait fondre en larmes
Quelques minutes plus
tard, nous finissons nos ablutions avant de prendre place sur nos tapis
respectifs et prier chacun de tout notre cœur. Je n’ai jamais autant pleuré. J’arrivais
à peine à réciter les sourates mais j’ai continué à louer mon créateur pour sa bonté
et clémence envers nous. Lui seul peut accomplir des actes qui dépassent l’entendement
humain, et pour notre unique bonheur. J’ai également demandé qu’il nous aide à
contrôler toute jalousie que nous ressentirons envers la mère de mon fils, afin
que ce dernier ne nous repousse pas à cause de ça.
À la fin, j’ai ressorti la
valise de Laith contenant ses souvenirs. Nous les sortions un par un, tout en
les contemplant, sans un mot, pendant ce qui parut comme une éternité.
— Je vais appeler
Eli demain
— Il voulait bien
faire Tao, lui rappelai-je parce que le ton sur lequel il vient de le dire respirait
la colère
— Et quel bien tire-t-on
de cet acte ? Mon fils est actuellement Dieu
sait où. Il nous aurait dit la vérité quand nous étions à Libreville que nous
serions avec Laith actuellement
— Tao nous venons
juste de prier, agir avec colère est contreproductif. Ce qu’il faut faire maintenant
c’est retrouver Laith et essayer de nous rapprocher de lui
Ses épaules s’affaissent
et mon cœur qui était en haut quand il a mentionné l’appel à Eli, redescend tranquillement.
Il m’enlace et murmure que j’ai raison mais il a mal. Dieu merci, les années sont
venues à bout de sa nervosité. Je lui câline le dos et chacun de nous prend
place dans le lit au côté des enfants. Je me suis permis après tant d’années de
dormir avec le doudou de mon fils. Et cette fois, mon cœur était serein.
***Martin Sani***
Mireille est une mère
indigne. Axel nous avait prévenus qu’il comptait faire une surprise à son
frère, et c’est la même semaine qu’une mère de trois enfants sait qu’elle doit
se rendre à un enterrement au village. On parle de quelqu’un qui ne s’intéressait
presque pas à sa famille. Aujourd’hui, elle préfère se coller à eux, tout ça
parce qu’elle ne veut pas qu’on la voie avec moi dehors. Et non je ne spécule
pas. Je l’ai entendu le dire au téléphone, quand elle me croyait endormi, mais j’ignore
à qui. Elle disait que m’emmener à l’hôpital c’est une chose mais sortir avec
moi dans ce fauteuil, elle préfère nettement se rendre au village pour participer
à un enterrement. Madame trouve qu’elle est trop bien pour moi aujourd’hui. L’ironie
de la chose. Une fille qui était vendeuse au supermarché se trouve mieux que
moi. Bref, dans un mois, Allen celui qu’on fête ce soir, aura dix-huit ans. Je serais
dans les bras de Germaine à Cotonou et on verra pendant combien d’années madame
fera pour payer les factures de la maison. J’ai déjà transmis à Ecobank une
demande de désolidarisation pour disjoindre notre compte joint. Elle pourra en
faire ce qu’elle veut une fois que je serais retiré. Soit le fermer, soit le
garder. C’est sur ce compte que je reçois les indemnités en tant qu’ex-agent de
l’état qui a dû quitter ses fonctions à la suite d’un accident. Et par lui qu’elle
règle aussi nos différentes dettes donc je les lui laisse. La maison également,
je la lui laisse, pour la durée que les enfants feront à Lomé. Une fois qu’ils
quitteront le nid familial, je la sortirai de là. Je me garde le compte « à terme » que j’ai
ouvert à la NSIA au début de ma carrière politique. J’y ai déposé pendant quatre
ans un montant conséquent que je peux enfin retirer en plus des intérêts accumulés
dessus. C’est ce avec quoi je compte vivre pendant six ans, et utiliser celui de
la HSBC à Poitiers pour les études des garçons ainsi que quelques vacances avec
ma Germaine.
Mireille en bonne ingrate
a pris l’unique voiture de la maison pour se rendre au village donc Axel a dû appeler
un taxi pour qu’on puisse se rendre au lieu de la soirée.
— Hum, tu es beau
hein le vieux, me taquine-t-il après m’avoir brossé les cheveux
— Tu croyais quoi ? C’est de moi que vous tenez, murmurai-je pour
feindre la fatigue
— Lol, heureusement
qu’Ezra ne t’entend pas. Depuis que le gars s’est mis à pousser des poils sur
le torse, il ne cesse de nous les exposer sous prétexte que son corps est trop
beau pour qu’il le cache
— Il se trouve où ? demandai-je après un sourire drôle
– Avec Allen. Il attendu
juste notre coup de fil pour l’emmener au Snack
— Allons-y alors
— Raah, ils vont
attendre. Jeanne ? il hèle son
nom après m’avoir tiré de la chambre
— Oui patron
– Toi-même patron.
Viens nous prendre un peu en photo là, dit-il en lui présentant son cellulaire
Il pose à mes côtés et me
dépose en plus ses lunettes sur les yeux, ce qui amuse Jeanne.
— Mais Jeanne, on
dirait tu sais prendre photo hein, nous sommes beaux comme ça. Le vieux regarde
un peu. Hum, attend que j’envoie à maman et tu vas voir comment elle sera à la
course pour rentrer
Sa réflexion enfantine m’arrache
un sourire triste. Si seulement il savait. Je regarde avec émotion les clichés
qu’il me montre. Nous sommes effectivement beaux et surtout, mon fils respire
la joie. Le chauffeur s’annonce quelques minutes plus tard, et ce n’est ni plus
ni moins qu’Eben. Mes yeux s’arrondissent quand je le vois descendre de son
Audi A4.
— Bonsoir mon oncle,
tu as l’air en forme, dit-il sur un ton gai
La honte faisant, je n’ai
qu’un sourire crispé comme réponse. Ce petit levait les yeux pour me regarder jadis.
Aujourd’hui il baisse le regard pour le faire. Et en plus, il aide Axel à me
porter pour m’installer sur la banquette arrière, avant d’aller ranger le
fauteuil roulant en arrière. J’aurais presque rebroussé chemin pour retourner m’enfermer
dans la chambre si Axel n’avait pas autant insisté que la fête n’en serait pas
une sans moi.
— S’il y’a quelque
chose, tu m’appelles avec le fixe Jeanne, tu te souviens de mon numéro non ?
— Oui bien sûr
Il lui soulève le pouce
tandis que nous démarrons. Le trajet vers le Snack est ponctué de rigolades
entre mon fils et Eben. C’est avec surprise que j’apprends qu’ils ont gardé le
contact en dépit des années. J’apprends aussi qu’Eben s’en tire bien dans la
vie. Il vit et travaille à Porto. Je le questionne d’ailleurs sur sa famille et
me rends compte que tous ses petits sont grands désormais. Pendant ce temps
Joshua qui a eu toutes ses chances, a encore appelé ce matin pour me dire qu’il
a besoin d’argent pour acheter ses protéines de sport. Pourtant il a le même âge
que le troisième petit frère d’Eben et ce dernier, est électricien. En tout
cas, il fait quelque chose de sa vie. Mais Joshua ne sait que soulever les
poids. Il n’a même pas pensé à être videur avec sa carrure. Quand je lui ai proposé
ça, il m’a demandé si maman n’était pas là parce que je ne le comprends pas. Son
cas je vais le traiter spécialement.
Nous arrivons enfin au
snack et le fêté est emmené par son frère quelques minutes plus tard. En voyant
mes fils si joyeux tomber les uns sur les autres, je ne regrette pas d’être
venu ce soir. Les invités ne sont pas nombreux mais la fête n’en est pas moins
belle. J’étais quelque peu inquiet d’être un boulet mais mes fils m’ont rapidement
intégré dans le groupe et me présentaient les invités dont une Hadeya qui m’a
salué chaleureusement en m’appelant beau papa.
— Hadeya, celle qui ne
perd jamais le nord, se moque Eben qu’elle fustige automatiquement du regard
— Je ne t’adresse
pas la parole toi. Dire que tu es à Lomé et tu n’es pas passé à la maison, lui
reproche-t-elle tout en jetant sa tête sur le côté les bras croisés
— Yeh mon étoile du
nord, tu sais qu’on réserve le meilleur pour la fin
— C’essstttt ça
— Mais demande à
Axel, je n’ai pas dit que j’attendais le retour de mon ami Bruce parce qu’il devait
revenir avec un cadeau digne de ce nom pour sa mère ?
— Il me l’a dit,
plusieurs fois en plus
— Bah ça sera trop
tard han, maman s’envole pour Lille dans quelques heures, elle répond
Les deux continuent à s’échanger
mais Axel qui était détendu il y a quelques minutes, fixe soudainement un point
et son regard devient vitreux. Je me retourne et sans surprise c’est une belle
jeune femme qui s’approche vers nous
— Hooo Axel j’te
parle ! Hadeya lui dit sur un ton
agacé
Elle est tirée par Eben
qui lui couvre la bouche et l’emmène rejoindre un autre groupe. La jeune fille
qu’observait mon fils est presque à notre niveau. Ce dernier s’est levé comme
un robot.
— Je suis vraiment désolée
Axel, je pensais arriver à l’heure pourtant
— ….
— Tu es fâché ?
— Il veut dire non,
je réponds à la place du nigaud qui admire la fille au lieu de parler et lui
pince la cuisse ce qui a le don de le réveiller
— Tu es… es….. tu… « magnifissante »
Les moqueries d’Ezra et
Allen continuent de fuser près de dix minutes après cette belle bourde de mon
fils. Le premier dit que c’est ce qui arrive quand magnifique et
resplendissante veulent sortir à la fois. Axel leur lance des regards meurtriers
mais les deux ne s’en formalisent pas. Heureusement, la fille n’a pas mal pris
sa maladresse. Au contraire, elle l’a gratifié d’un sourire que seule une femme
satisfaite de l’effet qu’elle inspire donne. On me l’a présenté comme Macy
Wiyao. Et elle est actuellement en discussion avec d’autres invités.
— Tu pourrais aller
la trouver, et lui offrir une boisson par exemple, son verre est presque vide, proposai-je
à mon fils qui continuait de l’observer à la dérobée
— Et me ridiculiser
davantage ? non merci
— Le ridicule ne tue
pas mon garçon, sinon je n’aurais pas fini avec ta mère
— Tu veux dire que
toi aussi tu as bégayé devant elle ? Toi qui es
plein d’assurance comme ça ? s’étonne-t-il
ce qui m’arrache un rire
— Tu as connu un
adulte, pas l’adolescent ni le jeune. C’est normal d’être nerveux quand quelqu’un
nous impressionne
— Mais les femmes n’aiment
pas les hommes qui sont impressionnés par elles, dit-il en faisant la moue
— Qui t’a dit ça ?
— Maman puis mon ex.
Elles trouvent que je ne suis pas un vrai homme. Bref, tu veux boire un autre
sprite ?
– Non. Pourquoi elles
ont dit ça ?
— Je sais mon frère ? fait-il dépassé
— Mais c’est pour
quelque chose qu’on t’a dit ça non ?
— Pour maman, c’est parce
que je ne suis pas comme Joshua. Tu sais, pas casse-cou, et je n’aimais pas les
problèmes donc j’étais dans mon coin. Et mon ex m’a reproché que j’aimais trop
discuter pour tout comme si la communication que j’ai apprise c’est dans mon couple
que je veux tester ça en premier. Et qu’un vrai homme ne parle pas beaucoup, il
agit simplement et sa femme le suit
— L’on ne connaît la
valeur de ce qu’on a qu’une fois perdue. Continue dans ta communication
excessive si tu te sens bien dedans. Celle qui t’appréciera pour, te le
reconnaîtra
— Lol la sagesse a
parlé hein, il rigole pourtant je suis sérieux
Bien que l’ambiance soit
agréable, la fatigue commence à me gagner rapidement. Eben aussi allait prendre
congés des jeunes donc j’ai demandé qu’il me raccompagne et refusé quand Axel a
voulu me suivre. Ça se sentait que ses amis avaient encore la fête dans le sang
et je préférais qu’ils profitent tous de la soirée. Je glisse dans l’oreille de
mon fils de saisir une bonne fois pour toutes sa chance avec la fille qui en
plus l’observait aussi à la dérobée.
Eben m’emmène jusqu’au
salon et prend congé seulement lorsque Jeanne lui confirme être en mesure de prendre
la relève. J’allais me mettre au lit quand George me fait signe qu’il est dans
les parages et a besoin d’une signature. Je lui demande de venir à la maison. Les
enfants ne vont certainement pas rentrer avant l’aube vu ce que j’entendais d’Ezra.
Une fois la signature apposée,
je lui demande d’en profiter pour me ramener une pizza à Hype Lomé.
— Pizza à 21 h
papa ? Non tu déconnes. Ce n’est pas
bon pour toi à cet âge
— C’est ton corps ? Va vite me chercher la chose oui
— Haaa je peux passer
commande mais il faut que Jeanne te la ramène. Ma femme est sur mon dos
récemment. Si je traîne pour rentrer, elle va me faire la misère
— Bon, emmène donc
Jeanne et indique-lui comment prendre le taxi pour rentrer. Pas de moto, je
précise bien et remets de l’argent supplémentaire à Jeanne puis les deux s’en
vont
Je n’ai pas fait beaucoup
d’exercice dernièrement vu qu’Allen était régulier à la maison. Mais ce n’est
pas bon pour mes jambes donc je m’en vais chercher mes béquilles et commence à
faire quelques allers-retours à côté de la piscine quand un bruit attire mon attention.
C’est Mireille, qui se tient contre la baie vitrée, une main sur la hanche.
– Ce que je fais ici ? dit-elle sur un ton petit moqueur après de
longues minutes à nous observer
– ….
– J’étais dans le
coin et je me suis dit que mon mari aurait besoin de compagnie
– Mimimireille, qu’est-ce…
qu’est-ce que ça veut dire ?
– Tu ne veux pas de compagnie ?
-…..
– Oh le village hein ? Disons que j’ai des pouvoirs magiques, comme tu
arrives miraculeusement à te déplacer maintenant, dit-elle après un rire qui me
fait froid dans le dos
– jejeje, je voulais
te surprendre chérie, c’est arrivé récemment et…
Elle se met à m’applaudir
et s’approche carrément de moi. J’essaie de reculer, mais j’ai encore du mal avec
mes béquilles
– Mais enfin, tu ne
veux pas d’un bisou de ta femme ? Ou tu
préfères celui de ta maîtresse ?
– A l’aid…. j’allais
commencer à crier, mais un coup violent à ma nuque m’envoie à terre si fort que
je me mords la langue dans la foulée
Mes oreilles sifflent, ma
vue trouble et la douleur résonne en moi comme des ondes. Je me sens toutefois
bouger.
– C’était amusant de
jouer au malade et à l’infirmière han ? Tu trouvais
ça drôle de te chier dessus et me regarder de te nettoyer ? Dis-moi tu as fait porter à ta maitresse mes tenues
aussi ?
– A l’ai…..
Je reçois un second coup
d’elle. Elle s’est emparée d’une de mes béquilles pour me le porter. Cette fois
à la jambe qui me fait grincer des dents.
– Pitié Mimi… ,
chérie…, je ne le ferais plus, je t’en supplie, pleurai-je à chaudes larmes
tandis que ma vue revenait à petit feu
– Bien sûr que tu ne
le feras plus, vient qu’on joue au maitre sauveteur et au corps qui coule maintenant
C’est sur cette phrase
que je comprends son intention et bien que je me débatte, et rampe pour fuir,
elle arrive à me tirer et frappe mes doigts agrippés au bord avec les
béquilles. Je tombe dans l’eau, essaie de bouger mes jambes pour remonter, mais
rien n’y fait. Je me débats et crie, mais ne boit qu’une tonne d’eau. La dernière
chose que je vois c’est sa silhouette pendant que mon corps s’enfonce davantage
vers le fond malgré mes efforts, c’est la couverture automatique hors sol que j’avais
fait installer pour plus d’un million. Elle passe au-dessus de la piscine, la fermant
totalement et ma bouche s’ouvre grandement, fatiguée de bloquer le passage d’oxygène
au corps, sauf que c’est l’eau qui entre et me brule la gorge. Je me débats dans
un dernier effort de survie, mais mon corps fatigué, me lâche complètement. Ma
dernière pensée est pour mes fils.