78 : Il y’a l’homme que l’on aime, l’autre qu’on ne comprend pas

Ecrit par Gioia

 

***Raymond Ekim***

Mon cœur bondit aux premières vibrations de mon téléphone sous mon bras. Je regarde avec appréhension l’écran et l’anxiété descend aussitôt. Ce n’est que Perla, que je n’attendais pas. Je pensais que le silence des trois jours était un signe qu’elle avait abandonné mais il semble que non. Je coupe l’appel, comme d’hab. Qu’est-ce qu’on a à se dire au fond ? Des « je t’aime » ? OK c’est une évidence à mon niveau. C’est moi qui lui ai dit que je me considérerai comme un homme libre si elle décidait d’aller de l’avant avec sa décision, et je n’arrive pourtant pas à me l’ôter de l’esprit. J’ai une de ses photos en fond d’écran sur mon appareil. Je dors avec sa couette fétiche qu’elle a laissé chez moi à sa première visite. Quelques vêtements d’elle continuent à dormir dans mon armoire. Je me suis assoupi un moment dans sur mon bureau, avec en main le stylo bille classique doré de Montblanc qu’elle m’a offert lorsque j’ai repris la gestion de la boutique ici. Je ne me voile pas la face non plus. L’oublier si c’est possible, me prendra autant de temps que je l’ai aimé. On achèverait presque dix ans de relation, si l’on ne compte pas notre break. Mais il me faut avancer, parce qu’une relation à sens unique ne convient à personne quel que soit la quantité d’amour qu’on a, et dans la mienne, j’ai fait la majorité des compromis. Quand enfin j’avais sincèrement besoin d’elle, elle a choisi de donner la priorité aux siens. J’ai reçu le message cinq sur cinq.

Je me lève pour me dégourdir les jambes et donner une pause à mon cerveau sinon je risque de devenir fou. À ce stade, j’ai la sensation que mon assureur sort des nouvelles demandes de son chapeau magique pour ralentir notre dossier. Il a reçu une copie de la plainte, des photos, vidéos de la boutique, déclarations écrites des transporteurs qui s’étaient fait attaquer, sans oublier tous les reçus et bons de commande que mon équipe a pris des jours à photocopier, pour qu’on garde aussi nos preuves. Normalement, l’étape suivante pour eux, c’est de dépêcher un de leurs agents pour faire leur propre constat. Le pourquoi c’est nécessaire quand on leur a tout transmis, je l’ignore, mais c’est ce que j’ai entendu en me renseignant un peu. Mais ils ne se décident toujours pas à envoyer quelqu’un. Résultat, la seconde boutique est actuellement en piteux état, et vidée des quelques pièces qu’on y avait déjà entreposées. L’unique bonne nouvelle, c’est que les transporteurs sont déjà rétablis et chacun de retour dans sa famille. Je ne sais même pas comment j’aurais vécu ça si quelqu’un était en plus décédé dans cette histoire. Autant que je me remette à l’écriture des courriels qu’attend mon conseiller en assurances.

(***)

Le soir, je suis chez mon père. Une habitude régulière depuis le braquage. Nous nous rencontrons pour une mise au point. Et encore une fois je n’ai pas du nouveau mais j’essaie de le rassurer.

– Ray ce n’est pas bon ça, pas du tout. L’assurance essaie de nous doubler, je le sens, s’inquiète-t-il

– Ne sois pas négatif s’il te plaît Andino. Nos prières…

– Ah ça suffit ! aboie-t-il sur sa femme. Tes prières ne pouvaient pas nous prévenir de cette situation et c’est maintenant que tu veux me rabâcher les oreilles avec ?

– Je ne voulais pas parler en mal, excuse-moi, dit-elle d’une voix chagrinée avant de se lever et nous laisser seuls dans le bureau

– Tu n’avais pas besoin de lui crier dessus non plus

– Elle m’épuise avec son attitude de bonne sœur, dit-il avec indifférence. De toute façon, ça les regarde. C’est dans cette maison que j’étais, et ils partaient tous en vacances pendant que je restais ici. Ma punition parce que j’ai passé la seconde avec dix de moyenne. Personne ne s’est opposé. Donc je garde ma bouche dans mes affaires. Continuons sur nos affaires, reprend-il. Les activités ont repris en force à la boutique quand même ?

– Petit à petit, mais c’est sûr qu’on atteindra les prévisions

– Tu as demandé un crédit à la BGFI j’espère. On ne doit pas se retrouver dans une situation où les chiffres ne permettent pas de couvrir nos charges. Je n’ai jamais déposé les clés depuis l’ouverture de cette boutique. Si je te l’ai confié c’est parce que j’avais confiance en toi.

– Je ne compte pas te décevoir, dis-je sur un ton hyper confiant, sans préciser que le crédit fut ma première initiative et ce dernier a été tout bonnement décliné à cause de notre taux d’endettement actuel, selon les explications de notre banquier. J’ai déjà approché Orabank pour en demander un en mon nom et compte sur lui, ainsi que l’assurance pour ne pas me retrouver dans la merde. Les clients dont les commandes ont été dérobées dans le braquage m’ont certes donné du temps, après que je leur ai expliqué la situation, mais c’est certain qu’ils n’attendront pas indéfiniment.

Je rentre chez moi le ventre creux et me réchauffe les bedoumes que j’avais achetées à la sortie du travail. C’est là que Denola sait qu’il doit m’appeler.

– Ça va frangin ?

– Bien et toi ? Tu n’as pas des choses à faire à 23 heures ?

– Il est cinq heures trente ici, je viens de me lever. Une minute hein, il dit, fait du bruit et deux voix résonnent dans mes oreilles en plus de la sienne, quelques secondes plus tard. J’ai rajouté Toni et Garcie. Dis-nous, comment ça avance

– Tu penses que s’il y’avait du nouveau, tu aurais besoin de me demander ? Ou c’est en me demandant que le nouveau apparaîtra, j’ironise

– Regarde je n’ai pas veillé pour qu’on me parle avec arrogance, j’ai moi aussi mes choses à faire, réplique sèchement ma sœur

– Oh court dormir ma grande, je ne te retiens pas

– Le chat et la souris là, arrêtez hein, on n’a plus important en jeu maintenant, intervient Deno

– Il n’y a pas rien de neuf, soupirai-je comme réponse

– Raymond, moi je ne comprends pas ce que tu fous encore là hein. Tu ne vois pas qu’on essaie de te mettre dans un pain sec ? Réfléchis deux secondes. On a regardé le transporteur et même Jason Statham ne complétait ses missions périlleuses que sur des voies dégagées généralement. Je dois te rappeler Fast and furious ?

– Toni le moment est sérieux, lui reproche Deno

– Parce que je rigole là ? Comment on braque un poids lourd en pleine journée et personne ne l’a retrouvé depuis là ? On boucle le mois là je précise. Il n’y a que le transporteur et les gars de fast and furious pour réaliser cet exploit, ouuuu, ce sont des ennemis de papa qui se sont entendus pour faire le coup, tout en corrompant les transporteurs

– Je me disais bien que les ballons que tu as reçus en pleine face dans l’adolescence allaient laisser des séquelles mais par sur ton cerveau, lui dit Garcie

– Tu es encore là toi ? Je croyais que tu allais dormir

– Mouf, c’est toi qui as appelé ?

– J’ai dit d’arrêter, sinon je vous sors de la conversation pour continuer seul avec Ray, avertit Deno. Ce que tu dis serait plausible Toni si on était dans un film, seulement les transporteurs ont été victimes d’agression aussi.

– Ça se voit que tu n’as pas regardé « l’ombre d’Emily » toi. Sans te spoiler, sache juste qu’une fille dedans avait simulé sa mort en se….

– On est là pour écouter la connaissance cinématographique de Toni ou avoir des nouvelles de Ray ? l’interrompt Garcie

– Bref, je vous ai dit qu’il n’y a rien de neuf. Je remplis de la paperasse et lance des promos en désordre pour inciter les clients à multiplier leurs achats. Lorsque le temps me le permet, je campe devant la maison de tonton Gervais (le major qui est s’occupe de la plainte pour lui) afin qu’il ne m’oublie pas

– Tonton Gervais là qui t’aime comme un enfant aime la nivaquine ? se moque Toni

– Je vais te sortir de l’appel à la prochaine récidive Toni, le prévient Deno

– Qui ignore que ce vieux chnoque et sa femme, la reine du Danemark dans sa tête, ont toujours reproché à Ray d’être malpoli et ingrat envers maman ? C’est lui qui va brusquement aider ?

– Pourquoi tu parles du passé maintenant ? Les choses là datent, lui dit Garcie

– Bref Ray, la chose à faire, c’est de quitter le pays, le temps que tout se calme. Rejoins-moi à Kinshasa par exemple. Les filles sont…

– Attends, tu fous quoi là ? Tu ne travailles plus en France ? le questionne un Deno étonné

– J’y suis pour les affaires et le travail

– C’est toujours toi qui te promènes pour les affaires. J’espère pour ta gueule que tu ne vends pas la drogue en douce. Le nom des Ekim n’a pas été propre pendant si longtemps pour que tu viennes le ternir

– Si je vendais la drogue, c’est vers toi que j’allais me tourner pour ma première vente. On s’est que tu aimes consommer du bizarre ma chérie, laissons les faux-semblants, se moque Toni. En tout cas, rejoins-moi Ray. Il fait bon vivre ici et les filles, je ne te dis pas, il y’a du choix en qualité

– Dégage avec tes plans de sabotage, lui répond Deno

– Ah mais ce n’est pas un homme libre selon les nouvelles ?

– Va loin avec tes propositions tendancieuses, c’est ce que j’ai dit

– En tout cas, je suis là pour deux mois Ray, si jamais tu changes d’avis. Bon le puritain je te rends le courant

– Bref, le but de l’appel groupé, c’était aussi pour t’encourager et te dire qu’on te fera un virement d’ici…

– Je ne veux pas voir un rond de vous dans mon compte, répliquai-je agacé

– Ce sont les activités de cette boutique qui m’ont envoyé en Australie donc jette-moi ton ego mal placé ailleurs et utilise cet argent pour faire quelque chose en attendant

– Pour qu’après on entende ailleurs que Raymond l’incapable a gâché l’affaire qu’Andino a pris des années à construire et il a fallu que les autres enfants se pressent pour le secourir ?

– Toi aussi gué, tu ne vas pas oublier les petites taquineries d’antan là ? dit Garcie

– Je vais raccrocher Denola. Si c’est pour avoir une évolution de l’affaire, je t’informerai par message, mais qu’aucun de vous ne m’appelle encore si c’est pour m’offrir de l’argent. Je ne suis pas à vos bottes, je leur dis et coupe

Cet appel bien qu’emmerdant au début, avait commencé à m’amuser au milieu et ils devaient me rappeler la réalité. La seule chose qui pourrait me faire évader actuellement serait la voix de ma fe…, de Perla. À défaut de craquer et l’appeler, je vais me conforter avec des vidéos de nous.

***Macy Wiyao***

Tandis que les parents rentraient à Lomé, j’ai préféré continuer à Nairobi avec ma sœur, ainsi que Mally. Ces deux au passage sont tellement étranges. Ils ne se disent pas en couple et pourtant Mally dort systématiquement dans le lit de Snam depuis notre arrivée, c’est-à-dire, trois jours plus tôt. Depuis que ma sœur m’a montré la grande baignoire super moderne qu’elle avait dans sa salle de bain, mon cœur s’est gonflé d’envie et ma tête de rêves dans lesquels, je vivais ma vie de propriétaire de manoir qui prenait deux heures juste pour se préparer. Et bien sûr, c’est le premier endroit où j’ai filé dès notre arrivée. J’y ai jeté mes bombes de bain faites maison avec une forte concentration d’huile de pamplemousse et siroté le pimm’s cup que ma sœur nous a préparé. Je n’ai pas capté le pourquoi je l’ai retrouvé une heure plus tard, collée à Mally dans le lit, et les deux fixaient l’écran de sa télé au point que leurs yeux faisaient les mêmes mouvements. Bon Dara était couchée à leurs pieds mais la chose à retenir c’est qu’une plume même ne pouvait pas s’insinuer entre les deux collés. Le temps qu’on finisse le film, les deux dormaient déjà, donc j’ai rejoint Dara dans son lit, qui dort mieux que ma sœur d’ailleurs. Le deuxième soir, ils étaient en cuillère devant l’ordi de Mally et se parlaient dans un langage qui sonnait comme un code à mes oreilles. La seule chose que j’ai retenue c’est qu’ils parlaient du stage pour lequel Mally a postulé à Dublin. Et aussi, que c’est ma sœur qui jouait la grande cuillère dans leur position. Je les ai laissés le temps d’aller discuter un peu avec Dara et directement au retour, ils roupillaient dans cette position. Le troisième soir, il avait la tête sur son ventre, et madame disait lui faire des locks. Nous sommes allées nager avec Dara et Hilda, puis au retour la coiffeuse ainsi que le coiffé s’étaient assoupis. Le coiffé n’avait qu’une mèche « locksée » et dormait sur la poitrine de sa coiffeuse.

Aujourd’hui, nous faisons une sortie de groupe. Marley, qui leur sert un peu de chaperon ici, s’est libéré un peu de temps, pour me faire sortir. Je dis « je » parce que Mally n’en est pas à sa première sortie. Il paraît qu’en trois ans, il est venu ici trois fois.

– Je peux entrer ou vous êtes nus ? m’enquis-je en ouvrant légèrement la porte de Snam

– C’est pas drôle connasse, dit ma sœur après m’avoir lancé un coussin sur la face

– Le jour où je serais nu avec elle, l’immeuble nous entendra à coup sûr, il répond avec un petit air d’arrogance

– HOO fermez là ! s’indigne Snam tandis que Mally sort de la chambre tout en se marrant

– Tu fais semblant pourtant on sait que ton cœur et un autre endroit sont entrain de fondre actuellement

– Une vraie connasse, c’est ce que tu es, rigole-t-elle avant de me sauter dessus

– Bouge de mon dos, petite, on a une chaude soirée devant nous

Elle traîne son mince corps de mannequin pour se placer devant sa penderie, sort les vêtements et se met à danser avec tout en me demandant ce que je pense des différents choix.

– Tu vas me faire mon make-up aussi oh donc faut te presser

– Regarde-moi quelqu’un, c’est comme ça qu’on demande ? je réplique amusée et elle me tire la langue avant de venir s’asseoir sur son tapis puis me tendre sa face pour que je fasse mon travail. Je tire ses joues avant de m’y mettre

– Léger s’il te plaît et ne couvre pas…

– Je sais, tu ne couvres pas la partie blanche. C’est ça qui excite Mally

– Tu as de vrais problèmes mentaux mon cher, fait-elle la bouche ouverte

– Mets-moi plutôt à jour, c’est comment l’amour a commencé et je ne suis pas informée ?

– Mama quel amour ? Tu lui as envoyé une flèche pour moi ?

– Quel amour comment ? Vous dormiez ensemble ou pas ? demandai-je après avoir vaporisé son visage avec la lotion à base de concombre et hamamélis préparée par mes soins

– Dormir tu as bien dit, ce qui n’est pas la première fois. Hormis les fois où il s’endort en jouant avec Dara, il trouve toujours un moyen de se faufiler dans mon pieu

– Et tu ne lui en as pas parlé ?

– Bah je l’ai chassé mais tu sais qu’il est têtu, dit-elle puis ferme sa bouche pour que j’applique l’anticernes sur le haut de sa lèvre supérieure

– Hum ma puce, tu sais bien que je ne fais pas mention de ce « parler », mais le fameux « on fait quoi au juste »

– Mais c’est lui qui est venu dans mon lit, pourquoi me déranger ?

– Parce que l’expression « have your cake and eat it too » nous apprend que certains aiment le statuquo où ils profitent sans toutefois s’impliquer réellement. Bien sûr je ne dis pas que Mally rentre dans cette catégorie, mais on sait que tu ressens des choses pour lui qui dépasse le stade d’une amourette de vacances. Il ne faudrait pas que tu te retrouves dans la situation où il te donne envie de plus alors qu’il ne veut pas vraiment ce que tu as en tête

– T’inquiètes, dans ma tête, il n’y a que mes cours. Ce qu’il fait le regarde. Je sais me préserver et comme je t’ai dit, il n’a rien essayé en dehors de me câliner

– D’accord, ton makeup est fini Miss King

– Merci mon sujet favori. Attends seulement que je devienne riche, on va mal manger dans ce pays

– C’est toi que j’attends depuis pour vivre ma vie de riche femme retraitée à 23 ans, nous rigolons pendant qu’elle sort de la chambre à la recherche de son chargeur. Propose aux filles si elles veulent aussi se maquiller, je lui lance quand elle est déjà au loin

Elle revient avec son chargeur, ainsi qu’un jus organique de 200 ml pour moi.

– Dara est en train de parler avec le responsable du camp de vacances où elle va travailler. Tu peux aller proposer à Hilda ou demandes à Mally de lui dire, je l’évite

– Eh, pourquoi ?

– J’ai découvert que je n’aime pas les gens qui sont sur le dos des autres. Spécialement quand les autres ne font rien de mal.

– Les paraboles sont de retour

Elle hausse les épaules et s’en va se coiffer. Une autre raison pour laquelle papa a surnommé sa dernière fille King, c’est parce que depuis petit, Snam ne me dénonçait aux parents que si j’avais commis une faute grave, ce qui n’est en réalité arrivé qu’une ou deux fois. Lorsqu’on avait des différends, elle venait m’en parler directement et quand les parents nous questionnaient sur comment on est déjà réconcilié, elle disait souvent, c’est fini, tandis que je racontais tout. Elle a gardé ce trait donc je sais qu’elle ne me donnera pas plus de détails sur ce qu’a fait Hilda. Je suppose que c’est sur le dos de Dara qu’Hilda se tient, chose étrange parce que les deux s’entendent plutôt bien je trouve. Je ne connais Hilda que depuis quatre jours et la trouve sympa quand même. Bref je suis là pour douze jours de toute façon donc j’aurais le temps d’en découvrir davantage, et j’ai un make-up à finir.

Une heure plus tard, je me sens moi-même. Certains pourraient trouver ça bizarre ou malsain, mais pour moi c’est devenu au fil du temps un hobby même si au départ j’avoue que je m’en servais pour masquer l’apparence de mes boutons enflammés. Je suis heureuse de rapporter qu’après huit ans à batailler contre l’acné hormonale, mon visage est enfin sorti de cette phase. Il me reste encore des marques qui ont affecté ma texture mais je me sens bien. Et surtout je me sens encore mieux quand je change mon apparence selon mes tenues ou mes humeurs. Comme certains sont excités à l’idée d’un tattoo, pour moi c’est mettre l’accent sur mes yeux ou des fois orner ma bouche par un rouge à lèvres. Ce soir j’ai opté pour du nude avec du gloss par-dessus. Un look approprié pour une petite robe blanche, du moins selon moi.

Snam est au volant de la Honda Pilot. Je suis à côté. Nous attendons encore Hilda. Mally et Dara sont à l’arrière. La dernière porte une longue robe rose au col roulé, ainsi que son piercing au nez. Inattendu, oui je sais. Je l’ai découvert en descendant de l’aéroport à Libreville. Snam lui demande justement d’appeler Marley, parce qu’elle ne se rappelle plus du lieu du rendez-vous.

– Tu n’as pas son numéro toi ? je l’interroge tout en prenant son téléphone pour justement lancer l’appel pour elle

– Si mais il répond rapidement quand sa chérie…

– Chui pas sa chérieaaaahh ! bougonne Dara pendant qu’elle s’exécute

– Quand on se défend comme ça, c’est qu’il y’a une petite part de vérité en général, Mally rajoute sur la moquerie

– Ta gueuye, elle lui répond pince-sans-rire, ce qui nous amuse

– J’ai raté quoi ?

– Quitte, tu aimes trop t’affairer, me chahute ma sœur

– Ayo ? on entend de Dara

– Je note que tu m’as coupé la viande en bouche aujourd’hui hein. Demain on verra quand tu viendras me demander des infos croustillantes sur les parents

– Yeee c’est quelle menace ça ? On se fait ça en famille ? nous continuons à nous taquiner

– L’adressuh, On va quitter la maijon, poursuit Dara avec un petit air renfrogné qui augmente ma curiosité

La portière s’ouvre, laissant entrer une Hilda pimpante et l’énergie conviviale s’envole aussitôt chez ma sœur. Hilda s’excuse de son retard et durant les dix-quinze minutes que dure le trajet, Snam n’a pas adressé une seule fois Hilda bien qu’on papotait en groupe. Marley qui habitait proche du Sky bar à Westlands, avait déjà réservé une table donc nous sommes montés directement au toit de l’hôtel pour le retrouver. Il était en compagnie d’un fort bel homme, qui ne semblait pas ravi d’être là, vu sa face fermée pendant les salutations. Ou peut-être c’est moi qui souris trop ?

– Tout le monde, voici mon ami Cédric que j’ai traîné par le gros orteil pour qu’il accepte de sortir, donc donnez-lui du temps, sa face va se dégeler bientôt. Cédric, voici mes petits, Snam, Mally, Hilda, et Dara ma p’tite chérie

***Hilda Tountian***

Quelqu’un peut m’expliquer pourquoi les blancs aiment la familiarité comme ça ? On te dit de jeter un coup d’œil sur nous de temps en temps et c’est fini, le gars commence à prendre ses aises avec nous au point d’appeler la fille des gens « ma petite chérie ». On les connaît. Comme leurs femmes sont des planches, ils viennent chez nous pour abuser de nos sœurs et il a vu en ma Dara la proie parfaite. Joli visage, seins inexistants mais les hanches sont là, avec les cuisses et le popotin qui va avec. Et le plus important, son handicap la rend très timide donc il se joue le gentil mentor pour qu’elle tombe dans le piège.

Son long nez aurait pu appeler la fille « ma petite chérie » si elle vivait encore sous l’autorité de ses parents ? Heureusement, comme je l’avais dit, je suis dans les parages. J’attends seulement qu’il tente quelque chose et il verra comment je frappe mal. Surtout que c’est lui qui rapporte mon copain à son frère. Parlant du grand frère, lui aussi hein. À part hocher la tête en guise de salutations lorsque Marley faisait les introductions, il ouvre très peu la bouche pourtant la table cause bien. Peut-être a-t-il mauvaise haleine et il essaie de la contenir ? Au lieu qu’elles lui collent la paix, les filles de Madame Ciara affichent leur manque de retenue. La grande encore je ne la connaissais pas donc je ne peux pas vraiment parler mais ce que j’ai découvert sur Snam en vivant avec elle, dépasse le mot déception. Celle qui se jouait la sérieuse, s’est révélée être une vraie gâtée ici. Le sexe coule seulement de sa bouche. Ses parents se tuent au pays pour financer ses études, et au lieu de leur faire honneur, elle se laisse coucher en désordre par Mally dans la maison où nous vivons. Ce même Mally qui me reluque quand je passe vu que la planche qu’est Snam ne lui suffit pas. La dignité a foutu le camp chez cette fille. Et les deux voulaient emmener Dara dans leur débauche mais j’ai vite tué leur tentative, en la signalant à sa mère quand elle est revenue avec ce vilain piercing au nez. Depuis elle se tient à carreau et Snam garde sa mauvaise éducation pour elle.

Environ une heure et demie plus tard, Snam doit encore se faire remarquer. Au lieu qu’on rentre après cette soirée, la meuf demande si nous pouvions faire un tour au côté-bar sur le toit pour danser. Donc nous voilà dans le bruit et la sœur de Snam se lève, tout en prenant la main de ma petite.

– Pardon tu l’emmènes où ?

– Euh… danser ? elle réplique d’une voix hésitante

– Non merci, on va rester là, dis-je en lui reprenant la main de Dara qui nous regardait tour à tour

– Che veux danser Hilda

– Ah non, il y’a beaucoup de soulards sur la piste qui vont nous pousser et toucher. C’est mieux qu’on reste ensemble, en plus je n’en ai pas envie du tout

Je croise le regard électrique de Snam qui fixe Mally qui à son tour lui retourne un haussement d’épaules que je ne comprends pas mais ils n’ont qu’à dégager. On reste ici.

***Snam Wiyao***

C’est dans le bruit que Macy sait questionner les gens, pourtant je l’ignore pour qu’elle capte le message.

– Je dis oh c’est toujours comme ça ? elle finit par se retourner vers Mally et lui demande

– Tu n’as encore rien vu, c’est ta sœur qui a les vrais dossiers, le con rétorque avec ironie

Ce n’est pas la première fois que Hilda profite de la docilité de Dara pour s’imposer sur elle. Mally avait dit qu’il n’interviendrait pas parce que c’était à sa sœur de s’émanciper seule ce coup-ci. Sauf que ça fait trois ans qu’on vit ensemble et depuis un an, que Hilda est devenue invivable. Le FBI même ne surveille pas les présumés pédophiles comme ça. Dara ne peut pas boire plus d’un verre quand on sort, ne peut pas recevoir ses camarades de classe à la maison, déjà qu’elle a déjà eu du mal à s’en faire. Hilda devait être constamment présente, au point où certains se sont fatigués et ont arrêté de venir. Si Hilda rentre et ne trouve pas Dara à la maison, c’est limite la crise. Les suspicions n’en finissent plus. Soit on l’a volé, soit quelqu’un l’a trompé et profite sexuellement d’elle là. Une fois elle a même appelé la police, alors que Dara était juste allée à Farmers Market. Il ne faut pas que j’aborde alors le petit ton de mépris sur lequel elle s’adresse à Marley depuis un moment. Tout ça pourquoi ? Parce que le gars appelle Dara sa petite chérie ? Un gars qui est de la même famille notre ancienne maitresse.  

Le gars a d’ailleurs dit que c’est parce que madame Hélo appelle Dara ainsi qu’il a gardé l’habitude. Et même s’il voulait plus, en quoi ça nous regarde ? Nos bouches vont aller chercher quoi dans les histoires d’un mec de 26 ans et une go de 23 ans ? Mais quand les bouteilles d’eau finissent là, elle sait l’appeler et parler avec une voix mielleuse hein, vu qu’il est ingénieur mécanique dans une usine d’épuration d’eau, il bénéficie de rabais pour l’achat de certaines marques. Et bien sûr, il transporte les gros cartons jusque dans notre appart, ce qui lui évite de devoir le faire. Notre deuxième clash fut d’ailleurs sur ce sujet. J’étais rentrée des cours pour la trouver calée dans notre fauteuil tandis que l’enfant des gens faisait les va-et-vient du bas avec les cartons. Un jour où notre ascenseur était en panne de surcroît. Il se tapait tranquillement huit escaliers pour de l’eau qu’il ne va même pas boire. Et la seule réponse de madame quand je lui ai demandé ce que ses fesses foutaient sur le sofa, c’est que Marley n’est pas là pour ça mah ? Le premier clash c’était sur les mecs. Elle m’a aussi précisé que se faire coucher en désordre n’était pas synonyme de qualifications, donc Dara pourra me prêter attention quand j’aurais réussi à me trouver un COPAIN. Si tu dis maintenant, Dara te rappellera qu’on a abusé d’elle, raison pour laquelle, elle voit le mal chez les hommes donc nous devons être patientes. Pourtant c’est elle qui a un gars, bref, mieux je m’arrête parce que j’ai l’impression d’être une asshole quand je pense ainsi.

Je me tourne sur le côté en dansant et tombe justement sur le loup dont je viens de parler. Le copain de Hilda collé contre les fesses d’une blanche et…

– Seb ? dit ma sœur à mes côtés

Le temps que je capte ce qui se passe, Macy s’est déjà lancée. Et vu la face surprise de son gars, il ne l’attendait mais pas alors du tout. D’où elle est sortie, je l’ignore, mais Hilda aussi s’est matérialisée en quelques instants à côté de son mec. Mally le curieux de la mort, me tire sans me questionner pour qu’on les rejoigne.

-Godson ? C’est bien toi gars ? il demande sur un ton surpris

– Heeeyyy Mally ? what’s up man ? Tu as atterri ici comment ? le gars répond à l’accolade de Mally

– Godson ! j’ai fini avec toi d’abord ? Hilda fulmine

– Baby c’est mon ancien coloc de…

– C’est ton ancien coloc qui m’explique le pourquoi tu es dans ce bar quand tu m’as dit il y a quelques heures que le rhume te dérangeait donc tu allais dormir ? elle lui répond sèchement

-I was asleep when you called me, was I not Elsie? Il questionne la blanche qui était saucissonnée entre lui et le mec de Macy qui reçoit aussi sa part mais en douce

(je tombais de sommeil quand tu m’as appelé, ou pas Elsie ?)

-Yeah, We had to drag him outta bed because the guys wanted to hit the town. Hi Hilda, long time no see

(oui, on a dû le tirer hors du lit parce que les gars voulaient faire un tour. Salut Hilda, ça fait un bail)

– Hum, maugrée-t-elle

-Shiiiiitttt, Yafeu fout quoi ici ? il s’affole subitement et je me retourne également

C’est l’intéressé qui se rapproche de nous, l’air hermétique, penche sa bouche vers l’oreille de Godson puis les deux s’en vont quelques minutes plus tard. Godson a carrément oublié de nous dire au revoir, mais pas Yafeu, que je suppose être son frère vu la petite ressemblance. Il ne s’est contenté qu’un hochement de tête pour les au revoir en revanche. La même façon qu’il nous avait salués. Un homme de peu de mots, j’aime.

***Seb Lavigne***

Macy ne pouvait pas débarquer au pire moment. Après des mois de cour assidue depuis la fois où je l’ai rencontré à Lomé, j’allais enfin sauter Elsie comme son corps de déesse mérite. Au lieu de ça, je suis dans ma chambre d’hôtel avec Macy qui joue à l’investigatrice. Je dose sur les câlins pour la distraire mais rien n’y fait.

– Tu comptes refuser mes baisers encore longtemps ?

– Explique-moi d’abord ce que ton corps faisait agglutiné à celui d’une autre ?

– Mon canari des îles, je ne faisais que danser comme les autres

– Tu devais être collé comme ça ?

– C’est elle qui me collait, tu sais comment sont certaines filles quand elles sont ivres. Réfléchis une seconde. Tu sais combien je suis jaloux, tu me vois danser avec une meuf qui se frotte simultanément à un autre et vouloir me la faire ? En plus quand j’ai un trésor comme toi ? Une fille intelligente, classe et complète ? Mon amour, je lui glisse dans le creux de l’oreille

– Je n’ai quand même pas aimé ce que j’ai vu, soupire-t-elle

– Compris, dis-je et enfin je peux embrasser ses lèvres douces. Tu ne m’as pas encore expliqué ce que tu fais ici toi 

– Je t’avais pourtant dit que j’allais au mariage de ma cousine ou pas ? elle répond entre nos baisers

– Au Gabon non ? Hum, tu es trop habillée

– Seb…, elle murmure quand ma s’insinue dans son soutien-gorge à la recherche d’un téton à titiller

Je grogne en réponse et promène ma bouche dans son cou, une fois que ma main l’a trouvé. Elle essaie de me freiner, et continue à m’expliquer les raisons de sa présence ici.

– C’est… toi qui disais… avoir be…soin de moi à tes côtés durant tes présentations, donc je comptais te faire signe demain… oh, tu me déconcentres

– C’est toi qui est concentrée ailleurs, je murmure avec la tête à la naissance de son décolleté et commence à lui donner de gros coups de langue

Autant la déconcentrer à fond maintenant pour qu’elle soit plus disposée pour la nouvelle que j’ai pour elle bientôt.

***Elikem Akueson***

C’est à la course que je me suis ruée sur mon téléphone dès que j’ai entendu la première sonnerie. Et la morsure de la déception fut vive quand j’ai vu le nom de ma sœur affiché sur l’écran au lieu de celui que j’espérais. Je me donne une petite seconde pour me reprendre avant de répondre.

– Allô petite, tu ne dors pas à cette heure ?

– Nan, je chuis chur mon bayecon. Toi tchu fais quoi ?

– La routine, j’étudiais

– Ech que c’est mieux d’appeyer après ?

– Non non, tu veux me dire quoi ?

– Rian, je vouyais savoir chi tu étais pas trop trisse, dit-elle candidement ce qui me prend par surprise. En général c’est moi qui viens aux nouvelles

– Si, j’avoue sans honte et d’une voix lourde

– Ech que l’amour fait toujours comme ça ?

– Pas toujours, mais ça peut arriver que celui que tu aimes t’énerve tellement que tu commences à te questionner

– Ech que je peux aider ?

– Oui, raconte-moi ce qui se passe de beau chez toi

– J’ai accepté aujoud’hui une place de monitrice dans un camp de vacac… holidays

– Non, tu dis vrai ? répliquai-je étonnée, et elle se marre

– Yep. J’ai demandjé et on m’a accepté. Chai funny han ? Le monchieur a dit qu’il a aimé ma motchivation. Tchu dis pas à maman han ?

– Compte sur moi. Mais tu es sûr que tu pourras travailler avec des enfants ma puce ? Je n’essaie pas de te décourager mais…

– De vrais monchtres, je chais, et ils cheront un bon encraînement pour que je pratchique mon parler et l’attention, comme chui pas encore confiante. Enfin, je pense ?

– Expliqué comme ça, tu as raison. Je suis fière de ton initiative

– Merci. Je pense que je peux achurer là-bas

– C’est l’esprit à avoir. Garde-le, dis-je avec une pointe de fierté dans la voix

– Tchu peux m’appeler si tu es trisse tu sais. J’ai pas de copain mais j’avais beaucoup lu sur les copains

– But il paraît que…

– rrooo pahait riann, elle réplique et je ris aux éclats. En pluche les blancs sont pas circonchis, it’s weird and repulsive parce qu’ils che lavent pas bian

– Comment tu sais que c’est bizarre et repoussant toi ?

– Hilda m’a djit

– Ah…, je croyais que son copain était ghanéen

– Oui et t’avais promis de pas djire à maman han, remember ?

– Oui bien sûr. Si son copain est ghanéen, elle a vu les pénis non circoncis où ?

– Elle a vécu beaucoup de choses you know

– OK, mais ce n’est que son opinion dans ce cas. Et je la trouve fausse, si tu veux mon avis

– Come on, on a vu à la télé. Les blancs n’aiment pas che laver réguy… as much as nous

– OK mais je vis entre eux et même si ce stéréotype est confirmé, il y’a une raison derrière. Leur climat changeant ne leur exige pas de le faire. Et pour des gens à qui on colle facilement l’étiquette de la saleté, j’ai rarement senti les mauvaises odeurs venant d’eux. Si le sujet de l’incirconcision t’intéresse, fais une petite recherche google et tu seras surprise des résultats plutôt encourageants. Tout n’est pas blanc noir dans la vie Aïdara

– Mais ça reste un peu weird, non ? Je chuis pas miss monde, ça je sais, mais… euh… j’ai l’air judgy hein ? elle finit par dire comme si elle vient de s’en rendre compte

– Kinda, je dis avec humour. Mais on est tous un peu judgy au départ, et dès que l’amour te frappe, tu commences à philosopher en désordre. Que « l’apparence ce n’est pas tout dans la vie, nous ne sommes que des passagers sur terre, c’est aussi une créature de Dieu, il prend soin de moi » au lieu de juste admettre qu’on est tombé sous le charme de celui qu’on avait critiqué

– Tchu avais fait ça ? elle demande entre plusieurs rires

– J’ai juré que l’amour ce n’était pas pour moi et je traitais Romelio d’Alien quand il me décrivait sa vie de rêve, dans laquelle Océane et lui auraient cinq enfants, espacés au trop de seize mois, qui leur tomberaient tous dessus chaque matin avec des sourires angéliques comme s’ils n’avaient pas refait la déco de maman avec des sharpies jaunes et brisés la télécommande juste avant. C’est finalement moi qui suis tombée sans trébucher sous le charme d’un vendeur de glaces, sans même qu’il m’ait dragué. Et juste pour le reluquer, je suis retournée plusieurs fois dans sa boutique au point que Romelio me choppe mais j’avais trop honte de l’avouer

– Lol phonyyyy, se moque-t-elle

– Au moins j’admets que j’ai été hypocrite hein, rigolai-je. On est là. J’attends ton tour, tu me donneras des nouvelles

Elle a commencé à m’amuser par ses remarques au point où j’ai presque réussi à oublier ma situation actuelle. Mais en raccrochant, ma première pensée était pour Ray. Et une petite colère a pris forme en moi. Je comprends qu’il soit dans tous ses états, mais c’est trop demander qu’il me réponde simplement qu’il vit ? Ne serait-ce que pour me tenir au courant de sa situation ? Hier j’ai même écrit un long message dans lequel je le suppliais. J’en suis arrivé là. Supplier d’avoir des nouvelles. Mais je n’ai pas eu le courage de l’envoyer. Quelque chose m’a arrêté. Je ne me vois pas à ce niveau mais mentalement j’ai la sensation d’y être.

***Mireille Sani***

Les hommes ont-ils été créés comme nous ? Si oui comment peuvent-ils afficher autant d’insensibilité ? J’ai sacrifié ma vie pour celle de Martin, lavé son corps de malade, nourri pendant qu’il bavait à son grand âge et ma récompense c’est de découvrir qu’il me trompe. D’autres auraient déserté le foyer mais je suis restée avec lui. Sans mon entêtement face aux médecins, il ne serait d’ailleurs plus de ce monde. Mais il se permet de faire entrer une femme dans ma maison. Pas une, ni deux, mais quatre fois en l’espace de deux semaines. C’est ce que j’ai découvert depuis que j’ai croisé Jeanne avec le mari de cette Yasmine.

J’ai tout bonnement continué à sortir de la maison, sans toutefois quitter le quartier. Dire qu’initialement j’avais pensé me confier à Martin le jour où j’ai surpris cette boniche, puis je me suis ravisée, car je trouvais qu’il en avait déjà assez sur la tête. J’avais même suspecté qu’Axel comme complice de Jeanne. Malgré l’âge, mon deuxième fils est resté naïf, timide donc facilement corruptible par une femme. Leur petite proximité n’était pas passée inaperçue à mes yeux et j’avais réitéré à Axel qu’il devait se tenir à carreau avec cette petite. Hors de question qu’un de mes enfants termine avec une fille à peine instruite, aussi naïf qu’il soit. Et encore moins Axel, qui semble toujours intéresser la fille de la ministre. La semaine dernière, elle était chez nous, quand je prétendais être de sortie. Je l’ai observé elle et mon fils depuis ma cachette. C’est depuis ma cachette aussi que j’ai vu cette femme, ainsi que le mari de Yasmine se présenter en pleine journée chez nous. J’ai vu Jeanne leur ouvrir et Martin, sur des béquilles les raccompagner. Des béquilles, je dis bien, alors que ses fils continuent à le soulever pour la douche, et nous tirons toujours son fauteuil roulant. Il arrive à se déplacer sur des béquilles !

Et il a embrassé cette femme sur la bouche, devant notre maison. Celle où j’ai mis ma sueur et mes efforts pour construire notre vie. J’ai mis bout à bout les informations que j’ai trouvées, et j’en suis arrivée à cette conclusion. Gaëtan est celui qui m’a emmené cette petite Jeanne et il a toujours été l’acolyte de mon mari. Si cette petite fait entrer des inconnus dans ma maison, c’est que Gaëtan et Martin sont de mèche avec elle. Et ce dernier veut visiblement me quitter pour cette vieille peau, sinon pourquoi me cacher que son état s’améliore ? Je suppose que le mari de George doit être parenté à cette vieille, quoique je n’ai pas osé questionner Yasmine ni confronter Gaëtan, par crainte que Martin soit informé. Vu qu’il s’est inventé un jeu dans lequel il se plaît, nous allons jouer ensemble. J’ai reçu mes cartes désormais, j’attends juste le moment opportun pour les abattre.

***Seb Lavigne***

Après une nuit torride, j’ai enchaîné avec un petit déjeuner, et attendu qu’elle descende ses trois mimosas avant d’annoncer à Macy que j’ai engagé Elsie dans notre équipe.

— Et c’est qui cette Elsie ?

— Tu vois la fille avec qui je dansais hier, en fait…

— Aha, elle rigole de dérision, marque un stop et m’observe comme si j’avais deux têtes. Ces foutus mimosas sont supposés faire leur effet quand ?

— Tu sais que je ne maîtrise pas l’anglais et…

— Et Norman n’est pas là pour ça ? me coupe-t-elle

— Elle a une grande expérience en lancement de produits bébé, et c’est une blanche. Quoiqu’on dise, on les prend plus au sérieux que nous

— Nous ? Tu me parles de quoi ? Tu es métisse

— Oui, mais tu sais que beaucoup nous voient comme des noirs malgré tout. La preuve, des dix entreprises à qui on a fait nos présentations, lesquelles ont accepté d’acheter Halo ? Le résultat aurait été différent si j’avais une femme comme Elsie à mes côtés. En plus d’être blanche, elle a de l’expérience, et elle est américaine. Elle aligne tous les privilèges possibles. C’est l’atout ultime pour nous

— Je n’aime pas cette mentalité ! C’est une équipe composée de noirs à 95 % qui a bossé sur la conception de ce programme jusqu’ici. C’est moi qui aie décroché la majorité de nos présentations et en plus, depuis quand tu engages quelqu’un sans m’en parler ?

— Macy ! Je l’interpelle sur un ton ferme. Cette mentalité comme tu dis, c’est une solution concrète, ou dois-je te rappeler que nous ne faisons toujours pas de bénéfices bien que le programme soit enfin prêt à être commercialiser ?

— Nous ne faisons pas de bénéfice parce que tu ne veux pas revoir à la baisse le prix de lancement. Aucune PME ne peut fixer un prix pareil si elle espère percer dans un domaine largement dominé par Microsoft, Trello, Oracle, en Afrique de surcroît, un continent où la majorité est résistante au changement parce qu’ils sont sceptiques à la nouveauté

— Est-ce que c’est Macy ma copine qui parle ou Macy ma partenaire professionnelle ?

— Quoi ? demande-t-elle comme si je venais de la prendre de court

— Tu m’as entendu. Parce que ta réaction est totalement exagérée. Ce n’est pas à toi de me dire combien je dois vendre mon programme. Tu as certes travaillé sur sa conception et je t’ai rémunérée. Halo reste mien. Je compose l’équipe et si je veux Elsie dedans, elle y sera. Vas-tu rester professionnelle avec elle, ou dois-je me trouver une autre analyste ?

***Macy Wiyao***

Il m’a laissé sans mots. J’ai payé de ma poche ce billet juste pour venir l’assister et c’est une douche froide qu’il me donne comme récompense. Je sens du Norman dans le coup. Il était aussi au bar et je l’ai vu bien rigoler avec cette fille. Lui et moi c’est comme l’huile et l’eau. On ne se mélange pas. Dégoûtée par l’attitude de Seb, j’ai quitté l’hôtel Ibis pour retourner chez ma sœur à Hurlingham, et je n’ai revu Seb qu’au jour de notre présentation. Et ce jour encore, je viens dans la paix, mais Seb me prend sur le côté pour me briser.

— Je t’ai parlé du look de la compagnie Macy et tu penses que c’est le moment de te ramener avec un rouge à lèvres digne de Karaba la sorcière ?

— Mon rouge à lèvres a quel rapport avec mon travail ? répliquai-je piquée au vif

— Nous allons rencontrer une entreprise dirigée par des Chinois. Un style formel c’était trop demandé ? Maintenant tu m’obliges à faire la présentation avec Elsie

— Sébastien, tu dépasses les bornes ! Nous allons rencontrer ses Chinois en Chine ou ici à Nairobi où ils se sont installés ?

— Parce qu’ils sont venus à Nairobi, c’est ton excuse pour te ramener avec le gros pagne noué à la tête comme une vieille qui s’en va faire une veillée de prière ? Ton look ne convient pas à l’image de la compagnie. Bref, Elsie, let’s go, il dit sans me donner le temps de réagir

J’ai passé une sale nuit avec des crampes parce que mes règles se sont pointées ce matin et pourtant je révisais chacun de mes points, pour assurer ce matin. C’est pour me donner du peps que je me suis habillée ainsi parce que c’est le look dans lequel je me sens mieux. Mais qu’on me dise qu’aujourd’hui je ne suis plus conforme à l’image d’une compagnie, c’est pire qu’une insulte. C’est comme s’il m’avait craché en face, quand en plus il l’a dit non loin d’Elsie, à la face à peine maquillée et lèvres rosées tandis que Norman me regardait avec un air moqueur. Seb connaît mes problèmes d’apparence. Il sait le pourquoi je me suis tournée vers le maquillage en premier lieu et qu’avec le temps, c’est devenu presque une identité. Il sait que ça m’a pris du temps pour m’aimer et m’a d’ailleurs aidé à m’accepter et découvrir mon côté sensuel. Comment un homme qui a été si aimant peut m’attaquer délibérément aujourd’hui ?

Peut-être c’est la jalousie qui parle, mais c’en est trop pour moi. Je prends mes clics et quitte la compagnie. Les Chinois ne sont pas les seuls qui refusent de s’assimiler. Je ne le ferais pas non plus parce que Halo est désormais trop bien pour le pagne noué à la tête et un rouge à lèvres prune ! Pas noir, mais prune !

***Hadeya Wanke***

Axel est soit naïf ou il fait exprès de ne pas me remarquer pourtant je ne manque pas de le visiter toutes les fois où je rentre à Lomé. J’ai un peu honte, mais il faut bien prendre le taureau par les cornes donc j’ai décidé de lui écrire une lettre pour me confesser. J’y ai mis mes plus belles paroles et pour finir, je me suis faufilée dans la chambre des parents pour piquer un parfum de maman afin de rajouter quelques notes sophistiquées sur ma note, mais elle m’a prise en flagrant délit. Elle a râlé et m’a poursuivi tandis que je m’enfuyais avec la bouteille. Résultat, j’ai percuté une de nos domestiques qui m’apportait mon téléphone qui sonnait. Et Maman m’a pris par l’oreille.

— Aïeuuhhh papa a dit de ne pas me faire ça, je me plains tandis qu’elle continue à la tirer

— Mon mari n’est pas le père d’une petite voleuse, redonne vite ma chose, dit-elle en me retirant son parfum

— Pourquoi tu es pingre comme ça la vieille ? Tu as les parfums au point de remplir ta chambre. C’est me donner un qui allait te tuer ? je réplique en massant mon oreille tout en débloquant mon téléphone pour lire les messages qui ont fait sonner mon téléphone. Maman bien sûr continue à me traiter de tous les noms, mais je l’ai déjà oublié face aux mignonnes photos que Vita m’a envoyées d’elle et bouba quand elles étaient au Gabon. Regarde la vieille, elle n’est pas à croquer ?

– C’est qui ? elle me questionne tout en regardant les images

— Tu ne reconnais plus mon amie avec qui je suis rentrée ici ? Hum la vieillesse ce n’est pas bon. C’est un signe que je dois te rendre grand-mère au plutôt ça

— Tu as intérêt à fermer tes jambes et…..

Elle écarquille brusquement les yeux après avoir rapproché l’appareil de sa face, comme si elle venait de voir un revenant.

— C’est quelle blague Hadeya ? crie-t-elle pourtant je suis juste à côté

– Euh…, fais-je confuse

— Ton amie sort d’où ? Tu l’as connu comment ? elle continue à me questionner avec ce ton affolé et continue à fixer l’écran

— Je l’ai connu à Lille, dis-je faiblement parce qu’elle n’a pas aimé le temps que j’ai fait là-bas. Elle m’a d’ailleurs sorti de là pour m’envoyer aux États-Unis parce que mon frère m’a vendu que je fréquentais un Arabe

Elle répète des lamentations en Haussa, avant d’agripper mon bras et me placer le téléphone en face.

— Lui là, tu l’as connu à Lille ?

— Non lui, c’est le papa de bouba, la fille de Vita

— Appelle-moi cette Vita sur le champ. Je veux lui parler

— Qu’est-ce qui se passe maman ? Tu me fais peur à crier et trembler comme ça

— J’ai dit de l’appeler ! elle me crie en retour

Je lance l’appel fébrilement, priant que ce n’est pas pour me punir qu’elle demande ça. Je n’ai rien fait de mal aux dernières nouvelles, mais avec quand il s’agit de maman, on ne sait jamais.

— Vita, ça… rhooo maman, me plains-je quand elle m’arrache l’appareil

— Bonjour Vita. C’est madame Wanke. Comment vas-tu ?

— Parfait je vais bien. J’aimerais rencontrer le père de ta fille. Quand seriez-vous disponible ?

— Il est parenté à une connaissance, et j’aimerais vérifier certaines choses avec lui

Han ? Parenté à quelle connaissance ? me demandai-je après cette révélation.

***Thierry Henry Ndouo***

La dernière chose que je veux c’est me déplacer. Maman me jure qu’elle va bien, mais Vieira m’a dit qu’elle perd ses couleurs. Pour mon petit frère, la raison c’est son départ imminent à Kinshasa. Il n’a pas encore reçu l’admission à l’Institut Supérieur des Techniques appliquées, mais nous avons confiance que bientôt il sera parmi les étudiants de cette école. Donc il croit que maman déprime parce qu’elle va se retrouver seule. Mais je sais que la peur qu’il s’éloigne et peut-être ses géniteurs le retrouvent y est pour beaucoup. Elle me demande régulièrement, si les gens là ont essayé de rentrer en contact avec moi. Je la rassure, mais loin comme je suis, mes mots ne l’atteignent pas. Je ne sais pas comment la mettre en confiance, que je n’accepterai aucun parent en dehors d’elle. Une partie sorcière de moi essaie quand le sommeil me fuit, de se demander à quoi ressemblent ses gens qui m’ont laissé. J’ai bien dit une partie sorcière, mais je m’emploie à la tuer régulièrement. On ne m’a pas enseigné l’ingratitude donc hors de question que je commence à l’être en passant derrière ma mère pour me rapprocher de quelqu’un d’autre.

Je n’avais pas forcément envie de me déplacer aujourd’hui, mais Garcelle veut absolument qu’on fasse ensemble les visites d’appartement parce qu’elle a obtenu le poste à Marseille, donc en tant que copain qui soutient sa copine, j’ai dû ravaler mon ressenti et bouger avec elle.

***Gioia***

Prochainement, dans « D’amour, d’amitié », Game over. Je m’excuse pour les commentaires auxquels je n’ai pas répondu sur les chapitres précédents. J’ai eu beaucoup à faire ici et là et je tombe de sommeil actuellement mais dès que je vais me réveiller, je viendrai répondre, promis.

D’amour, D’amitié