82 : et même à l’autre bout du monde, quelque soit l’endroit où l’on soit, un jour on se retrouvera, partie 1
Ecrit par Gioia
***Belle Laré AW***
Imogen n’avait raconté d’histoires. Sa sœur est vraiment travailleuse. Je lui ai simplement dit d’arranger un peu le salon mais elle a fait le grand nettoyage. Les coussins ont été époussetés, la table nettoyée, même l’écran de la télé y est passé, et elle a fini le tout en une heure. Je n’ai pas eu besoin de lui apprendre comment utiliser l’aspirateur contrairement à sa sœur qui n’a jamais compris le principe. Quand je le lui sortais, elle se faufilait déjà sous les meubles, balai en main avec l’explication que le temps qu’elle apprenne comment se servir de ma machine elle préfère l’utiliser pour faire le travail. Je ne me suis jamais formalisée pour les méthodes, tant que le résultat est là, donc elle faisait à sa manière.
En temps normal, un salon frais et propre ferait la joie de n’importe quelle femme, mais je suis morose. Mon premier bébé a fêté trente ans de vie sur terre cette semaine. Trente ans c’est beaucoup et je suis reconnaissante à Dieu d’avoir veillé sur elle jusqu’ici mais son cœur n’est pas totalement en joie malgré qu’elle s’y efforce. Je continue de croire qu’Eli a été drastique et les jours qui défilent sans que la situation entre ma fille et son copain changent, ne fais que me conforter dans cette idée. Je soupire. Dans mes rêves, elle devait être avec son mari actuellement et vivre le bonheur d’une vie à deux. Un second soupir traverse mes lèvres.
– Tu as déjà des problèmes sitôt le matin ? m’interroge celui avec qui je partage mon petit déjeuner
– Tu ne vois pas qu’il est tôt pour supporter ton ironie ?
– Je m’inquiète parce que tu soupires et ça devient de l’ironie ? Belle tu as besoin de vacances. Comme ton fils est retourné à Washington, tu veux aller le voir ?
– Ce dont j’ai besoin c’est que cette histoire de vol soit réglée au plus vite pour que ma fille et son fiancé puissent enfin célébrer leur union dans la paix
– Patience, ma cousine s’efforce de me trouver un officier du bureau central national d’Interpol du Gabon
– Interpol carrément, m’étonnais-je
– Si la police nationale est lente, j’ose espérer qu’ils seront un peu plus rapides. Aussi, je ne te l’ai pas dit parce que j’attendais le retour d’un détective privé que j’ai enrôlé, mais, il se fait que nous avons retrouvé la trace du fils de Tao et Farida
Le temps se suspend automatiquement pour moi. J’ai l’impression de ne pas avoir bien entendu, donc je lui demande de se répéter, et il le fait, pendant que mon cœur tambourine à chaque mot
– Eli ! Tu as retrouvé l’enfant de nos amis ! Un enfant perdu depuis des années et ça ne t’est pas traversé l’esprit de m’en parler ! je m’offusque
– Belle je t’ai dit que j’essayais de confirmer d’abord l’information et….
– OK ne pas leur dire, je comprends mais et moi ? Tu pouvais quand même le partager avec moi ! Bien vrai qu’ils ont été les plus touchés par cette séparation forcée mais nous avons tous laissés une part de notre cœur dans cette histoire. Ça te coûtait quoi de me le dire ? Ne serait-ce que pour m’apaiser ?
– Tu peux me garantir que tu n’allais pas te mettre à harceler ce détective parce que trop pressée que nos amis soient mis au courant ?
– Attends, tu me prends pour qui ? Une enfant ?
– Non je ne…
– Parfois tu me fatigues avec ta façon de me faire des cachoteries et te justifier avec des sous-entendus bidon, je lui réponds remontée et le quitte
Quand il s’y met, il est si énervant. J’ai la cinquantaine révolue quand même. Est-ce que c’est normal de me juger sur le comportement que j’affichais dans la trentaine ? Il vient me bredouiller des excuses du bout des lèvres mais mon cœur est trop en haut pour descendre donc je sors visiter les Wiyao quand il se rend à l’hôpital.
– ça va ma Macy ? je lui demande après qu’elle m’ait ouvert leur portail
– Comme on veut, et toi ? Tu es pimpante hein
– On fait comment ? À cet âge, tout le monde combat la vieillesse, je blague et elle rigole.
– Tu as raison, ne laisse rien tata
Nous nous dirigeons dans les causeries vers leur salon où se trouve mon amie assise à leur table à manger, remplie de documents
– Bella tu tombes à pic, je mourrais de faim, dit-elle joyeusement quand je remets à Macy l’assiette contenant la sauce de poisson frais que je lui ai ramené. Selon elle, j’ai un coup de main pour cette sauce qu’elle n’a pas et jamais trouvé ailleurs donc de temps en temps, je lui en fais.
Elle n’attend même pas que sa fille lui ramène le riz pour manger. Sa cuillère danse déjà dans la sauce qu’elle boit et soupire de bonheur
– Hey ce n’est pas juste pour toi hein, l’avertit Macy qui dépose aussi son assiette pour se servir
– Mais on t’a invité où ?
– C’est quelle maman qui mange sans partager avec sa fille ça ? Tata parle lui
– Le privilège là est fini depuis que tu portes la même pointure que moi ma chérie, faut te chercher loin de mon plat, ohrrrr
– Je vous rappelle qu’il y’a des documents devant vous hein, rigolai-je tandis que les deux se disputaient l’assiette de sauce
La mère qui ne voulait pas partager est finalement celle qui dose le riz à Macy comme si elle mangeait pour trois. Je leur rappelle juste que Magnim était compté dedans. Parlant de lui…
– Le chef de maison s’est rendu au travail ?
– Non, il est dans son bureau au téléphone avec Tao. La fameuse retraite anticipée dont il avait parlé là, il faut oublier hein. Il l’a encore repoussé
– On savait non, il a l’architecture dans le sang, dis-je avec humour
– En tout cas, je ne vais pas suivre son exemple. Dès que cette demoiselle se décidera à rentrer, j’irai à temps partiel pour un an et deviendrai consultante au besoin par la suite. Tu nous as d’ailleurs trouvés dans une petite formation matinale
– Ah ça félicitations notre future PDG, dis-je avec fierté
– Oh tata ce n’est pas confirmé que je serai PDG hein
– Pardon, on connaît tes aptitudes. Si ta mère perfectionniste comme je la sais, se base sur ton retour pour anticiper sa retraite, c’est bien parce qu’elle compte te laisser les rênes
– Qui a dit que je suis perfectionniste ?
– Laisse-moi ça madame. Combien de temps ça t’a pris pour trouver une remplaçante à la tante de Jennifer ?
– Trouver une bonne assistante de nos jours n’est pas chose aisée. Surtout une qui s’habitue au rythme qu’on lui demande, et c’est triste de le dire. Et deux ans pour en trouver une bonne ce n’est rien, comparé à certains
– Que devient Ama enfin ?
– Tu ne suis pas l’émission de Jennifer sur la TVT ? Elle y est passée une fois
– Eh ben, d’assistante à animatrice télé. L’ascension est à féliciter
– Je te dis, elle était bien coquette en plus. On ne se voit pas beaucoup depuis qu’elle a quitté l’agence mais une semaine ne s’écoule pas sans que j’aie de ses nouvelles
– Dieu merci que tout aille bien pour les deux. Macy, ton départ…
La porte du bureau s’ouvre et Magnim sort avec un air livide qui interpelle aussitôt sa famille qui l’interroge. Il le sait, j’en suis sûr
– Tao… Tao a retrouvé la trace de Laith
Macy échappe sa cuillère. Ciara garde la bouche grande ouverte. Mon cœur se remet à cogner fort.
– Il a trouvé… les amies… il a retrouvé son enfant…, il dit sous le choc et se met à rire d’hystérie
Ciara se lève soudainement et se met à répéter, hey Seigneur, sans arrêt, tout en se retournant sur elle. Macy est la seule qui interroge son père. L’information m’est encore difficile à assimiler. Tao sait ? Est-ce qu’Eli a changé d’avis après notre discussion et l’a prévenu ?
Les minutes s’écoulent et enfin l’émotion se stabilise un peu en chacun de nous. Il s’installe aussi à table et nous relate la conversation qu’il a eue avec notre ami.
– Oh mon Dieu, Lille à côté dans le même pays qu’eux ! m’écriai-je
– Je le savais ! Je savais qu’un jour comme ça leurs pas allaient se recroiser. On ne sépare pas le sang, quelle que soit la durée, s’émeut Ciara
– Il était sous leur nez depuis tout ce temps ? continuai-je dans le même état d’esprit
– Il s’y est rendu récemment mais oui, il y vit. Je pense que je vais aller les voir. Il était ébranlé au téléphone comme pas permis. Le petit lui a apparemment fait signe pour confirmer qu’il vit et leur fera signe lorsqu’il sera prêt à les revoir mais il n’arrive pas à se contenir
– Oui, vas-y, dis-je en même temps que Ciara
– Attends je vais prendre mon ordi pour te booker ton vol papa, on pourra rentrer ensemble
– Merci ma puce. Je ne t’ai même pas salué Belle. C’est comment ?
– Oublie ça, il y’avait plus urgent
– Papa il n’y a pas de vol le jour où je quitte Lomé mais deux jours avant, sinon cinq jours plus tard
– Cinq jours plus tard ce n’est pas mieux chéri ? Il y’a le départ de ta sœur et Auxanges pour Brazza
– Merde, j’avais complètement oublié. Prends-le cinq jours plus tard Macy, je voyagerai seul, ça ne me dérange pas
– Bah non, je vais juste repousser mon départ
– Mais tu n’avais pris la date actuelle pour te laisser une semaine de repos à Paris avant de prendre fonction dans ta nouvelle boîte ? lui rappelle son père
– Je vais me débrouiller t’inquiètes
– Je préfère aussi que vous voyagiez à deux, chéri. Avec cette nouvelle tu auras l’esprit un peu partout, lui dit Ciara, sentant que Magnim voulait encore dissuader Macy. Il donne donc son approbation à la petite.
– Hana et Auxanges s’en vont ? je demande enfin
– C’est vrai qu’on ne s’est pas parlé depuis un moment, dit Magnim. Auxanges a été transféré au siège de leur église là-bas pour deux ans donc ma sœur le suivra
– Ah d’accord, ce sera une bonne occasion pour visiter Brazza
– Je te dis. Même Romelio y est allé, pourtant moi son oncle je n’y ai jamais mis les pieds
– Il prend bien la nouvelle le chef ?
– Oh tu sais à son âge, il est habitué à être loin. C’est plutôt Hana qui lui laisse des recommandations comme s’il mourra de faim si elle s’en va
– Celle-là, dis-je avec un sourire
– Finis papa, annonce Macy
– Ha mais tu n’as pas eu besoin de mon numéro de passeport ?
– Tu as oublié qu’elle se promène avec tous les scans de nos documents officiels ? lui dit Ciara
– Vraiment, ce n’est pas une petite dot que je vais demander à ton futur mari, l’embête Magnim et sa fille gênée lui cogne l’épaule
– Je plussoie cette décision, on doit bien valoriser notre fille
– Ah bon hein Belle, je veux t’entendre aussi enthousiaste quand on sortira la liste à Mally lorsqu’il se présentera ici pour Snam
– Rhoo Maman, c’est intrusif, lui reproche ta fille
– Qu’est-ce qui est intrusif dedans ? Dès que les deux sont dans un endroit, ils se collent jusqu’à la séparation
– Que le ciel t’entende oh ma chérie, qu’il frappe le cerveau de mon fils pour qu’il revienne à l’endroit au plus vite, priai-je. En attendant, je soutiens Magnim sur le dossier de Macy
– Vous savez que Dara s’adapte bien avec les enfants de la colonie de vacances, lance-t-elle pour faire diversion. Du Macy tout craché, pour un peu elle gênée dès qu’on parle de sa vie sentimentale
– Tu ne penses pas que la maman de Dara est mieux renseignée sur le sujet là que toi ? se moque son père
– Oh je vous informais au cas où
Je ris, en pensant à ma Dara qui s’adapte effectivement. Je ne sais pas si je rajouterai bien, vu les choses qu’elle m’a racontées, mais elle ne lâche pas. Dire qu’elle a attendu la veille pour me l’annoncer et je m’égosillais au téléphone à la décourager par crainte qu’elle soit seule avec des inconnus. Aujourd’hui, je me dis qu’elle n’aurait pas pu choisir mieux.
***Aïdara Laré AW***
J’étais venue à Malindi pour passer premièrement un bel été, jouer avec des enfants et possiblement améliorer un peu mon échange avec les gens, parce que mon parcours à l’école de droit n’était pas fameux sur le plan social. Pour faire les travaux en groupe avec moi les gens étaient prêts mais les exercices de débat, ou présentations pas vraiment. Les fois où je trouvais facilement une équipe, c’est parce que les profs m’incluaient de force et ils n’étaient pas nombreux à vouloir le faire. Bref je n’avais pas prévu de me faire emmerder en venant à Malindi. Mais il a fallu que mon moniteur et binôme soit Marley Boulder. Je commence à penser que même si j’allais à l’autre bout du monde le mec trouverait un moyen d’y apparaître brusquement. Et je n’ai découvert sa participation à cette colonie qu’après avoir accepté le poste et suivi la formation de trois semaines me préparant sur l’itinéraire et l’encadrement du groupe de treize enfants qu’on nous a confié. Que fait-il ici ? Ce fut la première question que je lui ai posée. Et il me répond qu’il a pris ses vacances annuelles donc le voilà. Qui passe ses vacances annuelles avec des mômes au lieu de je sais pas moi dormir ? Ou voyager ? fut ma deuxième question. Et il me répond toujours sur ce ton amusé, qu’il s’est habitué à être moniteur de vacances depuis le temps qu’il a fait à Cape Town. Et qu’en plus il adore le surf ainsi que les enfants. Oui hein, les petits monstres là vont faire du surf et accessoirement moi aussi. Proposition de mon fameux collègue et mon formateur m’a annoncé avec une joie indescriptible, que j’ai de la chance que le meilleur moniteur ait pu se libérer au dernier moment pour se joindre à nous. On ne pourra pas me convaincre que ce blondinet aux yeux bleus ne s’est pas ramené en entendant mon nom, parce qu’il n’était pas du tout surpris lorsqu’on s’est vu le jour du voyage. Je le sens aussi gros comme son pif. Bon son pif est plutôt allongé mais ce n’est pas moi qui conçois les proverbes.
C’est notre première semaine à Malindi et les enfants me font déjà voir de toutes les couleurs. Ou devrais-je plutôt dire deux enfants principalement, Thema Asamoah et Seth Charles Meledje. L’une fait souvent la tête quand je lui donne des directives et l’autre a trouvé drôle de demander si je connais Daffy le Canard, parce que je parle comme lui. Marley voulait intervenir mais j’ai pris la chose en main, répondant à Charles, que non seulement je connais Daffy the Duck, mais aussi Donald, Mickey et pour finir Doofy (Dingo) à qui il ressemble assez avec ces dents manquantes là. Le groupe s’est moqué de lui mais au lieu que ça le remette à sa place, il s’est décidé à se rapprocher de moi maintenant et ne fais que m’interpeller en désordre. Dara ici, Dara là. Même si c’est pour me dire de regarder son torse parce qu’il pense qu’un poil vient d’y pousser, or le gosse n’a que sept ans. Et qui ça amuse plus que tout ? Marley !
– J’ai entendu mon nom, me répond le diable subitement et moins je sautais
– Qui a djit ton nom tchoi ? Va loin
– Si ce n’est pas mignon ça, tu rêves de moi éveillée
– Dju balai, on djoit prépaher les enfants, dis-je en le poussant
– Je venais faire mon rapport, les garçons sont réveillés et sont déjà regroupés pour le brossage des dents
– Shiiiieeettt, crié-je avant de m’élancer pour aller réveiller les filles
Dans une heure, un bus viendra à l’établissement où nous logeons pour nous conduire au jardin de sculpture Ndoro donc le retard n’est pas acceptable. S’il y’a bien un cliché qui ne ment pas, c’est que les filles aiment traîner. J’en ai cinq contre les huit garçons dont Marley est en charge aujourd’hui, pourtant le brossage des dents a pris plus de temps avec elles, parce que ça causait dans tous les sens.
Elles rejoignent les garçons dans la file qu’on leur demande de faire le matin pour prendre le petit déjeuner. Marley se charge de la surveillance tandis que je cours préparer les débarbouillettes pour leurs toilettes. Lorsqu’ils ont des activités si tôt, c’est presque impossible de les faire tous se doucher et partit à temps donc il a fallu trouver un compromis.
Les déb arbouillettes sont prêtes dès qu’ils ont fini de manger et je vérifie que chaque fille se nettoie bien entre les jambes. Thema comme d’habitude me donne plus de mal que les autres. « My mummy said no one should see or touch me down there », elle se défend toujours et je n’insiste pas. Je n’ai même pas d’enfant alors je suis qui pour contredire une recommandation faite par une mère. J’ai quand même noté ça dans mon les bulletins que nous devrons remettre aux responsables de la colonie, à la fin. Faut pas non plus qu’on m’accuse d’avoir négligé la toilette intime de la fille. Une dernière vérification des sacs pour s’assurer que chacun a ses snacks ainsi qu’une bouteille d’eau puis, nous sommes dehors.
– Aye Aye Aye, get in line, je leur crie pour qu’ils se rangent et entrent dans le bus
– Aye Aye Aye, Ata bebo awurade, chante Charles en dansant au lieu d’obéir
-First of all, it’s Eja mebo! And secondly, it’s a song from my culture and not yours so keep it out of your mouth, K? Thanks ! lui répond sèchement Thema avant de bien le toiser
– Jiiii regardez gros anglais dans sa bouche que culture. Nous même on a aye aye aye hein petite
– I don’t understand french anyway, pouffe-t-elle
– Et puis mon problème dedans est quoi ?
– Ahête de l’embêter et monte dans la voitchure
– Elle n’a qu’à dire que sa bouche est comme poisson chat, on va quitter ici
– Get in the car, silly goose, lui dit Marley tout en le prenant par le bout du col pour le faire avancer
Nous démarrons enfin et les cinq heures que dure la visite sont un vrai succès. Mais comme c’est eux, et qu’il faut nous créer des frayeurs, certains ont décidé de jouer à cache-cache quand c’était le moment de rentrer. Il fallait me voir courir partout, cherchant ses garnements, qui s’étaient juste cachés dans les toilettes.
– Vos maudia là, vous n’avez pas honte de faire courir ma Daffy comme ça ? les gronde Charles qui pour une fois ne fait pas partie du lot de chenapans
-Charles sit down
– Rermeciez le grand Marley deh
-Charles I said…
– Pardon grand, je suis déjà assis, faut pas devenir rouge sur moi, colère de blanc n’est pas bon
Celle-là m’arrache un rire j’avoue. Marley lui frotte la tête et le chahute avant de me regarder amusé
– Aujourd’hui c’est toi qui te fous de ma gueule, il me dit
– Tchu acceptes que tchu te foutais de ma gueuye ayors
– Tout de suite les grosses phrases, j’admirais ton talent de communication en dépit des circonstances
– Ouais ouais, contchinue
-You did good today. Mieux que quand on a visité la fauconnerie du moins
– Normal, j’aime pas les animaux
– Prête pour ta leçon de surf qui approche à grands pas ?
– Lisssteenn, chui pas prechée du tchout mais pas du tchout
– Les débutants disent toujours ça et ce sont eux qui ont du mal à s’arrêter, demande aux enfants que j’ai tenus l’an dernier, ils te diront que c’est le clou du voyage pour eux
Et comme il a mentionné les enfants, c’est sur le chenapan numéro un que je tombe en train de dire à son voisin d’à côté de répéter « je suis un zozoya ».
– Charouuussss, je l’interpelle
– Oui poulette, il me répond illico presto, armé d’un sourire dragueur. Un petit de sept ans, Yeh Dieu
De retour au camp, il faut s’assurer que les enfants se changent, prennent leurs douches, mangent et pour ceux qui prennent des médicaments, qu’ils n’oublient pas de le prendre. Personne n’aime en général filer au lit, lorsqu’on dit que c’est l’heure parce qu’ils s’amusent mais ce soir ils se sont rangés sans argumenter.
– C’est parce qu’on commence le surf demain, m’explique Marley parce que probablement il a vu ma face surprise.
– Ah OK, bah, che vais dormir
– Night, il me souhaite et l’on se sépare.
Mon corps est courbaturé mais mon cerveau ne veut pas connaître le répit. Je texte avec Snam après lui avoir envoyé des photos d’aujourd’hui. Je le fais régulièrement et elle me traite toujours de connasse chanceuse lol. Elle aurait tenté sa chance avec la colonie aussi si elle n’avait pas de classe d’été. Je laisse aussi un petit message à Hilda pour la rassurer que je suis toujours en vie, lol. Dès qu’il s’agit de moi, elle se met à paniquer comme si j’étais une petite chenille. C’est quelqu’un qui prend à la lettre le travail qu’on lui donne en tout cas.
Quelques minutes plus tard, mon cerveau continue à tourner. Mally et Elie ne sont pas en ligne pour qu’on discute donc je sors pour faire quelques pas. Des mouvements vers l’eau attirent mon attention. Je m’approche craintivement et reste à distance respectable pour pouvoir détaler au besoin. Un corps blanc sort de l’eau tel une créature mystique, et je m’écrie les yeux ronds
– Non mais tchu fous quoi là dans la mer quand il n’y a perchonne à côté ?
– Je venais piquer une tête. Tu ne dors pas finalement ?
– Yo t’es malade tchoi han. On pique une tête la nuit ?
– J’ai toujours fait de la plongée nocturne quand je vivais à Nouméa
– Viens essayer, tu verras ce dont je parle
– Merchi, je veux encore vivre, dis-je dubitative et il éclate de rire avant de s’asseoir sur une serviette qu’il avait étalée au sol
– Viens donc t’asseoir avec moi, il fait beau
– Hum, tu es mouillé
– Et alors ? Tu mouilles aussi ou pas ?
– Yooo, tu es un bandjit
– C’est l’effet d’être en compagnie d’une belle fille
– C’est ça ! dis-je en roulant des yeux après m’être posée à ses côtés
– Tu ne te trouves pas jolie, ou pas de bonne compagnie ?
– Je tchrouve que tchu dragues mal
Il me dévisage, surpris un moment et éclate d’un rire sonore
– Eh ben ça alors, je m’attendais à tout mais pas celle-là. Comment on drague dans ce cas miss ?
– Ben…, fais-je gênée, bonne question. Bon j’ai quand même lu assez de romance pour parler du sujet, je pense. En tchout cas, on ne drague pas ouvertement comme ça, il faut être subtchil, répliquai-je
– Tu préfères qu’on te fasse des cachoteries dans ce cas ?
– J’ai pas djit ça, mais bruuff tchu vas pas te faire de fille africaine comme ça. Peut-être ça marchait avec tes sœurs mais ici les filles aiment pas garçon qui rentchre dedans comme ça
– Tout s’explique alors, je comprends pourquoi j’ai eu tant de mal à trouver l’amour depuis que je me suis installé en Afrique
– Anhan, tchu vois. Et puis tes cheveux sont tchrop longs, ça fait comme pour fille
– Donc les africaines n’aiment pas s’accrocher aux mèches quand on leur fait l’amour ? il demande, avec toute trace d’amusement envolée de sa voix.
– Rhoooo j’ai djit pas djirect comme ça, répliquai-je d’une voix troublée
– Ah c’est vrai, pardonne ma sauvagerie. Elles n’aiment pas câliner des mèches soyeuses pendant qu’on introduit un chargeur dans leurs prises murales ? Le gars se fout de moi. Je m’en rends compte maintenant. Je cogne son bras, le traite de couillon et retourne me coucher. Sa tête comme chargeur.
***Fabien Tountian***
Eben a voulu étirer son séjour mais le travail l’a rappelé du coup, il a demandé que je le représente auprès de la famille Sani. En temps normal je comptais lui demander aussi conseil pour comment aborder une fille dont on a abusé mais le décès de l’oncle Martin est survenu et je trouvais ça déplacé de ramener le sujet là sur la table.
Il m’a confié également une somme importante d’argent, avec deux instructions. Contribuer aux funérailles de l’oncle et démarrer son chantier. Je vais donc chercher les gens sérieux avec qui j’ai eu à travailler dans le passé afin de les prévenir. J’ai commencé par le peintre, puis carreleur et fini chez un menuisier. Et explique à ce dernier ce que mon frère a un peu comme idée.
– Fais-moi un bon devis hein frère, on se connaît depuis
– Ah laisse, c’est la famille. J’ai même une nouvelle apprentie qui fait des merveilles en dessin de bois
– Une nouvelle ? dis-je confus
– Oui oh, si mon frère ne l’avait pas emmené, je n’allais même pas la regarder tellement elle est petite. Elle est partie acheter à manger mais si tu as la chance peut-être elle va revenir bientôt
– Continuons à parler, on va voir si elle arrive. Je suis bien curieux de voir fille tenir marteau sur bois
Nous continuons à discuter de sujets divers quand il sourit et dis ah la voilà. Je me tourne et j’ai un mouvement brusque.
– Toi ! m’écriai-je
La connasse qui disait s’appeler Bijou se met à courir, mais mon cerveau s’allume et je m’élance à sa course.
– Tu vas t’arrêter oui ! Voleuse ! je hurle
– Je veux pas faire enfant oh papa ! elle crie en retour, me rendant plus confus que jamais. Pardon faut m’aider, mon mari veut me faire l’enfant forcé !
– Sale menteuse ! je hurle quand les gens commencent à me huer et certains veulent même m’arrêter
J’esquive ceux qui essaient de me bloquer et la poursuis tant bien que mal. J’aurais même cru que j’allais transpirer pour rien, mais le destin a décidé qu’aujourd’hui c’était ma journée. Une moto l’a freiné dans sa course et sans tarder je l’ai attrapé avec mes deux mains sur ses bras.
– Il veut me frapper…
Je ne traîne pas avant de bloquer violemment sa bouche et la restreindre au point où elle ne puisse plus se gigoter.
– Aujourd’hui seulement je vais te montrer qui est en premier entre la poule et le poussin, petite voleuse et menteuse comme ça, la menaçai-je, avec le front coulant de sueur. Elle m’a fait courir comme si ma vie n’était rien, PFFF.
Je la garde comme ça et souffre dans la marche, tout en gardant le visage serré. Que celui qui veut me demander pourquoi je tiens la fille comme ça m’approche. Je l’attends aussi. La marche jusqu’à l’atelier me parait si longue à cause du poids additionnel. Mais hors de question que mon argent reste dehors. J’arrive enfin et tout l’atelier de mon ami, me regarde comme si j’étais un acteur de film.
– Il se passe quoi avec mon apprentie Fabien ?
– Envoie d’abord une corde je l’attache avant de te répondre
– Hey c’est pas un cabri
– Elle galope trop comme un cheval, je n’ai pas la force, envoie juste la corde
– Non toi aussi, laisse là, elle ne va pas bouger
– Tu sais comment mes mollets souffrent actuellement ? Si elle fuit…
– Imo, tu ne bouges pas, tu m’as compris ?
Elle hoche vigoureusement la tête, et je me décide à obtempérer
– Fabien, explique-moi le problème
– J’ai connu cette fille au village. Elle m’a non seulement mentit sur son nom mais en plus pris mon argent que je n’ai jamais revu. Qu’elle me rembourse et on sera quitte
– Imo, ce que mon ami dit est vrai ? Parce que je ne le connais pas menteur
– Patron, faut voir ton ami là il voulait mettre sa chose dans mon toto, j’ai dit de m’aider avec l’argent. Où est mon mal dedans ? Il a donné j’ai mangé
– Yeeee je t’ai dit que je voulais mettre quelque chose en toi ?
– Pourquoi tu me faisais les sifflements quand je sortais dans le quartier ?
– Donc on ne peut pas un peu sympathiser avec vous sans que vous n’accusiez les gens quoi ? Tu m’as menti que tu t’appelais Bijou ou pas ? Tu ne m’as pas dit que tu avais dix-sept ans ? m’emportai-je
– Inh j’allais avoir ou je n’allais pas avoir dix-sept ans ?
– Regarde, je n’ai pas la force pour m’égosiller, rembourse mon argent et on s’arrête là
– Donner c’est donner
– C’est par respect pour toi que je ne l’ai pas encore giflé, dis-je à mon ami
– Comme je viens juste d’entendre l’histoire, laisse-moi régler ça avec elle et je te fais signe Fabien
– Ah non, elle va filer avec ses courtes jambes comme les bâtons de craie Robercolor là
– Fais-moi confiance
– Hum, c’est toi hein, je lui rappelle
Je quitte de là tellement remonté par le sport forcé que j’en oublie les autres visites que j’avais prévu. Bijou n’a pas non plus le sourire quand j’arrive. Je cours me doucher avant tout chose et la supplie de me tirer un peu les mollets.
– Ouayeee, je gémis dès qu’elle se met à les masser
– Haa je n’ai encore rien fait, elle me dit
– C’est ce que tu fais trop fort alors, et dis-moi ce qui te fait tirer la tronche pendant ce temps
– Tirer la tronche c’est quoi ?
– Ne pas être de bonne humeur
– J’ai pas les clientes, murmure-t-elle
– Toi hein. Tu as fini ta formation depuis peu, il faut attendre non
– Mais je veux vite gagner de l’argent
– Femme aime argent, ce n’est pas possible. Tu veux faire quoi avec l’argent pour être pressée comme ça
– C’est secret
– Ah bon hein, on se fait les secrets maintenant ?
– Si je te dis quelque chose, tu vas pas te fâcher ?
– Tu as fait quelle bêtise ?
– J’ai pas fait de bêtise, mais je t’ai raconté un mensonge, avoue-t-elle
– Je suis déjà tombé sur une petite menteuse aujourd’hui. Une deuxième découverte ne me tuera pas donc dis seulement
– J’ai des sœurs au village, ma famille n’est pas morte
– Continue, dis-je simplement car dans son ton je sentais qu’elle hésitait, attendant de voir ma réaction avant de poursuivre
– Quand j’étais au village c’était difficile de manger tous les jours donc maman m’a envoyé travailler à Lomé pour aider la famille et tu connais déjà la suite. Comme je suis partie ça fait longtemps, je sais pas comment mes sœurs vivent là-bas. Au moins si je gagne un peu je peux aider une et puis elle fait la même chose pour l’autre
– OK, je comprends. Tu peux quand même aller les visiter, que tu aies l’argent ou pas
– Mais je leur donne quoi dans ce cas ?
– Rien que ta présence suffira déjà Bijou. Regarde voilà mon oncle qui est brusquement décédé en tombant dans l’eau et il laisse quatre garçons derrière. La vie est comme ça mais elle est fragile
– Oh c’est triste pour l’oncle. Il faisait quoi pour tomber dans l’eau ?
– Je ne sais pas. Il était en fauteuil et peut-être une manipulation l’a fait chuter dans sa piscine. En tout cas, le message à retenir c’est que la vie ne tient qu’à un fil. Je suis sûr que tes sœurs seront soulagées de te savoir bien d’abord et si elles ne le sont pas, viens me les signaler, je vais leur tirer les oreilles, ouaaayeeee, criai-je sur la fin parce que madame s’est mise à rire et m’a serré fort le mollet
– Oh pardon. C’est quoi tu as même fait pour avoir mal comme ça ?
– Figure-toi qu’une petite voleuse m’a fait courir comme un coq qui fuit le couteau dans Lomé. Les femmes courtes vraiment je ne sais pas pourquoi elles causent les problèmes comme ça
– Hey faut te méfier, j’ai une sœur courte, réplique-t-elle avec humour
– C’est que c’est elle je vais pas aimer, je le sens, blaguai-je et elle pouffe de rire
Je n’ai pas beaucoup d’argent sur moi dernièrement, mais je débute un nouveau chantier bientôt donc j’ai demandé à mon frère si je pouvais prendre de l’argent sur ce qu’il m’a laissé afin de préparer le voyage de Bijou au village. Il a approuvé sans tarder, et j’avoue que sa confiance m’a fait chaud cœur. Une raison de plus pour que je m’efforce à ne pas le décevoir donc après avoir fait une partie des emplettes avec Bijou, je fais un stop chez mon ami espérant récupérer mon argent pour compléter au plus vite une partie de ce que j’ai pris chez Eben.
Cette fois ce n’est pas moi qui m’écrie en voyant la courte Imo. C’est Bijou qui était à mes côtés. Et cette Imo aussi, pointe Bijou et me demande ce que je fais avec sa sœur.
– Bijou, Imo, punaise, tu es la sœur de celle-ci ? dis-je quand toutes les pièces du puzzle rentrent à leur place
C’est Bijou qui s’élance en premier et prends dans ses bras Imo qui ne semble pas ravie d’être touchée. Bijou ne semble pas s’en rendre compte ou peut-être ne s’en formalise pas. Elle pleure et rigole à la fois. Le spectacle en est si touchant que je ne sors pas un mot, afin de ne pas interrompre leur intimité.
– Courtegen tu fais quoi à Lomé ?
– Je suis venue avec Mode, Jeanne et puis Joyau. Toi tu fais quoi ici ? Elle a dit que tu étais mariée non
– Mariée ? Qui a dit ça ?
– Mode bien sûr
– Je ne suis pas mariée. Tu fais quoi chez le patron de Fabi… attend Fabien, c’est elle la courte menteuse qui t’a fait courir ?
– J’ai pas menti, dix-sept allaient bientôt venir, l’autre répond sans honte
– Bref le passé est passé, conclus-je
– Tu finis bientôt ? lui demande Bijou
– Inh ça dépend, si patron dit que je peux partir
– Fabien, je peux rester ici pour l’attendre pardon ? On va rentrer en taxi
– Hum, d’accord, confirmai-je avant de prendre ma route
Et pour une fois, je me suis dit que je pourrais lui faire plaisir. J’ai découpé l’igname et finissais de frire les morceaux quand elle est rentrée avec non seulement la pygmée, mais une autre de taille normale, ainsi qu’un jeune garçon. Personne n’avait besoin de commentaires pour comprendre qu’on était en face d’une famille joyeuse d’être réunie. Et si confirmation il fallait, je l’ai reçu en écoutant leurs échanges à table. Jamais je n’ai vu Bijou rire jusqu’aux larmes ou à étouffement. J’ai rencontré Jeanne, Joyau et appris qu’il restait une certaine Romane.
– J’ai appelé son papa dans cabine et elle m’a dit que comme elle a eu bac, on va l’envoyer fêter vacances chez une tante à Lomé, leur annonce fièrement Imogen
– HEIN ? Romane a eu bac ? s’écrie Bijou avant de se lever et se mettre à danser au point que le pagne tombe de ses hanches et dévoile son collant. Jeanne la rejoignait aussi dans la danse tandis que Joyau essayait de remettre le pagne à sa tante sans succès et Imogen se moquait. Je pense que le vin que je leur ai ouvert y est pour un peu mais la joie y est en majorité. Jamais je ne pensais voir cette fille si détendue de mon vivant. Vers 20 heures, les trois invités ont commencé à demander la route.
– Parce que si on rentre pas vite Mode va casser mes oreilles que la maison de son gars c’est pas hôtel, explique Imogen
– D’accord, mais rappelez-vous ce qu’on avait dit hein
– Oui on ne lui dit pas qu’on t’a vu, dit le petit Joyau
Elles prennent congé de nous avec la promesse de se revoir bientôt. Façon elle tanguait lorsqu’on retournait à l’intérieur, je l’ai simplement guidé vers le canapé quand elle a essayé de débarrasser la table.
– Dors seulement, tu as fait assez de spectacles aujourd’hui
– Fabien…
– Hum ?
– Je vais rester avec toi et me sœurs et puis Joyau hum ? Je suis trop contente. Romane a fini les études. Tout le monde va bien.
– Oui, si tu veux on restera ensemble, lui répondis-je pour la forme. Elle a certes prononcé ses paroles sous l’effet de la joie délirante mais j’espère les rendre réelles un jour