83 : Puisque l’amour nous accompagne, un jour on se retrouvera, partie 2

Ecrit par Gioia


***Thierry Henry NDOUO***

Décidément, l’humain est un éternel capricieux. J’ai fait des années chez mon oncle Firmin sans à trouver à redire sur mes conditions de logement et maintenant que j’y suis de retour, je me sens à l’étroit. Pourtant je loge toujours au sous-sol. Bien évidemment, je ne suis pas assez ingrat pour m’en plaindre de vive voix, mais si l’on pouvait entendre les pensées des autres, c’est évident que j’allais couvrir ma tante de honte. L’avantage d’être ici, c’est que je vois ma fille tous les jours. Et cette dernière se plaît à passer du temps avec sa tante Lilou et son oncle Rayan. Il faut aussi voir comment ses deux petits se gonflent d’avoir les gros titres comme ça. L’enfance est chic. Leur proximité me réjouit mais j’ai hâte de me trouver un nouveau logement, même si la recherche avance à pas de tortue.

Concernant la rencontre avec ma famille biologique, je ne me sens pas prêt. Ma mère m’a certes dit qu’elle ne pouvait pas m’en empêcher si c’était mon désir, mais le ton sur lequel elle l’a dit ne laissait place à aucune confusion. Elle a peur de me perdre. Et les interventions régulières de ma tante me confortent dans cette idée. Elle ne cesse de me rappeler que la famille ce n’est pas uniquement le sang, que mes parents adoptifs auraient donné leurs vies pour nous, et qu’elle espère que je ne l’oublierai jamais. Ce que je ne risque jamais de faire tant que mon cerveau sera fonctionnel. Je….. , c’est Denola qui appelle. Je m’y attendais depuis peu donc je le prends.

– Allô vieux fou, on dit quoi? je lui demande

— Je ne sais pas Thierry. Pourquoi ma sœur m’a laissé plein de messages, totalement dévastée, parce que tu as quitté ton appartement?

— Je sais ce que je t’ai dit concernant cette relation, mais je ne me vois plus avec elle gars. Elle a trahi ma confiance

— Et qu’est-ce qu’elle a fait?

— Elle ne t’a rien dit à ce que je vois, tu es assis?

— Un instant, dit-il avant de me donner le go pour que je lui explique

Le long silence qui suit mon explication m’aurait presque fait croire que je l’avais perdu si je n’entendais pas sa respiration.

— Com… comment tu le vis?

— Ces derniers jours, je considère que je le prends plutôt bien

— Pourquoi tu ne m’en as pas parlé? Depuis le temps que tu le sais, j’aurais pu…, tu étais dans le déni jusqu’à ce que Garcie te mette en face, conclut-il seul

— Décidément, tu m’effraies par ta capacité à me comprendre si facilement

— Je ne sais même pas si je dois te féliciter ou te plaindre

— Pries juste pour moi bro, pour que je prenne la décision qui blessera le moins le monde parce que j’ai la sensation de marcher sur des braises ardentes depuis un moment

— La décision honnête est toujours la meilleure Th… enfin La..

— Thierry reste mon nom

— OK, je disais donc que l’honnêteté est toujours mieux que la dissimulation. Si tu as envie de te rapprocher de ta famille biologique, dis-le simplement à ta mère. Oui, elle pourra mal réagir au début mais une chose dont on est sûr, c’est que maman Lucie t’aime mec. Ça prendra probablement du temps mais elle arrivera seule à la conclusion que c’était nécessaire pour ton bien-être

— Et si elle prenait de la distance envers moi pour justement éviter de souffrir? C’est ce qui m’effraie le plus en toute honnêteté

— Oh ça n’arrivera pas

— Tu ne sais pas ce que tu dis mec. En tant que papa, je t’assure que je ressens une jalousie inexplicable à l’idée que ma fille est une autre figure paternelle en dehors moi. Je sais bien que sa mère sera un jour en couple et veux qu’elle s’entende bien avec le conjoint de Vita, mais une petite partie de moi espère que je resterai son papa. Bref je ne sais pas comment rationaliser ça mais…

— Je t’assure, venant de toi ça ne m’étonne pas. Tu es possessif en tout. Mais j’ai foi en maman Lucie. C’est une adulte et puis on se connaît, même si elle essaie de prendre de la distance, tu ne vas pas le permettre, donc essaies de te distancer de tes craintes et sois juste honnête avec elle comme d’habitude

— Comment tu me conseilles et dans la même phrase tu m’insultes comme ça? dis-je amusé et soulagé à la fois de m’être confié en quelqu’un de confiance

— Ah faut quitter. Je dois te rappeler qu’au collège, tu m’avais fait la tête pendant deux longues semaines parce que j’ai demandé à changer de place dans la classe? Pourtant mon changement de place était justifié par ma vue trouble?

— Tu n’aimes pas oublier les choses hein le gars ci, je plains ma peti… Ida

— Pfff, tu la plains parce que je lui dois quelque chose?

— On sait qu’il y’a un petit intérêt…

— Négatif. S’il y’en avait un, elle s’est assurée de le tuer en me bousculant hier à la sortie de la buanderie, sans se gêner… Attends, tout s’explique. Le commentaire sur les voleurs d’enfants?

— Quoi? Elle a dit ça? fais-je étonné

— En douce mais je suis sûr de l’avoir entendu dire, bande de voleurs de gosses

— Tu peux me rendre un service s’il te plaît? J’ai été vache avec elle, tu peux m’obtenir son numéro?

— Est-ce que je pourrais en échange obtenir que tu pardonnes à Garcie? Je sais, je sais, elle a été vache et je ne l’excuse pas mais elle souffre de ton absence. Elle ne fait que pleurer depuis ton départ

— Tu ne vas peut-être pas me croire mais elle me manque aussi. Mais les morceaux ne peuvent plus être recollés cette fois. Je n’ai plus la volonté d’essayer. Le temps nous aidera à combler le manque, je lui réponds et il soupire

— OK, si tu le dis. Je vais essayer de t’obtenir ton numéro le plus tôt possible

— Merci frère, je t’aime

— Ah va là-bas, il dit et s’empresse de raccrocher, ce qui me laisse amusé. C’est fou comment il n’est pas à l’aise avec la démonstration de sentiments dès qu’il s’agit de moi. Pourtant c’est une histoire différente avec sa mère et sa sœur. Je me suis abstenu de lui dire que sa sœur avait insulté ma mère chez Ida, pour éviter de semer la discorde en sortant de leur famille. Denola et moi partageons beaucoup de valeurs dont le respect et la protection de nos familles. Il aurait difficilement pardonné à sa sœur le fait qu’elle salisse ma mère ailleurs et franchement à quoi ça me sert de semer la zizanie dans la famille quand j’en sors? C’est déjà pour moi une chance inouïe que j’arrive à garder mon meilleur ami et qu’en plus il ne prenne pas parti pour sa sœur, malgré qu’elle soit en peine actuellement.

Demain la semaine de travail reprend, mais pour l’heure je sors rejoindre Vita qui sortira prendre sa marche journalière avec Lucille dans le quartier. Madame dit qu’elle prend le sport au sérieux désormais parce qu’elle doit être au top de sa forme pour son retour à Paris. Ça me saoule quand elle mentionne un quelconque retour dans la capitale même si je m’y attendais tôt ou tard. En plus de son concours, elle veut aussi finir son Master ce qui est normal, mais bref je suis égoïste, ce n’est pas nouveau. Et le sport elle vient le faire en petit cycliste et bandeau comme haut.

— Je dis tu es née avant la honte? dis-je agacé tout en ôtant ma chemise pour la mettre sur ses épaules

— Ça dépend pour quoi

— Quand on a une poitrine comme ça, on laisse les bandeaux pour la maison au lieu de l’extérieur où n’importe qui peut voir et venir gratter pour un numéro

— Lol mais j’ai une bouche ou pas? Je peux juste refuser de le passer mon num

— C’est ça! Bref désormais je marcherai avec toi tous les soirs

— Roh là, ce que tu peux être lourd quand tu t’y mets

— Mets là en veilleuse Henrietta, tant que ma fille sera collée à toi, tu seras une chasse gardée

— Et c’est moi qui suis née avant la honte? ironise-t-elle. Dis-moi plutôt comment avance la recherche de logement 

Oui elle sait, disons que nous sommes devenus, amis? Je ne sais même pas quel qualificatif lui attribuer avec ses minces fesses, on dirait deux escalopes de poulet.

— Toujours rien, à ce stade je ne fais que du copier-coller quand je remplis les annonces

— J’ai pensé à une option…

J’ai une petite minute d’absence quand elle le dit. Auparavant, je lui aurais probablement sorti «pour une fois que tu te décides à penser» mais j’ai grandi désormais. Je ne fais plus dans les jeux brutaux. En plus son cœur est plus gros que le mien dans ce genre de jeux; c’est moi qui commence et je suis le premier à gonfler quand elle se met dedans.

— Alors, tu m’écoutes ou pas?

— Tu as dit quoi pour que j’écoute?

— Ça te dit de prendre ma chambre?

— HEIN? fais-je m’arrêtant en plein passage piéton

Ce sont les klaxons qui me font courir derrière eux et Lucille trouve ça drôle.

— En y pensant, je me suis dit que partir avec Lucille à Paris ne serait pas l’idéal parce que Paï avait raison. Elle a plus d’espace ici à Douai, et habituée à Mae et on lui a déjà trouvé une crèche. Du coup elle pourrait rester avec toi, si tu t’en sens capable, et vous occuperiez ma chambre. C’est un environnement connu pour elle, et je l’ai déjà sevré donc pas de souci pour sa nourriture. On s’est déjà entendu avec Mae qu’elle commencera à l’habituer au pot dès qu’elle fera ses premiers pas donc sur ce coup, tu n’as pas à t’en faire

— Attend…, fais-je toujours estomaqué qu’elle ait non seulement pensé à cette option mais en plus conçu tout un plan déjà. Je ne peux quand même pas vivre avec ta daronne, continuai-je

— Oh elle n’y voit pas d’inconvénient sérieux, tant que tu es propre, et supporte le bruit les vendredis soir, tu n’auras pas trop de soucis avec elle

— Donc elle comme ça, est d’accord qu’un inconnu vienne habiter avec elle, et tout ça dans la chambre de sa fille? dis-je incrédule

— Tu participeras un peu aux factures, rien de grand, disons cent à deux cents euros le mois. Elle ne refuse jamais une opportunité

— Euh…, je peux y penser?

— Ben oui, je ne pars que le mois prochain de toute façon

Si c’était une autre meuf, j’aurais suspecté qu’elle tente un rapprochement vu qu’elle me sait célibataire mais celle-ci s’en fout tellement de moi que dans mes pires cauchemars, je me vois décéder et elle pleurer au trop une semaine tout en se goinfrant de gâteaux, avant de poursuivre sa vie dans l’insouciance qui la caractérise. C’est vrai que chez elle, c’est bien plus grand que la maison de mon oncle Firmin. En plus sa mère est seule, comparée aux quatre résidents avec qui je partage le gîte actuellement. Je resterai assez proche des oncles Lilou et Rayan pour le bonheur de tous, puis les économies de loyer me permettront de m’acheter une nouvelle voiture, vu que je compte cesser le virement mensuel que je fais à Garcie pour notre actuelle. Pourquoi le plan semble si adéquat? Les choses de Vita franchement. C’est comme ça qu’elle sait toujours comment me tenter.

***Denola EKIM***

Garcelle me fait pitié mine de rien. Deux jours maintenant que TH m’a dit qu’il ne voulait plus retourner en arrière en ce qui concerne leur relation. Je pensais l’aider à l’accepter en le lui annonçant mais elle a carrément évoqué le mot suicide. Du coup j’ai dû avertir les parents pour qu’ils interviennent par crainte qu’elle déconne. Sa peine ne m’encourage pas à aller chercher le numéro d’Ida pour Thierry parce que j’ai l’impression de prendre parti, mais bon mon impression n’est pas fondée, je le sais. Puis j’ai déjà donné ma parole, et revenir dessus, n’est pas quelque chose que j’aime faire.

Me voilà donc cognant à la porte de cette Ida après une journée éreintante au travail. Après quatre coups d’affilée, je pensais qu’elle n’était pas là, mais elle se décide à me répondre. Depuis l’intérieur. Porte fermée toujours. On peut être aussi dramatique?

— Tu peux glisser le chèque sous la porte, me répond-elle

— Quel chèque? fais-je perdu

— Comment ça quel chèque? La caméra que tu as brisée! Tu penses qu’elle va se rembourser toute seule

— On peut être vindicative à ce point Adama

— Mon nom c’est Adamou! elle ouvre la porte pour bien me gronder ça au visage. Au moins je ne me suis pas trompé. Aussi susceptible que son frère

— Salut Adamou, mes poches sont vides, mais je viens avec un message de Thier…

— Quoi ! Mais tu ne pouvais pas l’annoncer plutôt, elle dit et me saute limite dessus

J’ai un bref mouvement de recul, pour éviter de recevoir le coup de sa poitrine généreuse. Elle ne me laisse pas le temps de répondre avant de me tirer par la main et me voilà dans son antre à l’aspect surprenant. Les murs sont peints en corail, la table à manger est blanche et les chaises sont en vert menthe, tout comme sa causeuse. Quelques tableaux pop-art décorent ses murs mais celui qui retient mon attention et me fait siffler d’admiration est un cliché de voiture.

— C’est une Rolls-Royce de 1927 ça?  

— Yup, celle de Fred Astaire qui avait la malle de Louis Vuitton à l’arrière, qui fut d’ailleurs le prototype des coffres de nos voitures modernes

— C’est toi la passionnée de vieilles voitures ou tu as engagé une bonne décoratrice?

— En plus de me devoir de l’argent tu oses me minimiser hein. Je te ferais savoir que si la machine à remonter le temps existait, je serais en tête de file pour une visite du monde des années 20 jusqu’à la fin des 70. Pour primo admirer la naissance de la culture dont nous avons hérité puis pour choquer les sexistes et racistes en leur montrant des vidéos de femmes noires de notre époque qui ont du pouvoir

— La partie où tu veux choquer ne m’étonne pas du tout étrangement, blaguai-je

— Ah c’est l’habitude la maison hein, réplique-t-elle satisfaite

— Tu es une fille bien surprenante Ida Adam

— Donc le ou te dépasse quoi?

— Être dur d’oreille c’est l’habitude de ma maison. Ton frère m’envoie prendre ton numéro

— Sérieusement? fait-elle avec un air si excité que je la trouve presque mignonne. Presque.

— Oui, il le…

Elle me le débite comme un rappeur sans me laisser le temps de finir cette phrase et je le transmets aussitôt à Thierry.

***Ida ADAMOU***

Il y’a des gens qui maitrisent l’art de la finesse et je ne fais pas partie de cette catégorie. L’ami de mon frère fermait à peine ma porte que je lançais l’appel vers son numéro, vu que je l’ai toujours eu. Il décroche et c’est pile à ce moment que je pense au décalage horaire.

— Je vais rappeler sorry! m’empressai-je de dire et j’allais raccrocher en plus mais il est plus rapide

— Tu appelles les gens en plein quatorze heures pour dire ça?

— Ne te fâche pas, je n’ai juste pas réfléchi

— Je ne suis pas fâché. En fait…, c’est plutôt à toi de me pardonner, enfin j’espère que tu pourras me pardonner d’avoir été violent avec toi

— Oh c’est oublié! Tu es tout pardonné La…

— Thierry c’est mon nom, dit-il sur un ton peu sec

— Euh…, OK, dis-je avec un petit flottement par la suite. Est-ce que j’ai bien fait de me précipiter là?

— Vu qu’on est sur le sujet du nom, sache que ma mère n’est pas une pute. Je ne veux plus jamais entendre ça. Elle ne m’a pas non plus enlevée. Bien au contraire, c’est elle qui m’a récupéré après que mon ravisseur m’ait déposé au Ghana

— Oh je l’ignorais, je suis vraiment navrée. J’ai cru que…

— Je comprends, je me suis fourvoyé sur vous aussi, donc disons qu’on laisse ça derrière nous?

— J’accepte la trêve, dis-je grandement soulagée. Je… umm, y’ô ne mvëghè? tentai-je timidement, et il fut pris d’un fou rire entrecoupé par des toussotements

— Tu as dit quoi? fait-il quand sa respiration se stabilise un peu

— Ce n’est pas fun de te foutre de moi, je me suis tapée plein de tutos YouTube pour apprendre à bien prononcer ça

— Loooll, ma grande je suis Obamba hein. Ce que tu viens de me dire ressemble à du fang

— Oh…, répondis-je me sentant conne maintenant. J’ai cru que comme c’était la plus grosse ethnie tout le monde comprendrait la langue comme au Togo

— Vous parlez une langue commune là-bas?

— La majorité, et ceux qui ne le parlent pas, le comprennent au moins

— Eh bien. Vous avez de la chance. C’est une langue compliquée à parler?

— Je dirai que oui, je la trouve plus compliquée que le hausa en tout cas

— Ah c’est parce qu’il est hausa ça que… euh ton père a la grosse barbe alors?

— Hehehe, non il l’a laissé pousser pour faire chier papi et mamie quand ils ont indirectement poussé maman à le quitter

— Ils se sont même séparés? fait-il étonné

— Yep, maman a eu une vie super traumatisante et pour s’enfuir de la maison où elle travaillait comme servante, elle a piégé papa, l’accusant de viol. Mais je t’arrête tout de suite, tu ne la juges pas. Elle m’a toujours répété qu’elle n’en est pas fière, mais c’était ça où continuer à se faire molester par la famille de son père

— Carrément! son père?

— Ouais, dingue hein? Son père l’a ramené chez lui et laissé en servitude à sa femme. Maman n’a su que bien plus tard qu’elle était la fille du patron

— Euh… on pourrait continuer la conversation plus tard? Je suis au travail en fait

— Oui, bien sûr, fais juste signe quand tu auras du temps Lai… Thierry

— On fait comme ça petite, à toute, il dit puis raccroche. Je porte un sourire grand comme une banane, au petit surnom affectueux de «petite» qu’il vient de me donner. Et il me retrouve avec ce sourire quand il m’écrit environ cinq heures plus tard. Bien sûr je me presse de l’appeler

— Mais tu ne dors pas? Il est deux heures du matin chez vous non

— Je préfère dormir en journée. Tu es déjà rentré?

— Et douché aussi. Je t’aurais fait signe plutôt mais il me fallait passer à mon ancien appart pour prendre des affaires. Tu dors en journée et quand vas-tu travailler? Ou étudier?

— Bah je dors dès que le soleil se pointe et me lève à temps pour aller en cours. J’ai bouclé mon Bachelor en sciences visuelles cette année et en automne, dans moins d’un mois en fait je commence ma maitrise en optométrie, du coup j’ai du temps pour pioncer en masse d’ici la reprise des cours

— Ah ouais, rien que ça, dit-il sur un ton de fierté. En tout cas je l’ai entendu comme de la fierté moi. Je sais où me faire mes examens de la vue quand le moment viendra

— Yep et avec Aurore, nous allons lancer notre chaîne de verres d’optique. Afflelou n’aura qu’à bien se tenir lol

— Aurore c’est qui ça?

— Mais oui je suis bête. Tu as combien de temps là pour qu’on cause? Je ne veux pas te retenir

— Ce sont les gens qui retiennent beaucoup là qui utilisent cette phrase donc lance-toi seulement petite. Si ça chauffe, je vais ronfler dans tes oreilles

— Bon, dis-je après un rire…….,

— Si je te dis que j’ai retenu un nom en dehors du tien et Asad, je t’ai menti, répond-il après mon monologue de quinze minutes

— Ce n’est pas grave, tu as de la chance que j’aime particulièrement me répéter donc tu entendras encore ses noms

— Lol le bavardage épuise vite Deno hein

— Deno? Ton ami? Et alors?

— Il paraît pourtant que vous êtes de bons amis, dit-il sur un ton que je trouve taquin

— Fadaises, je n’ai que deux amis, Marley et Arthur même si ce dernier est en punition parce qu’il n’a pas voulu écouter mes conseils. En plus je ne fais pas ami ami avec les gens qui détruisent les biens des autres

— Haha, pourtant mon petit doigt me dit que vous deviendrez de bons amis bientôt

— Je vais dire à Lucille de te le mordre ton petit doigt

— Pardon, je subis déjà assez dans la main de cette petite espiègle qui me prend pour sa montagne dès que je me couche

— Elle est trooooooppp mignonne ta fille. Je n’arrive pas à croire que je suis tante

— C’est son trop mignon qui lui monte à la tête et elle se permet de s’asseoir sur ma poitrine et me péter dessus sans manières, il me dit et je pouffe de rire

— Je t’envie, j’aimerais trop avoir une famille aussi

— Aka, tu as quel âge pour chercher la famille?

-23 ans ce n’est pas si jeune

— Qui t’a dit ça? Déjà que je me trouve jeune pour être papa à 26 ans. Dis aux gens qui te mettent la pression d’aller respectueusement se pendre

— Lol personne ne met la pression Thierry. Nos cousines qui vivent ici sont déjà mariées ou fiancées. Si j’avais eu de la chance dans ma recherche de conjoint, je serais probablement déjà maman

— Jusqu’à tu recherches? Ce n’est pas parce que ton entourage est casé que tu dois l’être. À chacun son timing, en plus je trouve que la vingtaine est faite pour se découvrir, faire des rencontres, expériences et erreurs

— Bah faire des expériences c’est pour finir par coucher avec un mec ou une meuf non donc pourquoi ne pas faire tout ça avec mon mari? Je préfère découvrir tout ça avec lui et ça nous fera de belles histoires à raconter à nos enfants, comme maman et papa. Bon quoiqu’eux ils ont trop souffert…

— Ah tu vois non, c’est le risque quand tu te maries jeune, tu as plus de temps à brûler donc vivre des mauvaises expériences

— Inh, tu ne vas pas me décourager oh. D’ici l’année prochaine, j’ai confiance que je rencontrerai mon futur mari

— Lol si c’est ce que tu veux petite têtue, on verra

— Tu peux me rendre un service dit?

— Tant que ce n’est pas te trouver un mari…

— Non zouave, j’aimerais… enfin si ce n’est pas trop exigeant…, que tu appelles aussi les parents? Tu sais papa n’a pas été doté de patience et il a du mal avec l’idée de ne pas te voir. Maman comme d’habitude, essaie de le canaliser et pendant ce temps, elle tait ses sentiments bien qu’elle souffre. Je n’ai pas hérité de cette habitude qu’elle a de minimiser ce qu’elle ressent pour mettre en avant le bien-être des autres. Si tu pouvais juste les appeler pour leur souhaiter une bonne nuit, un de ses quatre, papa pourrait patienter un peu plus et tu refermerais le gros trou que maman a à la place du cœur depuis…, bref… je sais que…

— Je le ferai

— Oh merci, un grand merci T…

— Ne me remercie pas comme ça, c’est gênant. Et ne dis pas désolée non plus, c’est pire

— Est-ce que je peux te dire alors que je t’aime? J’ai souvent imaginé comment tu serais. Je veux dire, des fois je me disais que c’était un pur délire, mais tu sais comment c’est l’humain, on aime rêver et je…. J’ai l’impression d’avoir gagné au loto, malgré notre départ un peu houleux. J’ai l’impression qu’on n’était finalement pas si cons de continuer à prier et croire, désolée pour le discours sirupeux et le «désolée» gênant, confessai-je la voix enrouée et le visage baigné de larmes

— Je ne veux pas être gauche, est-ce qu’un «j’ai été content de te parler», est suffisant?

— Oui, reniflai-je bien que ça soit un mensonge. Si c’est tout ce qu’il a à offrir pour le moment, je vais m’en contenter. C’est nettement mieux que de vivre sous la torture des années précédentes. Nous nous séparons sur cette phrase et vu que le soleil n’est pas encore debout, je vais m’occuper l’esprit pour ne pas flancher et retourner à mes habitudes… sales.

***Tao Adamou***

Faire une virée nocturne entre hommes à mon âge n’était pas judicieux, mais c’était l’unique option pour sortir de ce froid sibérien qui règne dans ma maison. Ma femme dit agir par bon sens mais qu’est-ce que j’en ai à foutre de ce bon sens quand il me prive de mon fils? Elle s’est permis de mettre fin aux services du détective que j’avais demandé à Parker d’engager pour me retrouver mon Laith. Et elle dit l’avoir fait parce qu’on n’a pas le droit d’entrer dans sa vie, sans qu’il fasse le premier pas vers nous.

J’aimerais qu’on m’explique le pourquoi je dois considérer les droits de quelqu’un quand personne n’a pensé aux nôtres des années plus tôt. Magnim a essayé de rétablir la communication entre nous mais j’étais trop furieux pour écouter Farida. Je lis et relis ce message que m’a envoyé Laith, et l’unique envie qui me vient c’est de lancer mon téléphone contre le mur. Il prendra contact avec nous quand il sera prêt. Quand… parce que je dois faire la courbette maintenant. Supplier pour que mon propre enfant m’accepte. Le plus énervant c’est que j’ai son numéro. Je peux techniquement l’appeler mais comme un con, j’ai peur d’être rejeté et j’espérais que le détective pourrait me renseigner sur sa vie, sans que je sois confronté à un possible refus. Mon cœur ne pourrait le supporter.

La maison est couchée. Je suis assis dans le noir, caressant le médaillon qui porte le nom de mes trois enfants. Je reste dans cette position jusqu’au matin, sans avoir fermé les yeux. J’ai même manqué la prière matinale. Je n’avais aucune volonté de me lever. C’est Asad qui vient par ses questions me pousser à me bouger. Des petites vibrations sur ma cuisse me stoppent quand je me rendais à la salle de bain. Je sors mon portable de ma poche et le laisse tomber en voyant le numéro sur l’écran.

— Qu’est-ce qui se passe? me questionne Farida

— C’est… c’est Laith qui appelle

— Q…uoi? Tu l’as appelé? me demande-t-elle fébrilement

— N… onn

— T.. Ta..o, décro… che s’il te plaît

Je m’abaisse comme une tortue se déplaçant dans le sable et réponds de la même manière.

— Euh… allô, il y’a quelqu’un? dit-il de sa voix riche et rauque

— Je… suis là… mon gar..çon

— Euh… bon..Bonjour, vous allez..bien?

— Je… mervei.. merveilleusement bien, dis-je tout en m’efforçant de garder une voix normale

— Je voulais.., en fait vous… sal… uer, et umm.. prendre de vos nouvelles

— Je.. ahem… on fait aller. Tu peux me tutoyer si tu le souhaites bien sûr

— OK, dit-il puis une pause inconfortable qui me chagrine s’installe. N’a-t-on réellement rien à se dire? Tu fais quoi au.. jourd’hui? tentai-je

— Je vais travailler comme d’habitude

— Ah et tu travailles dans quel domaine?

— J’ai étudié en biotech et je bosse dans une boîte qui fait de la fabrication de boissons alcooliques

— Je suis fier de toi. J’espère que tu aimes ce que tu fais

— Pour le moment, mais j’aimerais éventuellement intégrer l’industrie pharmaceutique juste que je n’ai pas encore la motivation pour reprendre les études

— Tu as une idée de pourquoi la motivation te fait défaut?

— Je me suis habitué à bosser et gagner de l’argent donc je me vois mal quitter ça pour un retour aux études

— Tu pourrais passer à temps partiel au travail et simultanément reprendre tes études? C’est un compromis faisable? Enfin je pense, dis-je devant l’air inquiet de Farida qui je suppose essayait de me dire de ne pas trop m’avancer

— J’ai une fille dont je dois m’occuper donc la réduction salariale n’est pas top pour l’heure

— Oh ce n’est pas un problème. Nous avons un hérit..

— Je ne veux rien de vous monsieur, réplique-t-il sans tarder. La phrase tombe comme un couperet sur mon cœur et le saigne dans tous les sens

— OK, je lui réponds, la gorge trop serrée pour rajouter autre chose

— Ce n’est pas que je veux vous offusquer monsieur, mais je ne vous ai pas donné cette information pour que vous essayiez de me sauver

— Je comprends, dis-je par principe, pardonne ma présomption, je t’ai écouté et automatiquement j’ai voulu t’aider

— Je comprends et j’apprécie. J’aurais eu la même réaction si ma fille m’avait mentionné un problème. Je… umm… est-ce que votre femme est disponible? Je voulais juste lui dire bonjour

Je donne l’appareil à Farida qui le prend les mains tremblantes et le porte à son oreille.

***Farida ADAMOU***

Entendre sa voix est comme un baume appliqué sur ma plaie. Je pensais m’être préparée à rester sereine mais tout mon entraînement s’effondre dès qu’il me dit bonjour. Les larmes roulent silencieusement pendant que je lui réponds et porte simultanément une main sur la joue de mon Tao pour le réconforter.

— Est-ce que vous allez bien? me demande mon fils

— Je vais bien Thierry. Je suis heureuse de t’entendre

— Moi de même, dit-il puis un petit flottement s’en suit.

— Si tu n’as rien d’autre à me dire, nous pouvons raccrocher, je ne t’en voudrai pas

— Vous allez bien c’est sûr hein?

— Oui ne t’en fais pas pour moi, je suis une grande femme

— D’accord, je vais donc me préparer pour ma journée. Umm prenez-soin de vous dans ce cas, et bonjour à Asad

— Merci, à très bientôt, dis-je avant de couper

Tao nettoie la dernière larme qui roule sur ma joue et m’embrasse tendrement sur les lèvres avant de me serrer contre lui

— C’est l’amour divin qui a permis à nos chemins de se recroiser chéri. Crois en cet amour divin qui existe encore. Il nous le ramènera, quel que soit le temps que ça prendra. Je sais que c’est dur et ça te paraît injuste mais restons patients et soudés, je t’en prie

— Je t’aime tellement, il me dit après avoir hoché la tête

Et ce soir là, comme si je l’avais prédit, nous avons reçu des photos de notre grand garçon. Et en message, il nous demandait aussi les nôtres si ça ne nous dérangeait pas. Tao lui en a envoyé une centaine en moins de dix minutes. Mais en plus, il est actuellement assis sur une chaise tandis que Magnim s’affaire sur sa tête et Asad cire ses chaussures. Il ne fait que me presser, me demandant d’aller porter ma plus belle tenue parce que nous devons montrer à Laith que ses parents ne sont pas n’importe qui. Je ferme les yeux pour quelques minutes et savoure l’excitation qui transpire des conversations des garçons. Entendre mon Tao si enthousiaste, j’en ai rêvé mais jamais je n’ai pu me mettre une date sur ce rêve. Je me lève pour me préparer et marche avec la foi qu’un jour nous prendrons des portraits de famille, tous les cinq, et plein d’autres avec nos amis. 

D’amour, D’amitié