94: apprendre la vérité
Ecrit par Gioia
***Elikem AKUESON***
Il y’a tellement de personnes dans cette petite maison qu’est ma demeure. Mon papounet a pris la chambre d’Océane. Cette dernière dort au sous-sol. Je partage mon lit avec mon teddy (nounours) et maman. Mally dort au salon. J’ai entendu maman dire à mon frère que papa arrive demain. Il y’aura beaucoup de monde et pourtant je me sens seule. Et j’aimerais l’être davantage. Aussi égoïste que ça puisse sonner et bien que je sois reconnaissante pour tout le soutien que je reçois, je préfère être seule, parce que fatiguée de m’efforcer de me sustenter, me contenir, et rassurer les autres que je ne vais pas attenter à mes jours. L’idée ne m’a jamais traversé l’esprit, puisque cet esprit n’est plus intact pour concevoir de tels plans. J’ai l’impression qu’au fil des jours, il s’effrite peu à peu comme un épi de maïs qu’égraine une main solide.
Il fait nuit noire ; je n’ai aucune idée de l’heure, tout ce que je sais c’est que la maison est couchée. Et c’est le seul moment d’intimité qu’il me reste dans cette maison remplie de gens donc j’en profite toutes les fois que je peux. Je me déplace à pas mesurés afin de ne pas troubler le sommeil de maman avec l’intention de me rendre dans la salle d’eau mais tombe sur image bien étrange. Océane en train de renifler ma culotte.
– Qu’est…, je commence et la fais sursauter
– Je…, je vérifiais si c’était le mien
– Depuis quand tu portes des culottes de mémé ? je lui demande dubitative
– Bah il n’est pas tard pour s’essayer non, en plus tu m’as toujours vanté leurs mérites, se justifie-t-elle tout en le remettant sur la barre où j’ai entassé mon stock
– Et c’est une culotte sale que tu dois renifler pour vérifier les mérites ?
– Ouais je suis bizarre, je n’ai pas demandé à naître comme ça
– Épargne ton nez, je vais t’en offrir, dis-je en ramassant honteusement le petit stock que j’ai entassé sur la barre
Normalement je lave mes dessous à la main avant de prendre la douche. Oui normalement. Je mets en place le bouchon et remplis l’évier d’eau pour m’en occuper maintenant.
– Je vais t’aider
– S’il te plaît non, lui répondis-je
– OK je t’attends au salon alors ?
– Tu n’as pas sommeil toi ? Il est quelle heure déjà ? demandai-je tout en m’activant
– Attend je vois, elle commence en plongeant sa main dans la poche de son peignoir mais en sortant l’appareil, un paquet de Clear blue tombe au sol. Haaa, ce n’est pas du tout ce que tu crois, panique-t-elle tout en le ramassant
– Ce n’est pas un test de grossesse que je viens de voir ?
– Oui mais il est pour moi. J’ai euh…, je suis tombée sur un petit fougueux et le préservatif s’est rompu pendant l’acte donc je veux vérifier
– Ah, je le connais ce fougueux ?
– Non, un plan cul, rien de sérieux
– Alors ? Tu l’as fait ?
– Non, je… je…
– N’aie pas peur, lui dis-je en jetant les sous-vêtements dans le sèche-linge. Même s’il est positif, je vais t’aider à t’en occuper
– Euh OK…, je vais… je vais le faire alors
Je lui donne de l’intimité et l’attends sagement dehors. Elle sort avec quelques minutes plus tard ainsi qu’un petit air que je ne saurai qualifier. Elle ne paraît ni soulagée ni stressée. Plutôt normale.
– Youpi, il est négatif
– C’est drôle, des années plus tôt, tu voulais absolument un enfant et maintenant tu ne sembles pas déçue de manquer cette chance
– Et tu m’as sacrément remonté les bretelles pour ça jusqu’à me faire la tête non. Pour une fois j’ai écouté et tu te plains de quoi ? En plus le type avait un nez d’espadon, c’était trop risqué de mélanger mes gênes avec lui
– Comme tu t’es moquée là, Dieu va exactement te donner un enfant à long nez, blaguai-je
– Mais ta bouche Elikem, dit-elle en me donnant une petite tape dessus. Mon futur mari c’est un homme beau, brillant, élégant, distingué qui me fera saliver même dans le plus simple accoutrement et on fera des filles toutes mignonnes joufflues et aux grosses cuisses qui donneront envie qu’on les croque
– Si tu prends tout ça toi seule, il restera quoi pour les maris des autres ? rigolai-je
– C’est la rue hein, que chacun se cherche, moi j’ai ma liste et je n’enlève rien dessus
– Je…. je t’envie, dis-je en ramenant mes pieds sur le sofa pour mettre ma tête dessus
– Mais non, tu auras le mari le plus classe et intelligent…
– Je ne parle pas de ça. J’envie ta joie, ton optimisme en l’avenir. Mon mari classe je l’avais, c’est lui que je voulais. C’est avec lui que je voulais faire des enfants joufflus, mais je…
Je marque une longue pause, pour éviter de pleurer. Mais c’est peine perdue. La douleur remonte tel un plat mal digéré et une par une, mes larmes coulent.
– Ma vieille, commence-t-elle d’une voix enrouée, tu ne dois pas abandonner Elie, c’est toi qui me répétais ça quand j’ai touché le fond après la rupture avec Toni. C’est difficile à concevoir maintenant mais je suis sûr que tu trouveras un homme aussi bien que lui
– Ce n’est pas ça Océane. Contrairement à toi je n’avais aucun rêve de famille avant lui ; je ne vivais que pour moi, mes études, ma réussite. L’idée de finir seule ne m’effrayait pas du tout, bien au contraire je me sentais rassurée d’avoir ma vie seule et simple que j’allais contrôler de A à Z. Il est parti avec nos rêves, arrivai-je à dire avant de fondre silencieusement en sanglots
– Tu veux un câlin ? elle me demande après un moment et je secoue la tête. Tu veux que j’appelle Romelio ?
– Il a ses chats à fouetter, dis-je d’une voix maussade
– Qu’est-ce que je dois faire alors ?
– Raconte-moi des choses de toi, n’importe quoi, et au passage merci d’avoir fait la demande pour ces douze semaines de congé
– Décidément tu veux me faire pleurer aussi, dit-elle le visage pourtant déjà inondé. Elle arrive quand même à jouer au père Castor, me racontant un tas d’histoires. Des anecdotes plus folles les unes que les autres, et petit à petit, je me laisse bercer par sa voix et m’assoupis contre son bras.
À mon réveil je suis dans mon lit. J’ignore combien de temps s’est écoulé mais j’entends des voix me venir depuis le salon. La nouvelle c’est celle de mon papa Eli. Je passe en douche me brosser les dents avant de les rejoindre.
– Ma perle qu’est-ce que tu fais debout, vas te coucher, me dit maman en se levant
– Je n’ai plus sommeil, coucou papa
– Mais tu n’as pas assez dormi. Rien ne presse, papa ne partira pas, insiste-t-elle
– Maman je n’ai juste pas sommeil, s’il te plaît. Ils ont arrêté les malfaiteurs ? Tu… tu l’as vu ? demandai-je à papa
– Ta mère a raison ma chérie, il est encore tôt pour parler de ça, dit mon papounet
***Océane AJAVON***
J’ai mal et très peu dormi parce que je ne voulais pas réveiller Elikem qui s’était endormie contre moi quand je lui racontais mes inventions farfelues pour la distraire. J’aurais espéré qu’elle dorme un peu plus quand Mally l’a porté pour aller la coucher ce petit matin avant d’aller récupérer leur papa à l’aéroport. Comme je partage le sous-sol avec Mally depuis l’arrivée du papounet d’Elikem, les éclats de voix provenant de l’étage m’ont tiré du sommeil. Je monte et j’entends petit à petit, Elikem, qui a l’air en proie aux émotions.
– Qu’est-ce que vous me cachez ? Je vous ai entendu avant d’arriver et vous étiez en colère, qu’est-ce qui se passe ? Ray est… est en vie ? C’est ça ? Il a dû se cacher et inventer cette histoire pour se protéger ? dit-elle d’une voix remplie d’espoir
J’arrive quand le papa regarde Elikem avec regret et secoue la tête.
– Je suis navrée mon ange, il n’a rien inventé. Je…, je suis vraiment navré.
– OK, dit-elle tête baissée et épaules affaissées. Alors pourquoi vous vous disputiez ?
– On ne se disputait pas. Je m’indignais…
– Antoine ce n’est pas le moment, s’insurge la maman d’Elie
– Tu ne vois pas qu’elle souffre déjà Belle, lui dire toute la vérité maintenant est meilleur. C’est le père de, plutôt celui qui se dit père de ton fiancé qui a foutu cette merde. Il a payé des hommes pour braquer son propre magasin ainsi que sa commande, avec une raison bidon en justification, qu’il a servie à Eli. Je dis pour ma part qu’il en avait après ton argent chérie. J’ai senti cette cupidité en lui le jour où il m’a dit avec fierté qu’il préférait rentrer avec la Bentley de ta mère qu’avec moi. Toutefois je ne m’attendais pas à ce qu’il atteigne un tel niveau de bassesse
Le silence qui s’en suit est aussi pesant qu’une brume hivernale. Le choc me pousse à m’asseoir tout doucement dans les marches.
– Tu ne plaisantes pas ? dit-elle incrédule et c’est au tour de son papounet de secouer la tête
Ils s’écrient tous Elikem, courant comme moi vers elle après qu’elle ait vacillé. Heureusement, son frère était derrière et c’est contre son torse que son dos s’est retrouvé. Ils la déplacent jusqu’au sofa et maman Belle l’oblige à se coucher avant de lui caresser le front. Mally revient avec la trousse de premiers secours et maman Belle présente un thermomètre à sa fille.
– J’… je suis désolé de t’avoir mal conseillé concernant ta relation mon ange, commence papa Eli qui s’était accroupi devant elle. Si j’avais su que la tournure serait si tragique, je.. je m’en serais abstenu
– C’est pas grave papa, ce n’est pas toi le fautif
– Encore moins toi, alors ne te laisse pas abattre par cette nouvelle, il est tombé dans la mauvaise famille tout simplement, rajoute son papounet
-40 de fièvre, dit maman Belle sur un ton inquiet après avoir retiré le thermomètre
– Océane vous avez de l’Advil ou du Tylenol ici ? me demande papa Eli
Je pars à la course prendre tout ce qu’on a comme cachet dans cette maison et lui ramène le stock. Maman Belle le prend et lui présente, mais Elie garde la bouche fermée.
– Elikem fait un effort, essaie-t-elle en vain
– Ma puce, tu sais qu’on doit faire descendre cette fièvre sinon tu risques d’aller mal. On a assez pleuré comme ça, s’essaie aussi papa Eli mais le résultat reste pareil
– Tu veux mourir et nous laisser c’est ça ? s’emporte Mally contre toute attente
– Tu baisses d’un ton, le menace papa Antoine
– Non mais qu’elle nous dise parce…
– Va prendre l’air Mally, maintenant, lui dit son père sur un ton qui ne permet pas qu’on le conteste
Il pouffe d’exaspération et s’exécute. Avec le temps j’ai appris à connaître ses petits et Mally a beaucoup de mal à admettre son impuissance face à certaines situations. Mais en plus il est très attaché à ses sœurs donc j’imagine bien comment il vit son abattement face à la détresse de cette dernière.
La journée s’écoule mélancoliquement. C’était la dernière journée du papounet ici. Idem pour Mally mais heureusement il semble s’être réconcilié avec sa sœur avant son départ. Le soir au fond de mon lit, je n’enchaîne que des scénarios sinistres sur le père de Ray. Et les questions fusent de partout dans mon esprit. Comment peut-on en arriver là ? Parker et moi n’avons pas vraiment une relation père fille, toutefois, je suis certaine que jamais il ne me ferait du mal. Si le mari de ma mère parvient à me traiter avec respect et courtoisie, comment se fait-il qu’on puisse détruire la vie de celui qu’on fait venir dans ce monde ? Mais Elikem allait vivre quoi comme vie avec un beau-père pareil ? Je me redresse rapidement pour une prière.
– Seigneur c’est moi ta fille pour la prière annuelle. Oui je viens en avance cette fois mais l’heure est grave. Je t’en prie, je connais mes défauts, je ne viens donc pas demander parce que je mérite trop mais pardon, il faut réduire sur le champ la vie de mon beau-père s’il est aussi méchant que l’autre dont je ne prononcerai pas le nom là. En fait si tu pouvais me donner un homme sans famille même je te serais plus fidèle que les cierges à l’église. Je sais que ce n’est rien pour toi, et je promets en retour de prendre bien soin de lui. Il ne souffrira pas avec moi. Je lui donnerai le meilleur de moi, sur ma vie je le jure, Amen, dis-je puis je me remets sous la couverture
Quelques minutes plus tard, mon esprit continue à songer et finalement je me remets en position de prière.
– Oui c’est une première mais on avait déjà conclu que l’heure était grave. Bon le truc de sans famille là, je retire s’il te plaît. Parce qu’en y pensant, ceux qui sont seuls viennent avec un bagage conséquent et je n’ai pas patienté jusqu’à trente ans pour traiter avec les gros problèmes psychologiques. Donc laisse-lui sa maman ou un sibling (frère ou sœur), en tout cas quelqu’un chez qui il peut se rendre quand il a besoin de se confier, rigoler. Quelqu’un qui le ramène sur terre quand il veut divaguer. Bref une bonne maman comme mon papa l’a été et quelqu’un comme Elikem l’est pour moi quoi. Je ne veux pas de quelqu’un qui ait besoin d’énormément d’attention oh. On ne peut pas être deux avec des attitudes de princesse. Donc qu’il soit plus mature que moi en ce qui concerne l’attention et je serais plus mature que lui sur d’autres plans. Et puis dis-lui de se presser. Quatre ans sans sexe à l’attendre parce que je réserve toute ma libido pour lui montrer le feu, c’est long non ? C’est quelle punition ça ? Bref, amen, je t’aime père d’amour, dis-je et cette fois je peux enfin m’endormir aussi paisiblement que possible compte tenu de la situation actuelle
***Mireille SANI***
Deux semaines, c’est ce qui me reste comme délai pour quitter ma propre maison. Mais ce scélérat me fait bien rire s’il pense que je vais me laisser faire. J’ai déjà prévenu Norbert et m’en vais justement le voir parce qu’il m’a demandé du temps pour réfléchir à une solution. Bien sûr, je ne lui ai pas expliqué les raisons du chantage dont je suis victime. J’ai plutôt dit qu’Eben m’avait présenté des photos de lui et moi en train de nous embrasser vu qu’il nous est déjà arrivé de le faire dans sa voiture.
Me voilà à son cabinet et je suis reçue sans tarder. L’air grave qu’il affiche me rassure qu’il prend l’affaire au sérieux. Cet Eben va le regretter, je le jure.
– Mais pourquoi il te fait chanter au juste, c’est ce que je ne comprends pas, il me dit après un énième récit
– Que veux-tu que je te dise ? C’est la jalousie, tu ne connais pas les familles africaines avec les gros yeux suiveurs dès qu’un époux laisse une veuve ?
– Quand est-ce que cette société changera ? Hein ? il déblatère longuement comme si on n’avait pas mieux à faire
– Bon qu’est-ce qu’on fait alors ?
– Que veux-tu qu’on fasse sinon porter plainte ?
– Non mais tu es fou ! m’indignai-je. Dois-je te rappeler qu’on nous voit dans un moment intime ? Qu’est-ce que mes enfants diront si jamais il met sa menace à exécution ?
– Que veux-tu que je te dise, ils peuvent être fâchés mais ça reste tes enfants Mireille, ils te pardonneront tôt ou tard
– Non, non et non ! Je ne vais pas prendre ce risque, tu dois trouver une autre option
– Mireille je suis notaire et non détective ou flic. Le mieux que je sais faire c’est conseiller et assister les gens sur le plan légal. Quelle option veux-tu que je te trouve en dehors de la première ? Parce que si tu lui donnes ce qu’il demande, soit quitter la maison, il s’y installera probablement vu qu’il contrôle Axel comme tu me l’as dit. On ne cède jamais à un maître chanteur
– Écoute je me fiche complètement de tes soi-disant conseils ! Tu as deux semaines pour me trouver une solution sinon je vais raconter un peu partout ce qui s’est passé entre nous depuis notre première rencontre
– C’est regrettable que tu veuilles en arriver là, je te prenais comme une amie, dit-il après une longue pause
Pfff ! On fait quoi avec les amitiés inutiles comme ça ? Un homme, un vrai m’aurait proposé d’engager des hommes pour qu’on corrige comme il faut Eben mais non. J’ai quitté son bureau sans demander mon reste. Jusqu’à la fin, Martin veut me pourrir la vie mais je refuse. Je n’ai pas dit mon dernier mot.
J’avais déjà cuisiné Axel pour savoir où trouver Eben mais comme d’habitude, mon deuxième fils ne me sert à rien dans les moments critiques. Ils se parlent régulièrement pourtant il me dit qu’il ignore où réside son cousin et ne sait même pas qu’il est rentré. À vrai dire, il n’est plus repassé depuis le jour là. Maintenant que j’y pense, j’aurais dû profiter de sa présence pour l’assommer, mais la peur m’a tétanisée et aujourd’hui j’en paie les frais. La seconde option qu’il me reste, c’est d’envoyer Joshua en éclaireur chez son frère. Je l’ai appelé en vain mais c’est quand bon lui a semblé qu’il m’a répondu. Je parle de presque huit heures plus tard.
– Oui maman, tu ne connais pas le décalage horaire ? l’insolent me dit
– Tu me fous le camp avec cette histoire. J’ai besoin de toi. Écris régulièrement à ton frère et demande lui discrètement si Eben est à Lomé, ainsi qu’où il habite
– En quoi ça me concerne ?
– Je te dis que j’ai besoin de toi
– Franchement maman tu n’en as pas marre des histoires du bas quartier ? On est plus au même niveau que ce gars donc parler pour lui c’est une perte de temps pour moi
– Tu as l’équivalent d’un petit terrain de vingt-cinq millions et ça me parle de niveau ? Vingt-cinq millions c’est quoi ?
– Ouais niveau parce que j’ai confiance en mes projets. 25 deviendra 250 bientôt. Et je t’annonce aussi que je vais demander ma copine en mariag…
J’ai raccroché au nez de cette cervelle de moineau. Les jours continuent de défiler et je n’ai toujours rien comme porte de sortie. À un moment j’ai même cru qu’il avait lancé sa menace pour bluffer et peut-être qu’il voulait juste me pousser à avouer. Oui j’y ai cru jusqu’à ce que je le vois un jour dans la même voiture qu’Ezra qui venait de rentrer.
– Hey toi, tu viens d’où ? je demande à mon fils
– Bah du travail non, je t’ai dit que la ministre WANKE me forme pour que j’intègre l’institut de statistiques qu’elle préside avec son mari
– Hum, tu es sûr que l’histoire là est sérieuse ? Parce que je n’ai jamais entendu qu’on engage un jeune de ton âge qui n’a même pas fini son BTS
– Arrête de me décourager, à chacun sa chance et c’est la mienne, il me répond avec désinvolture
– Hum, tu as intérêt à ne pas gâcher notre nom là-bas
– Ouais t’inquiètes. Je tiens aussi à mon honneur et à faire payer cette Jeanne une fois que j’aurais les moyens
– Encore avec cette histoire de Jeanne ? Je te signale que ton père avait une autre famille en…
– Don c’est une raison pour qu’elle l’ait tué, réplique-t-il d’une voix cassante
– Non bien sûr, je ne voulais pas…
– Alors, ne m’énerve pas. Faux jeton ou pas, ça reste mon père et la place des criminels est en prison. Donc cette Jeanne s’y retrouvera, que tonton Gaëtan la couvre ou pas. Bref il y’a quoi à manger ? J’ai une faim de loup
– Du risotto, sinon tu faisais quoi avec Eben dans cette voiture ?
– Anh, Mr WANKE l’a chargé d’une commission et comme j’avais fini ma journée, le chauffeur a proposé de me déposer
– Donc il connaît bien les WANKE comme ça ?
– Je pense qu’ils l’ont adopté ou un truc dans le genre hein
– NON ! fais-je surprise
– Bon je suppose, commence-t-il la bouche pleine, parce que j’entends souvent son nom dans leurs bouches, en plus il dort là-bas actuellement
Bingo ! je saute intérieurement de joie à cette nouvelle. Il ne me faut pas plus d’une nuit pour concevoir mon plan. Quand il vivait avec nous, Eben raffolait de la sauce tomate remplie de peau de bœuf. Et je fais rarement le lunch de mon fils, donc j’en profite pour leur mitonner un plat bien fumant. Deux jours après que j’ai appris la nouvelle, je prépare deux boîtes à Ezra avant qu’il ne s’en aille. C’est en se léchant les babines qu’il prend le sachet
– Le rouge est pour toi, le bleu tu le donnes à Eben mais ne lui dis pas que ça vient de moi hein
– Mais pourquoi ?
– Je ne veux pas qu’il se sente obligé de venir me donner de l’argent ou un cadeau pour me remercier comme je lui ai fait son favori. Dis-lui plutôt que tu l’as acheté en chemin
– Il n’y a que toi pour refuser un cadeau maman
– C’est un jeune, ce n’est pas le moment qu’il éparpille son argent au nom de la reconnaissance
– Lol, si tu le dis, je suis parti, dit-il en me faisant la bise
Je retourne me coucher en chantant. Le poison dans la bleue est assez rapide de ce que le vendeur m’a dit. Ça lui apprendra à se frotter à plus grand que lui.
***Eben Ezer TOUNTIAN***
J’ai dit à maman d’aller s’excuser auprès de Bijou mais non, elle ne l’a pas fait. Elle m’a servi comme excuse que Fabien ne lui a pas dit qu’ils devaient le faire. Ça ne prend pas un devin pour comprendre qu’en dépit de ma parole, elle a encore du mal à croire en la culpabilité de tonton Martin. Je me suis lavé les mains de cette histoire. Si quelqu’un veut être borné, qu’est-ce que je peux y faire ? C’est Mr WANKE qui a demandé ma présence à Lomé parce qu’il est prêt à finaliser l’achat de la maison que j’avais visité pour lui. Le reste, je profite juste de ma présence pour le régler. Le point positif de cette visite, c’est de voir qu’Ezra s’en tire plutôt bien. Il a prévu s’inscrire en cours du soir pour finaliser son BTS si on le retient après sa période d’essai. Malgré son sérieux, il reste un jeune luron de 20 ans qui dès qu’il me voit dans les parages ne peut s’empêcher de m’en raconter des bonnes. Aujourd’hui c’est de la bouffe qu’il me présente.
– Je t’ai acheté ton favori, avec une tonne de peau de bœuf, dit-il en se goinfrant
– Ah bon hein ? Tu me gâtes comme tu chiffres trop quoi, plaisantai-je
– Lol je ne chiffre pas encore assez mais ça ne saurait tarder
Je me frotte les mains devant le plat dont s’échappe une odeur alléchante et m’apprêtais à plonger dessus quand un détail me revient à l’esprit
– Comment tu sais que la peau de bœuf c’est mon favori toi ?
– Bon tu ne caftes pas hein, c’est la vieille qui nous gâte aujourd’hui mais elle a dit de garder ça entre nous sinon tu te sentirais obligé de la remercier
– Ah…, d’accord merci
– Oh tu ne manges pas ? dit-il en me voyant refermer la boîte
– Je préfère en profiter à la maison
– Mais on ne fait pas mieux chez les WANKE ? En plus je ne pense pas que ma part me suffira
– La gloutonnerie c’est quand même un péché hein
– Faut laisser ça, Dieu même sait, rigole-t-il
– Je vais plutôt me cacher pour manger parce que c’est comme ça qu’on se fait subitement attaquer, plaisantai-je pour m’octroyer une porte de sortie
Il est treize heures passé quand je me rends au marché d’Adawlato pour acheter un coq. Dès que j’ai un peu d’intimité, je lui donne un peu du plat fait par ma tante. En moins d’une heure, l’animal rend l’âme. Il faut dire que je ne suis pas surpris. J’ai imaginé cette option le jour où je me suis présenté à son domicile. J’ai simplement misé sur le fait que la peur l’empêcherait de réagir. Ma décision est prise rapidement. Je retourne à l’INSAO et aujourd’hui encore, je propose à Ezra qu’on rentre ensemble. Nous faisons un stop toutefois pour que j’achète encore un coq.
– Ne me dis pas qu’on te fait cuisiner chez les WANKE, s’étonne Ezra
– Bien sûr, ce n’est pas l’hôtel là-bas
-What ? Avec tout l’argent là, moi qui pensais qu’on te traitait comme un fils
– Lol, je ne suis ni plus ni moins qu’un employé mon cher. Je séjourne sur place parce que c’est plus simple pour Mr WANKE de me voir
Il continue à m’amuser avec ses suppositions et très vite nous voilà devant chez eux. Le visage de tata se décompose quand elle me voit entrer avec son fils. Les deux autres, Axel et Allen sont aussi présents.
– Enfin on voit ta face depuis le temps que j’ai entendu ton retour, me dit Axel
– J’étais un peu prise. Bonsoir ma tante
– Bonsoir, dit-elle du bout des lèvres tout en me fixant
Sans tarder je m’abaisse, dépose l’animal et elle se met à parler en panique quand elle me voit le forcer à manger un peu de riz
– Tu dégages de chez moi sur le champ !
– Pourquoi tu cries maman ? Axel lui répond confus
– Attendez, vous allez comprendre, dis-je devant l’animal qui se tortillait de douleur
– Maman, qu’est-ce qui se passe ? lui retourne Ezra nerveusement quand les forces du coq commencent à s’amenuiser
– J’ai dit tu sors de che…
– Maman ! les trois garçons lui crient
Elle recule petit à petit, comme prise au piège et les regarde à tour de rôle.
– Donne-moi le plat je vais le manger, m’ordonne Ezra
– Ne fais pas ça ! elle gueule sur son fils qui m’avait arraché le plat sans perdre une seconde
– Qu’est-ce que tu as fait ? lui demande nerveusement Axel
– Elle voulait l’empoisonner et s’est servie de moi pour ça. Pourquoi maman ? Qu’est-ce qu’il t’a fait ? réplique Ezra sur un ton déçu
Elle n’a aucune réponse pour eux, sinon que des larmes et supplications. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle avoue de toute façon. En venant chez elle la première fois, je voulais régler son cas simplement, raison pour laquelle je lui ai demandé de quitter la maison. Bien sûr, j’étais conscient que toutes mes menaces n’allaient pas fonctionner. Par exemple, je n’aurais pas pu empêcher ses fils de la soutenir financièrement s’ils le souhaitaient. Toutefois je voulais autant que possible l’éloigner d’eux et qu’elle paie d’une quelconque manière. Elle a choisi l’option difficile et leur a montré d’une certaine façon son réel visage. Celui d’une meurtrière qui ne recule devant rien pour défendre ses petits intérêts.