Babi by night
Ecrit par Gioia
Madina Bara
Direction Pierre Elliott Trudeau pour mon vol sur
Abidjan. La mariée et son cortège y sont déjà. M’étant prise un peu tardivement
je n’ai trouvé un vol dans mes prix qu’une semaine après le départ des autres.
J’ai donc manqué la dot. Fort heureusement, j’arrive quand même trois jours
avant le mariage religieux.
Le vol fut pénible. Entre grincements de dents et
étourdissements, je parvins quand même à fouler le sol ivoirien. La chaleur
étouffante n’a pas traîné pour m’accueillir. Six ans maintenant que je n’ai pas
mis pied en Afrique. La dernière fois, c’était pour mon père. Je préfère ne
plus y songer. Mes yeux parcouraient la foule à la recherche de Yannick qui
n’était nulle part, pourtant selon les infos que Laure m’avait données la
veille de mon départ, il devait m’attendre depuis une trentaine de minutes. Je
continuais à chercher mon ami quand un homme à l’allure imposante par sa
carrure m’a adressé un air presque conquérant et se dirigeait vers moi. J’ai
entendu une pléthore d’histoires sur les dragueurs que sont les Ivoiriens donc
je prends mon air le plus sévère quand il est à mon niveau.
— Yo no hablo francés señor, dis-je le visage
ferme.
— Han ! Ce n’est pas
vous Madina Bara ou bien ? il me
demande avec un sourire narquois.
— Euh oui c’est moi.
— Ah ça on m’en a fait des bonnes, mais pas
encore le coup de l’espagnol. Je suis Michael Koumah le cousin de Yannick, fit-il
en me tendant la main. Je la saisis très embarrassée. L’air conquérant s’explique.
D’ailleurs je sais qu’un air conquérant ressemble à quoi ? Il devait être soulagé de trouver celle qu’il
était venu prendre. Ce type fait au moins deux têtes de plus que moi et ses
mains sont immenses.
— Bienvenu à Babi, il continue sur un ton
jovial et essaie de prendre ma valise.
— C’est correct je peux la tirer. Yannick ne viendra
pas ?
— Non il est pris dans les dernières courses,
mais j’ai pour ordre de vous déposer à la maison. Je peux te tutoyer ou je dois
apprendre l’espagnol d’abord ? il me
demande sur un ton ironique.
— C’est bon, je réponds super gênée et il
rigole. Demain je vais attendre qu’on me parle avant de répondre à la va-vite.
Je le suivis tant bien que mal. Pendant que ses
longues jambes faisaient trois pas, je finissais mon premier.
— Tu es sûr que tu ne veux pas que je prenne
ta valise ? Je ne vais pas m’enfuir avec
hein.
— Non ça va je vais m’en occuper. Merci de
proposer.
Nous rentrâmes dans sa voiture et prîmes la
direction de Dieu sait où. Le paysage était rafraîchissant et me changeait des
gros immeubles de Montréal.
— À voir comment tu t’extasies sur la vue ça
doit être ta première fois à Babi.
— Effectivement.
— Faut qu’on te fasse découvrir alors. On se
fera un programme après le mariage ou bien.
— Je ne reste pas longtemps et je ne veux pas
vous déranger.
— Déranger comment, tu es notre invitée. Et
puis tu peux laisser le vouvoiement pour moi hein. Ou bien tu essaies de me dire
que je suis vieux ?
— Mais non pas du tout, fis-je, avec la gêne
de retour.
— Détends-toi je t’emmerde, lui se marre.
Nous arrivâmes quelques minutes plus tard devant
une villa un petit peu loin d’un endroit qu’il m’avait pointé comme étant la
mairie de Marcory. Je vis avec horreur les longs escaliers devant moi lorsqu’il
me demanda de le suivre jusqu’à ma chambre.
— Euh si tu permets je vais attendre Laure sur
la terrasse.
— Si c’est seulement moi, je permets en désordre,
mais le souci c’est que Laure est sortie pour des courses avec les autres
filles. Et je doute qu’elles rentrent de sitôt vu tout ce qu’elles se
racontaient. Ce n’est pas mieux que tu te reposes avant ?
— Non ça va je vais m’asseoir un peu et ça
ira.
— D’accord, sens-toi libre. Tu veux boire un
truc ?
— De l’eau s’il te plait.
Il part et revient avec une bouteille fraiche de
2L ainsi qu’un verre, puis s’excuse pour aller se reposer un peu tout en
précisant que je pouvais venir le chercher au besoin. Une fois seule, je pris
une position plus confortablement pour m’étirer les jambes puis m’endormis sans
le savoir.
— Oh la belle au bois dormant, je crois
entendre d’une voix plutôt grave. Je pouvais sentir un souffle mentholé sur mon
visage. J’ouvre les yeux et tombe nez à nez sur des yeux perçants, un sourire
moqueur et des dents parfaitement alignées.
— Oh merde, fais-je en me couvrant
instinctivement le visage. Quelques fois il m’arrive de baver quand je dors
alors la dernière chose que je veux c’est qu’il me voit dans cet état, déjà que
je ne me suis pas douchée depuis que j’ai pris mon vol, soit presque 48 heures
incluant les escales.
— Donc toi aussi tu sais dire des gros mots
quoi. Je t’avais bien dit d’aller te reposer à l’étage. Viens je t’y emmène.
— Euh non ça va je suis reposée. Je vais
attendre les autres ici, je dis en faisant semblant de bailler, main sur ma
bouche pour en réalité nettoyer en douce une possible trace de bave. En général,
je ne me soucie pas de ce qu’on pense de mon apparence, mais c’est quand même
la famille de Yannick, et bientôt celle de Laure. Je dois « represent ».
— Loin de moi l’idée d’insister, mais je te
recommande fortement de t’allonger si tu espères un tant soit peu profiter de
votre d’enterrement de jeune fille.
— Enterrement de vie de jeune fille ? répétai-je en soulevant un sourcil.
Au loin on entendait le gardien ouvrir le portail
et les filles descendirent de la voiture par la suite. Le même groupe avec qui
on avait fait les achats à Montréal tandis que Laure était au téléphone, et
encore dans la voiture, du moins de ce que je pouvais voir depuis l’endroit où
je me tenais.
— Oh Michou tu es là, susurre Judith avant de
se jeter à son cou.
— Je t’ai dit d’arrêter de m’appeler comme ça.
— Tiens, tu es là Madina, dit Carla.
— Je pensais que tu avais décommandé,
continue Judith pendait que Michael détachait ses bras de son cou.
— J’ai trouvé un arrangement.
— J’espère bien pour toi, madame que tu ne
seras pas encore à la traîne sinon........
— Sinon quoi ? C’est quelle façon d’attaquer les gens ça ? intervient Michael avant même que quelqu’un l’ouvre.
— Laisse, c’est entre nous chéri.
— Entre vous ou pas je n’ai pas intérêt à
entendre que tu as fait des siennes au mariage de mon cousin, on s’est compris ? il lui dit sur une petite pointe d’agacement et
elle lui lance un oui boudeur, qui m’étonne. Depuis que je côtoie Judith à
cause de Laure, je ne l’ai jamais vu coopérer avec quelqu’un. Quand elle a
quelque chose à dire, personne n’arrête sa bouche. Ni les bonnes manières ni
les humains. Nous ne sommes pas amies. Juste des gens qui fréquentent la même église.
— Les filles, venez on monte. Il faut s’apprêter
pour la soirée, dit Judith avant de se tourner et prendre les escaliers.
— Excuse Judith tu la connais, dit Michael à
mon égard. Le ton jovial était de retour. Je vais chercher les sacs dans la
voiture. Tu montes et ta chambre est la cinquième à droite si tu veux te
reposer.
J’entre et commence à monter les escaliers quand
personne n’était dans le coin. Je ne voulais pas répondre aux questions
intrusives. Je monte une marche à la fois tout en tirant ma valise. Le côté gauche
de ma hanche me fait tellement souffrir et ses fichus escaliers n’en finissent
pas. Je venais de faire la moitié, et m’apprêtais à crier une mini victoire, mais
au lieu de ça j’ai raté la marche suivante et mon corps dégringolait bien que j’aie
essayé de me raccrocher à la rampe. La frayeur me fit mordre violemment la
lèvre pour ne pas crier dans la chute et alerter les autres. J’attendais la violente
douleur familière qui suivait ce genre d’accidents, mais elle ne venait pas. Je
me rendis compte que je n’étais pas au sol, mais plutôt sur un truc solide.
— Merde, on grimace derrière moi. Tu as
failli me briser le cou là. Ça va ? Rien de cassé ?
Je tourne la face et me retrouve devant Michael
qui avait amorti ma chute.
— Je........je suis maladroite, bredouillé-je,
d’une voix remplie de larmes que je contenais fortement.
— Maladroite, ça tu peux le dire. Tu t’es
même blessée à la lèvre, dit-il en la frôlant avec un doigt. Viens qu’on
regarde ça.
Trop sonnée et encore tremblante de frayeur pour
réagir, je me suis laissée faire, tandis qu’il m’aidait à me redresser avant de
me conduire vers une chambre au rez-de-chaussée et me poser sur le lit. Il
revint avec des compresses et nettoya le sang sur ma lèvre pendant que je
le regardais faire toujours sans un mot.
— Tiens voilà. Reste te reposer ici. Je
viendrais te prévenir quand les autres auront fini.
Je m’allongeai dès qu’il quitta la pièce et m’endormis
aussitôt. Je fus réveillé ensuite par Laure qui venait de rentrer.
— Désolée coco, c’était une tante qui m’avait
retenu au téléphone pour me souhaiter les vœux de bonheur et tout ce que tu
sais. Le voyage n’a pas été trop épuisant ?
— Je vais mieux maintenant que j’ai dormi.
— Mais pourquoi tu dors dans la chambre de
mon beau-frère quand la tienne est à côté ?
— C’est le à côté qui se trouve à l’étage ? Elle a même failli aggraver sa blessure à la
jambe en chutant dans les escaliers, lui reproche Michael qui venait aussi
d’entrer dans la chambre.
— Mais non sa chambre est juste à côté de la
tienne, j’ai bien précisé à tout le monde y compris maman.
— Pourquoi Carla m’a donc dit qu’elle dormira
à l’étage ?
— Carla ? Impossible ! J’ai choisi sa chambre, exprès pour lui éviter
les escaliers.
Je les vis échanger sur moi comme si je n’étais
pas dans la pièce. Laure sortit en colère pour sermonner Carla qui expliqua que
Judith avait décidé de prendre celle qui m’était attribuée originellement, mais
en plus refusait de la libérer.
— Pourquoi doit-elle avoir une chambre rien
qu’à elle ? C’est quoi ce traitement de faveur ? se plaint Judith.
— Judith tu es chez ma famille et je partage
les pièces donc tu vas me faire le plaisir de libérer au plus vite la chambre
de Madina merci ! la
réprimande Laure.
— C’est toujours comme ça. Madina ci Madina
ça, à croire qu’elle est mieux que nous.
— Ce n’est pas ça Judith.
— Oh toi ne me parle pas, elle hurle et s’en
va après m’avoir lancé le genre de regard qui peut tuer pourtant je voulais lui
expliquer que ce n’est pas une question d’être mieux que quelqu’un, mais juste
ma santé qui fait défaut.
En temps normal, j’aurais simplement cédé la
chambre pour éviter les embrouilles, mais il m’est impossible de monter et
descendre les escaliers pendant deux semaines. Heureusement, les remarques de
maman Laure sur notre sortie étaient là pour ramener la bonne humeur. Elle
n’adhérait pas du tout à l’idée de l’enterrement de vie de jeune fille bien que
Laure lui ait expliqué que personne n’allait littéralement enterrer sa vie dans
une sortie. C’est avec une longue liste de recommandations qu’elle nous a laissé
partir. Nous sommes allées dans un club, ma toute première fois. Je ne suis pas
une grande danseuse et sous morphine donc j’évitais l’alcool.
Après un tour sur la piste, nous avons retrouvé
notre carré pour une petite pause et les jeux se sont enchaînés, dont jamais je
n’ai jamais. Le jeu était simple. On lance une phrase et si tu l’as fait tu
bois, sinon tu passes ton tour.
— Jamais je n’ai fait la pipe à l’école,
lança une d’elles. Elles burent toutes, sauf moi.
— Jamais je n’ai recouché avec un ex. Laure
et moi ne bûmes pas.
— Jamais je n’ai envoyé de photo nue à un
gars qui n’était pas mon copain. Laure, une autre et moi n’avons pas bu ce tour.
— Jamais je ne me suis masturbée. Encore une
fois, elles burent toutes sauf moi.
— Hum Sainte Marie la mère de la pureté, lance
Carla.
— Laisse les petites sœurs de Jésus hein, rajoute
Judith sur un ton moqueur
— Arrêtez les filles, fit Laure en passant le
bras autour de mon épaule. On ne peut pas toutes être pareilles, mais on t’aime
comme tu es Madidi.
Elles continuèrent à jouer et boire pendant que je
les observais. Je ne rajoute aucun commentaire. Pas parce que je me sens pure,
mais qu’il n’y a aucune honte à aimer ouvertement son Dieu. Si quelqu’un veut
s’en moquer, grand bien lui fasse.
— Maintenant place aux conseils, poursuit Carla.
Laure n’oublie pas de bien chauffer le Dr Koumah au lit et bien sûr garder son
ventre. L’homme c’est ça en résumé. Nous rîmes toutes et les autres
enchaînèrent.
— Ma chérie accroche-toi à lui, c’est la
femme qui bâtit son foyer, dit une autre.
— Comme a dit Carla, ne le laisse pas
respirer dès que vous êtes seuls. Les tenues coquines ne doivent pas manquer
dans ta garde-robe. Et tu restes sur ton 31 parce que les petites du dehors
sont sauvages, ajouta Judith.
— N’oublie pas de prier Laure par-dessus
toutes les petites choses que tu feras pour entretenir ton couple, je sais que ça
sonne cliché, mais en réalité beaucoup de choses nous échappent en tant
qu’humains. Seule la grâce divine nous sauve, du moins je pense, dis-je
sincèrement.
Certaines roulaient les yeux tandis que Laure
m’offrait un sourire et merci chaleureux. Heureusement je ne me formalise pas
des roulades avant et arrière oculaires. Ce en quoi je crois c’est ce que je
vais partager avec ma meilleure amie. Nous faisons un dernier tour sur la piste
avant de rentrer parce que la maman de Laure s’est mise à harceler
collectivement toutes celles qui avaient leurs téléphones, stipulant qu’on a
assez enterré la vie comme ça. Il était 2 h du matin quand le chauffeur se
garait dans la cour des Yapo. Certaines boudaient, mais il faut avouer que je
trouvais les réactions de maman trop amusantes pour me fâcher. Je m’apprêtais à
entrer dans ma chambre pour la nuit quand Michael me stoppa.
— Voisine, tape au mur si tu as besoin de
quelque chose d’accord.
— D’accord voisin, rigolé-je.
— On dirait que ta jambe se porte mieux, je
t’ai vu marcher bien droite tout à l’heure.
— Oh tu me regardais quand ça ? je demande intriguée.
— Tout à........
— Michouu vient m’aider à monter les escaliers
je suis saoule, Judith criait au loin.
Il soupira tête baissée, ce qui me fit sourire
d’humour et me souhaita bonne nuit avant d’aller la rejoindre.