Au mariage de Laulau et Yann

Ecrit par Gioia

Madina Bara

Je pensais que la veille des mariages était faite pour se reposer et dormir, pas que j’ai déjà participé de près ou loin à un, mais c’est ce que j’imaginais. Laure a débuté très tôt ses préparatifs. Pourtant nous sommes dehors à courir partout depuis le petit matin. En premier, il fallait trouver une fleuriste pour composer les bouquets des demoiselles d’honneur. Les originaux n’étaient finalement plus compatibles avec la couleur des robes des filles. Et apparemment personne n’avait remarqué. La fleuriste qui s’est occupée des arrangements originaux n’avait pas la variété que Laure voulait donc nous avons fait trois heures à visiter différents fleuristes.

Ensuite ce fut la décoratrice qui avait besoin de bras pour installer l’arche, parce que son assistant était alité depuis une semaine. Quand je pensais être au bout de mes peines, on m’apprit que les filles devaient répéter une danse avec les garçons; un plan de dernière minute. Je fus encore une fois entraînée dans ce groupe. C’est beaucoup pour cette veille, mais en réalité, celui à plaindre c’est Michael. Il a servi de chauffeur, coursier, chorégraphe. En résumé l’homme à tout faire. Pour monter l’arche, c’est sur lui que la décoratrice s’est reposée, les autres gars rouspétant dans leur coin. Ensuite il a assisté pour le transport et l’installation des instruments de musique dans la salle de réception. Le soir pendant que nous nous détendions devant une tasse de thé, je l’entendis dire à Laure qu’il devait retourner à la salle de réception pour des dernières touches. 

— Ton Michael est garçon d’honneur non, il ne doit pas se reposer? demandé-je à Laure.

— Hum j’ai parlé mon cher, mais les Koumah n’aiment pas rester tranquilles. Yannick m’a dit qu’il était au lit, mais ça ne m’étonnerait pas que Mico passe le chercher pour se rendre à la salle de réception. En plus il est le témoin de son cousin, donc il ne va pas se reposer tant que la fête ne sera pas finie.

— Aw c’est gentil. Il courait partout et restait jovial malgré tout, comme si le mot fatigue lui était inconnu.

— Un peu comme toi non, elle rigole, c’est comme ça que tu étais quand je t’ai annoncé que Yannick m’a fait sa demande. Tu as même oublié que tu avais un plâtre.

— C’était l’euphorie. Rien ne pouvait m’empêcher de sauter, dis-je amusée en souvenir du bon vieux temps.

— Je n’en doute pas, réplique-t-elle avec humour. Maintenant que j’y pense, il aurait pu être un bon candidat pour le club K. Dommage qu’il ne parle pas lingala et c’est un bourreau des cœurs.

— Tu es malade je t’assure, dis-je après un fou rire.

— Reste là à faire semblant, on connait tes goûts.

— Va au lit, madame Koumah, tu commences à délirer.

– Ah oui hein. Contemple bien mon visage de célibataire. C’est la dernière fois. Adieu la jachère forcée.

— Tu es incorrigible, dis-je en lui faisant un câlin. 

Je regagnai également mon lit, la tête remplie de souvenirs, dont ma première rencontre avec Laure au bureau de la vie étudiante de l’Université de Montréal. Je passais prendre des informations et elle partageait des flyers pour une fête de l’association ivoirienne. Elle parlait tellement et je n’avais pas le moral le jour-là donc j’ai pris le papier pour me défiler et bien sûr je ne suis pas présentée.

Coup du destin selon elle, on a fermé nos résidences la session suivante pour rénovation et présence de rats. Je déménageai dans la sienne et sur le même palier qu’elle. J’étais quelqu’un de réservé à cause de mon état physique. Je ne pouvais pas souvent me déplacer et j’avais un service adapté qui venait me chercher en voiture pour me conduire à la faculté au besoin. Ne pouvant pas faire souvent de sorties la plupart des amis que je pensais me faire m’oubliaient avec le temps. Laure fut l’exception. Malgré mon manque d’enthousiasme elle passait me voir régulièrement. Et elle avait toujours à dire, déformation professionnelle, elle arguait à l’époque pourtant la meuf entamait tout juste sa deuxième année en licence de droit. Elle avait 20 ans, moi 22.  

Grâce à elle j’ai appris à sortir un peu de mon carcan et honorer le conseil de mon père qui aimait me rappeler que la vie ne se résumait pas à la chambre et l’école. J’ai connu Yannick l’année suivante, à mes 23 ans par des camarades de programme. Il était en médecine, moi en biochimie. Un malaise m’est arrivé un jour à la fac. Il était présent et m’a non seulement suivi à l’hôpital, mais en plus il est revenu le lendemain. Et c’est comme ça qu’il a rencontré Laure dont il connaissait déjà l’existence par leur association.

Les deux sont entrés dans ma chambre, bien que je n’avais pas entendu les coups à la porte. Affolée, j’ai essayé de tirer le drap pour cacher mon pied déformé, pour qu’ils ne soient pas effrayés, mais mon faible corps ne put s’exécuter à temps. Je restai là embarrassée et fuyant leurs regards tout en priant le ciel que mes larmes ne coulent pas. Leur réaction restera à jamais gravée dans ma mémoire. Laure m’a fait un câlin et Yannick un bisou sur le front. Aucun d’eux ne mentionna les deux orteils collés de mon pied gauche. Tandis que Laure me câlinait le dos, Yannick me répétait qu’il était là et si je voulais parler, il avait tout le temps nécessaire.

Je me rappelle encore comment je me suis livrée à eux, la gorge nouée par l’émotion et les larmes coulant comme un bébé chagriné. Ils ont tout écouté sans m’interrompre avec des «oh ma pauvre» et d’autres mots de pitié. Ça peut paraitre égocentrique ou stupide, mais l’une des raisons pour lesquelles je préférais ma propre compagnie c’est que dans le passé le peu à qui j’ai osé me confier se sont mis à pleurer sans cesse sur mon sort ou me traiter comme un petit animal sans défense. Et leurs actes ne m’aidaient pas à renforcer mon moral, alors que ce dont j’ai besoin en attendant la guérison, ce sont les encouragements et prières, ou sinon de l’espace, mais pas les larmes et encore moins qu’on me couve.

Ce malaise s’est transformé en un séjour de trois semaines à l’hôpital suivi d’une convalescence à la maison. Le temps de me remettre totalement, j’avais accumulé pas mal de retard sur mes cours et malgré le soutien des profs en plus de mon implication, j’ai dû annuler ma session en recevant mes notes aux partiels. Je préférais cette option plutôt que de poursuivre et affecter négativement ma moyenne totale en fin de compte. Une énième session annulée. 23 ans et aucune licence bien que j’aie commencé le programme à 19 ans. J’avais quand même un avantage dans ma situation. Mon père avait immigré au Québec et fait dix ans ici dont six d’études avant de retourner au Burkina avec la nationalité qu’il a conservée et s’est battu pour que je l’obtienne. Donc je n’avais pas vraiment de difficultés financières. En plus ma condition physique m’octroyait des avantages avec l’université toutefois quand tu prends deux ans pour finir tes cours de première année de licence pendant que les autres avancent, les avantages semblent insignifiants quelques fois.

Au lieu de broyer du noir la session là j’avais cette fois Laure et Yannick qui me visitaient fréquemment. C’est Yannick qui l’année suivant notre rencontre a rejoint notre église de Montréal en premier et nous invitait sans arrêt. J’y suis allée la première fois pour lui faire plaisir avant tout. J’étais chrétienne, mais je préférais rester à la maison et écouter les enseignements en ligne. Ma foi à l’époque était vacillante à cause de la profonde déprime liée à ma vie. Toutefois, voir d’autres jeunes dynamiques, passionnés et vivre à fond a ravivé la flamme en moi. Et bien sûr j’ai trouvé ma petite oasis de paix, devant le micro, quand je chante.

C’est un peu grâce à l’église que le couple K s’est formé même si Laure refuse de l’admettre. Elle a commencé à me faire la tête parce que selon elle, je donnais tout mon temps à Yannick et l’abandonnait, pourtant je ne participais qu’aux répétitions de chorale et bien sûr le culte du dimanche. Malgré les plaintes elle refusait de nous rejoindre à l’église sous prétexte qu’elle n’allait pas se laisser attraper par notre mouvement bizarre. Ça lui a même pris des années pour accepter de participer à un seul culte, juste pour voir si ça lui plairait, mais par la suite, elle était même plus régulière et connaissait plus de monde que moi. Je n’étais pas présente, mais selon les dires, un beau jour elle a confronté Yannick qui parlait avec une fille, l’accusant de choses insensées et les deux ont commencé à s’embrasser plus tard. Elle a même nié le baiser plusieurs fois quand je l’ai taquiné dessus, préférant traiter Yannick de rigolo. Le même Yannick avec qui je l’ai surpris partageant un baiser langoureux, collée au mur du couloir de notre résidence un mois plus tard. Demain ils boucleront trois ans de relation.

Le sommeil mit fin à la rêverie et je ne me réveillai que pour me soulager. Je fus attirée par le son d’une guitare venant de la chambre de Michael ainsi qu’une agréable voix fredonnant doucement. Je m’approchai à tâtons et alors que je voulais la faire discrète mon pied cogna la porte. 

— Oww, me plaignis-je en titubant.

— Voizo ça va? fit-il en venant vers moi. Tu es vachement maladroite hein. Les escaliers et maintenant la porte. Sorry je blaguais ne me saute pas dessus, ajoute-t-il mains levées en signe de paix.

— Je n’ai rien dit.

— Avec le regard de travers que tu me lançais là je me voyais déjà recevoir la fessée.

Je me mis à rire. Quelle partie de mon mètre 60 pouvait le fesser au juste.

— Pardon si je t’ai réveillé avec mon affaire de guitare, fit-il en se grattant la tête. Je devais répéter pour demain.

C’est à cette remarque que je portai attention à ses vêtements et constatai qu’il avait encore ceux de la veille. 

— Ne me dis pas que tu n’as pas dormi depuis hier Michael, il est 5 h du matin.

— Il y avait trop à faire, tu connais les histoires de mariage et je dois répéter pour l’entrée de Yannick demain.

— En plus! C’est du repos qu’il te faut, pas une énième répétition, allez au lit, je dis et le pousse vers sa chambre, mais il me tient le bras et on entre ensemble.

— Juste une dernière et je me repose promis. Écoute et dis-moi ce que tu en penses s’il te plait.

— D’accord, vas-y, dis-je après avoir pris place sur une chaise.

Il commence à gratter les notes sur sa guitare et je reconnais sans difficulté, «Pour qui tu es», de Dan Luiten.

— Oh pardon, je me reprends main sur la bouche quand je me rends compte que je me suis laissée emporter par sa prestation au point de chanter et qu’il s’est mis à harmoniser.

— Non vas-y continue, m’encourage-t-il.

Je reprends yeux fermés, sous l’effet de sa voix et cette belle chanson. D’une dernière fois, on s’est retrouvé à une heure plus tard. Quand je lui disais d’aller au lit, il demandait si je connaissais celle-ci. Et quand enfin je me levais pour partir, une autre chanson me sautait en tête que je fredonnais et il reprenait sa guitare.

— Je suis trop jalouse, comment tu joues si bien et en plus tu sais quand harmoniser et quand leader? j’avoue et il éclate de rire.

— À cinq ans, mon père m’a acheté une guitare et depuis j’ai cassé en désordre les oreilles avant d’en arriver ici.

— Pourquoi je n’en doute pas? je dis amusée.

— Lol que veux-tu, j’ai plus d’un tour dans mon sac. En tout cas si ça ne marche pas le Canada, vient me voir, on va se lancer en musique et ramasser un bon pactole.

— C’est ça, maintenant on dort.

— La voiz a parlé.

J’éteins la lumière pour lui et le quitte avec un petit sourire sur les lèvres. Le soleil nous trouva plus tôt que je l’aurais souhaité. Les demoiselles d’honneur étaient prêtes à l’heure, des femmes efficaces. Notre madame Koumah resplendissait dans une robe de type bal avec un bustier scintillant. Sa robe était si gonflée qu’on se rendit compte au dernier moment qu’elle ne pouvait pas rentrer dans la même voiture que les demoiselles d’honneur. Nous dûmes nous séparer, moi allant avec Laure et elles nous suivant dans une autre. J’avais opté pour une longue robe bourgogne près du corps. Mes crochets braids ondulées tombaient dans mon dos, retenues de chaque côté par des barrettes ornées de perles, comme ça je n’aurai pas les cheveux dans la face. Une fois à l’église je discutais avec Laure pour la distraire du stress qui montait quand quelqu’un vint me chercher à la demande de Michael.

Ce dernier nous rejoignit pendant qu’on s’avançait vers la salle de célébration. Dire que la veille il rigolait avec moi et aujourd’hui le voilà tout beau et élégant dans son costume gris et nœud papillon rose saumon. 

— Primo, tu es magnifique. Secundo, on a un problème. La fille engagée pour chanter lorsque Laure fera son entrée ne s’est pas pointée.

— Quoi? fis-je plus fort que je voulais. Il reste vingt minutes avant le début de la cérémonie.

— Elle devait m’accompagner pour l’entrée de Yannick, mais ne prend pas nos coups de fil du coup tu vas chanter avec moi.

— Moi comme ça là? No oh tu as menti, je dis en secouant vivement la tête.

— Comme hier Madina, c’est tout, tu dois juste harmoniser, il continue d’une voix rassurante, mais ça ne marche nullement.

— Justement je suis naze sur les harmonies. En plus la foule me fait peur, et qui entrera avec la mariée si je chante? Non non, va rappeler la fille, moi je vais prier, elle va décrocher, j’essaie de le rassurer aussi.

Un monsieur se rapprocha de nous sûrement alerté par notre dispute ou la panique apparente sur mon visage. 

— Michael vous attendez quoi pour commencer? Yannick est déjà prêt à entrer. C’est la nouvelle fille qui doit chanter avec toi ça

— Oui papa c’est elle, le gars confirme sans hésiter.

— Haayaa le mensonge dans l’égliseeee Michaeeellllll? Dieu te voit.

— C’est lui-même qui m’a conduit vers toi la sœur, tu me dis quoi, il me répond sans sourciller.

— Demoiselle nous comptons sur vous, fit le monsieur d’une voix confiante. Travaillons ensemble pour que les mariés aient le moins de stress possible.

Mes épaules s’affaissent et j’expire un bon coup. Après tout, le rôle de la dame de la mariée c’est de s’assurer que tout aille bien pour cette dernière donc si c’est la forme là que prend ma tâche, OK. Je vais seulement partir à la course comme une folle si une voix bizarre sort devant. Personne ne me connait dans Abidjan.

Je me place devant, et me laisse guider par Michael qui s’est mis à fredonner «toi seul es digne» de Dan Luiten. Sans pouvoir expliquer comment, je fixai un point invisible dans la foule et ma voix harmonisait sans difficulté avec la sienne comme si lui et moi avions chanté ensemble depuis des années. J’ai eu une petite seconde d’inattention quand Yannick est entré au bras de sa mère, mais Michael m’a facilement suivi dans mon faux pas, le couvrant tout en le rendant mélodieux et ramenant ma voix dans la gamme appropriée.  

– Et c’est la personne qui criait «moi jamais» ça? me chuchote-t-il à la fin tandis que la foule déchaînée par l’entrée du marié acclamait de joie.

— J’ai essayé, je dis sans pouvoir cacher mon immense sourire. Qu’est-ce qu’on chante pour le cortège nuptial?

— Oceans de Hillsong, et pense à la chanson pour Laure. Tu me diriges, je te suis.

Je chantais pour le cortège, mais mon esprit ne cessait de courir cherchant le chant plus approprié pour ma Laulau. Vers la fin d’Oceans, ma réponse était là et je l’ai communiqué à Michael qui devra m’expliquer plus tard comment ça se fait qu’il connaisse toutes les chansons.

Pour l’heure je fais un effort incommensurable pour ne pas pleurer pendant que je chante pour Laure, Be still.

« You are not alone I am with you. » (tu n’es pas seul je suis là). 

« Everywhere you go I am there » (où que tu ailles j’y suis).

« You don't have to be afraid I have always been the same You are not alone I am with you. » (Tu n’as rien à craindre, je reste le même, je suis là, tu n’es pas seul).

« Evey whisper I can hear » (j’entends chaque soupir).

« It's close as breathing out my name » (Il te suffit de soupirer mon nom).

I am aware of everything, you are not alone I am with you (je sais tout, je suis là tu n’es pas seul).

Be still I am your peace, be still (reste calme, je suis ta paix).

Ce n’est certes qu’une chanson, mais à travers les paroles, j’espère que Laure saisira le message, que non seulement Dieu sera présent pour son couple, mais qu’il sera aussi sa paix, et bien sûr que je serais toujours là.  Mes larmes ont finalement coulé quand j’ai vu les siennes pendant qu’elle avançait aux bras de son père et sa mère. J’ai quand même réussi à finir la chanson, tout en l’admirant me faire un bisou aérien puis regarder avec tendresse Yannick qui lui prend la main et la porte à ses lèvres. Je n’ai que deux ans de plus qu’elle et le même âge que Yannick, mais je ne rigole pas quand je dis que ce sont mes bébés ces deux là.

Une fois la cérémonie finie, le pasteur qui s’avère être le père de Michael nous demanda de chanter encore «Be still». Ce fut ensuite le tour des photos et bien sûr la réception. L’ambiance était au rendez-vous. Les filles et garçons tuèrent leur chorégraphie.

Je digérais tranquillement mon dessert quand la mère de Laure m’a coincé par un stratagème digne de mamans pour que j’aille chanter avec le groupe qui se mettait en place pour commencer l’animation. Je rejoignis le groupe sur piste avec en mémoire la scène amusante de tantôt. Laure faisait la tête à maman sous prétexte qu’elle veut danser les vraies affaires et non «ensemble louons le Seigneur il est vivant». Et bien sûr maman s’est fait un plaisir de lui rappeler qu’elle a déjà tout enterré dans la boite avant-hier et maintenant c’est l’heure de Jésus. Le genre de phrase qui peut terminer le cœur de ma laulau lol. Heureusement Yannick avait le ton diplomatique pour faire la liaison entre les deux camps.

— Pourquoi je sens que tu es lié à ma présence ici, demandé-je avec suspicion à Michael qui était étrangement plus beau avec ses manches retroussées et sans sa veste.

— Ce n’est pas ma faute si tout le monde est tombé sous le charme de notre tandem.

-Tsuiperies sur tsuiperies.

— Est-ce qu’on fait ça à son voiz? il dit avec humour

Je ne réponds même plus aux provocations. Au moins je ne dirige pas. Il y a déjà un groupe en place et parmi eux une fille vraiment classe que Michael a appelée Ali, prend les devants. Le gars qui lance les festivités commence à chanter «Cha Pop» de Lord Lombo et je me rends compte qu’il connait les affaires. Seuls les parents étaient debout au début faisant les signes de victoire pendant que le type disait, «qu’il veut chanter pour Jésus, il est le roi, sa victoire nous appartient.»

Sauf que c’est la réception du tandem Koumah avant tout et je sais ce qui fait bouger mes personnes. Je me suis lancée à la partie rythmée comme je fais seule quand je suis dans ma chambre à Montréal. C’est au bout du «koumama leyoyo baba hehehe baba wa mapendo yaya ngai ya mabanzo» que j’ai remarqué deux choses. Primo, mon gars qui connait les affaires s’est reculé tout en chantant, du coup je me retrouvais en avant, encouragée par les sifflements de la foule. Secundo, la piste s’était un peu plus remplie et Laure bougeait la tête sur le rythme bien qu’elle était toujours assise avec Yannick qui lui était radieux.

La folie a donc pris la place de la gêne au point où j’ai crié «bloquez» quand le solo de guitare qui donne le goût là a commencé et le gars demandait à la foule si quelqu’un peut un peu lui sortir les vrais pas de danse. On a vu les choses oh. Le tandem Koumah nous a finalement rejoints quand Ali a commencé, «Dieu a changé mon adresse», avant d’enchaîner avec «j’ai vu sa bonté». Je n’ai pas pu me retenir, mon lingala est sorti timidement, à la partie de «na moni bolamu na Yesu, ye atiki ngai te». Non seulement elle ne semblait pas contrariée, mais en plus elle m’a donné le pouce en l’air pour que je continue avec elle. Sa voix était si puissante qu’à côté je passais pour une novice, mais la folie je dis ça donne des ailes au plus petit. Et bien sûr ça m’a galvanisé de voir Laure et ses demoiselles d’honneur qui faisaient les face-à-face avec Yannick et ses garçons, sous les hululements et acclamations du reste.

J’ai naturellement enchaîné avec «Tu transformas l’eau en vin» à la fin de la partie d’Ali. La gamme s’y prêtait et comme je m’y attendais l’effervescence s’est mise à monter en moi à la première phrase. Fallait voir comment je bougeais sauvagement la tête sur le tempo donné par le pianiste, la batterie et les bassistes. Cheveux collant mon dos à cause de la sueur, je ne sais plus comment je me suis mis à sautiller quand le chœur répétait «Si notre Dieu est pour nous, qui pourra nous arrêter?», pendant j’improvisais. Un pas devant, un derrière, et à l’unisson chacun sort sa phase qui tue dès que le beat tombe. Ali a même abandonné son micro, trop occupée à casser son corps devant Michael qui jouait furieusement sa guitare tout en l’admirant.

Emportée par leur petite scène je continuais à chanter et danser avec plus d’entrain, jusqu’à finalement arrêter la chanson, le cœur tambourinant sur un «incomparable» bien étiré. Je remets mon micro au papa de Michael qui reprend un «Dieu admirable» encore plus entraînant que le mien, et l’accompagne d’une petite danse des épaules qui déclenche la frénésie dans la pièce. Les crieurs crient plus fort quand il se met à pencher ses épaules vers l’arrière comme Yannick et son père qui les ont rejoints. Les sauteurs comme Laure et moi sautons au point de nous tamponner. Les casseuses de reins comme la maman de Laure, Ali et les demoiselles d’honneur de Laure ont oublié qu’elles ont des articulations dans le corps. L’équipe du Club K a tout fait. Je me suis couchée le soir-là, le cerveau pesant une tonne, sans voix, mais la tête remplie de souvenirs joyeux pour me booster le moral durant les épreuves qui vont m’accueillir dès que je remettrai pied à Montréal. 

Apparences trompeuse...