Bonus 7
Ecrit par Annabelle Sara
Ceci est un retour en arrière
Je suis née le 12 avril 1990 à Bafia, cette ville perchée sur un petit plateau, chef lieu du département du Mbam et Inoubou. Je ne peux pas vous raconter ce qu’avait ressenti ma mère en m’accueillant ce jeudi à minuit, elle m’a eu jeune 20 ans, avec son tout premier amour, un jeune professeur de lycée de 10 ans son ainé avec qui elle s’était installée contre avis parentale, une fois qu’elle avait appris qu’elle m’attendait. Elle me raconte parfois que j’étais pressée de venir au monde, mais je ne sais pas grand chose de cette époque mis à part que j’étais née dans une famille unie et aimante.
Le genre de famille ou régnait l’amour et l’harmonie entre le papa et la maman. Mon père un grand homme clair de peau avec cette voix grave profonde qui caractérise les hommes mbamois. Je me souviens que je jouais beaucoup entre ses longues jambes.
Ma mère quant à elle, c’était une main de fer dans un gant de velours, elle savait mieux que personne manier le bâton et la carotte. Elle pouvait vous donner une fessée majestueuse et ensuite vous faire le plus chaleureux et le plus doux des câlins.
Je ne dirais pas que j’ai eu une enfance difficile, non ! Je n’ai pas eu faim ! Il y avait toujours à manger sur la table, de l’eau courante, du vin pour mon père qui ne buvait que du rouge, vous comprenez d’où me vient cette habitude spéciale de ne boire que du vin.
Depuis mon petit monde d’enfant j’observais ces grandes personnes qui m’entouraient et au fur et mesure que je grandissais j’arrivais à mettre un sentiment sur une attitude en comparant avec mon propre comportement. Donc à 4 ans je pouvais déterminer que mon père était fâché lorsqu’il refusait de toucher à la nourriture que lui présentait ma mère, je savais que Maman avait pleurée quand elle ne me faisait pas ma tasse de lait le matin avant l’école alors que la boite de lait était pleine dans le placard, elle préférait m’acheter une bouteille de yaourt à boire « La Bergère ». Et parfois je savais qu’il valait mieux ne pas faire mon intéressante lorsque j’entendais ma mère dire à mon père : C’est la fin du mois, pardon ne commence pas !
Pour moi toutes ces choses faisaient partie de notre vie, ce sont ces moments qui rythmaient notre quotidien.
Mais j’avais tord et je l’ai vite compris le jour où j’ai assisté à la scène la plus horrible que mes yeux de 5 ans avaient eu le malheur de voir.
Ce soir là mon père comme bien des fois n’était pas rentré avant que je n’aille au lit. Maman m’avait donné mon bain et m’avait demandé d’aller me coucher. Je ne sais plus trop ce qui m’avait réveillé, mais le bruit avait été assourdissant comme un tremblement de terre, et le cri de ma mère qui avait fendu les ténèbres dans ma chambre.
Mon cœur battait à tout rompre, je me suis levée de mon lit et en tâtonnant dans le noir je me suis dirigée vers la porte de ma chambre. Moi qui en temps normal avait peur du noir, je me retrouvais donc dans le couloir plongé dans l’obscurité. Je me souviens que la peur qui me tenaillait à ce moment avait laissé la place à un sentiment de froid et solitude, comme quand j’avais perdu mon nounours préféré. J’entendais du bruit dans la chambre de mes parents, comme si après la tempête qui venait de souffler dans la maison, celle qui avait renversé tous les meubles de leur chambre quelqu’un voulait mettre de l’ordre.
A petit pas je me suis dirigée vers la chambre, Je n’entendais rien juste une voix faible qui appelait quelqu’un qui semblait loin. Au pas de la porte j’ai compris qu’un ouragan avait effectivement soufflé dans la pièce, mon cœur battait et mes yeux se mouillaient pendant que je cherchais mes parents des yeux.
La première personne que je vis fut ma mère allongée sur le sol à moitié couverte par le pagne qu’elle portait dans la nuit pour se coucher. Elle avait la tête tournée vers moi, ses yeux vides, ils étaient ouverts mais je ne pouvais y voir aucun signe de vie. Mon cœur se serra lorsque l’idée traversa mon esprit que ma mère regardait à travers moi. Elle qui même lorsqu’elle était énervée contre moi avait cette flamme brulante dans le regard.
Mon père : Kiki, va chercher Sita Aguep…
Lorsqu’il appela mon nom c’est à ce moment que je remarquais sa présence. Il tenait la tête de ma mère, à genou près de son corps.
Mon père : Bediang, Bediang Kurug pèsen a dio… Bediang ! (Bediang, Bediang s’il te plait lèves-toi… Bediang !)
Il appelait ma mère en lui donnant des petites tapes sur les joues. Elle ne réagissait pas c’est à ce moment que je vis la trace sur son crâne, une immense brèche à l’arrière de sa tête, qui divisait son cuire chevelure. Du sang se répandait sur sa tête, sur les mains de mon père qui continuait à l’appeler, ainsi que sur le sol par petite goutte. Toujours sans réponse.
Mon père : Bediang !
Moi : Mama…
J’avais murmuré mais c’était plus un cri du cœur qui n’arrivait pas sortir de ma gorge. Mon père leva des yeux paniqués sur moi.
Mon Père : Mekeng kèna ki reunghii Sita ! (Mekeng va appeler Sita !)
Sita c’est notre voisine, celle qui me gardait lorsque mes parents allaient au travail, venait me chercher à l’école le soir, une dame d’un certains âge chez qui ma mère prenais toujours des conseils et vers qui elle se tournait dans les moments difficiles, cette veuve était devenu une autre grand-mère pour moi. Je savais que mon père ne l’appréciait pas beaucoup, alors pourquoi vouloir son aide aujourd’hui ?
Il se tourna encore vivement vers moi les yeux rouges de rage que je n’obéisse pas à sa demande, mais quelque chose m’empêchait de sortir de cette maison en le laissant seul avec ma mère. Alors tandis qu’il me criait encore d’aller chercher la voisine, je me suis plutôt accrochée à la porte de la planche pour essayer de capter le regard de ma mère allongée sur le sol.
Moi : Mama !
Un bruit de porte qu’on défonce se fit entendre et comme l’ouragan qui avait mis le désordre dans la chambre de mes parents, des gens envahirent notre maison, me bousculant pour atteindre ma mère toujours allongée sur le sol.
Il s’agissait de la voisine dont parlait mon père et son fils ainé qui vivait avec elle, je le voyais souvent avec une blouse verte lorsque j’allais à l’hôpital, parfois il me faisait des piqures à la maison lorsque j’avais un bobo.
Sita Aguep : Moulon pèsen… nèma me béé… (Moulon écartes toi… fais moi de la place…)
Elle écarta sans ménagement mon père avant de prendre sa place au dessus de ma mère tandis que son fils lui prenait la main, ils se mirent à tâter son cou et ses poignets, je ne savais pas pourquoi à l’époque. Ensuite Sita leva ses yeux sur moi, elle jugea ma capacité à comprendre ce qui se passait ensuite m’envoya chercher de l’eau dans le frigo.
Cette fois mes jambes ont bougé, je suis partie en courant prendre une petite bouteille d’eau froide que j’ai ramené à Sita, en revenant je l’ai entendu parler à mon père.
Sita Aguep: Moulon Kifou ki kigha wo tsè ? Lon tsè kè ki Bediang a kii ki u kon lè u wey nyi? (Moulon la sorcellerie te donne quoi? Qu’est-ce que Bediang a fait pour que tu essaies de la tuer?)
Mon père : Sita ghémsii nyi kurug ! (Sita réveilles la je t’en prie !)
Sita Aguep: I yin Bell… Kpangha di Mekeng ! (Je ne suis pas Dieu… sors d’ici avec Mekeng !)
Mon père s’est exécutée, c’était la première fois que je le vois ainsi paniqué et surtout écouter et suivre les ordonnances d’une tierce personne. Mon père était quelqu’un de fier et de têtu. Il était le seul maitre à bord dans son monde, mais là même moi j’étais bien plus calme que lui, il faisait les cent pas au milieu du salon pendant que les voisins s’occupaient de ma mère. Quelque chose en moi avait une confiance total en Sita et son fils, s’ils réussissaient toujours à me soigner lorsque j’étais malade alors ils peuvent soigner ma maman.
D’autres voisins arrivèrent, certains pour donner un coup de main d’autres surtout les femmes pour faire des reproches à mon père, je me demandais ce qui leur donnait le droit de parler ainsi à mon papa. Au bout de quelques minutes je vis un des voisins sortir de la chambre de mes parents avec ma mère dans ses bras. Il était aussi grand et aussi fort que mon père, mais c’est à lui que Sita demanda de porter ma mère hors de la maison.
Moi : Mama…
J’ai appelé son nom pendant qu’il passait devant moi avec ma mère, une des femmes dans le salon me retint pour que je ne m’approche pas.
Sita Aguep : Kiki on amène Mama à l’hôpital hein ! Elle va rentrer après tu as compris ? Ne pleures pas Mama rentre bientôt…
Une femme : Comme ça l’autre sorcier ci va finir le travail !
Sita Aguep : Voilà alors les choses que je n’aime pas ! Si tu ne peux pas fermer ta bouche devant l’enfant tu restes chez toi c’est mieux…
Une femme : Tsuip ! Sita pardon c’est un sorcier ! J’ai dit venez me taper ! Djoorong* !
Je les écoutais sans comprendre de quoi ils parlaient, mon problème c’est ma mère qu’on fourrait à l’arrière de la seule voiture du quartier.
Je l’avais appelé trois fois et elle ne m’avait pas répondu, pas une seule fois ! Un sentiment implacable de peur s’insinua en moi pendant que ce véhicule s’éloignait vers l’hôpital.
Cette nuit là j’ai passée la nuit chez une autre voisine que Maman côtoyait, ses enfants étaient mes camarades à l’école, mais je n’aimais pas leur compagnie parce qu’ils étaient trop sale. Je n’avais pas donc vraiment dormi, parce que la chambre sentait la pisse et les vielles chaussettes.
Au petit matin je fus soulagée de voir ma grand-mère venir me chercher pour me ramener chez elle dans son village.
J’aimais aller au village chez grand-mère, il y avait des arbres fruitiers à ne pas savoir où se mettre pour tout sucer, l’espace pour jouer et courir partout, j’aimais encore plus aller prendre mon bain à la source, l’eau clair froide me faisait toujours du bien.
Chez mes grands-parents je n’ai pas remarqué les jours passer, des fois je lui demandais à elle et à grand-père si j’allais retourner à l’école, ils me répondaient que dès que ma mère revenait, je retournerais.
Mon grand –père : Pour le moment tu vas rester avec nous, ta mère viendra te chercher tu as compris ?
Mon grand-père ne me racontait jamais d’histoire, si il dit que ma mère va revenir alors elle reviendra. Mes grands parents maternelles sont les seuls avec lesquels j’avais une interaction, ils aimaient me couvrirent de cadeaux comme des canards, des coqs lorsque je venais pendant les vacances. Ils avaient toujours un grenier plein de provision qu’ils nous envoyaient chaque mois.
Ma mère est effectivement revenu, un dimanche.
En revenant du culte à la paroisse du village nous avons trouvé la fameuse voiture qui avait transporté ma mère à l’hôpital devant la maison de mes grands-parents.
Sans réfléchir je me suis mise à courir, sans même avoir vu de mes yeux qu’elle était là, mais j’avais en moi la foi que ma mère était là !
Elle y était, assise sur la véranda de mes grand-parents, avec son grand sourire et sa chaleur dans le regard.
Moi : Mama…
Ma mère : Héé ! (Oui !)
Cette fois elle m’avait répondu.
*Ne connais pas la traduction en français !