Briser la barrière
Ecrit par Farida IB
Yumna…
Ding Dong....
Ding Dong Ding Dong Ding Dong Ding Dong…
Voix désespérée d’Eddie : pour l’amour de Dieu Yumna, dis-moi que tu es là, je t’en prie fais un signe de vie.
J’ouvre lentement mes yeux, mais ne vois rien. Je suis dans la pénombre totale, autant dans ma tête que dans l'endroit où je me trouve. Il y a quelques secondes j’étais nichée contre ma mère qui me berçait alors que je pleurais pour quelque chose dont je n'ai plus souvenir.
Dinnnnngggggg Dooonnnggg.
Il se met à frapper des coups contre la porte avec je ne sais quoi, ce n'est sûrement pas sa main parce que ça fait un bruit terrible et ça raisonne dans ma tête comme un marteau. Il frappe ainsi un moment puis plus rien. Je me lève difficilement du sol et me met à tanguer à tâtons, je finis par heurter une porte. Je tâtonne plusieurs fois le mur avant de retrouver l’interrupteur sur lequel j’appuie. La lumière crue me fait automatiquement fermer les yeux et c'est la voix d’Eddie qui me fait les rouvrir. Cette fois, il est avec quelqu’un.
C’est une fois que mes yeux se sont accoutumés à la lumière que je me rends compte que je suis dans la salle de bain de mon appartement en tenue d’Eve. Je sors de là et fonce dans la chambre où je sors un débardeur plus un bas de jogging de la penderie que je porte rapidement avant d’attacher mes cheveux mouillés avec un turban. Pendant que je traverse le salon qui est lui aussi plongé dans le noir, j’entends distinctement les échanges entre Eddie et le concierge.
Voix d’Eddie : comment ça vous n’avez pas le double des clés ?
Voix du Concierge : c’est contraire au règlement de l’immeuble monsieur. (ajoutant) Est-ce que vous l’avez appelé ? Je ne l’ai pas vu rentrer non plus.
Voix d’Eddie : elle est injoignable, je l’ai appelé plus de mille fois sans succès.
Voix du Concierge : nous allons alors défoncer cette porte.
Moi m’éclaircissant la voix : je suis là.
Voix d’Eddie affolé : bon sang Yumna, tu m’as fait une de ses peurs. Ouvre la porte s’il te plaît.
J’allume la lumière du salon et remarque mon sac à main sur l’un des fauteuils. Je fronce la mine parce que d’habitude, je le range toujours dans ma chambre, dans ma penderie. J’essaie de remonter dans mes souvenirs et ce que me renvoie ma mémoire me donne une douleur forte et vive dans le crâne qui me fait hurler à m’arracher les poumons.
Voix d’Eddie sur un ton paniqué : Yumna, Yumna, ouvre cette porte !! Ouvre cette putain de porte. (hurlant) Oliver qu’est-ce que tu attends pour envoyer la clé Allen ?
Je prends quelques minutes pour me reprendre et avance vers la porte en me massant les tempes. Dès que j’ouvre la porte Eddie fonce dedans en me bousculant au passage.
Eddie : seigneur Yumna tu m’as foutu la pétoche (s’arrêtant pour me fixer) qu’est-ce… Qu’est-ce que tu as ? Que s’est-il passé ? Je t’ai appelé un millier de fois, tu étais censée me faire signe une fois à la maison (se tournant vers les fauteuils sourcils froncés) ton sac fait quoi au salon ? Tu viens de rentrer ? Tu étais où ?
Moi bégayant : je… Je… J’ai.
Eddie essayant de m’encourager : oui ? Tu as ? (arquant le sourcil vers le haut) Le détroit, c’est ça ?
Je secoue négativement la tête.
Moi : j’ai… J’ai été…
Eddie ton pressant : ils t’ont fait quoi ces malades ? Ils t’ont agressé ? Tu n’as rien, j’espère, on va à l’hôpital ?
J’essaie de parler, mais tout reste bloqué au travers de ma gorge. Il pose encore des questions à bâtons rompus un moment avant de soupirer bruyamment. Il se rapproche et m’entoure de ses bras pour me conduire sur le divan où on prend place tous les deux. Je jette mon regard au mur et me pince les lèvres pour ne pas pleurer.
Eddie posément : parle s’il te plaît, que s’est-il passé ? Ils t’ont agressé.
Je hoche lentement la tête.
Eddie : ils t’ont frappé ?
Moi démarrant : il… Il… Il a tenté de…
Je place la main sur ma bouche en luttant contre mes larmes.
Eddie : qui ça il ? Il a tenté de faire quoi ? (ouvrant grand les yeux) Tu as subi une agression sexuelle ?
Je lui réponds par un torrent de larmes qui s'echappent de mes paupières, il se lève et commence à faire des cent pas entre le salon et le petit couloir menant vers la chambre, les mains croisés derrière le dos. Il fait ça quand il cherche à assimiler une information. Il tourne en rond pendant cinq minutes environ avant de revenir se planter devant moi, le regard noir de colère.
Eddie voix rauque de colère : qui t’a fait ça ?
Moi : le type sniff, le mec au… McDo.
Il tape un point dans sa main.
Eddie : le salaud !!!
Il se retourne et enfonce un autre point dans le mur puis fait volte-face en me fixant l’air déconcerté.
Eddie : c'est ma faute je n'aurai pas dû te laisser seule, mon Dieu !!! (bégayant) Il a… Je veux dire, il a pu… Il t’a…
Moi comprenant : non.
Il soupire de soulagement.
Eddie : peu importe, il va le payer très cher le chouagne. D’ailleurs, lève-toi, on ira porter plainte contre lui.
Je secoue vigoureusement la tête.
Eddie sec : SI ! Tu le feras (ton plus posé) demain, après demain, dans un mois si tu veux. (ton péremptoire) Rien à faire, tu porteras plainte.
Je hoche simplement la tête sans répondre avant d’effacer mes larmes d’un revers de main.
Eddie recommençant les va-et-vient : porter plainte serait même trop facile, appelle ton père. Il va lui flanquer la racler de sa vie à ce fils de pute.
Moi parlant vite : non pas mon père.
Eddie haussant le sourcil : mais pourquoi ????
Moi : parce que…
Je prends une grande inspiration.
Moi : il va certes lui foutre la correction de sa vie et en même temps, il voudra m’éloigner comme l’autre fois alors que (créant un espace entre le pouce et l’index) je suis à ça de passer mon examen. Et ce sera la fin de mes études.
Eddie hochant lentement la tête : je comprends, ton grand frère alors.
Moi (non de la tête) : très mauvaise idée, la terre entière le sentira passer et ça finira par tomber dans les oreilles de papa.
Eddie : ta mère, je n’ai plus besoin de demander. La seule personne qui reste, c’est votre cadet. Il faut quelqu’un qui a de la poigne et du répondant. Cette erreur de la nature, pour le lyncher, il faut employer les grands moyens parce qu’ils se déplacent toujours en gang. Et non seulement, tu dois mettre au moins un membre de ta famille au courant. Tu as besoin de nous tous pour vivre ce traumatisme.
Moi : je ne veux vraiment pas alerter nos parents.
Eddie : ton frère et toi trouverez le moyen d’arranger ça à bas bruit, de mon côté, je ferai intervenir mon père ou mon frère.
Moi soupir triste : de toute façon, il refuse de me parler.
Eddie : il ne peut pas rester indifférent dans une pareille situation, ton téléphone est où ?
Je dirige mon regard vers mon sac à main, il vient le prendre et sors le téléphone aussitôt avant de me le tendre. Je le prends et le déverrouille sans pouvoir lancer le numéro.
Eddie faisant le gendarme : tu attends quoi pour lancer le numéro ?
Je soupire débitée.
Moi : il ne va pas décrocher.
Eddie : tu n’en sais rien, s’il ne le fait pas laisse lui un message.
Je me lance et comme je m’en doutais ça sonne plusieurs fois dans le vide.
Eddie avisant mon visage dépité : laisse tomber, rédige le message. Sois brève surtout.
Je hoche la tête et m’exécute docilement, le message part à peine qu’'Ussama me rappelle sur Face time. Je décroche à la première sonnerie et le vois apparaître dans sa chambre à Abu-Dhabi. Je le regarde tourner en rond comme un lion pris au piège, les traits bien tendus et j’ai presque envie de rire.
Ussama directe : dit Wallah !
Moi : je ne vais pas plaisanter sur un sujet si sensible.
Ussama : je sais, juste pour avoir confirmation parce que je n'arrive pas à croire que quelqu'un puisse prendre le risque de reposer en paix si jeune. (il soupire de rage) D’abord, tu vas bien ? (oui de la tête) Ok, c’est qui ce malheureux ? Tu as vu son visage ?
Moi : oui, je peux le reconnaître.
Ussama : bien ! Garde la ligne, je vais te passer papa.
Moi : non s’il te plaît.
Il s’arrête brusquement, je lui donne les mêmes raisons que toute à l’heure.
Ussama : on n’a pas forcément besoin de faire intervenir papa ni Khalil, je peux régler ça tout seul et je te jure que cette erreur de la nature va le payer de sa chair. Je prends l'avion de ce pas.
Eddie et moi, nous lançons un regard.
Moi arquant le sourcil : comment ça ?
Ussama : oui mieux on règle tôt cette affaire mieux tu te porteras.
Moi timidement : euh ok, mais tu vas leur dire quoi aux parents avant de partir ?
Ussama : je n’ai pas besoin d’argumenter, j’ai l’habitude de voyager aussi subitement pour des raisons d’affaires.
Moi : ok… Surtout, ne leur dis rien s’il te plaît.
Ussama : j’ai compris, je te fais un Small World pour que tu puisses te rendre à l’hôpital.
Moi : je vais bien t’inquiète, l’inconnu m’a sauvé de justesse.
Ussama (se passant la main dans les cheveux) : tu peux le reconnaître lui aussi ?
Moi : je crois bien.
Ussama : ok, j’aviserai une fois sur place. Je te fais quand même le transfert pour que tu puisses te faire plaisir en attendant que j’arrive.
Moi sourire faible : merci frangin.
Ussama : je t’en prie sœurette, prends soin de toi (fixant Eddie) mec, je te la confie.
Eddie lui souriant : compte sur moi grand.
Il raccroche et je fais un large sourire à Eddie.
Eddie répondant à mon sourire : tu vois que ce n'était pas si difficile à faire.
Moi positivant : au moins cette agression aurait servi à quelque chose de bien.
Eddie : mouais (tournant son regard vers la cuisine) je te fais ton Brownie ?
Moi (l’eau à la bouche) : oui, s’il te plaît.
Eddie : ok, en attendant, je te fais une soupe de grande mère. C’est une recette de ma mère, tu vas adorer.
Moi : je ne doute pas de ton talent de cordon bleu.
Eddie se dirigeant vers la cuisine : j’espère que tu as fait les courses.
Moi : euhhhhhhh
Eddie (se tournant vers moi en soupirant) : c’est bon, j’ai compris, on va chez moi.
Je souris.
Moi me levant brusquement : tu attends quoi ?
Il me regarde en secouant la tête.
Eddie : je me demande pourquoi tu as un frigo si c’est pour ne jamais le remplir.
Moi (pendant que se dirige vers la porte) : bah ça sert à conserver le reste de tes repas.
Eddie : ouais, c’est ça !!
Je m’arrête d’un coup quand l’idée me vient de récupérer mes notes, il se pourrait que je reste dormir chez lui. Enfin c'est très sûr donc je peux toutefois réviser dans la nuit.
Je souris quand je le vois accrocher à son épaule.
Moi : Éloi, je vais finir par croire que tu lis dans mes pensées.
Eddie : lol on se connaît jeune fille, tu ne te sépares jamais de tes cahiers et ce n’est pas aujourd’hui que ça va changer.
Je cours me jeter dans ses bras.
Moi : merci d’être là pour moi, sans toi, je serais au fond de l’abîme à cette heure.
Il me presse l’épaule ensuite, il se dégage de l’étreinte et soulève mon menton du doigt.
Eddie me fixant droit dans les yeux : on est là l’un pour l’autre, ne l'oublie surtout pas (la tête penchée le sourcil arqué) parce que...
Moi lui souriant : nous sommes les meilleurs potes du monde.
Il me sourit également et nous quittons mon studio pour le sien.
*** Quelques heures plus tard ***
Khalil…
Je plisse les yeux en fixant le visage de Nahia qui s’avance vers moi.
Moi : c’est quoi cette tête de macaque que vous traînez ? Vous êtes malade ?
Nahia soupirant : Ben Zayid pas ce matin s’il vous plaît.
Je hausse les sourcils d’incompréhension. Maintenant quand c’est à base de mon nom de famille, c’est qu’elle cherche à me raisonner.
Moi : vous n’avez pas l’air bien, je vous conduis à l’hôpital ?
Nahia : pas besoin, demain, c’est vendredi. J’aurai le week-end pour me reposer. C'est de ça que j’ai besoin.
Moi : non, c’est plus grave que ce que vous insinuez. Vous aviez une sale mine depuis peu, mais là vous ressemblez juste à une revenante.
Elle soupire de frustration et me dépasse sans répondre. On arrive sur le parking et je lui tends la main pour récupérer les clés dans la sienne.
Moi : laissez-moi conduire.
Elle hoche simplement la tête et se met à l’écart pendant que je sors la Range Rover du parking. C’est ça qu’elle conduit cette semaine, ça nous fait plus de places quand il faut embarquer les enfants. Autant dire que j’étais surpris et en même temps admiratif quand j’ai su qu’elle était la propriétaire de la caisse, cette petite, c’est la parfaite métaphore d’une femme battante.
J’attends qu’elle monte et boucle sa ceinture avant de démarrer et de traverser le portail préalablement ouvert par le gardien. On s’arrête quelques secondes pour lui dire bonjour et le remercier, ensuite, je fonce vers la grande voie. J’attends d’être bien engagé dans la circulation avant de parler.
Moi : nous allons à l’agence ?
Nahia (la tête adossée contre le siège) : oui, mais je continue ensuite.
Moi : vous avez rendez-vous alors.
Nahia : mouais, un rendez-vous d'à peine deux heures.
Moi : ok, je vous dépose à votre lieu de rendez-vous et vous me faites signe trente minutes en avance pour que je vienne vous chercher.
Nahia : ça ne sera pas nécessaire.
Moi : j’insiste !
Nahia (s’attrapant les tempes) : ok ok comme voulez, vous n’avez pas besoin de crier pour ça.
Moi : désolé (ajoutant) je vous cède ce rendez-vous, le reste de la journée vous la passez au chaud chez vous.
Elle me jette un coup d’œil.
Moi : ce n’est pas discutable.
Nahia : j’ai rien dit moi.
Moi : c’est ce que je pensais aussi.
Nahia : tchhuiipp !!
Je souris doucement, ça m’aurait étonné qu’elle laisse couler aussi facilement.
On roule ensuite en silence jusqu’à un point où elle me guide à son lieu de rendez-vous qui n’est pas très loin de l’agence. Arrivée dans les locaux, je commande un petit-déjeuner à Annie et vais m’enfermer dans notre bureau. Quand la commande arrive, je mange tout en dressant une liste de mes quelques contacts qui sont Key Account Manager en régie publicitaire au Moyen-Orient, en Amérique et une partie de l’Europe. En fait, j’ai décidé de lancer la campagne de sa copine sur le plan international. Ça, elle ne le sait pas. Même si l’occasion ne s’est pas encore présentée de faire connaissance avec la copine en question, mon côté altruiste a pris le dessus. Je dois dire que je suis très subjugué par leurs œuvres et leur manière de se battre pour les parachever à leur si jeune âge. Pour des jeunes filles issues d’un pays en voie de développement, elles relèvent un gros défi qu’il faut manifestement encourager. En ce qui concerne la miss, il me faudrait rentrer à Abu-Dhabi pour lui trouver de nouveaux partenariats. Il faut le dire, elle maîtrise son domaine. Je n'ai aucune idée d'où elle a suivi sa formation pour être aussi douée, ça doit sûrement être une université de renommée.
Je finis la liste de mes appels par Ussama qui répond une nouvelle fois aux abonnées absents. Ce qui me fait rager, ça commence à bien faire cette histoire. C’est quelle colère qui ne finit pas ? Pffff !!!!!!!
Je me mets à pester fort contre lui et c’est le moment que Nahia choisit pour rentrer dans le bureau en fracas. Je la regarde se diriger vers sa table intrigué. Elle s'assoit et s'abaisse aussitôt sur un bras posé contre la table.
Moi : vous avez été rapide.
Nahia : hmm (oui).
Moi me tournant vers elle : vous étiez censée me faire signe pour que je vienne vous chercher pour vous ramener à la maison.
Nahia : je n’en ai pas eu le temps.
Moi exaspéré : ça veut dire quoi vous n’en avez pas eu le temps ?
Nahia levant la tête vers moi : c’est quoi votre problème à vous ? Je suis bien là, c’est l’essentiel.
Moi la grondant : vous étiez censée rentrer chez vous, pas être ici !
Elle se redresse brusquement.
Nahia avec humeur : c’est même quoi votre problème à la fin ? (avec de grands gestes) Jusqu’à preuve du contraire, j’ai encore une volonté propre par conséquent, vous ne m’exiger rien du tout. Me suis-je fait comprendre ? Non mais ohhh !! Il se prend tout à coup pour qui celui-là ??
Elle le dit en roulant des yeux. Je vois rouge et me retrouve devant elle d’un bon. Sans transition, je tourne son siège face à moi et la fixe droit dans les yeux.
Moi menaçant : vous me parlez sur un autre ton lorsque vous vous adressez à moi, je ne suis pas votre copain, vous avez compris ?
Nahia :…
Moi : si vous ne vous souciez pas de votre santé montrer au moins du respect à ceux qui prennent la peine de le faire. Vous pensez que (touchant l’accoudoir de son siège) s’il vous arrivait malheur qui serait le premier à être accusé ?
Nahia retenant son souffle :…
Moi : maintenant vous allez vous levez et me suivre, j’espère ne pas devoir me répéter.
Je me redresse et regagne ma place. Je vais lui enlever son impolitesse dans les yeux avant la fin de mon séjour, parole de Ben Zayid. Non mais c’est quoi ces comportements de filles de rues ? J’aurais insulté son éducation si je ne savais pas ses parents si avenants et si courtois.
Je me mets à chercher ses clés de voiture sur le bureau, je ne sais même plus où est-ce que je les ai laissées en arrivant. Du regard, je fouille partout sans les retrouver. Je pense que je ne les retrouverai jamais comme ça. Elle a réussi à me mettre définitivement en colère. Je m’assois et entreprends de me presser le bras et de le frotter par moment pour apaiser ma colère lorsque je l’entends marmonner quelque chose.
Moi me tournant vers elle : parler fort si vous voulez que je vous entende.
Nahia pointant le split du doigt : éteignez s’il vous plaît.
Moi : j’allais le faire de toute façon vu que nous partons déjà.
Nahia drôle de voix : s’il vous plaît.
Je plisse les yeux en m’exécutant tout de même. Elle a une drôle de voix, comme si elle manquait d'air. Sitôt je l’entends suffoquer.
Moi inquiet : que vous arrive-t-il ?
Elle s’adosse lourdement contre le siège et commence à respirer fortement avec la bouche.
Je me précipite vers elle très inquiet.
Moi : Nahia ? Vous m’entendez ?
Elle respire fortement plus à présent, j’ouvre la porte de la fenêtre juste au moment où Annie rentre prestement dans le bureau. Elle se saisit d’une chemise dossier avec laquelle elle la ventile.
Annie : monsieur, aidez-moi à défaire les premiers boutons de sa chemise s’il vous plaît.
Ce que je fais.
Elle s’attèle quelques minutes sous mon regard paniqué un moment avant que la respiration de Nahia ne reprenne peu à peu son rythme normal. J’attends qu’elle arrête de suffoquer et dès que c’est le cas, je la soulève et enjoins Annie de me trouver ses clés de voiture sur mon bureau et de me rejoindre en bas. Je sors de là en mode furie avec elle accrochée à mes bras en regardant droit devant moi jusque sur le parking. Annie arrive sur l’entrefaite son sac à main accrochée au bras. J'attends qu'elle prenne place à l'avant pour démarrer en trombe.
Moi : la clinique la plus proche.
Annie : prenez tout droit…
Elle m’indique au fur et à mesure pendant que je conduis en jetant de temps en temps des coups d’œil derrière. Elle fut prise en charge sitôt que nous sommes arrivés.
Nahia…
Je me réveille avec une forte douleur dans la poitrine, je lance un regard circulaire dans la pièce et me rends compte que je suis dans un lit d’hôpital. Je me rappelle avoir fait une crise qui s’est sitôt estompée comme d’habitude, mais qu’est-ce que je fais là ? Qui m’a envoyé à l’hôpital ?
Je commence à peine à fouiller dans ma tête lorsque la porte s’ouvre sur Khalil. Il presse le pas vers moi avec une veine de souci qui lui barre le front.
Khalil : vous êtes réveillée ? Vous vous sentez mieux ?
Moi hochant la tête : oui
Khalil : vous avez mal quelque part ?
Je me touche la poitrine.
Khalil se levant : je reviens, je vais appeler le docteur. Ne faites rien d’accord ?
Je hoche seulement la tête l’air perdue. Il revient ensuite avec le docteur qui a un pacemaker à la main. Il se met à ma hauteur et commence à m’examiner pendant que Khalil fait les va-et-vient dans la salle.
Docteur : vous avez souvent ce genre de crise ?
Moi : oui, mais il y a belle lurette que je les ai eues.
Docteur : vous êtes asthmatique ?
Moi : non
Docteur : ok, nous allons vous faire des examens plus approfondis. Pour le moment nous vous avons diagnostiqué une fatigue chronique. Nous vous avons administré un traitement pour soulager les symptômes et c’est la seule chose que nous pouvons faire dans le cas d'espèce. Le reste vous le ferez vous-même, néanmoins je vais vous donner quelques recommandations que vous devez suivre à la lettre pour retrouver une vie normale.
Je hoche la tête.
Docteur : vous allez me rejoindre dans la salle d’examen le temps qu’une infirmière vienne vous préparer.
Moi : ok.
Il se lève et reprend le stimulateur avant de se diriger vers la porte. Lorsqu’il arrive à la hauteur de Khalil, il lui presse le bras et lui dit :
Docteur : ne vous inquiétez pas pour votre femme, elle ira bien. Il suffit qu’elle se ménage un peu et j’espère que vous allez veiller à cela.
Khalil : je compte bien le faire, merci infiniment docteur.
Docteur : je vous en prie monsieur (se tournant vers moi) on se revoit toute à l’heure.
Moi : d’accord.
Je souris à cause de l’amalgame que vient de faire le docteur, sourire qui s’efface aussitôt que mon regard croise celui de Khalil. L’expression de son visage en ce moment ne me dit rien qui vaille. Il a les sourcils froncés comme quand nous étions au bureau, mais cette fois avec une lueur sombre, très sombre, je dirai dans le regard.
Je baisse instinctivement la tête en joignant mes doigts que je me mets à tortiller. Je pousse intérieurement un ouf de soulagement lorsqu'une infirmière fait son entrée dans la pièce. Khalil m’accompagne dans la salle d'examen, ensuite dans le bureau du docteur où on me fait toute une liste de recommandations à suivre. J’écoute le docteur un peu distraite par le profil tendu du type assis à côté de moi. On aurait dit un lion enragé, ekieeee, c’est quoi ça encore ? En tout cas !
On passe à la pharmacie et arrive très vite à la maison lorsque le docteur me libère, il gare à l’intérieur et me sonne de l’attendre. Je le regarde faire le tour de la voiture sans rien piger, c’est lorsqu’il ouvre la portière et me soulève que je me rends compte que c’était pour me porter.
Moi gênée : mes jambes fonctionnent encore, vous savez?
Khalil : le docteur a dit ne pas faire de gros efforts, nous avons quatre étages à monter.
Moi : mais laissez-moi arriver au moins au bas des escaliers…
Le regard pas très avenant qu’il me lance me fait taire d’un coup. On arrive à l’appartement et il me pose délicatement sur le lit avant se tenir debout devant moi.
Khalil : je vais vous préparer quelque chose à manger, j’espère que vous avez le nécessaire dans votre réfrigérateur.
Je hoche seulement la tête, en fait, je suis sceptique. J’espère ne pas choper une intoxication alimentaire en plus de tout ce que j’ai comme bobo. Celui là ressemble à tout sauf à un cuisinier, grand Dieu sauve ta fille.
……
Rectification !!
Un vrai régal, la soupe de courge spaghetti. J’en ai pris deux bols avec désinvolture. En tout cas le mec me surveille tel une taularde depuis que nous sommes rentrés. Il est au petit soin, il n’est sorti que plus tard le soir lorsque je voulais prendre mon bain et dès que j’avais fini, il était revenu pour préparer le dîner. C’était du tajine de poulet aux pois chiches et aux épices, je lui aurais décerné la Palme d'or de la cuisine si je ne l’avais pas surpris au téléphone avec sa mère. Il a quand même le mérite d’avoir réussi les recettes, ce n’est pas tous les hommes qui s’en sortent ainsi. C’est après tout ça qu’il rentre dans son appartement pour prendre un bain à son tour. Je guette donc le moment où il aura fini pour aller le remercier, mais il me rattrape au salon.
Khalil (ton dangereusement bas) : asseyez-vous !
Je tombe presque dans le fauteuil à côté, le visage de l’ange de la mort est de retour.
Khalil : maintenant, je vais ranger et tout le tralala qui va avec de côté, et tu vas ouvrir largement tes oreilles pour m’écouter parce que je ne vais pas me répéter. J’espère que je me fait comprendre.
Moi la petite voix : ouiiii
Khalil : bien ! Tu peux décider toute seule de mettre fin à ta vie, mais ce sera sans moi. Je te le dis et je te le répète, je ne veux pas être suspecté d’homicide volontaire sur une terre qui m’est étrangère. (élevant la voix) Je ne peux pas te sauver de toi-même…
Je sursaute.
Khalil : pardon, je ne voulais pas te faire peur, toutefois, je veux que tu saches que je suis très en colère contre toi.
Je souris.
Khalil maugréant : ça te fait rire ? Tu penses qu’il y a quelque chose de drôle là ?
Je rabats mes lèvres et le fixe avec une petite mine.
Khalil oscillant de bout en bout : c’est ton problème si tu veux mettre fin à ta vie, juste fais le lorsque je ne serai plus dans les parages. Non mais est-ce que tu penses un peu à ton fils ? Tu sais ce que tu es pour ta famille ? Je demande, est-ce que tu as une idée d'à quel point tu comptes pour eux ? Si tu penses que ta vie est aussi vile que ça, souviens-toi qu’il y a Nabil qui voit une héroïne en toi, prend le temps d’assimiler le fait que tu es le modèle de ta petite sœur et de tes nièces.
Il se passe la main dans les cheveux.
Khalil reprenant : je ne sais pas quel travail tu fais jour et nuit et toujours à pianoter sur ton ordinateur, tu tournes seule en bourrique dans toute la ville. Tes employés sont là pourquoi ? Tu les paies pour quoi si ce n’est pour t’aider dans ton travail ? Si tu ne les trouves pas assez compétents, mais vire-les et prends d’autres plutôt que de garder des grattes papiers qui ne savent rien faire d’autres que de cancaner et trainer devant mes narines à longueur journée. En plus de les payer de fortes sommes comme salaire !
Je lui jette un coup d’œil.
Khalil dans sa lancée : d’ailleurs dès lundi, je me chargerai d’elles et tu as intérêt à ne pas riposter.
Moi la voix aiguë : pas Annie s’il te plaît.
Khalil : oui, même si je trouve qu’elle a besoin d'être redressée.
Je hoche seulement la tête.
Khalil : en tout cas, je vais prendre les choses en main au bureau dès lundi.
Aka !!! C’est arrivé là-bas ? Est-ce que je peux encore dire quelque chose ?
Moi : et demain ?
Khalil : je reste veiller sur toi, trouve n'importe quel argument à donner aux siens. Prioritairement à ta sœur pour qu'elle aille s'occuper des enfants durant les quinze prochains jours.
Moi arquant le sourcil : mais ???
Khalil : bref, tu ne bouges pas de cette chambre avant deux semaines. Et c’est indiscutable !!
Yoo !!!