Casting (1)

Ecrit par Aura

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La capitale de la Rumba était loin de ce que j’avais imaginé. Les gens étaient loin de danser à longueur de journée ou d’écouter la musique sur une piste de bal en train d’exhiber les looks renversants de la sape congolaise en sirotant une bière ou en tirant un cigare comme je le voyais souvent à la télé. Oh oui je m’étais faite bien trop de films à ce sujet. Les gens travaillaient plutôt. Ils marchandaient par-ci par-là tout ce qui pouvait tomber entre leurs mains : de l’eau, des biscuits, des pains, des mouchoirs à jeter, des cigarettes, des colliers en argent, etc. Bref, tout ce qu’on pouvait acheter. La veille, j’étais enchantée par cette atmosphère, cette ambiance qui me rappelait mes rêves d’enfant. Ah oui, j’ai toujours rêvé de venir ici depuis toute petite, c’est pourquoi je me préparais en conséquence pour rendre le voyage parfait et mémorable. Je ne pouvais pas une seule fois m’imaginer arriver ici précipitamment, encore moins vivre des expériences aussi désagréables en l’espace de 8h. Hélas, si la nuit dernière était féérique, la matinée était une succession de catastrophes. D’abord, je me suis levée avec des rougeurs sur le corps à cause des moustiques. Le studio dans lequel je vis dispose bien d’une toile moustiquaire, qui devrait empêcher ces vampires d’avoir accès à l’intérieur. Malheureusement, celle-ci est percée à des endroits et a permis aux visiteurs indésirés de me dévorer toute la nuit. Deuxièmement, l’eau ne coulait pas au robinet : coupure générale dit-on. Il parait qu’elle ne coule qu’en soirée. Il m’a donc fallu aller au rez-de-chaussée m’approvisionner et gravir les vingt marches d’escalier pour remonter un sceau de 10 litres. Quel calvaire ! Troisièmement, j’ai été contrainte de changer de tenu à cause de mes rongeurs. Au lieu d’une robe moulante au décolleté plongeant et des talons hauts, j’ai préféré opter pour un legging avec des tennis et une veste en cuir, façon roc. Avec ce look, on croirait être prête pour un concert de rock, plutôt que d’un casting de mannequinat. De toutes façons, il a été signifié qu’une tenue nous sera proposée pour la circonstance, alors pas de quoi se faire un sang d’encre. 

J’ai donc pris mon sac, puis suis partie, direction l’arrêt de bus. Pour moi qui croyais avoir tout vu, j’étais loin d’être arrivée au bout de mes mauvaises surprises. C’était quoi ça ? La fête nationale ou la coupe du monde ? Pourquoi tout le monde se trouvait dehors ? Une foule était agglutinée à l’arrêt de bus comme si le monde entier s’était donné rendez-vous ici. J’ai essayé de me renseigner dans mon lingala approximatif auprès d’une dame. 

- Mama, yebisa ngaï pona nini mbato bâ tondi awa lelo. (Dites-moi pourquoi les gens sont nombreux comme ça aujourd’hui? )

- Ezala kâ bongo. (C’est normal). Oza mopaya ? (Es-tu étrangère? )

- Hein!

- Sala attention,ébélé ya miyimbis bâ zali awa. Batéla sacoche na yo. (Prends-garde, il y a beaucoup de voleurs ici. Protèges ton sac. 

- Matondo (Merci)

Je la remercie chaleureusement. Je me rapproche de la voie goudronnée et attends le prochain moyen de transport. Mais trente minutes plus tard, je n’ai pas réussi à en obtenir un. Je commence à désespérer quand finalement un bus s’amène finalement et daigne me prendre à bord, tout ça après avoir été bousculée, m’être bagarré avec les autres piétons. J’arrive enfin à l’hôtel Hibiscus en plein centre-ville avec une heure trente de retard. Dans l’hôtel, je me dirige en courant vers la réception pour me renseigner. Là, je suis étonnée que la réceptionniste me regarde de travers comme si j’étais un fantôme ou une détraquée.  Je me demandais pourquoi elle me dévisageait ainsi, lorsqu’une autre m’a indiqué le côté où se tenait le casting. J’ai donc ramassé mes clics et mes clacs sans trainer et me suis dirigée vers les escaliers de l’aile est de l’hôtel. Dans la vie, il faut éviter d’être ridicule quand on ne maitrise pas les choses. Je n’ai jamais utilisé d’ascenseur de ma vie et je ne veux pas non plus me taper la honte. Alors j’ai pris les escaliers ; non seulement elles étaient nombreuses, mais il fallait les gravir en deux minutes seulement. Résultat des courses : je suais de partout. 

Quand je suis finalement arrivée au troisième niveau, je suis tombée sur des jeunes femmes qui semblaient attendre leur tour. Elles étaient toutes grandes, sublimes, jeunes voir très jeunes et surtout dégageaient une assurance sans nom. On sentait qu’elles avaient fait cela toute leur vie. Au milieu d’elles, j’étais une mémère de 100 ans. Merde ! J’étais tellement sur le cul, qu’elles me regardaient toutes comme une déterrée. Je ne suis redescendue sur terre que lorsqu’une jeune fille a lancé : 

- Hé toi ? Tu viens pour jouer au clown questionna-t-elle dans un français sans accent.  

Quoi ? Qu’avait-elle osé dire ? 

- Mais c’est à toi que je parle ? repit-elle

- Non, je suis là pour le casting aussi ? 

- Hein ? crièrent-elles en chœur

- Oui je suis là pour le casting aussi. 

- Tchippps lancèrent certaines d’entre elles. 

- Ah ben tu t’es regardée repris l’autre ? Honnêtement tu ressembles à une déterrée plutôt qu’à un mannequin. C’est quoi ça ? Je croyais cette agence était plus sérieuse. Là on ramasse même les vendeuses de la rue pour en faire des modèles. Je croyais Mireille plus professionnelle, mais là ça laisse à désirer. 

- Oui, oui c’est di n’importe quoi lança une autre avec un fort accent. 

J’ai vu une jeune fille s’avancer près de moi et me chuchoter à l’oreille

- Ton maquillage coule. Tu devrais te le refaire. 

J’ai tout de suite eu froid dans le dos. 

- Ah…ah..ah..bon ? 

- Oui ! 

- Mais je n’ai pas apporté ma trousse de maquillage. Et puis….euh on avait dit qu’on devait nous donner des tenues pour l’occasion. 

- Quoi ? Où est-ce que ça été dit ? 

- Mais dans le mail d’inscription. 

- Qu’ils ont modifié hier soir. On demandait à chacune d’apporter sa tenue. Tu ne lis pas tes mails ou quoi ? 

- (Silence) 

J’avais l’impression de brailler du noir. Mais qu’est-ce qui se passait comme ça ? 

- En tout cas, ce n’est pas de l’amusement reprit-elle encore. Aujourd’hui c’est spécial parce que Mireille elle-même va choisir ses modèles, donc aucune erreur n’est permise. 

Eh Dieu, je suis dans la merde. Comment vais-je donc m’en sortir ? 

- Bon je crois que je peux t’aider avec le maquillage et la tenue, mais ce ne sera pas possible avec les talons. Car je crois que tu as une plus petite pointure. 

- Merci déjà. 

Elle est allée récupérer un sac à dos qu’elle a ramenée 

avec elle, avant de me conduire dans les toilettes des filles. Là, en regardant mon reflet sur le miroir, j’avais l’air une détraquée mentale. Mon maquillage coulait et mon rouge à lèvre dépassait tellement qu’on aurait cru que j’avais la peinture sur une partie du visage. Je me suis nettoyée, puis changée, troquant ma tenue contre une robe droite couleur pastel près du corps. J’ai attaché mon tissage en queue de cheveu et Naomi, la fille qui m’a aidé a appliqué un make-up sur le visage. J’étais sublime !!! Tout semblait être parfait, sauf qu’il me manquait la bonne paire de talons. Misère !!! Quelle poisse !!!


Sans crier gare