Chapitre 1 - #1 et #2
Ecrit par BlackChocolate
Bonjour. Moi c’est Morgane Axelle. Mais tout le monde aime bien m’appeler par mon autre prénom, Naïa. Je n’ai jamais demandé à mes parents la signification de ce prénom d’origine africaine, ni celle d’aucun de mes prénoms d’ailleurs. Et pourquoi, je ne saurais le dire. Le fait est que tout le monde les a toujours trouvés beaux, et cela me suffisait. Peut-être aussi est-ce parce que j’étais consciente du fait que mes parents n’auraient pas pu faire un mauvais choix. Je n’ai rien à voir avec ces personnes dont lorsque j’entends le prénom, j’ai juste l’impression que quelqu’un de haut placé dans la famille ne désirait pas l’arrivée du bébé et avait voulu se venger de lui. Ou alors est-ce parce que personne ne m’a jamais demandé ce que mes prénoms signifient ? Maintenant que ça m’est venu à l’esprit, je pense que je poserai la question à mon père la prochaine fois que je le verrai.
Pour ceux qui l’ont compris, je n’habite plus avec mon père, et avec ma mère non plus. Je vis avec mon petit ami Mike, dans l’une de ces capitales africaines très actives où la jeunesse représente plus de 60% de la population. Jusqu’à présent, tout se passe bien dans mon couple. Les petites disputes, les prises de tête ; ça ne manque jamais. Et comme j’aime bien le dire, toute relation a besoin de ce genre de choses pour se renforcer ou alors se briser, ce qui voudrait simplement dire que les deux personnes ne sont pas compatibles. Dans les prochaines lignes, je reviendrais de long en large sur mes relations amoureuses. Autant vous avouer que je n’ai pas toujours été la femme modèle et responsable que je suis aujourd’hui. Tellement de choses se sont passées, tellement d’événements se sont déroulés, et tellement de miracles il y eut.
Aujourd’hui, me voici couchée dans ce lit d’hôpital, ce mercredi 8 juin, ma fille sur mon ventre, poussant ces premiers cris, et Mike tout souriant à côté. 27 ans plus tôt, c’est moi qui naissais. Maman m’a dit que lorsque je suis venu au monde, je n’ai pas pleuré tout de suite, ce qui a inquiété tout le monde. Et comme elle adore taquiner, elle n’oublia pas de rajouter que vu que je suis très ronchonne et paresseuse, je boudais certainement parce qu’on m’a tiré de là où je me sentais si bien. C’est peut-être vrai après tout. Mais depuis plusieurs années, j’ai compris que la vie est le plus beau cadeau que Dieu puisse nous offrir. Je suis donc heureuse de faire partie de ce monde.
Je suis née dans une famille nantie. Ma mère avait un cabinet d’avocat et mon père était diplomate. Grâce à ces deux emplois, nous vivions de façon très confortable. Je n’ai jamais manqué de rien pendant mon enfance, et mes 4 frères et sœurs non plus. A 3 ans, j’ai commencé la maternelle. Ce n’est pas pour me prendre la tête, mais j’étais super mignonne. Vous voulez savoir ? Entre nous, je m’en fous de l’avis des autres. Certaines personnes te trouveront belles, d’autres non. Qui dois-tu écouter dans tout ça finalement? Alors, basta, j’étais super mignonne un point c’est tout.
Et les cheveux que j’avais sur la tête… Ouh la la… Un bon gros nuage de coton pour la petite fille que j’étais ;). A l’époque tout ça ne voulait rien dire pour moi bien sûr. J’étais juste contente d’avoir des cheveux que ma mère essayait d’entretenir tant bien que mal. Eh bah ça c’était une histoire. Je détestais aller chez la coiffeuse, et il fallait fouiller dans toute la maison avant de me retrouver pour me faire des nattes. Qu’est-ce que ça faisait maaaaal. Et moi je pleurais, encore et encore.
Mais après il suffisait d’une bonne grosse glace pour que j’oublie ma mésaventure capillaire. L’innocence d’un enfant, il n’y a rien de plus beau. Enfin, tout ça c’est ce qu’on m’a raconté. J’en ai juste quelques souvenirs, rien d’autres. A 10 ans, au moment où je me préparais à faire mon entrée au collège, tout bascula.
C’était le 10 mai 1999, un mois avant le concours d’entrée au collège. Ce matin-là, à mon réveil, mère m’informa que personne n’irait à l’école aujourd’hui. Les deux derniers mois précédents avaient été épuisants sur le plan scolaire puisqu’on était dans le dernier virage avant l’examen. C’était donc une excellente nouvelle pour la gamine de 10 ans que j’étais. Une journée entière où je pourrais rester à la maison sans voir le maitre Carlos qui n’aurait pas l’occasion de me donner le moindre coup de chicotte. En fait je n’avais pas particulièrement de problème avec l’école. Mais j’étais plutôt nulle en mathématiques, et le maitre usait de tous les moyens à sa disposition pour m’aider à m’améliorer, y compris la chicotte. Des méthodes qui jusque-là, n’avaient pas eu un grand succès.
Comme je le disais dit plus haut, mon père était diplomate à cette époque. Le poste qu’il occupait lui permettait d’avoir parfois accès à certaines informations qui n’étaient forcément pas immédiatement accessibles à tout le monde. Ce que ma mère avait appris ce matin était de la plus haute importance, et ce n’était pas le genre de nouvelles qu’on pouvait annoncer à des enfants. Elle ne donna donc pas plus de détails sur la raison pour laquelle personne ne devait aller au cours.
Et puis qu’est-ce que je m’en foutais. Je n’avais pas à me plaindre donc, je retournai dans ma chambre pour prendre une douche. Après le bain, je perdis quelques minutes à décider de ce que j’allais mettre ce matin et à m’occuper de mes cheveux. D’habitude c’est maman qui s’occupait de ma touffe, mais elle ne s’était pas présentée ce jour-là comme elle en avait l’habitude tous les autres matins depuis que j’ai 3 ans. J’optai finalement pour un tee-shirt court avec une image du Père Noel et un pantalon en tissu wax. Je vaporisai ensuite mes cheveux avec le mélange d’eau et d’huile de ricin que ma mère m’avait préparé, un peu de beurre de karité par ci par là, et un foulard pour attacher le tout en mode décontracté. Que vous le reconnaissiez ou pas, j’avais le « swaag ».
Et me voilà descendant les escaliers à petit pas. Destination ? La salle à manger où je prendrais mon petit déjeuner, heureuse comme une petite fille qui n’avait pas à se préoccuper du sort du monde. Pendant que je descendais, j’entendis ma mère nous appeler en criant.
- Ma mère : Naïa, Marc-Hervé, Ghislain, les enfants, où êtes-vous ?
Je fus la première à répondre avec ma petite voix, suivie de Ghislain.
- Moi : Je descends maman.
- Ghislain : Ouiiiiiiiiiiiiii.
Vu la façon dont il répondit celui-là, je compris qu’il devait être en train de faire quelque chose qu’il n’avait aucunement envie d’abandonner. Ghislain est mon grand frère préféré, et le plus âgé de mes frères. D’ailleurs, je dis à qui veut l’entendre que c’est mon mari, et aucune femme n’a le droit de l’approcher. Lui, il jouait bien le jeu, mais parfois il en avait vraiment marre de moi. Et ce n’est certainement pas moi qui lui en aurait voulu pour ça. J’étais tellement fatigante quand je m’y mettais. En tant que fille unique d’une famille de 4 garçons, il fallait bien que j’en profite. Quelques minutes plus tard, nous étions tous là, Y compris Tonton Richard le chauffeur qui n’était pas riche, Jacob le jardinier qui n’avait rien d’un juif, et Assia la cuisinière avec ses grosses fesses qui ne laissaient pas le jardinier indifférent.
Un jour où mes parents n’étaient pas présents, j’avais d’ailleurs surpris les deux cachotiers dans le garage en train de faire les mêmes choses que je voyais de temps à autre dans les films et les feuilletons. Quand ça passait à la télé, c’était une toute autre histoire. Mais là c’était pour de vrai, et j’étais si curieuse que je n’avais pas voulu rater la scène. De là où j’étais, je n’arrivais pas à bien distinguer ce qui se passait. Et c’était peut-être mieux pour moi. Assia était allongé sur le capot de la Peugeot 505, ses jambes autour de la taille de Jacob, qui n’avait aucun mal à s’enfoncer en elle et à se retirer avec une rapidité déconcertante. A ce rythme-là, je me disais qu’il risquait de lui créer des dégâts dans le bas-ventre. Mais contrairement à ce que je croyais, Assia semblait prendre son pied et ne se retenait pas pour lui dire : « vas-y, continue, ouiiiii » et plein d’autres mots que je n’arrivais pas à entendre ! On aurait dit qu’ils allaient tous les deux perdre connaissance ou s’élever vers le ciel dans les minutes à suivre. Bref, je n’ai jamais raconté cette histoire à ma mère qui devait bien se douter de quelque chose. A mon avis, les femmes ont presque toujours ce sixième sens pour découvrir ce qui se passe dans leur maison. Nous étions donc tous rassemblés au salon. Mon père était au bureau où il dormait depuis deux ou trois jours. Cela ne nous a pas paru étrange puisqu’on avait l’habitude de le voir s’absenter pendant plusieurs semaines pour ses séances de travail ou pour des voyages d’affaires.
Maman annonça à tout le monde qu’on devait quitter la maison le plus tôt possible. Ghislain fut le premier à parler. Pourquoi ? Où va-t-on ? Il y a un problème ? Tout le monde attendait avec impatience que ma mère nous donne une bonne raison de partir de chez nous aussi précipitamment.
Maman se contenta de répéter :
- Ma mère : Nous devons juste partir tout de suite. Ne posez pas de questions s’il vous plait.
Elle nous renvoya dans nos chambres respectives pour nous préparer. Les consignes étaient claires : juste le nécessaire, pas besoin de s’encombrer ! Les employés devaient rejoindre leur famille, hormis Richard qui devait d’abord nous déposer quelque part avant de retrouver sa femme et ses sept enfants. Je m’étais toujours demandé comment il arrivait à nourrir sa famille avec son petit salaire de chauffeur. Moi mes parents avaient 5 enfants, mais vu leur statut social et leurs comptes bancaires, ils pouvaient se le permettre. Mais 7 enfants lorsqu’on gagne 45 000f, ça devait être quelque chose. J’ai toujours vu en tonton Richard une personne honnête qui faisait de son mieux pour faire vivre sa famille, mais pas suffisamment ambitieux. Oui, parce que quand on est ambitieux, on ne dort pas sur ses lauriers.
Pendant que mes frères et moi quittions la salle de séjour, encore sous le choc et sans comprendre ce qui se passait, on entendit Assia qui poussa un cri perçant, immédiatement suivi de sanglots.
J’eus à peine le temps de me retourner pour voir ce qui se passait que Jacob fermait la porte du salon. J’étais debout, sans voix, tremblant presque. Qu’est ce qui a amené Assia à réagir de la sorte ? Il y a deux heures maman disait que personne n’irait à l’école et là, voilà qu’on devait fuir. Je me retournai, et je vis Kevin et Marc-Hervé qui semblaient aussi apeurés que moi. Ils avaient beau avoir respectivement 12 et 14 ans et étaient mes super héros de grand frère, ils avaient encore une grande part d’enfant en eux. Je pensais à tout ça pendant que je montais les escaliers. Mon petit cerveau n’avait pas encore eu le temps d’assimiler tout ce que ma mère venait de raconter, et le cri effroyable de la femme de ménage résonnait encore dans ma tête.
Maman me rejoignit dans la chambre pendant que j’étais encore dans mes pensées.
- Elle : Naïa, allez chérie, arrête de rêver. Il faut faire vite !
- Moi : Maman, j’ai peur
Ma mère vint m’embrasser et je me senties tout de suite un peu plus sécurité. Aucune autre parole ne fut prononcée jusqu’à ce qu’on finisse de préparer ma valise.