Chapitre 1

Ecrit par Chrime Kouemo

Le temps était magnifique en cette fin de journée d’été à Lille. Le soleil brillait de mille feux dans un ciel d’un bleu azur, bref une journée idéale pour un mariage, notamment dans une région habituellement grisâtre comme le Nord de la France.

Ariane avait vraiment beaucoup de chance, songea Rachel. Le repas étant organisé dans le jardin d’une maison en briques rouges typiques de la région, tout le monde avait craint que le temps soit à la pluie et au vent après les deux semaines d’averses et de grisaille qui avaient ponctué ce début du mois de juillet.

Plusieurs chapiteaux avaient été dressés dans le jardin de l'immense propriété louée pour l'occasion, afin d’accueillir les cent cinquante invités après la cérémonie à la Mairie. Ces derniers se bousculaient devant les tables où étaient posés des plateaux débordant de savoureux mets africains.

Son assiette et ses couverts à la main, Rachel attendait patiemment son tour. Le léger gargouillis de son ventre lui rappela toutefois qu’elle avait dû se priver de déjeuner afin d’être à l’heure à la cérémonie civile. Les vieilles habitudes avaient la peau dure: elle avait beau avoir préparé ses affaires la veille, elle avait quand même réussi à se mettre en retard après avoir changé de coiffure à plus de trois reprises.

Elle décida de passer outre le buffet des hors d'œuvre et d'aller directement aux plats de viande et de poissons. Les africains avaient la réputation de ne se concentrer que sur les plats principaux, et elle ne dérogeait pas à la règle. Elle salivait presque à la vue du tchieb boudjienne présenté dans un grand plat métallique. Ariane lui avait confié que ce célèbre plat sénégalais était la spécialité de la mère d'Ousmane, son mari depuis quelques heures maintenant.

S'étant servie, elle retourna à sa table. Elle soupira en voyant les noms inscrits sur les étiquettes dorées harmonieusement disposées sur la table. Elle n'en revenait pas qu'Ariane, malgré ses récriminations, l'ait mise à la même table que Seba, un ami d'Ousmane qu'elle n'appréciait pas beaucoup à cause de ses manières de rustre, et ses idées arrêtées sur ce que devrait être tout africain.

Ils avaient fait connaissance deux ans plus tôt à l'occasion de la fête d'anniversaire surprise d'Ariane organisée par Ousmane. Si elle l'avait trouvé sympathique de prime abord, elle avait dû revoir son jugement quand ce dernier lors d'un débat animé sur les coiffures des femmes africaines, avait d'un ton qu'elle avait jugé condescendant, indiqué que s'il avait un quelconque pouvoir politique en Afrique, il interdirait l'importation des mèches brésiliennes, indiennes ou autre du continent. Il avait par la suite rajouté que pour sa part il ne trouvait une femme véritablement belle que lorsqu'elle arborait sa chevelure naturelle. Toutes les filles de la soirée avaient crié au scandale et les débats s'étaient poursuivis jusque très tard dans la soirée.

Revenant au présent, elle se dit qu'elle aurait dû s'occuper elle-même des plans de table. Elle savait pourtant qu'Ariane essayait de la brancher avec Seba depuis sa rupture douloureuse avec Alexandre.

Elle l'aperçut se dirigeant vers leur table de sa démarche souple. Contrairement à tous les convives masculins qui arboraient les derniers costumes ajustés à la mode, il était vêtu d'un ensemble de lin blanc avec des empiècements en bogolan noir et marron. Elle reconnaissait avec une certaine réticence que cet ensemble lui allait bien et lui conférait une certaine originalité.

- Bonjour Rachel! Comment va ? Je t'ai à peine aperçue à la Mairie lui dit-il en se penchant pour lui faire la bise.

-  Je suis arrivée pile au début de la cérémonie. Tout monde était déjà installé en salle des mariages répondit elle en plaquant un sourire qui se voulait désinvolte sur ses lèvres.

-  Ah oui! J'oubliais que toi et la ponctualité êtes fâchées depuis toujours dit-il en lui souriant de ses belles dents bien alignées. En tout cas, bon appétit !

-  On sait que tu es toujours à l'heure toi! Pas besoin de me faire la morale rétorqua-t-elle tout en essayant de ne pas lui montrer son agacement.

-  Eh oui! Rien ne sert de courir, il faut partir à point!

-  Tchip! Bon appétit toi aussi lui répondit-elle.

Et elle saisit sa fourchette et la piqua dans le morceau de chou imbibé de la sauce tomate rouge de son tchieb boudjienne.

Les six autres convives de la table arrivèrent quasiment tous au même moment ce qui la soulagea de l'obligation d'entretenir la conversation avec Seba. C'étaient des amis d'Ariane et Ousmane qu'elle connaissait pour la plupart. Parmi eux se trouvaient Gabrielle et Marina, accompagnées par leurs petits amis respectifs.

Elle connaissait Gabrielle et Ariane depuis le Collège Vogt à Yaoundé. Par un extraordinaire concours de circonstances, elles s’étaient retrouvées toutes les trois à l'université des sciences et technologies de Lille et avaient fait la connaissance de Marina. Au cours des deux premières années de DEUG, elles étaient dans le même groupe de Travaux Dirigés. Puis, en troisième année, tandis que Rachel s'orientait vers une licence en bâtiment et travaux publics, les trois autres avaient opté pour les sections informatique et télécommunications. Elles avaient néanmoins gardé de solides attaches qui avaient résisté tout au long des huit dernières années, et ce malgré le fait que trois d'entre elles avaient quitté Lille pour s'installer en Région parisienne.

  • Gabriella et Marina prirent place respectivement à sa gauche et sa droite.

  • -  Bon appétit tout le monde lança Gabrielle. Il a l'air délicieux ce tchieb dit-elle en se tournant vers

    Rachel tout en dépliant gracieusement sa serviette sur ses genoux.

  • -  Je me régale confirma Rachel. Tu sais que c'est la mère d'Ousmane qui l'a fait. Je ne le voulais

    le rater pour rien au monde après tout ce qu'Ariane m'en a dit.

  • -  Je suis vraiment agréablement surprise que tout le programme se soit déroulé à l'heure prévue.

    Je me disais qu'avec nos habitudes d'Africains et de Camerounais en particulier, le repas ne

    pourrait jamais débuter aussi tôt. Il est 20h30 à peine tu te rends compte? S'étonna Marina.

  • -  Comme quoi quand on veut on peut intervint Seba.

  • -  En même temps ils nous ont tellement seriné pendant les préparatifs qu'il était impératif que tout

    le monde fasse l'effort d'être à l'heure qu'il n'aurait pu en être autrement s'enquit Gabrielle. Vous vous rappelez qu'au mariage de Josie et Adrien le repas avait été servi à plus de minuit ? Tous les invités Blancs de la réception étaient partis complètement déçus.

  • -  J'avoue que là c'était quand même un peu exagéré répondit Marina en hochant la tête.

    C'est à ce moment que le saxophoniste engagé pour la soirée par les mariés débuta sa prestation. Il joua plusieurs morceaux des répertoires d'artistes américains et africains tels que Marvin Gaye, James Brown, Manu Dibango et Fela Kuti. Il déambulait entre les tables des invités. S'arrêtant à la table des mariés, il enchaîna plusieurs morceaux d’amour. Rachel en avait les larmes aux yeux tant elle avait le cœur serré. Ça faisait déjà un an qu'elle avait rompu avec Alexandre, celui qu'elle avait pris pour le grand amour de sa vie. Celui-là même qui n'avait pas hésité à sacrifier leur histoire qu'elle croyait alors solidement ancrée. Elle se disait avec le recul qu'il ne l'avait pas aimée suffisamment pour l'inclure dans ses projets de vie.

    Alexandre représentait tout ce dont elle avait toujours rêvé chez un homme : grand de taille, beau, drôle, intelligent, ambitieux, un peu charmeur sur les bords et qui plus est chrétien et bamiléké comme auraient ajouté ses parents. Elle n'en avait eu que faire de ses origines ethniques mais elle savait que si elle avait eu l'occasion de le présenter à ses parents, ceux-ci auraient été aux anges.

    Ils affirmaient haut et fort qu'ils n'avaient aucun préjugé tribal mais étaient les premiers à attribuer à la différence de culture l'échec d'un couple inter ethnique.

Elle l'avait rencontré lors d'une soirée entre copains trois ans plus tôt et le courant était tout de suite passé entre eux. De nature un peu coincée sur les bords, elle n'avait bien évidement pas fait le premier pas. Il était la première relation sérieuse qu'elle entretenait avec un membre du sexe opposé...

La voix de l'impresario annonçant l'entrée du groupe de danse sénégalaise la ramena brutalement à la réalité. Se tournant vers le centre du jardin où avait été aménagé une estrade en bois spécialement pour l'occasion, elle chassa les souvenirs tristes qui menaçaient de la submerger quelques instants plus tôt.

  • -  Alors tu apprécies le spectacle? Lui demanda Seba assis en face d’elle. Tu m'avais l'air perdu dans tes pensées.

  • -  Oui oui c'est génial. J'adore la danse sénégalaise en plus ! lui répondit elle en se retournant à demi pour le regarder.

  • -  Ahbon?Jen'auraispascru.JepensaisquetonstyleétaitplusRnBhip-hop.

    Elle leva les yeux au ciel et rétorqua :
    Qu’est ce qui te le fait penser que ce n'est que ça mon style?
    Je ne sais pas. Peut-être le fait que je ne t'aie jamais vu danser sur un autre rythme.
    Les seules fois où il avait dû la voir danser c'était lors d'une ou deux sorties en groupe l'année dernière. Elle était encore avec Alexandre, et ce dernier n'écoutait exclusivement que de la musique urbaine américaine. A l'évocation de ce souvenir, son cœur se serra une fois de plus. Elle décida toutefois de ne pas s'y attarder et de profiter pleinement de sa soirée. Ce n'était pas parce qu'elle ressentait la solitude de plein fouet en ce moment particulier qu'elle allait se laisser aller à des pensées mélancoliques.

    Bof, tu constateras bien assez tôt ce soir que j'apprécie aussi énormément la musique africaine lui dit-elle en haussant les épaules.

    Et elle reporta son attention sur les danseuses qui donnaient leur va-tout pour satisfaire les invités qui applaudissaient en rythme. Elles continuèrent leur numéro en invitant les mariés à les rejoindre sur la scène. Ousmane se leva et tendit galamment la main à celle qui était désormais sa femme pour l'aider à se lever de sa chaise. Le regard éperdu d’amour qu'Ariane lui adressa fit de nouveau monter les larmes aux yeux de Rachel. Ousmane esquissa quelques pas de Mbalack sous les cris et les encouragements de sa mère et ses sœurs. Ariane elle leva élégamment sa traine pour l’accompagner.

    Le repas terminé, les assiettes furent débarrassées par des hôtesses. Ce fut ensuite le moment des discours des parents d’abord et des mariés ensuite. Ousmane enflamma l’assemblée par son éloquence et son aisance naturelle. Vint enfin le tour d’honneur. Les mariés avaient opté pour une chanson de Soumbil que Rachel affectionnait particulièrement. Elle avait toujours rêvé que l’homme de sa vie la lui chante spécialement. Elle avait pendant un moment cru que cet homme était Alexandre. Aux premières mélodies de « L’un pour l’autre », Ousmane enserra tendrement la taille d’Ariane, qui lui passa amoureusement les bras autour du cou. Tandis que les mariés évoluaient sur la piste de danse, les invités applaudissaient et reprenaient le refrain en cœur. L’imprésario invita ensuite les convives à rejoindre les mariés sur la piste.

    Marina et Gabrielle se levèrent, accompagnées de leurs compagnons respectifs. Il ne restait plus qu’elle et Seba sur leur table. Il se leva de sa chaise, contourna la table pour la rejoindre. Tendant la main, il lui demanda :
    Tu veux bien?

    En réalité, elle n’avait pas vraiment envie mais ça allait faire tâche de rester toute seule à sa table alors que tout le monde se levait pour danser.

Oui, je te remercie répondit-elle en posant sa petite main dans la sienne.

Arrivés sur l'estrade, Seba la prit par la taille et se mit à bouger en chantonnant doucement. Rachel avait du mal à suivre les pas à son cavalier. Etant assez timide et un peu renfermée, il lui était difficile d'être tout à fait à l'aise dans ce type de situations. Ce n'était pas pour rien que ces amis disaient qu'elle avait un balai dans le cul. Les effluves citronnées du parfum de son cavalier envahirent ses narines et accentuèrent son trouble. Elle parvint tant bien que mal à se détendre et finit par accorder son pas à celui du jeune homme.

Seba essayait de garder une distance raisonnable entre Rachel et lui. Il se rendait bien compte que la jeune femme était inconfortable dans ses bras. En effet, elle était raide comme un piquet et elle faisait tout pour éviter son regard. Après qu'elle eut failli lui marcher sur les pieds à deux reprises, il s'était légèrement écarté d'elle et avait constaté qu'elle se détendait un peu. Il comprenait d'autant moins son embarras qu'il savait par Ousmane qu'elle s'était séparée de son frimeur de copain et qu'il n'y avait pas eu de remplaçant depuis lors.

  • -  Ousmane m'avait dit qu'Ariane et toi aviez fait vos études à Lille demanda-t-il pour essayer de la détendre un peu plus.

  • -  Oui tout à fait lui répondit-elle en souriant. Nous nous sommes retrouvées à la fac en première année, mais nous nous connaissions depuis le Cameroun. Et l'année qui a suivi nous nous sommes installées en colocation. Que de bons souvenirs!

  • -  Tu m'étonnes! Et tu reviens de temps en temps ici ?

  • -  Deux à trois fois par an. Ariane et moi nous y venons systématiquement au mois de septembre

    pour la grande braderie de Lille.

  • -  J'en ai entendu parlé mais je ne suis jamais venu. Peut-être j'y ferai un tour cette année. - Je te le recommande. Tu verras c'est très sympa comme ambiance.

    Il hocha la tête en signe d’assentiment. Le morceau se termina, et ils regagnèrent leur table. Rachel s’assit, s’empara de son téléphone dans sa pochette et se mit à y pianoter frénétiquement. Seba en profita pour l’observer à la dérobée. La jeune femme avait un charme indéniable: un visage à l’ovale parfait, de jolies yeux en amande, et surtout un sourire à faire en fondre plus d’un. Enfin, quand elle se donnait la peine de le faire bien sûr...Contrairement aux autres filles de la soirée qui arboraient pour la grande majorité les derniers tissages brésiliens à la mode, elle était coiffée de longues tresses qu’elle avait savamment relevées en un chignon sophistiqué.

    Se sentant observée, elle releva brusquement les yeux de son téléphone. Nullement gêné d’être pris en flagrant délit, il la regarda droit dans les yeux et lui sourit d’un air enjôleur. Oui, elle lui plaisait et il n’avait pas l’intention de s’en cacher. Elle lui avait plu dès la première fois qu’elle lui avait été présentée il y avait un peu plus de deux ans. Cependant, à l’époque, il n’avait rien tenté parce qu’elle était déjà avec le Frimeur auprès duquel elle était littéralement en pâmoison. Et puis de toute façon, à ce moment là, il sortait avec Giannie, son ex antillaise.

  • -  Tu travailles toujours sur les chantiers? lui demanda t’il.

  • -  Oui, j’ai changé de boîte mais pas de métier. Et toi, tu fais dans les statistiques c’est ça?

  • -  Ouais! Ce n’est pas trop difficile de faire le métier que tu exerces en étant une jeune femme

    noire?

  • -  Ne m’en parle pas! Les débuts ont été très difficiles, mais on se forge une cuirasse avec le

    temps. Le chef de chantier de mon tout premier projet disait à cet effet que je cumulais les

    handicaps : jeune diplômée, femme, noire et de surcroit de petite taille

  • -  Ah ah fit-il en riant. Effectivement, vu sous cet angle, ça en fait pas mal. En tout cas, le plus

    important c’est que tu t’en sois sortie. Par contre, côté taille, euh...

    Elle le fusilla du regard et il éclata franchement de rire.
    Tu as toujours été aussi susceptible à ce sujet?
    Oui, toujours fit-elle un brin boudeuse. Puis, elle s’esclaffa avec lui. Voilà! Le fameux sourire, adressé uniquement à lui. Il se sentit fondre.Et tu envisages un retour au pays?

  • -  Oui, forcément. Même si je dois avouer que je ne me suis pas encore projetée sur quand et comment je le ferai. Et toi? lui demanda-t-elle en retour, puis se reprenant : que dis-je? Ça doit être une évidence pour toi.

  • -  Tu l’as dit! Il faut qu’on retourne œuvrer pour le pays. Nous ne pouvons pas rester ici à travailler et construire un pays qui n’est pas le nôtre, et ne pas faire profiter de nos talents à la Terre Mère. Ce devrait être le but de tout africain.

  • -  Je te reconnais bien là.

    Il haussa nonchalamment les épaules et poursuivit:

  • -  Je trouve vraiment dommage que certains de nos frères qui viennent poursuivre leurs études en

    Occident n’aient pas envie de retourner partager leurs expériences et participer à la prospérité

    de nos pays. Je dirai même que je trouve ça limite égoïste.

  • -  Ahtoujourscepetittonmoralisateurfit-elleavecunsourireironique.

  • -  C’est à dire ? lui demanda-t-il en haussant un sourcil d'un air inquisiteur.

    Avant qu’elle n’ait eu le temps de répondre, Gabrielle et Marina vinrent la tirer de sa chaise.Arrêtezleschamailleriesvousdeux.Lapistededanseestouverte!

    Rachel se leva sagement pour suivre ses amis. Gabrielle se tourna vers lui et dit :Toi aussi tu devrais nous suivre.
    Je vous rejoins dans une minute répondit-il.

    Il les suivit des yeux alors qu’elles se dirigeaient vers la piste de danse. Son regard s’attardant particulièrement sur Rachel, dont les fesses étaient moulées dans une robe fourreau de couleur violet. Malgré ses talons de dix centimètres, elle restait la plus petite du trio. A peine arrivée, elle se mit à se déhancher sur un son de Ndombolo de Koffi Olimidé. Allez ! Il n’allait pas se faire prier pour les rejoindre!

    Plus tard, juste avant la découpe du gâteau de mariage, Michel, un cousin à Ariane et ami à Ousmane, s’empara du micro auprès du DJ pour se lancer dans une séance d’Atalaku. Pendant près d’une demie heure, il fit les éloges des mariés en des adjectifs plus pompeux les uns que les autres. Seba avait toujours eu en horreur ce genre de spectacles qui malheureusement devenait incontournable dans les soirées africaines. Certaines personnes peu scrupuleuses, pour se fairefaroter se livraient à des actions dignes des plus grands griots de l’Afrique de l’Ouest. A la mine surprise et pas très réjouie mariées, le jeune homme comprit que cette animation avait été improvisée. Le contraire l’aurait d’autant plus étonné, car Ousmane partageait le même avis que lui sur ce sujet.

    Il se pencha à l'oreille de Rachel et lui murmura:
    Tu n'as pas un billet de 50 Euros qui traîne dans ton sac pour essuyer le front de Michel ? Elle leva les yeux au ciel sans répondre.

    La soirée battait son plein. La piste de danse était noire des invités qui se trémoussaient sur les derniers morceaux à la mode, formant plusieurs rondes où les plus courageux venaient se défier au centre sous les applaudissements de ceux qui restaient en retrait. Après une série de morceaux dansants, le DJ enchaîna avec une séquence zouk. Les couples se formèrent instantanément. Seba se retourna spontanément vers Rachel qui se trouvait à sa gauche. Sans vraiment lui laisser le temps de la réflexion, il s'empara de sa main et posa son autre main libre au creux de ses reins. Ravi de constater qu'elle était moins crispée que lors du tour d'honneur, il l'entraîna lentement au rythme de la musique.

    Rachel se détendait progressivement dans les bras du jeune homme. Elle devait reconnaître qu'il était un excellent danseur. Il la conduisait sans forcer et sans se coller à elle comme le faisait souvent certains hommes. Au fur et à mesure que les zouks et slows se succédaient, leurs corps se rapprochaient imperceptiblement, si bien qu'elle se retrouva avec le sommet de son crâne niché au creux de son cou. Son odeur virile la troublait délicieusement, mais elle n'essaya pas de s'écarter. Elle ferma les yeux, et se laissa emporter par le corps masculin pressé contre le sien, qui la faisait prendre conscience de ses courbes féminines.

    Le reste de la soirée passa en un éclair. Rachel jeta un coup d'œil à sa montre et constata qu'il était déjà près de 5h du matin. L'ambiance avait été tellement bonne qu'elle n'avait pas eu le temps de s'ennuyer une seule seconde. Seba s'était finalement avéré être une excellente compagnie. Le jeune homme l'avait fait rire à plusieurs reprises. Elle aperçut Gabrielle qui lui faisait signe depuis leur table. Elle fit signe à Seba, son compagnon de danse durant une bonne partie de la soirée. Il se pencha vers elle pour l'écouter avec attention.

  • -  Je vais rejoindre Gaby. Je pense que Jean et elle veulent s'en aller et ce sont eux qui me déposent.

  • -  Oh déjà ? S'étonna-t-il. Après un bref coup d'œil à sa montre, il s'exclama :

  • -  Ahouiquandmême!Ilestdéjà5h.Jen'aivraimentpasvuletempspasser.

  • -  J'ai passé une excellente soirée... Commença t'elle en guise d’au revoir.

  • -  Je peux te déposer si tu veux proposa-t-il rapidement.

  • -  Tu es sur? je suis à Lille Moulins dans un appartement que me prête une copine. Ta chambre

    d’hôtel est peut-être à l’opposé?

  • -  Mon hôtel est à Cormontaigne si je ne me trompe pas mais ça ne me dérange pas de faire un

    peu de chemin en plus.

    La jeune femme réfléchit à toute vitesse. Cormontaigne n’était pas très loin du quartier Moulins. De plus, elle avait passé une excellente soirée en sa compagnie. Elle avait découvert un jeune homme à la fois drôle, simple et pour compléter le tout, excellent danseur. Toutefois, elle appréhendait un peu de se retrouver en tête à tête avec lui, car elle se rendait bien compte qu’elle lui plaisait, et ne voulait pas avoir à repousser ses avances.

    - Eh oh ! Ici la terre fit Seba en agitant une main devant ses yeux face à son mutisme. La réponse à ma question est plutôt facile tu sais ? Oui ou non.
    Excuse-moi, j’étais un peu perdue dans mes pensées.
    Alors?Jetedéposeounon?

    Oui merci c’est gentil de ta part. Je vais prévenir Gabrielle et récupérer ma pochette.

    Arrivée à hauteur de Gabrielle et son compagnon, elle leur dit :

  • -  Seba se propose de me déposer. Vous pouvez donc rentrer directement vous reposer.

  • -  Hum hum... fit Gabrielle en faisant mine de se racler la gorge. Y a-t-il des choses que je devrais

    savoir?
    Rachel leva les yeux au ciel

  • -  Rien du tout. Arrête de te faire des films. Tu sais bien que ce n’est pas vraiment mon genre.

    C’est vrai qu’il est sympa mais bon ça s’arrête là. Et puis, c’est lui qui a insisté.

  • -  Ah?Pastongenre?etc’estalorsquoitongenre?questionnaGabrielleenplissantlesyeux.

  • -  Tu n’étais pas pressée de partir? contra Rachel en regardant ostensiblement sa montre.

  • -  C’est ça! Esquive ma question mais tu me connais, je reviendrai à la charge demain. Tu seras là

    pour l’after non?

  • -  Ai-je seulement le choix ! Soupira la jeune femme, heureuse de changer de sujet. Tu sais

    combien Ariane y tient.

  • -  On se dit donc à demain, conclut Gabrielle en se penchant pour lui faire la bise.

    Après une autre bise en guise d’au revoir à Charles, le cavalier de Gabrielle, la jeune femme rejoignit Seba qui l’attendait à l’entrée.

    Le trajet se passa sans encombre. A cette heure du petit matin, bien que le soleil fut déjà levé, les rues étaient encore désertes. A peine quinze minutes plus tard, Seba se garait à l’adresse indiquée par Rachel.

  • -  Merci Seba de m'avoir déposée dit-elle en se tournant vers lui et en défaisant sa ceinture de

    sécurité.

  • -  Ce fut un plaisir répondit-il tout sourire. Je vais t’accompagner à la porte.

    -  Non, ce n’est vraiment pas la peine hein fit-elle en secouant la tête

    -  Hum hum marmonna t-il, et après, vous serez les premières à dire que les hommes africains manquent de galanterie.

    La jeune femme haussa les épaules et ouvrit sa portière sans attendre qu’il fasse le tour. Arrivée devant la porte d’entrée, elle sortit le badge vigik de son sac et le passa devant le digicode. La porte s’ouvrit automatiquement et elle pénétra dans le hall qui s’éclaira presque aussitôt. Elle se retourna pour faire face à Seba dont elle avait senti les pas derrière elle. Le regard dont il l’enveloppait la cloua sur place. Il avança d’un pas, et leurs corps se retrouvèrent presque collés l’un à l’autre. Il approcha encore, les yeux toujours soudés aux siens, et saisit sa main droite dans la sienne en entrelaçant leurs doigts. Rachel était comme hypnotisée. Une part de son esprit voulait reculer pour remettre une distance raisonnable entre le jeune homme et elle, mais l’autre part attendait comme avec impatience la suite.

    Tout doucement, comme au ralenti, elle le vit incliner la tête vers elle, puis, sa bouche aux lèvres pleines s’empara de la sienne. La douceur et la sensualité contenues dans son baiser la déstabilisèrent aussitôt. Ses lèvres s’entrouvrirent d’elles-mêmes pour profiter au maximum du plaisir intense que ce baiser lui procurait. La bouche du jeune homme la taquinait : il lui léchait délicatement les lèvres, se reculait, faisant mine d’écarter sa bouche de la sienne pour mieux revenir à l’assaut. Il glissa sa langue entre ses lèvres et l'enroula à la sienne. Leurs langues dansèrent un ballet sensuel, se cherchant, pour mieux se trouver.

    Le baiser gagnant en intensité, Seba la plaqua contre lui avec passion et la jeune femme qui jusque-là avait gardé ses bras le long de son corps, les enroula autour de son cou, écrasant ses petits seins contre son torse. Seba était comme envoûté. Tout au long de la soirée, il s'était imaginé ce que ce serait de la tenir entre ses bras, de l'embrasser; mais la réalité était de très loin supérieure à ses fantasmes. Rachel, sous ses airs timides, était une femme sensuelle capable de mettre un homme à ses pieds juste avec un simple baiser.

    Alors que ses mains remontaient dans le creux de ses reins, il entendit comme dans un brouillard des pas dans les escaliers. Il poussa un soupir de frustration et se força à s'écarter de la jeune femme. Il n'avait aucune gêne à embrasser des filles en public, mais ne sachant pas si Rachel était à l'aise avec ça, il préféra interrompre leur étreinte. Désorientée, elle leva vers lui des yeux voilés par la passion. Il lui fallut un effort surhumain pour ne pas reprendre possession de ses lèvres. Les pas se rapprochèrent de l'entrée et la jeune femme sembla enfin les percevoir. Elle recula d’un pas, augmentant la distance entre eux.

    • Euh... commença t’elle en balbutiant.

      Elle essaya tant bien que mal de se racler la gorge, mais sa voix lui parut toujours aussi enrouée quand elle poursuivit :

      Vraiment, encore merci de m’avoir raccompagnée.
      Il l’observa un long moment sans rien dire, si bien qu’elle se demanda s’il l’avait entendue. Il s’apprêtait à répondre, quand un jeune homme en tenue de sport apparut de la cage escalier. Il les salua au passage et ouvrit la porte d’entrée.

    • -  De rien, dit enfin Seba. On se voit tout à l’heure à l’after?

    • -  Oui... oui bien sûr.

    • -  Bon... Eh bien repose toi bien alors fit-il en enfonçant les mains dans ses poches. Je pourrais

      passer te récupérer pour qu’on y aille tous les deux si ça te dit?

      Les choses allaient beaucoup trop vite au goût de Rachel. D’accord la soirée avait été mémorable, et le baiser qu’ils venaient d’échanger l’avait déstabilisée; pour autant, elle avait besoin de réfléchir au calme.

    • -  Non, vraiment, ne te donne pas cette peine. Je dois y être avec Gabrielle un peu avant 15h pour

      donner un coup de main à Ariane. On se verra là-bas de toute façon.

    • -  Ok. très bien fit le jeune homme sans insister davantage. A demain alors!

    Et il se pencha pour lui faire deux bises sur les joues.
    - A demain, répondit la jeune femme et elle se tourna pour emprunter les escaliers. Arrivée à la moitié de la première volée, elle entendit la porte d’entrée se fermer et elle poussa un petit soupir de soulagement.


Entre deux coeurs