Chapitre 1

Ecrit par Layla-mia

Les sentiments sont nuisibles, néfastes et inutiles. C'est la fin de la leçon. 


Le professeur referma son livre et parcourut la salle d'un regard las une dernière fois. Quand ses iris rencontrèrent ceux d'une jeune fille, seyant au fond de la classe, ils semblèrent brasiller d'inimitié pendant une microseconde et reprirent leur ennui éternelle. Il contourna son bureau et sortit de la pièce de la même manière qu'il y était entré: rapidement. Refermant la porte blanchâtre, derrière lui. Les quelques mots qu'il s'efforçait de prononcer et les quelques minutes qu'il passait en compagnie des élèves paraissait beaucoup l'ennuyer. 


À première vue cette classe avait l'air ordinaire


Une lampe située sur chacun des murs de la pièce carré éclairait la pièce aux couleurs immaculées. La lune, aujourd'hui pleine, visible à travers les fenêtres qui longeaient le mur senestre aux élèves, aidait à l'éclairage tamisée qu'offraient les lampes. Les élèves depuis le départ de leur professeur n'avaient esquissé un mot et se contentaient de fixer le tableau noir devant eux qui contrastait avec le blanc de l'endroit. 


Mais il n'en était rien


Leurs regards paraissaient dénudés de tout sentiment et de toute humanité, leurs visages restaient impassibles. Un seul visage, un seul regard feignait de l'être ou plutôt s'efforçait d'être vide d'émotions comme ceux de ces camarades, mais en observant bien les traits de la jeune fille on pouvait avec aisance deviner qu'elle était différente. 


Dans un grincement presque mélodieux et à peine perceptible, la porte s'ouvrit. Une jeune femme fit lentement son apparition et avança avec grâce jusqu'à son bureau, la talonnade de ses talons à aiguilles sur le carrelage blafard rythma sa marche. Elle était vêtu d'un pantalon fait de denim sombre et d'une chemise blanche aux manches lâches surhaussée d'un corset sombre qui dessinait parfaitement sa svelte silhouette. Ses cheveux de jais, bouclés naturellement, recouvraient ses épaules et encadraient son visage pâle. 

Ses yeux bleu charron respiraient indifférence et mépris vis-à-vis des élèves et ses lèvres fines vermeilles tiraient un sourire forcé. 


Lorsqu'elle arriva derrière son bureau, les élèves se mirent debout et d'un geste machinal de la main, elle leur indiqua de s'asseoir. La jeune femme sortit du sac qui pendait à son flanc- jusqu'à présent caché par la cape noir qui surpomblait sa tenue- un livre qu'elle feuilleta, avant de lancer: 


  — Nous allons voir les règles de la sphère, fit-elle d'une voix qui se voulait gentille. 


Les règles de la sphère, les élèves les connaissaient par cœur. Après tout, c'était les règles qui rythmaient leur vie. 


— Premièrement: adorer Ymiris seul et l'aimer plus que tout


Deuxièmement : ne pas chercher à comprendre. 


Troisièmement: exterminer les habitants de la zone zéro.


Quatrièmement: Ne pas ressentir de sentiments.


Et elle continua. 


En tout, la sphère renfermait une trentaine de règles à ne pas transgresser sous peine "d'élargissement".


La professeure avait fini d'énumérer les règles de la sphère. Ayant la gorge sèche, elle sortit de son sac une pochette en plastique contenant un liquide rougeâtre, et une pipette avec laquelle elle perça la poche et se mit à siroter sa boisson. Ses yeux se promenèrent un instant dans la pièce avec la même lassitude que le professeur précédent: elle était harassée de former des êtres inférieurs. Lorsque la jeune femme aperçut sa tignasse blond pâle, la lassitude dans son regard disparu et le mépris s'intensifia. 


Que ce soit son apparence: de la couleur de ses yeux en passant par ses cheveux ou encore par son attitude et son regard: tout était trop différent. Un détail la happa: c'était une non-élargie, la même que depuis six années maintenant. 


La professeure fronça ses fins sourcils : « encore une non-élargie qui posera problème. » pensa-t-elle.


— Passons à l'appel, numéro dix-un, appela-t-elle.


— Présent, répondit un jeune garçon au premier rang. 


— N°10-2 


— présente 


Elle les interpella jusqu'à arriver au dernier nom de la liste. 


— N°10-10 


— Présente. Fit une voix moins robotisée que celle des autres élèves. 


La professeure la dévisagea encore avec dédain et sortit de la salle après avoir ranger ses affaires. C'était le dernier de la nuit. 


Par ordre d'appel, les élèves se mirent en rang, abandonnèrent leur salle de cours et avancèrent dans les couloirs aux murs ternes qu'une bande en argent scindait en deux. Éclairés par la lumière des ampoules qui longeait le plafond, ils croisèrent plusieurs professeurs sur leur route. Les enseignants arboraient un sourire radieux, contrastant avec leurs yeux qui les toisaient avec insistance. Sans contredit, ceux d'en haut les avaient enjoint de ne pas montrer l'hostilité qu'ils éprouvaient pour les apprenants. 


10-10 compte tenu de son nom, fermait la marche. Elle tentait tant bien que mal de reproduire à la perle les mouvements de ses camarades, mais si elle avait conscience d'être beaucoup trop différente. Eux, semblaient avoir perdu toute humanité et inspiraient la perfection à laquelle tous devait aspirer en ce lieu. Elle, était non-élargie et plus humaine qu'elle ne l'aurait voulu.


Ils s'arrêtèrent finalement face aux portes de leur chambre. Celle de la non-élargie s'ouvrit dans un clic métallique et elle y entra. Contrairement à elle, ses camarades avant de regagner leur chambre étaient tenus de remplir une pochette de leur fluide corporel, grâce à une machine fixée à leur porte, avant de regagner leur chambre. 


La sphère comptait en tous quatre classe et le don de sang était reparti comme suit:


La classe A donnait 0,2 litre.


La classe B Donnait 0,4 litre.


La classe AB donnait 0,5 litre. 


La classe O, celle de 10-10 comptait le plus petit effectif et donnait la plus grande quantité : 1 litre.  


Évidemment les portes, tant qu'elles n'avaient reçu leur quota de sang, ne s'ouvraient pas. Le manque de sang avait fait flancher plus d'un mais beaucoup survivait grâce à un sérum qu'on leur injectait une fois chaque nuit. Ceux qui s'y refusaient, finissaient élargis. 


Il était interdit à la jeune non-élargie de faire don de son sang pour une raison qui lui était inconnue. Pourtant, elle désirait tellement aider à préserver des vies, comme leurs professeurs leur avait expliqué. Parfois, la question de savoir pourquoi elle n'offrait pas son sang lui brûlait les lèvres mais elle ne la posait pas. Cela reviendrait à enfreindre la deuxième règle de la sphère: Ne pas cherchez à comprendre.


Il était nécessaire que son comportement soit similaire à celui des élargis, cependant elle demeurait humaine et l'être humain restait de nature curieuse.   

C'est pourquoi l'on pouvait lire derrière ses yeux quasi-vides et remplis de solitude et d'ignorance une vive soif de connaissance. 


Après avoir refermé la porte derrière elle, la non-élargie ôta ses souliers noirs et ses pieds uniquement pourvus de chaussettes blanches, elle s'accorda un soupir. Que c'était fatiguant d'imiter des non-élargis. 

Elle s'adossa à la porte et pour ne pas laisser ses pensées aller plus loin qu'elles ne le devraient, elle commença son petit rituel et laissa ses yeux se promener dans la pièce. 


Son lit était toujours plaqué contre le mur du fond en face d'elle et une commode venait l'enserrer. La pièce était éclairée par une ampoule moyenne qui trônait sur le plafond. Sur le mur à sa droite une armoire couleur crème à la poignée dorée. La pièce et les meubles étaient peints ,comme la plupart des salles, d'un blanc terne. 


Quand elle eût fini cet petit exercice, elle se releva et sortit d'un tiroir de sa commode un carnet sombre. Elle s'activa alors à lire les différentes règles qui régissaient la sphère. 


"Tous les élèves sont priés de se rendre dans la cour principale pour procéder à la purification"


Elle déposa son carnet sur sa commode, se leva, se chaussa et sortit rejoindre le rang qui s'était déjà formé dans le couloir. Elle se mit alors en route avec ses camarades vers le lieu où se déroulait la séance de purification. Ils cheminèrent longtemps dans les couloirs avant d'enfin déboucher dans une sorte d'immense cour. Du gazon de couleur blanche recouvrait l'intégralité du sol et certains arbres se dressaient fièrement ici et là. Au milieu de cet immense espace, une énorme estrade en bois avait été bâti et sur cette construction peu commune ici, un immense poteau sur lequel était ligoté un homme. 


Les élèves de toutes les classes avaient été réuni et formaient des rangs serrés autour de la bâtisse de bois. Recouvert de bleus, d'ecchymoses et de sang, le visage de l'homme était méconnaissable. Le peu de vêtements qu'il lui restait ne semblaient par suffire à le protéger du froid de la nuit car ses membres tremblaient le grelot. Une plaie béante, d'où coulait abondamment du sang, ornait son flanc. L'homme haletait bruyamment et des rivières de larmes coulaient à vive allure le long de son visage maculé de boue, se mêlant à la flaque rougeâtre à ses pieds. 


Les rangs se fendirent un moment et un vieil homme à la tunique aussi immaculée que ses sourcils, ses cheveux et la longue barbe qui longeait son torse, suivit d'un homme vêtu d'une armure pourvue d'un casque argentée dont chaque chaque pas laissait à l'oreille un bruit métallique, traversèrent la voie improvisée qu'avaient laissée les élèves. Le viel homme, les mains repliés contre son dos monta les marches de l'escalier avec lenteur et grâce, suivi de près par son garde et une fois en haut se tourna vers la myriade d'élèves et de professeur présents. Il balaya la foule de ses petits yeux tombants que ses épais sourcils cachaient presque. Un doux souffle fit balancer ses cheveux regroupés en queue de rat derrière son dos et il commença d'une voix étrangement retentissante et forte pour l'âge qu'il semblait avoir: 


  — Mes frères, amis et élèves, la séance de purification commencera bientôt. Purification, oui car ce monde est souillé et impur par ces humains qui n'adorent pas Ymiris et ne se plient pas aux règles de la sphère. De plus ils ont déjà ôté la vie de plusieurs d'entre nous. Au nom d'Ymiris, il est donc de notre devoir de purifier ce monde de ses impuretés. En voici un juste sous nos yeux, un habitant de la zone zéro, un rebelle...


  — Non ! Non !, fit l'homme qui semblait plus lucide, je n'ai jamais attenté à la vie de l'un de vous ! Certes je vis dans la zone zéro mais je n'ai jamais rien fait qui puisse vous nuire, je vous en supplie... 


Il finit sa phrase en sanglotant. 


La poitrine dudit rebelle se comprima tellement fort qu'il sentit son coeur sur le point d'éclater. Le rire cristallin de sa femme, les sourires bienveillants de ses deux petits poupons malgré la souffrance et l'inquiétude quotidienne que leur offrait leur vie en habitants de la zone zéro lui revirent en mémoire. Le chagrin s'engouffra dans sa gorge, s'accumula dans ses poumons et coupa sa respiration. Pourquoi ne s'était-il pas fié au pressentiment de son épouse ? Pourquoi s'était-il aventuré si loin pendant la nuit ? Ses monstres ne le laisseraient jamais partir. 


— Nous allons tout d'abord lui couper la langue. Cette langue qui a adoré un autre qu'Ymiris et tant de fois profané notre Dieu. 


Le soldat du vieil homme s'approcha du poteau sur lequel ledit rebelle était attaché. Des gouttes de sueur se mirent à tomber dans ses yeux l'empêchant de voir son bourreau, son coeur cavalait comme un étalon sauvage lancé au triple galop et ses membres tremblaient. Le chagrin de ne plus voir ses proches avaient été remplacé par un sentiment bien plus sombre, bien plus effrayant, bien plus fort: la peur de périr. 


Bien sûr, tous le monde dans la zone zéro avait connaissance qu'il vivait avec une épée de Damoclès au dessus de la tête et que la mort pouvait frapper à tout moment. Il s'était même préparé mentalement à ne plus vivre. Mais maintenant que la mort était devant lui, vêtu d'une armure et dague en main c'était tout sauf à quoi il s'était préparé. 


  - je vous en...


Le soldat le fit taire en saisissant d'un geste habile sa langue et sans une once d'hésitation, il la sectionna. Le bout de chair rose tomba à ses pieds. Un jet puissant de sang tacha l'amure du soldat et les alentours. Les poumons de l'homme brûlèrent sous la puissance de son cri, qui dévala l'écho sinistre de l'endroit. Le volume de ses pleurs doublèrent. 


  — Nous allons à présent lui crever les yeux, ces yeux qui ont tant de fois admirer la zone zéro, cet endroit impur. 


Dépourvu de langue, les supplications de l'homme demeurèrent sybillins aux oreilles de 10-10 et à la foule présente. 

Le soldat éleva deux de ses doigts, les dirigea vers le visage de l'homme et les inséra brutalement dans les pupilles de l'homme. Un jet de sang moins puissant éclaboussa l'armure du soldat et du sang se mêla aux perles salées sur ses joues. L'homme poussa un second cri qui embrasa ses cordes vocales. Il se savait perdu mais remercia le ciel de ne plus voir le visage de tous ses jeunes humains qui restaient neutre face à cette monstruosité. Ce qui le conforta, fût que dans les yeux d'une femme aux cheveux sombres, resté en retrait, il avait vu une once de pitié. 


Il succomba ensuite à la blessure qu'il avait au flanc. Mais le purificateur ne se 

tut pas et le soldat ne s'arrêta pas. Ils s'attaquèrent ensuite à ses tympans, lui coupèrent les doigts, les orteils et finirent par sa tête. 


Les nuits se déroulaient ainsi, à la fin des cours, ils procédaient à la séance de purification. Auparavant 10-10 ne supportait pas ces scènes de torture et dégorgeait face à cet affreux spectacle. Montrer du dégoût pour ces séances qu'on considérait de sacrées finissait par l'élargissement mais là encore, ils l'épargnèrent.


A présent, ce spectacle ne lui donnait même pas la nausée mais alimentait plutôt cette haine intarissable qu'elle éprouvait pour ceux de leur espèce. Elle se nourrissait de leurs geignements, se délectait de leur douleur et savourait l'odeur de leur sang. 


Elle avait pour but de tous les exterminer jusqu'au dernier. Tous.

10-10 ou Lily