Chapitre 1

Ecrit par anomandaris

Mamoun Kassab est mort dans une pièce de la maison ; il s’est fait enterrer dans son jardin.

Devant le portail rouillé de la maison du sorcier mort, Nicolas Gentle ne pouvait s’empêcher de repenser à ce résumé de l’histoire de la maison la plus célèbre du quartier Limber. Et il comptait franchir ses limites pour prendre des clichés de la pelouse, des murs de la pièce, du parquet… et du jardin derrière la maison tordue. Le jardin où était enterré le dénommé Mamoun Kassab.

« On va pas rester planté là, suis-moi », lui dit Jeffrey Penson. Le mince caucasien poussa le battant mobile du portail, qui cria sur ses gonds comme une poule qu’on étrangle. Sa longue silhouette vêtue d’un ample tee-shirt blanc et d’un short hawaïen se faufila derrière l’ouverture et se dirigea d’un pas léger vers l’entrée du monstre de bois ciré, éclairé par un soleil couchant orange au-delà du trottoir où restait planté le métisse en chemise carrelée. Il ne suivit pas son binôme d’exposé.

La maison de bois dur semblait s’appuyer sur sa façade ouest contre un prunier cinquantenaire, qui voilait l’une des deux fenêtres de l’étage supérieur avec son feuillage fourni. Les grillons faisaient crisser leur appendices dans l’herbe jaunie de la longue pelouse. A part ça, le silence radio. Le prunier aurait dû abriter des oiseaux, mais aucun nid ne se distinguait dans son feuillage touffu. Les prunes et les feuilles pourries s’entassaient au pied de l’arbre. Au milieu de la pelouse, une allée pavée menait à la porte d’entrée, que Jeffrey venait de franchir en torchant devant lui avec son téléphone. Il faut dire que ça faisait quarante ans que son propriétaire était mort, et le réseau électrique installé après sa mort n’avait jamais fonctionné. A dix-huit heures moins dix, il faisait déjà noir derrière ses murs marrons délabrés, et l’extérieur s’enveloppait déjà des premières ténèbres du soir.

L’instigateur de la randonnée crépusculaire restait Jeffrey. Rien n’obligeait Nicolas à le suivre. Mais en le voyant refermer la porte avec un grincement, Nicolas eut envie de le suivre, juste pour ne pas rester seul devant le portail à l’attendre. Peu de passants empruntaient ce côté du trottoir, comme si l’atmosphère silencieuse autour de la demeure obligeait tout le monde à s’éloigner de ses alentours. De l’autre côté de la route, à environ vingt mètres de la chaussée, quelqu’un venait de tirer les rideaux blancs de la fenêtre d’une maison de bois dur, dès que son regard croisa les iris noirs de Nicolas. Tant pis, pensa Nicolas en tirant de la poche de son jean son smartphone. Jouer une partie de Mario Kart valait mieux que prendre des photos dans le seul but d’étoffer un exposé déjà bon.

Vingt minutes plus tard, Nicolas terminait sa course en ligne et Jeffrey se trouvait encore dedans. Nicolas se tourna pour voir danser la lumière de la torche téléphonique de Jeffrey à travers l’une des fenêtres cassées du rez-de-chaussée. A l’étage, éclairé par des bougies blanches, un vieillard en gandourah l’observait.

La maison-cimetière