Chapitre 1 : Bienvenue au Bénin
Ecrit par Auby88
" (...) Partir. Mon coeur bruissait de générosités emphatiques. Partir... j'arriverais lisse et jeune dans ce pays mien et je dirais à ce pays dont le limon entre dans la composition de ma chair : « J'ai longtemps erré et je reviens vers la hideur désertée de vos plaies (…) ».
Aimé Césaire, Cahier d'un retour au pays natal"
18 h 05. L'un des Boeing de la compagnie Air France vient d'atterrir à l'aéroport international Bernardin Cardinal GANTIN de Cotonou. Richmond respire profondément tout en se dirigeant vers le hall. Un cocktail d'émotions l'envahit. Revenir à la terre qui l'a vu naître le plonge dans un passé rempli de beaux et de douloureux souvenirs. Sandra, sa compagne semble exténuée. Leur vol depuis le Canada a duré quinze heures, sans compter les escales et les décalages horaires !
Elle se laisse choir sur l'un des bancs disposés dans la salle et laisse son fiancé s'occuper des formalités et des bagages. Des yeux d'hommes l'épient. Elle sourit.
D'un geste lent, elle dénoue ses longs cheveux blonds, les secoue vivement et les noue à nouveau. A ses oreilles, pendent des boucles rouges en forme de feuille d'érable, symbole du Canada. Elles donnent un air plus long et plus mince à son visage rond. Ensuite, elle remet les luxueuses lunettes violettes, auparavant logées dans le haut de sa combinaison qui sied bien à son corps de rêve.
Environ une heure plus tard, Richmond lui fait signe de la main. Alors, elle se redresse sur ses talons aiguilles et le rejoint.
- J'ai vraiment cru qu'on en avait pour toute la nuit, Ricky !
- Nous sommes en Afrique, Sandra. Pas à Montréal ! Il te faudra beaucoup de patience. Je te rappelle quand même que le gouvernement ici fait des efforts notables. Et puis, tu vois bien que mon pays ne ressemble pas à cette jungle pleine d'hommes sauvages que nous voyons dans les documentaires !
- Bah, fait-elle en haussant les épaules. Je ne vois pas la différence, moi ! J'ai vraiment hâte qu'on retourne à Montréal car si les choses se passent ainsi à l'aéroport, imagine tout ce qu'on vivra durant notre séjour !
- Ne sois pas autant pessimiste ! Il réajuste le sac qu'il porte en bandoulière.
- Tu penses que je suis pessimiste ? Il me faudra supporter la chaleur, la poussière, la lenteur administrative et surtout ces vampires de moustiques. Tu m'imagines avec la peau toute rouge ? Ce serait un désastre. Personne ne voudra de moi aux défilés.
- Je ne t'ai point obligée à me suivre ! rétorque-t-il.
- Tu ne penses quand même pas que je t'aurais laissé tout seul ici avec ces "fesses" et “balcons ” que je vois partout. Ces aguicheuses attendent juste que j'ai le dos tourné pour t'approcher !
- Tu ne changeras jamais, Sandra !
Dans les mains de l'homme qui les a aidés à sortir les valises, Richmond glisse deux billets de 1000 francs CFA, puis tous deux montent à bord d'un 4x4.
Cotonou, la belle, brille de mille feux. Des guirlandes lumineuses se succèdent le long des poteaux électriques comme une suite de notes au contact des doigts habiles du pianiste. Richmond descend la vitre de quelques centimètres, laissant l'air naturel de la ville s'incruster et rivaliser avec l'air artificiel du véhicule. En écoutant les bruits de klaxons de motocyclistes pressés, la musique provenant des bistrots, les vendeurs ambulants qui proposent leurs produits avec insistance, il replonge dans ses souvenirs et son regard devient mélancolique. L'évocation de son nom le tire quelque peu de sa rêverie. En direction de Sandra, qui visiblement s'inquiète pour son soudain changement de mine, il mime un sourire et remonte la vitre.
Le 4x4 fait une brève escale dans un hôtel, puis achève sa course dans la Haie-vive, un quartier résidentiel majoritairement habité par les Européens. Sandra adore l'endroit. C'est comme à Montréal. Certes, elle ne voit pas distinctement tout, mais elle parvient à repérer un casino, des restaurants et de belles demeures. Celle devant laquelle la voiture s'arrête l'enchante. Elle est splendide. Un trois-étages architectural…
- Ricky ! crie une jeune femme.
Elle vient à leur rencontre.
- Satine ! renchérit Richmond.
Dans les bras grands ouverts de son frère aîné, Satine vient se blottir.
- Tu m'as tellement manqué !
- Toi aussi, petite vipère !
- J'ai cru rêver, en entendant ta voix à l'interphone ! T'aurais pu nous prévenir !
- Je tenais à vous faire une surprise, maman et toi !
- Je t'adore, Richmond !
Sandra, un peu contrariée d'être laissée pour compte, s'immisce dans la conversation.
- Coucou ! Je suis là.
Elle lève une main.
- Tiens ! tu n'es pas seul à ce que je vois ! remarque Satine, en la toisant.
- Je te présente Sandra, ma fiancée.
- Je suis très enchantée de faire ta connaissance, Satine.
Sandra tend une main vers Satine qui détourne son regard.
- Ton frère m'a beaucoup parlé de toi, reprend Sandra. J'espère que nous deviendrons de bonnes amies !
- J'en doute beaucoup, car nous ne sommes pas de la même tranche d'âge ! lance Satine sur un ton assez hostile.
- Oh ! Je vois ! réplique Sandra, en esquissant quand même un sourire.
- Et maman ? demande Richmond, qui essaie ainsi de détendre l'atmosphère, froide comme un iceberg, entre les deux femmes.
- Elle prend son bain, lui répond Satine. Je ne lui ai pas encore dit que tu étais là !
- Allons-y. J'ai hâte de la revoir.
Avec empressement, Satine met la main autour de son frère, pendant que Sandra, déconcertée, avance derrière eux. Ils longent la longue allée bordée de fleurs de part et d'autre, la grande piscine à débordement et une fontaine lumineuse pendant que les commentaires et les éclats de rire fraternels emplissent l'air. Quand elle s'y attend le moins, Richmond prend la main de Sandra. Elle lui sourit...
Le séjour est vaste. Tout y sent le luxe, depuis la moquette jusqu'aux meubles. Des photos de famille pendent sur l'un des murs. Le couple s'en approche tandis que Satine court prévenir la maîtresse de maison.
Avec allégresse, Madame Vanessa AKOWE accueille le couple. Elle les complimente sur leur choix vestimentaire : Richmond porte un pantalon en pagne wax assorti à la combinaison de Sandra avec des nuances par ci, par là, qui se marient bien au final.
Avec Richmond, la mère parle des détails de sa vie à Montréal. Avec Sandra, elle entame une conversation qui se limite à leur passion commune : le goût du beau. La fanatique de mode, se prête avec joie aux questions de sa future belle-mère, en gardant ses doigts bien tendus pour mettre en exergue la bague en diamant qui entoure son annulaire. Satine, quant à elle, bouillonne de colère et de jalousie envers la fiancée de son frère, assise en face d'elle. Elle ne l'aime guère …
- Il est hors de question que vous restiez à l'hôtel ! La maison est grande pour nous tous, Ricky ! objecte la mère lorsque son fils lui apprend qu'il est descendu dans un hôtel et qu'il y retourne avec Sandra.
- Je regrette maman ! J'ai déjà fait les réservations !
- Tu peux toujours annuler, Ricky !
- J'ai déjà pris ma décision, Satine !
- De toute façon, tu n'es jamais là pour moi !
- Il ne s'agit pas de cela, Satine ! Je…
Elle l'interrompt.
- Oui, tu préfères faire des cochonneries avec celle-là, plutôt que de passer du temps avec ta famille !
- Ne parle pas ainsi à ton frère ! intervient la mère.
- Tu me déçois à chaque fois, Ricky ! Je te déteste ! hurle la sœur.
Il essaye de saisir sa main. Elle esquive son geste.
- Ne me touche pas, va-t'en !
Elle se précipite vers les escaliers. Il la supplie de revenir. Elle court au premier étage, ferme si fort la porte qu'on en entend le claquement.
- Je vais lui parler, maman !
- Non, mon fils. Il vaut mieux que tu la laisses se calmer. Certes, je connais tes raisons, mais je ne les partage pas. Réfléchis-y bien !
Il soupire puis ajoute :
- Dis à Satine que je reviendrai vous voir et que demain, j'emménagerai dans une villa près de la plage de Fidjrossè.
- J'ai compris, Ricky.
Puis s'adressant à Sandra, elle ajoute.
- Je suis vraiment navrée que notre première rencontre s'achève ainsi. Je suis heureuse de t'avoir enfin rencontrée et j'espère que nous passerons beaucoup de temps ensemble.
- Bien sûr, madame. Avec grand plaisir !
- Appelle-moi, Vanessa.
- D'accord, Vanessa. A très bientôt !
Madame Vanessa fait la bise à Sandra et Richmond, puis les laisse à l'entrée du salon.
Par la fenêtre de sa chambre, Satine, le visage humecté de larmes, regarde le couple s'éloigner.