Chapitre 1 : Dans l’avion
Ecrit par Chrime Kouemo
- Ça va ? Pas trop stressée ? Demanda Anaïs en serrant la main de Solange par dessus la table.
Les deux amies étaient installées dans un des nombreux cafés du Terminal 2 de l’aéroport Charles de Gaulle. Solange avala sa bouchée de croissant chaud avant de lui répondre :
- Si un peu. Et comme si cela ne suffisait pas, j’ai rêvé de Cédric et Aurélie cette nuit
Anaïs haussa un sourcil interrogateur.
- J’ai revécu ma surprise ratée d’il y a dix ans.
- Hum…
Solange eut un sourire en coin. Son amie avait le don d’exprimer un tas de choses par une simple intonation de sa voix.
- Comme tu dis ! C’est très étrange d’autant plus que ça fait un bail que je n’ai plus pensé à eux
- Peut-être que ton esprit te prépare à les rencontrer ?
- Certainement… Yaoundé est une petite ville par bien des côtés. Je vais sûrement les croiser lors d’un événement d’anciens vogtois ou un truc du genre. Même si je voulais éviter ça, je ne le pourrai pas très longtemps, j’ai besoin de me faire une clientèle et quoi de mieux que les anciens camarades ?
- Tu l’as dit ! De toutes les façons, j’ai une pleine confiance en ton projet et je sais que tu vas le réussir
- Oh ! Merci Choupette, ça m’aide beaucoup. Toi même tu sais quelles périodes de doutes j’ai traversées pour en arriver là
- Je t’en prie. Et je ne dis pas seulement ça parce que tu es ma meilleure amie depuis le Collège, mais parce que je sais que tu es douée, que tu es une battante et que tu ne lâcheras pas l’affaire
Solange la remercia de nouveau d’un hochement de tête. Malgré les encouragements de son entourage et les affirmations qu’elle se répétait tous les jours lors de son rituel matinal, il lui arrivait encore de se demander si c’était le bon moment. Elle avait rêvé d’ouvrir un cabinet d’architecte conseil au pays dès sa première année d’études en France. Sa vie lui semblait alors toute tracée : elle obtiendrait son diplôme d’ingénieur architecte, travaillerait deux ou trois ans question d’avoir un peu d’expérience, puis retournerait vivre au Cameroun avec Cédric, ils se marieraient et auraient trois enfants. Cependant, les choses ne s’étaient pas déroulées comme prévu. Cédric l’avait larguée pour Aurélie Boun, s’était marié avec elle et ils avaient maintenant deux enfants aux dernières nouvelles.
Soupirant, elle vida sa tasse de café d’un trait et se leva. Il était déjà temps de partir.
- Tu vas me manquer , dit-elle à Anaïs en la prenant dans ses bras, les yeux s’embuant de larmes alors qu’elles arrivaient près de la porte d’embarquement.
- Toi aussi tu vas me manquer. Ça me fera bizarre de ne plus pouvoir te voir quand l’envie m’en prend. Heureusement qu’il y'a WhatsApp, on pourra toujours s’appeler tous les jours
- Oui, c’est clair.
- Et surtout, ne pense plus à cet idiot de Serge, il n’en vaut vraiment pas la peine. Si tu sens que tu as le blues, tu m’appelles, ok ?
Serge, son ex, comme pour venir ébranler sa confiance en elle, l’avait appelée deux jours plus tôt pour prendre de ses nouvelles avait-il dit. Il avait appris qu’elle rentrait définitivement au pays et voulait lui souhaiter bonne chance. Quelle blague ! Sans la débâcle de sa relation avec lui, elle ne serait pas entrain de rentrer au pays sans mari, ni enfants, et à avoir l’impression de recommencer sa vie à trente cinq ans.
Chassant ces pensées sombres de son esprit, elle serra une dernière fois son amie dans ses bras :
- Ne t’inquiète pas. Tu sais que je ne suis pas du genre à garder les choses qui me tracassent pour moi.
- Oui, je sais. Fais bon voyage ma chérie et fais moi signe des que tu arrives. Love you
- Je t’aime aussi. Embrasse les loulous et Ben
Elle lui fit un dernier signe de la main, puis son tirant son trolley de la main gauche, se dirigea vers la porte d’embarquement.
Solange s’étira en baillant sur son siège situé coté hublot, son préféré. La courte nuit qu’elle avait passée commençait à se faire ressentir. Elle n’en revenait pas d’avoir rêvé de Cédric et sa pimbêche après tout ce temps.
Elle avait mis beaucoup de temps à se remettre de la trahison de son premier grand amour. Plus de trois ans, durant lesquels, elle avait tenu la gent masculine à distance. Ses amies et sa grande sœur s’évertuaient à la raisonner, lui présenter des gens, mais rien n’y faisait. Puis, elle avait fait la connaissance de Serge Abah, un togolais. C’était un gars simple, posé, un peu ringard sur les bords. Il lui avait fait une cour assidue pendant plusieurs mois avant qu’elle ne lui accorde une chance. Elle n’était pas vraiment amoureuse de lui au départ, mais c’était venu au fil du temps.
La voix du commandant de bord annonçant un retard de trente minutes à cause d’une correspondance venant des États Unis, interrompit le fil de ses pensées. Bon, elle ferait mieux de se reposer un peu. Avec un peu de chances, elle ne rêverait ni de Serge, ni de Cédric.
Étalant la couverture polaire fourni par la compagnie aérienne, elle trouva une position confortable et la tête posée contre le hublot, ferma les yeux. Cinq minutes plus tard, elle les rouvrit. Le sommeil semblait la fuir. Prenant ses écouteurs, elle les clipsa à ses oreilles et ouvrit un livre numérique sur sa tablette, une bonne romance comme elle les aimait. Rien de mieux pour s’évader.
Elle sursauta quand elle sentit un tapotement sur son épaule. Levant les yeux, elle vit un jeune homme, la trentaine environ, grand de taille et baraqué. Son blouson de cuir marron foncé de style aviateur renforçait son allure de footballeur américain. La masculinité brute de son physique, était atténuée par le doux sourire qui étirait ses lèvres.
- Oui ? Fit-elle à son adresse, lui souriant en retour
- Je crois que vous êtes assise à ma place, dit-il d’une voix grave
- Je ne crois pas, rétorqua t’elle légèrement amusée
Elle avait bien vérifié avant de s’asseoir. Ça devait être une manœuvre pour l’approcher.
Il sortit le billet de la poche intérieur de sa veste et le lui tendit.
- Tenez, regardez. Vous êtes assise au 25-E, comme sur mon billet.
Un brin agacée par son insistance, elle sortit son billet de son sac à main et oh… elle était effectivement assise sur le mauvais siège.
- Oh… Je suis désolée, c’est vous qui avez raison
Mortifiée, elle se pencha pour récupérer son sac et se leva.
- C’est bon, vous pouvez rester, dit-il.
- Vous êtes sûr ? Insista t’elle. Ça ne me dérange pas de prendre ma place.
- Non, il n’y a pas de problème
- Bon, merci bien …
- De rien
Elle se rassit, l’observant à la dérobée ranger sa veste dans le compartiment à bagages à main.
Une fois installé, il sortir une tablette de sa pochette en cuir et se mit à pianoter dessus sans plus lui accorder d’attention.
- Vous êtes fâché contre moi ? Demanda t’elle
- Non ! Pourquoi cette question ?
- Je ne sais pas… Vous m’avez peut être laissé votre place de mauvaise grâce
- Non, ne vous en faites pas pour ça. Si je ne voulais pas vous la laisser, je ne l’aurais pas fait.
- Hum… Je m’appelle Solange, se présenta t’elle en lui tendant la main
- Enchanté. Moi, c'est Cham
Sa main était gigantesque comparée à la sienne, recouvrant ses doigts en entier.
- Ah ! C’est un diminutif ? Fit-elle, curieuse
- Oui, confirma t’il d’un ton laconique
- De ?
- Je ne vous le donnerai pas, fit-il en souriant.
- Ah ! Vous n’êtes pas à l’aise avec ça.
Il haussa les épaules sans répondre et la regarda longtemps, avec un petit sourire en coin.
- Bien… Cham, je vais te laisser travailler alors … ça ne te dérange pas si je te tutoie ?
- Non, pas du tout
Elle ralluma son iPad et se replongea dans son livre. Quelques minutes plus tard, le commandant de bord annonça le décollage. Elle regarda par le hublot la piste d’atterrissage et ne put s’empêcher d’être un peu mélancolique à l’idée de quitter définitivement cette ville où elle avait passé dix sept ans de sa vie. Elle avait bien sûr hâte de se réinstaller au Cameroun, c’était son rêve depuis toujours, mais elle s’était toujours imaginé que ce serait dans des circonstances différentes. Elle n’avait jamais été du genre à s’apitoyer sur son sort, mais son dernier coup dur amoureux l’avait sérieusement ébranlée. Elle avait pourtant cru après l’échec de sa relation avec Cédric, être en quelque sorte immunisée contre les grandes peines sentimentales. La rupture avec Serge avait été encore plus brutale et plus humiliante. Elle n’avait rien vu venir. Pendant des mois, elle avait erré telle une âme en peine dans son appartement. Seules ses proches amies Anaïs et Ingrid, et sa grande sœur, parvenaient à l’avoir. Elle était lasse de tout. Sa vie professionnelle ne lui apportait plus assez de challenges, et son rêve de vie familiale venait de s’évaporer une fois de plus. Après sa traversée du désert, la décision de retourner au pays lui était apparue comme le meilleur moyen de rompre avec le morne qu’était devenue sa vie. Elle avait ressorti des cartons ses ébauches de projet d’entreprise qu’elle avait du temps de Cédric et qu’elle avait abandonnées. Avec l’aide d’Ingrid, sa camarade de classe en école polytechnique, qui était aussi une ingénieure architecte comme elle, elle avait peaufiné son projet. Son amie était d’ailleurs devenue son associée quelques temps après.
Le projet, entièrement rédigé et le business plan établi, elle en avait parlé à ses parents. Ils s’étaient montrés enthousiastes à l’idée qu’elle revienne vivre au bled. Elle avait ensuite négocié une rupture conventionnelle avec son entreprise et s’en était sortie avec un joli pécule qui additionné à ses économies pouvaient lui permettre de vivre pendant au moins un an au pays, sans compter les revenus de ses allocations chômage. Les événements s’étaient enchaînés rapidement après : mise en location de son appartement, achat de matériel de bureautique, rapatriement des affaires par une entreprise de fret maritime… En six mois, elle avait géré les choses comme un vrai chef et elle en était fière.
Maintenant, il s’agissait de se trouver une clientèle. Elle avait déjà quelques pistes via ses parents. Une amie de sa mère lui avait confié la construction de son ecole maternelle. Elle espérait que les autres se débloqueraient rapidement.
***
Cham avait du mal à se concentrer sur les lettres et chiffres qui s’affichaient sur son écran. La présence du petit bout de femme assise à sa droite le troublait plus qu’il n’aurait voulu l’admettre. Elle avait l’air sophistiquée et très sure d’elle avec sa coupe courte. La vidéo d’une série sur sa tablette semblait l’accaparer tout entière. Il reconnut sur l’écran les acteurs de la série Greenleaf qu’il regardait pendant ses rares moments de loisirs.
Au moment où il fermait son ordinateur portable, une hôtesse habillée aux couleurs du logo Air France et arborant chignon si serré qu’il lui bridait les yeux, s’approcha d’eux.
- Monsieur, fit-Elle se penchant vers lui, un sourire aux lèvres, avez-vous choisi votre plat ? Viande ou poisson ?
- Viande, répondit-il
- Madame ? Demanda l’hôtesse en s’adressant à sa voisine
La jeune femme complètement absorbée par sa vidéo ne broncha pas. Cham passa une main devant ses yeux. Elle leva enfin la tête, ôta ses écouteurs et répondit à l’hôtesse.
- J’ai vu que tu regardais Greenleaf, commença t’il pour relancer la conversation. Tu aimes bien ?
- J’adoooore, acquiesça t’elle avec emphase. Et toi ?
- Oui, j’aime bien aussi. Je la regarde à mes heures perdues. Tu en es à quelle saison ?
- Saison 2 et toi ?
- Je viens juste de commencer la trois. J’ai du lever un peu le pied à cause du taf
- Ah ! Et tu bosses dans quoi ? Le questionna t’elle tout en rangeant sa tablette et ses écouteurs, faisant bouger ses grandes créoles couleur argent
- En ingénierie informatique. Mon ami et moi avons monté une boite qui met en place des programmes, solutions et logiciels pour les entreprises
- C’est génial ! Et vous êtes basés où ?
- Principalement au Cameroun, mais nous avons commencé notre activité aux États Unis, et en France
Solange hocha la tête, impressionnée.
- Ah ! Tu as donc vécu en France ?
- Non, c’est mon ami et associé qui y a grandi. Moi, j'étais aux États Unis avant de retourner au pays.
- Depuis combien de temps ?
- Déjà un an. Et toi, tu fais quoi dans la vie ?
- Eh bien, je suis ingénieure architecte et je rentre m’installer au pays pour y monter mon cabinet.
- Oh… Great ! Je trouve ça bien que de plus en plus d’anciens expatriés reviennent au Mboa pour y vivre. Le Cameroun et tous les autres pays d’Afrique en ont grandement besoin. Et sinon, tu as vécu combien de temps en France ?
- Dix sept ans. Ça fait long hein ? Ajouta t’elle
- Oui, pareil pour moi aux States. Tu as déjà une carte de visite ou un truc du genre ? Je vais parler de ton projet autour de moi.
- Oh… Merci. J’ai malheureusement fait la bêtise de mettre mes cartes dans mon bagage en soute, mais je vais te donner mes coordonnées.
Elle sortit un petit carnet dans son sac et y griffonna son adresse mail et son numéro de téléphone. Elle déchira ensuite la petite feuille qu’elle lui tendit. Il la prit et la glissa dans le revers de sa veste.
***
Le trajet en avion passa comme une flèche. Cham était vraiment d’une excellente compagnie. Il était très sympa quoiqu'un peu réservé, et pour ne rien gâcher, pas mal du tout à regarder. Le parfait tracé de ses cheveux coupés à ras dégageait son front altier, ses mâchoires étaient mises en valeur par une barbe taillée avec précision. Bon… ce n’était pas son type de mec à la base. Son genre a elle, était plutôt le style basketteur, un peu comme … stop ! Décidément son rêve de ce matin, n’avait pas encore fini de la perturber.
- Au fait, ta boîte se trouve où ? À Yaoundé ou à Douala ? Lui demanda t’elle quand l’avion amorça sa descente dans la capitale économique
- Yaoundé. C’est vrai que Douala est la ville des affaires, mais je voulais être plus proche de ma famille, surtout de ma mère.
- Ah ! S’exclama t’elle avec un petit sourire en coin
- Hé ! Je vois ton sourire hein ? Dit-il, faussement menaçant.
Elle s’esclaffa et il la suivit.
- je te taquine, mais tu as raison. Moi-même, après avoir passé autant de temps loin des miens, ça me ferait bizarre d’être au pays sans avoir l’opportunité de les voir quand bon me semble
Il acquiesça, puis reprit :
- Ça me fait faire pas mal de déplacements puisque j’ai plus de clients à Douala pour l’instant, mais je préfère. Et puis, ayant grandi à Yaoundé, j’y ai un attachement particulier, alors que Douala, même si c’est une ville d’opportunités, j’ai un peu de mal à m’y faire humainement parlant.
- Ouais, je vois ce que tu veux dire.
L’avion se posa en douceur sur le tarmac de Nsimalen. Malgré l’air pressurisé de la cabine, Solange ressentait la moiteur du mois de janvier. Exit les pulls et les manteaux, elle allait pouvoir profiter de ses tenues d’été. Elle rangea ses affaires dans son sac qu’elle avait récupéré sous le siège. Autour d’elle, les passagers Blancs s’étaient déjà levés, s’empressant de récupérer leurs affaires dans le coffre à bagages à mains. Elle sourit intérieurement, cela lui rappelait les transports en commun parisiens où des fois, à peine le train ou le métro arrêté, les gens faisaient déjà des jeux de coude pour entrer ou sortir.
Cham lui proposa de descendre son bagage. Elle le remercia en lui indiquant où se trouvait son trolley noir. Ils entraient à peine dans le tunnel qu’elle fut assaillie par une chaleur sans nom. Son compagnon de voyage défit un autre bouton de sa chemise, et elle fut à nouveau impressionnée par sa carrure. Il dépassait d’une bonne tête la plupart des voyageurs qui se mettaient file devant le guichet des contrôles des passeports.
Il la suivit quand elle se dirigea vers le guichet des passeports étrangers. Il devait avoir acquis une autre nationalité tout comme elle. Elle avait toujours trouvé absurde que la double nationalité ne soit autorisée que par décret et à une poignée de privilégiés au Cameroun, alors que d’autres pays en faisaient une richesse.
Elle tendit ses documents de voyage à la femme assise derrière le comptoir avec un visage aussi accueillant qu’une porte de prison. L’éclairage blafard des néons suspendus au plafond ne rendait pas justice à son tissage de couleur acajou. La dame la scruta d’un regard mauvais avant d’apposer un tampon sur son passeport. Heureusement qu’elle était à jour de ses vaccinations, il n’y avait aucun moyen de la racketter là dessus. Quand ce fut au tour de Cham, elle vit le visage de la dame s’éclairer brusquement. Elle haussa les yeux au ciel. Les femmes hein ?!!
Curieusement, leurs bagages à Cham et elle arrivèrent presque au même moment sur le tapis roulant. En bon gentleman, il était allé lui prendre un caddie la dispensant des discussions qui pouvaient s’avérer longues avec les jeunes garçons qui les confisquaient.
- Qui vient te chercher ? Demanda t’il alors qu’ils sortaient de l’espace aéroportuaire sans être arrêtés par le contrôle douanier
- Ma mère et ma petite sœur, répondit-elle en jetant un regard autour d’elle
Elle avait à peine fini sa phrase qu’une jeune femme héla Cham. Il se retourna en direction de la voix. L’instant d’après, la femme se jetait sur lui et l’embrassait à pleine bouche. Une petite fille était accrochée à sa main et ne loupait rien du spectacle.
- Hum… fit Cham quand la femme plantureuse au teint jaune banane détacha enfin sa bouche de la sienne.
Solange restait là interdite, tandis qu’elle lisait de la confusion dans les yeux du jeune homme.
- Papa ! S’écria au même moment la fillette, lâchant la main de sa mère pour agripper Cham par les jambes.