Chapitre 2 : Retour à la maison

Ecrit par Chrime Kouemo


Solange en avait assez vu. Elle était de trop dans cette scène de retrouvailles familiales. 

- Bon… Cham, dit-elle en se raclant la gorge. A bientôt ! 

Et regardant la jeune femme accrochée à son bras :

- Bonne soirée à vous. 

Puis elle fila sans demander son reste. Apercevant sa mère et sa sœur non loin du bureau Air France, elle pilota son caddie d’une main en leur faisant signe de l’autre. 

- Bienvenue oh ma chérie ! L’accueillant sa mère en la serrant à l’étouffée contre sa poitrine généreuse que la génétique lui avait refusée

Sa sœur la prit dans ses bras aussi, et elles restèrent longtemps dans les bras l’une de l’autre. 

- Hé ! Tu as coupé tes longs cheveux là ? S’exclama sa sœur 

- Comme tu vois ! J’avais besoin de changer de tête

- En tout cas, ça te va bien hein !

- Merci 

Sa sœur lui prit le chariot des mains, et bras dessus bras dessous avec sa mère, elles sortirent du terminal. 


- Ah! Ma fille, tu ne peux pas savoir comment je suis fière de toi ! La complimenta sa mère tout en regardant autour d’elle avant de s’insérer dans la circulation dense de la sortie du parking de l’aéroport. 

- Ikiii ! La fille de quelqu’un oh ! On va faire comment ? Ajouta Sorelle, assise sur la banquette arrière de la vieille Mercedes de sa mère. 

- Pardon, dépose moi hein ? La menaça t’elle gentiment en se tournant pour lui tirer la langue.  Tu as laissé mes neveux à qui  au fait ?

- A leur père non ?! Il se faisait un peu tard pour les ramener avec moi, malgré le fait qu’ils étaient très excités de revoir leur Tati de Mbeng

- La Tati de Mbeng est maintenant la Tati du Cameroun, corrigea t’elle en souriant 

- C’est clair ! Welcome back sista !

- Amen sur ça ! Conclut sa mère. 


Le trajet jusqu’à leur domicile à Maison Blanche se passa dans les derniers potins de la famille racontés par sa mère et les blagues de sa sœur. Solange était contente d’avoir pu garder cette complicité avec sa mère et sa sœur  malgré la distance. Distance, qui lui avait fait perdre pas mal d’amis, d’autant plus que ceux-ci ne faisaient pas partie des plus proches qui pour la plupart avaient quitté le Cameroun, à l'exception de Cédric. Après dix sept ans d’absence donc, il ne lui restait plus que des camarades de classe de son ancien collège avec qui elle entretenait de vagues rapports et qu'elle croisait de temps à autre lors des rencontres d’anciens élèves. 

Quand sa sœur descendit ouvrir le grand portail noir de la maison familiale, une vague de bonheur la saisit. Elle était vraiment de retour chez elle et pour de bon. Elle ne savait pas encore ce que l’avenir lui réservait, mais elle était confiante. 

Son père l’attendait sur le seuil de la porte et ouvrit grand ses bras dans lesquels elle se jeta spontanément. Il avait une excellente mine et gardait l’allure athlétique qu’elle lui connaissait depuis toujours malgré ses 68 ans. Rigobert Diefe était un homme soucieux de son apparence et prenait grand soin de lui; il pratiquait la course à pied, mangeait sainement et buvait très peu contrairement à la majorité des hommes de son âge. Ancien directeur au ministère de l’urbanisme et des travaux publics, c’était de lui qu’elle tenait son amour pour les métiers de la construction. Elle était sa digne successeur comme il aimait à le dire quand elle était plus jeune. Ils avaient été très proches, très liés, jusqu'à la fin de son adolescence. Tout avait volé en éclats quand elle avait découvert dans le bureau de son père situé dans la dépendance à l’arrière de la maison, les photos de son mariage avec une autre femme. Sa mère avait commencé par tourner autour du pot quand elle était allée lui demander des explications. Sur l’insistance de Solange et Sandrine sa grande soeur, elle avait fini par cracher le morceau. Son père s’était remarié illégalement un an après son mariage avec leur mère, avec une femme qu’il fréquentait bien avant de connaître leur génitrice. C’était leur feue tante Claudette, la grande sœur à leur père, qui lui avait appris la nouvelle. Jeanne Diefe avait décidé de quitter son mari sur le champ. Son père s’était répandu en excuses et avait fini par la convaincre de rester, puis avec son aide, avait fait annuler son second mariage. De cette union était né un garçon qui vivait en Italie aux dernières nouvelles. Son père ne s’était pas arrêté à cette seule incartade. Sa curiosité aiguisée suite à sa première découverte, elle s’était mise à fouiller de fond en comble le bureau de son père. Ce qu’elle y avait trouvé avait fait chuter dans son estime celui qu’elle portait aux nues et citait comme modèle à qui voulait l’entendre. Rigobert Diefe était un coureur de jupons invétéré qui multipliait les aventures extra conjugales dont au moins trois enfants étaient le fruit. 

- Ma Soso est de retour ! S’exclama t’il le visage barré d’un grand sourire en la tenant à bout de bras. Bienvenue, ma fille !

- Merci papa !

- Hum… ta coupe de cheveux là te rajeunit hein ? On ne te donnerait même pas vingt-cinq ans 

- Et toujours aussi flatteur, le taquina t’elle

La prenant par la taille, il se dirigea vers la salle à manger où le buffet avait été dressé comme lors des fêtes de fin d’année. 

- Oh ! Maman, il ne fallait pas, c’est trop, dit-elle en se tournant vers sa mère 

- Comment ça il ne fallait pas ? Ma fille rentre au pays définitivement et je ne vais pas fêter ça comme il faut ? Répliqua sa mère 

- C’est quand même le retour de l’enfant prodige ou bien ? Fit son frère Steve émergeant de la cuisine 

Le ton était plein de sarcasme. 

- Même le grand Steve est là pour m’accueillir, c’est grave ! Ironisa t’elle en retour. 

Steve vint lui donner une accolade rapide avant de s’installer à table. 


L’ambiance dans la salle à manger était pesante malgré les efforts que faisaient les uns et les autres pour garder une certaine cordialité. Il en était ainsi à chaque fois que son père et son frère se retrouvait dans la même pièce. D’aussi loin qu’elle se souvenait, les deux hommes de sa famille avaient toujours eu des rapports tendus. Quand il était enfant, Steve agaçait son père par son agitation et son coté casse-cou. Rigobert n’avait alors de cesse de le comparer à ses sœurs qui elles étaient plus posées. A l’adolescence, l’attitude rebelle et les mauvaises fréquentations de Steve n’avaient pas arrangé les choses. Ne sachant plus par quel bout prendre ce fils qui n’en faisait qu’à sa tête, la distance entre le père et le fils s’était cristallisée. A chaque réunion de famille, son frère se réfugiait dans une attitude ouvertement provocante juste pour faire sortir le paternel de ses gonds. Son père, impuissant, rejetait sans cesse la faute sur leur mère, l’accusant d’avoir laissé trop de liberté dans l’éducation de leur fils, s’excluant d’office du processus. Le retour de son frère après un séjour de quinze ans en Belgique sans diplôme ni qualification avait sonné le glas de cette relation père-fils plus que conflictuelle. 

S’installant à table, Solange saliva à la vue des mets exposés. Sa mère avait préparé son plat préféré “kouakoukou” du macabo rapé avec la sauce d’arachide grillées et du poisson fumé. Faisant fi de la tension dans l’air, elle attaqua son assiette avec gourmandise en plongeant ses doigts dans la boule grise et légèrement collante. Elle retint de justesse un soupir de pur plaisir, c’était divin ! 

- Au fait, j’attends un enfant pour le mois de mai, lança son frère de but en blanc

Le bruit d’une fourchette chutant brutalement sur une assiette brisa le silence qui s’était installé. 

- Hum… grogna sa mère avant de tchiper longuement 

- Voila ce que ça donne quand éduque son fils avec laxisme : un vaurien faisant des enfants à droite à gauche alors qu’il n’a même pas de travail fixe, lâcha son père en fusillant son frère et sa mère du regard. 

Solange se raidit sous les propos désobligeants de son père. 

- Et bien évidemment, je suis la seule et unique responsable de cette éducation laxiste. Tu n’y es pour rien n’est ce pas ? Interrogea sa mère d’un ton blessé. 

- Tais-toi ! Éructa Rigobert Diefe

Steve continuait d’afficher un air délibérément provocateur, un rictus se dessinant sur ses lèvres épaisses noircies par la consommation de tabac. Sorelle quant à elle avait le nez plongé dans son assiette, la regardant comme si elle avait le pouvoir de l’engloutir. 

- C’est vrai que traiter ton fils de vaurien depuis vingt ans l’a grandement aidé à être un homme responsable, répliqua froidement Solange, s’essuyant le bout des doigts avec sa serviette en papier. 

- A qui est-ce que tu parles comme ça ? cria son père reportant son regard courroucé vers elle. 

- Solange ! L’interpella sa mère alors qu’elle s’apprêtait à répondre. Ne défie pas ton père !

S’exhortant au calme, elle but une gorgée de son verre d’eau. Elle jeta un regard exaspéré à son frère qui poursuivait son repas tranquillement, léchant ses doigts dégoulinants de sauce. Il avait vraiment l’air de s’en foutre pas mal d’avoir balancé une nouvelle pareille de façon aussi désinvolte. 

Cela ne changerait donc jamais ! Sa mère se laisserait toujours écraser par son père, en femme soumise qu’elle était. Elle ne s’était jamais rebellée contre son mari même quand celui-ci lui manquait totalement de respect et la traitait comme une serpillère. La seule fois où elle avait vu sa mère lui tenir tête, c’était quand il avait voulu lui interdire de fréquenter l’église réveillée où elle venait d’adhérer. 

Le repas s’acheva comme il avait commencé, dans un climat de tension extrême. Son père comme à chaque fois que quelqu'un s’opposait à lui, ne lui avait plus adressé la parole durant tout le dîner. Après le dessert, Sorelle s’était éclipsée rapidement. Son mari et elle vivaient non loin de la maison familiale, à Rond Point express. 

Affalée toute habillée sur le lit de son ancienne chambre d’adolescente, Solange scrutait le plafond. Tout d'un coup, la fatigue du voyage s’abattait sur elle. Elle n’avait même plus la force de se changer pour se mettre en pyjama. 

Quelques travaux de rafraîchissement avaient été entrepris. Les murs anciennement roses et encombrés des posters de ses stars préférées de l’époque étaient désormais beiges. Un grand lit double remplaçait le lit simple de l’époque. Après son départ du pays, plusieurs cousines avaient séjourné dans sa chambre; elle prenait donc systématiquement la chambre d’amis quand elle venait. 

Des demain, elle se mettrait à la recherche d’un appartement. Elle se voyait difficilement vivre sous le même toit que son père; leurs vieilles querelles ne feraient que remonter à la surface, un peu comme tout à l'heure, et elle finirait par peter un câble. Sa mère serait certainement triste, mais c’était la chose à faire. Elle repensa à Cham, à son sourire doux et à sa façon de la regarder, puis secoua la tête : les hommes étaient bien décidément tous les mêmes ! 

***

- Bonne nuit sweetheart, souffla Cham en faisant un dernier bisous à sa fille avant de se lever et de refermer doucement la porte.

Carole l’attendait dans le couloir, la longue tresse de son tissage reposant sur sa poitrine voluptueuse savamment mise en valeur dans son caraco bordé de dentelle.

- Tu lui as vraiment beaucoup manqué. Elle avait hâte de te voir 

- Ce n’était pas une raison pour la trimballer avec toi jusqu'à l’aéroport à une heure aussi tardive. D’ailleurs, pourquoi es tu venue me chercher ? J’avais déjà tout prévu avec Paulin

Paulin était son chauffeur de taxi privé. 

- Tu ne crois pas que j’avais aussi envie de te voir ? Répondit-elle en minaudant et s’approchant de lui pour lui toucher le bras 

- Je t’ai dit que je voulais qu’on y aille doucement 

- C’est quel genre de doucement que tu veux ? Avant ton depart, on a fait l’amour, ça ne compte pas ? Demanda t’elle en croisant les bras faisant remonter ses seins.  

Cham soupira en passant la main sur son crâne. Carole avait décidé de sortir le grand jeu. 

- Ce n’est pas ce que j’ai dit, répliqua t’il en détournant le regard des charmes exposés à sa vue. Je ne veux juste pas précipiter les choses. J’ai encore besoin de temps pour te refaire à nouveau confiance. 

- Ok… J’ai fait à manger si tu as faim

- Merci

Elle passa devant lui pour regagner le salon. Il entendit le bruit de la télé qu’elle avait allumée. 

Bon… une douche froide par cette chaleur lui ferait le plus grand bien et l’aiderait à avoir les idées plus claires. 


***

Carole zappait les chaînes sans s’attarder sur les programmes proposés. Elle ne savait plus quoi faire avec la tête de mule irascible qu’était le père de sa fille. Monsieur voulait encore qu’ils aillent lentement alors que ça faisait presque trois ans que leur histoire était en stand by. Elle avait pourtant cru que les choses iraient mieux étant donné qu’ils avaient refait l’amour. Et puis il l’avait appelée plusieurs fois pendant son séjour en Europe. Malgré ça, il avait encore des hésitations. D’accord, elle avait ndem, mais il pouvait passer l’éponge quand même non ? De toutes les façons, il était hors de question qu’elle le laisse lui filer entre ses doigts. Il était à elle, et à personne d’autre ! 

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