CHAPITRE 1 : J'Y CROIS TOUJOURS !
Ecrit par Akagami
COMMENCEMENT :
Je ne sais plus exactement depuis combien de temps je marche. Une demi-heure ? Une heure ? Un quart d’heure ?...Je suis incapable de répondre objectivement à cette question. A quoi bon d’ailleurs ? Il y a plus urgent. Il est deux heures du matin passées. Des frissons me parcourent le corps jusqu’à présent. Une légère brise vient me caresser la joue. Les chiens aboient à ma vue. Je ne sais pas où je vais. L’adage selon lequel lorsque l’on ne sait pas où l’on va, il faut se souvenir de là où l’on vient prend tout son sens. Pourtant il y a quelques minutes de cela, ma vie suivait son train-train habituel. Il a suffi d’un coup de fil, un simple !et me voilà à la rue à la recherche d’un abri. Avant de pouvoir vous révéler les dessous de cette sinistre marche nocturne, laissez-moi le temps de me mettre à l’abri pour la nuit. Demain, lorsque je retrouverai mes esprits, je lèverai le rideau sur une partie de mon existence. Vous serez au courant de non seulement de mes agissements mais aussi de ceux de mes proches. Ne soyez pas trop durs avec nous. Votre vie n’est pas parfaite non plus. La nuit, tout le monde ne s’endort pas de la même façon…
Hélas pas de toit à perte de vue. Comment vais-je faire bon sang ? Pas de famille non plus à squatter. Bof…. A quoi bon d’ailleurs ? Personne n’oserait m’ouvrir la porte. Soudain j’aperçois une lueur…C’est drôle pas vrai ? C’est au moment où l’on s’attend le moins à une chose qu’elle se produit. J’espère uniquement que cela se déroulera comme dans les films hollywoodiens, avec une fin heureuse, bien entendu. C’est un cercueil roulant qui s’approche de moi. Le conducteur à l’air épuisé, alors je lui fais signe de la main. Il ne semble pas se soucier de ma personne. Mais je persiste. Je lève les bras et fais carrément de grands gestes et soudain l’envie me prend de me placer au bon milieu de la chaussée. De cette façon, il ne pourrait pas me rater. C’est ma seule chance de m’en sortir. Faut que je la saisisse à tout prix. Je remarque qu’il rétrograde et me manque de justesse avant de freiner juste à côté. Il n’est pas très âgé, mais il est doté d’un physique hors norme par la nature.
-Bonsoir Monsieur ai-je dit. Pas de réponse. Il s’approche tout lentement vers moi en ne prenant pas le soin de refermer sa portière.
-C’est pas un endroit pour les nerds. A-t-il commencé par dire. Qu’est-ce que le grand Monsieur (tout en faisant la courbette) ZAFIMOR cherche ici à cette heure tardive ?
-Ma voiture a eu une petite panne alors j’ai décidé de poursuivre la route sans elle, ai-je menti…
Sans me laisser le temps de lui demander de me rendre service, il me planta une balle en plein milieu du crâne.
Ma montre indiquait 03h07mn09s et c’est à cet instant précis que je venais de prendre définitivement rendez-vous avec mon destin.
PARTIE 1 :
Mon nom est Hitars ZAFIMOR (vous l’avez sûrement remarqué ou fait la liaison) et le Sieur qui s’est fait éliminer le 6 Juin est bel et bien mon père, enfin je crois. Où peut-être moi-même.
Né en 1956, Clayfe avait toutes les cartes en main pour mener une vie loin des strass et paillettes. Fils unique, il vit le jour à Dakar. Mulâtre, il vivait les préjugés au quotidien sans broncher. Son physique ne lui permettait pas non plus de riposter. Souvent, un courage soudain lui permettait de tenir tête aux gosses qui lui rabâchaient les oreilles avec leurs « le petit blanc » ; mais lorsque cela se produisait, on lui refaisait promptement le portrait. Son père était agent de sécurité au port. Sa mère quant à elle, le voile ne sera levé sur son identité que lorsqu’il franchira sa majorité.
Nous sommes en pleine saison pluvieuse de l’an 1955. Ibris vient de finir sa garde. Depuis quelques temps, il passe du temps au domicile de Madame Yvonne MAISONS. Le poste d’agent de sécurité lui conférait le titre de majordome au service des différents agents du gouvernorat. Mme MAISONS n’était pas particulièrement ce qu’on appellerait une beauté divine mais disons qu’elle avait son charme propre à elle. La bonne blague… Son mari ne ménageait aucun effort afin de profiter de la soumission qu’il exerçait sur sa femme pour pouvoir flirter en toute liberté et sans arrière-pensée avec tout ce qui bougeait. Certains lui octroyaient des nuits en compagnie d’une poignée de filles. Il faut croire qu’il n’y allait pas avec le dos de la cuillère. Sacré veinard !
Mais pour le peu qu’on lui connaissait, il ne fuguait pas. Néanmoins depuis un mois, il ne faisait plus signe de vie. Sa femme déprimait et dépérissait considérablement. Lorsqu’elle s’était rendue au service de son mari, on lui a fait comprendre qu’il était en mission à Kaolack (une région située au Sud-Est de Dakar). Paradoxalement, cela ne la rassurait pas. Elle était mariée avec lui assez longtemps pour comprendre qu’il ne s’agissait pas d’une mission ordinaire. Marié à la hâte, parce que la jeune Yvonne était tombée enceinte, le jeune couple part s’installer à Dakar. Georges MAISONS venait d’y décrocher son poste en qualité de gestionnaire des cargaisons au port. Comme tout début de mariage, ils connurent des jours très heureux. Tout semblait rose. Georges ne tardait jamais après le boulot. Il s’occupait de sa femme comme il se devait et même bien au-delà. Tout cela c’était bien avant que le jeune Georges (rappelons qu’il était à peine âgé de 27 ans) ne goûte à la « cuisine locale ». La fausse couche de sa femme n’arrangeait pas non plus les choses. Après l’annonce de la perte de leur enfant, il se contenta d’aller noyer son chagrin dans l’alcool avec quelques collègues de bureau. Ne prenant pas la peine, au passage, de soutenir sa femme dans cette épreuve difficile. Il se justifiera plus tard en ces termes « j’ai perdu mon héritier au moment où il était le plus proche de moi. Bon sang Yvonne, tu ne piges rien ? J’étais affecté, il me fallait me vider l’esprit… (Ce n’est d’ailleurs pas la seule chose qui fut vidée ce soir-là) » Yvonne quant à elle, garda sa réplique au fond de sa gorge. Elle aurait aimé bien lui sortir « As-tu juste une idée de la souffrance d’une femme qui accouche d’un mort-né ? Sombre bâtard. » Après s’être ingéré une bonne quantité d’alcool, il proposa un verre à une jeune fille qui n’arrêtait pas de le lorgner depuis le début de la soirée. Avec les acclamations de ses amis, il alla s’asseoir auprès d’elle. C’était la première fois qu’il était si proche d’une noire. Il n’avait toujours eu d’yeux que pour Yvonne, sa tendre Yvonne… Mais maintenant, qu’il n’était séparé que de quelques centimètres de cette fille, il a réussi malgré la dominance de l’alcool, à remarquer ses traits. Elle dégageait un sex-appeal sans équivoque.
-Alors ma belle, comment se fait-il que tu sois assise seule à cette heure? A-t-il balbutié.
-Rien, j’attendais juste que tu te décides enfin à venir me parler. Lui lança-t-elle.
-Mais rien ne garantissait cela. Je pouvais tout aussi me bourrer la gueule et ensuite me barrer.
-Disons que j’ai ma petite idée sur les hommes désormais et en particulier ceux dans ton genre, lui rétorqua-t-elle. Et si on allait se changer les idées ? Je te trouve très tendu.
Mais avant qu’il ne puisse lui répondre, il sentit une vive douleur à la nuque. Elle lui foudroya tout le crâne. Il ouvrit avec peine les yeux et découvrit avec stupéfaction qu’il est allongé non pas à côté de la jeune demoiselle à la peau d’ébène mais plutôt à côté de « Ici repose en paix, Alain DUBOIS né en 1875 et mort en 1947 ». Comment s’était-il retrouvé ici ? Et plus important encore, où est-il ? Après avoir passé ses doigts sur sa nuque, il sentit une bosse. Le sang commençait à se coaguler. Il était salement amoché. Il parvint à se mettre sur ses jambes toutes frêles et avec toute la peine du monde, réussit à lire la pancarte située un peu plus loin et bien en évidence, « Cimetière français de Bel Air ». Il crut d’abord à une mauvaise blague mais la douleur ressentie au crâne lui ordonna de jeter cette hypothèse aux oubliettes. Il rassembla le peu d’énergie qui lui restait pour franchir la porte du cimetière. On le retrouvera étendu de tout son long à une vingtaine de pas de l’entrée principale, dès les premières lueurs du jour.
Yvonne était dans tous états lorsqu’on lui annonça la nouvelle. Heureusement pour Georges, il a été transféré à temps à l’hôpital et le médecin a pu lui prodiguer les premiers soins. Sa vie n’était plus menacée, certes mais sa dignité et son amour-propre, si.
Après qu’il ait quitté l’hôpital, il tenta vaille que vaille de reconstituer les évènements mais sans suite. Il fit chou blanc sur toute la ligne. Ses collègues lui affirmèrent à l’unanimité qu’ils n’étaient jamais sortis ensemble. Alors que se passait-il ? Ne mentaient-ils pas afin de se désengager de toute responsabilité ? Il eût du mal à relater les évènements aux services de sécurité. Un blanc qui se retrouve en pleine nuit dans un cimetière tout en étant dans un état pitoyable et pour clore le tout, dans une colonie française ; ce n’était pas un tableau éblouissant pour le gouvernorat. Alors, on lui accorda une poignée de jours en guise de congés mais cela n’enragea rien au décor. Il décida alors de traquer la jeune fille dont il se souvenait trait pour trait du visage. Yvonne quant à elle, restait toujours profondément marquée par la perte de son enfant. Georges devenait de plus en plus distant. Il se laissait aller dans les virées nocturnes. Toujours à la recherche de la jeune fille. Yvonne ne l’attirait plus. Il en parla à Antoine, un des rares, à croire à sa version des faits. Ce dernier lui conseilla de goûter à d’autres saveurs afin de retrouver son appétit sexuel pour sa femme.
-Il arrive souvent que dans un mariage on perde son appétit, c’est tout à fait normal. Avait-il commencé par lui dire.
-Pour de vrai ?lui rétorqua Georges.
-Tout à fait ! Pour contrer cela, il faut goûter à d’autres cuisines. Tu comprends où je veux en venir, n’est-ce pas? Je connais un endroit où tu auras le loisir de choisir. Si après ça, tu ne retrouves toujours pas d’attirance pour ta femme, nous devrons appliquer la manière forte.
C’est ainsi qu’il a commencé à fréquenter le maquis FIERTE. Là-bas, les soirées sont toujours joyeuses. Les ragots voltigent de part et d’autres. Les autochtones ont un goût très prononcé pour l’ambiance. Avec pour seul éclairage, une lampe accrochée au centre, on ne distinguait pas réellement les visages des personnes. Que vous soyez jaunes, verts ou gris, on ne vous reconnaitrait pas et en plus qui s’en soucierait déjà ? Une moitié est bourrée et l’autre est accaparée par les filles. C’est dans cet environnement que Georges revêtit pour la première fois son costume d’obsédé sexuel. De fil en aiguille, il finit par se faire une réputation à la FIERTE. Plus il en goûtait, plus il en voulait. Yvonne quant à elle, n’arrivait pas à satisfaire ses attentes. Il la jugeait fébrile et plate. Le couple MAISONS vivait dans ce cadre jusqu’à la disparition de Georges.
Ibris était chargé d’effectuer et d’apporter les courses de Madame MAISONS. Elle était tout le temps seule dans sa grande maison. S’il ne lui arrivait pas de fouetter les pages d’un carnet rougeâtre qu’elle tient frénétiquement entre ses mains alors elle enfile sa tenue de jardinière. Elle ne faisait plus énormément d’amis à cause de la réputation de son mari. Pourquoi ne l’avait-on pas viré depuis? Eh bien, parce que Georges était un homme brillant et se séparer de lui, constituait une énorme perte. Il élaborait des stratégies d’approvisionnement qui optimisait leur chiffre d’affaires. Alors on fermait les yeux sur sa vie sociale. Ibris rapportait les courses d’Yvonne et souvent, ils échangeaient quelques mots. Il fait partie des rares indigènes à manier avec aisance la langue de Molière et cela facilitait ses relations avec les ressortissants de la métropole. Yvonne préférait se passer de fille de ménage car elle souhaitait toujours avoir de quoi s’occuper et elle risquait de lui piquer son mari. Ces satanées nègresses avec leur pagne moulé et leurs déhanchés merdiques étaient les ingrédients nécessaires pour détourner le regard de Georges.
-Comment allez-vous Madame MAISONS ? lança-t-il dès le seuil du portail.
-Oh, Ibris, Je me porte du mieux possible ! Tout en lui souriant de ses belles dents. Et toi ? Tu me sembles de bonne humeur.
-Madame, pour tout vous dire, j’ai juste la joie de vivre. Il évita de lui demander des nouvelles de son mari. Ce n’était pas un sujet à aborder sans heurter les sentiments de la bonne dame.
-Tant mieux alors. Et au travail, tout se passe bien ?
-Absolument. Hormis la pluie qui s’invite souvent, tout baigne. Je n’oserai abuser davantage de votre hospitalité, alors je vais retourner. J’ai du boulot qui m’attend.
-Bien le bonsoir à vous alors. Lui dit-elle, sans cesser de sourire. Dans cette ville, il est important de ne point s’attarder seul dans une maison avec une blanche. Alors Ibris tourna les talons et vérifia qu’elle s’était éloignée ou du moins suffisamment afin de ne plus s’occuper de sa présence. La porte était bien fermée et à double tours d’ailleurs. Il se rappela les paroles de son féticheur « Tu seras davantage béni par les dieux lorsque tu auras un enfant. Veille bien à ce qu’il soit conçu avec une blanche. Il aura une bonne étoile et tu vivras dans l’abondance. » Alors il se déchaussa et sur la pointe des pieds, il franchit la porte du salon sans remarquer l’ombre qui se tenait tout juste à ses côtés. A pas feutrés, il avança dans la pénombre. Yvonne était peut-être gentille mais elle était douée pour reconnaitre les intentions de ses interlocuteurs. Depuis bientôt un bon moment, elle avait remarqué qu’Ibris la déshabillait des yeux. Alors sans rien dire, elle lui asséna un coup de toutes ses forces au dos à l’aide d’une bouteille vide de Vodka qui trainait comme par hasard sur la table. Ibris s’écroula sur le champ. Il hurla comme une bête mais arriva à se relever. Yvonne fonçait vers le portail en hurlant à tue-tête. Mais d’un bond, il la rattrapa. Il plaqua sa main sur sa fine bouche et la ramena dans la chambre. Il connaissait la maison par cœur étant donné qu’il y était en quelque sorte le majordome. Les hurlements finirent par se tasser. Ibris sortit de la maison une demi-heure plus tard. Il réédita son geste à maintes reprises. Yvonne finit par se laisser faire. C’est vrai ! A quoi bon refuser ? Elle n’avait rien à perdre. Personne ne croirait à ce qu’elle raconterait, vu la réputation de leur couple. Et contre toute attente, Ibris était un bon coup comme on le dit. Une sorte de divinité au pieu si on peut l’affirmer ainsi. Au fil du temps, ils étaient devenus des « amants ». Tant pis pour le pauvre Georges. Le temps passa. Toujours pas de Georges à l’horizon. Yvonne reprenait des couleurs. Cela se voyait. Au réveillon de Noël, Georges décida de réapparaitre. Il n’avait pas maigri, bien au contraire. Un embonpoint s’apercevait distinctement. Il attendit de faire la surprise à Yvonne. Elle s’était rendue à l’église. Posté dans le jardin et de façon à voir sans être vu, il contemplait les constellations. Il reconnut immédiatement le bonhomme d’Orion. Des rires finirent par lui parvenir. Depuis combien de temps n’avait-il pas entendu sa femme rire autant aux éclats ? Il ne s’en rappelait plus. Le plus important était de savoir avec qui. Les rumeurs étaient donc fondées ? Quand les deux silhouettes furent à sa hauteur, il se mit debout et ôta la sécurité de son automatique.
-Yvy d’amour ! C’est ainsi qu’il l’apostrophait lorsqu’il était de bonne humeur. Devine qui est de retour.