Chapitre 1 - Rencontre

Ecrit par NafissaVonTeese

 « Qu'est-ce que l'amour ? Le sentiment d'unité renforcé par les brisures. » Paulo Coelho

 

Assise à ma place habituelle dans le bus, et comme chaque soir, je regardais les passants, la tête appuyée contre la fenêtre. C’était le même scénario qui se répétait chaque soir : un vieil homme assis seul devant la porte de sa maison, des dames habillées du boubou traditionnel sénégalais et excessivement maquillées, et de temps à autre, comme ce soir là, un jeune couple qui se tenait discrètement la main en marchant lentement, comme s’ils souhaitent que cet instant dure à tout jamais. A chaque fois que mon regard croisait ces couples qui osaient se tenir la main sans s’inquiéter de ce que les gens en diraient dans les rues d'une ville réputée pudique tant que le soleil brillait au dessus d’elle, je repensais à cette définition de l'amour «le sentiment d'unité renforcé par les brisures».

 

Tout le monde aimait parler de l’amour, le décrivait comme étant magique, alors que d’autres le peignaient comme la pire des choses qui leur soient arrivées. Moi, j’en étais toujours à me demander ce que c’était l’amour, le vrai, le pure qui avait nul besoin d’être proclamé, celui qui  donnait et recevait naturellement sans rien avoir à réclamer ou quémander. A un moment de ma vie, j'y avais cru. Je rêvais du grand et parfait amour, du bonheur éternel issu d’une rencontre hasardeuse de deux être totalement différents mais qui s’ouvraient à l’apprentissage de l’autre, à l’apprentissage de l’amour. Tout autour de moi suggérait que le bonheur et l’épanouissement personnel étaient sur la route de tous les hommes, comme si une force supérieure faisait tout pour faire durer l’illusion et la promesse d’une vie parfaitement tracée avant  de tout arracher en une seconde. Elle l’avait faite. La force supérieure et maléfique avait attendu le bon moment pour frapper et elle avait su frapper avec surprise et brutalité, avant de me révéler qu’elle n’était qu’un marchand de rêves, et que le seul sentiment qui méritait une place sans mon cœur était la haine. Car oui, elle savait faire mal mais poussait aussi à surpasser ses limites et aidait à atteindre des objectifs plus que déraisonnables.

 

Des années étaient passées et ce jour là, à seulement 22 ans, j'avais l'impression d'avoir vécu plusieurs vies, celles des gens que j’avais rencontrée, des inconnues dans le bus, mais aussi celles de ceux que je regardais chaque soir à travers la vitre du bus. Pas une seule fois j’avais pu ressentir un quelconque sentiment de paix intérieure. Je savais que la vie ne s’était pas donnée la peine de me faire un seul, rien qu’un seul cadeau sans me l’avoir ensuite arrachée des mains, mais je savais tout aussi bien que j’étais désormais maîtresse de mon destin et de celui des personnes sur la liste que j’avais griffonnée il y’avait déjà 3 ans, pliée en 4 dans la poche de mon jean Levis bleu délavé qui l’usait, jour après jour. Comment est-ce que la vie avait pu me laisser en arriver là?

Je regardais les passants et imaginait la vie qu’ils devaient mener pour ne pas avoir à penser à la mienne. Mais comme chaque soir, l’inévitable finissait par arriver, je finissais par me repasser en mémoire les sept dernières années passées dans un tunnel à avancer dans le noir, sans jamais voir la sortie.

Le regard froid d'une petite fille me sortit brutalement de mes pensées. Elle se tenait debout sur le trottoir, à l’arrêt de bus qui précédait celui mettant fin à mes quarante minutes de trajet pour rejoindre mon petit appartement. Dans sa petite robe noire en satin, elle me fixait des yeux avec un air de mépris et de colère. Me regardait-elle ? Déconcertée, j’avais vite détourné mon regard jusqu’à ce que le bus reprenne son chemin. Ces quelques secondes ont semées en moi un grand mal-être, elles parurent durer des heures. Le regard de cette petite que je n’avais jamais vue au paravent, avait réussi à me rappeler l’enfant que j’étais il n’y a pas si longtemps que cela. Je m’étais aussitôt sentie vulnérable. Pour une première fois, après des années passées à cacher ma faiblesse dernière mon désir de vengeance, j’avais ressenti la peur gagner mon esprit. J’eus envie de la connaitre, lui parler ou adresser un sourire comme j’aurais aimé que quelqu’un le fasse quand je ne ressentais plus que de la colère contre la vie qui m’avait prise tout ce que j’avais.

 

Je ne m’étais pas rendue compte que le bus s’approchait de mon arrêt jusqu'à ce qu'il s’arrête en sifflant comme s’il résistait au coup de frein du chauffeur. C’est de justesse que j’étais parvenue à en sortir avant que les portes ne se referment. Sur le trottoir, j’avais fermé les yeux quelques secondes pour refouler mes larmes. Je n’avais pas pleuré depuis des années et ce n’était pas le moment de s’effondrer. Le vent qui soufflait sur mon visage avait réussi à m’apaiser légèrement.

Comme chaque soir, je prenais le temps d'attendre que le bus s’engage sur le virage avant de traverser la rue et d'entrer dans la ruelle qui me menait à mon petit appartement de deux pièces. Mais juste avant de tourner à droite, le bruit sec et grinçant que laissait échapper le bus à chaque coup de frein se fit entendre. J’avais jeté un coup d’œil au feu qui était bien au vert. Un jeune homme en était sorti, et il se dirigeait vers moi en courant.

-         Il me semble que vous avez oublié quelque chose ! Il me tendait mon livre avec un grand sourire aux lèvres. J’avais hésité quelques instants avant de me décider à le lui arracher de la main. Son sourire s’effaça aussitôt.

-         Vous serez surprise de la fin. C’est un excellent livre. Il attendait toujours une réaction de ma part mais en vain.

-         Si je ne l’avais pas encore lu, je vous l’aurais certainement piqué, mais bon… En réalité, je l’ai lu deux fois alors je vous le laisse avec plaisir.

Après la longue journée que je venais de passer, je préférais ne pas avoir à entreprendre une discussion sans intérêt avec un parfait inconnu. Je m’étais alors retenue de lui adresser une quelconque parole. Ne recevant aucune réaction de ma part, il reprit:

-         Je vous conseille vivement "Dans la rue ou vit celle que j'aime" du même auteur; le meilleur de ses romans à mon avis."

Toujours silencieuse et le regard posé sur la petite cicatrice qu'il avait à la joue droite, j’avais hoché timidement la tête en guise de considération et de remerciement. Il m’avait regardé quelques secondes dans l'espoir d'entendre un mot de ma part, mais rien. L’ambiance commençait à devenir pesante alors j’avais, toujours dans le silence, traversé la rue avec hâte et une fois arrivée de l'autre côté du trottoir, je m’étais retournée pour lui jeter un dernier regard quand il criait :

-         Merci à qui ?

Un reproche ou une manière d’attirer mon attention ? Quelle importance ? Je m’étais juste retournée en pressant le pas.

Arrivée à l'entrée de l'immeuble où se trouvait le studio dans lequel je vivais depuis deux années, j'avais enfin osé regarder dernière moi. Personne, ni derrière, ni aux alentours. Voilà une des raisons qui m'obligeaient à rester dans cet endroit. Il n'y avait personne pour prêter attention ni à mes allées et venues ni à qui j'étais réellement. Aucun voisin ne connaissait mon vrai nom. Tout ce qu'ils savaient de moi, c'était que je m'appelais Amina, j'occupais le studio S3 du deuxième étage, et que je partais le matin et revenais le soir. Certains auraient pu juger cela comme un peu trop ordinaire pour une jeune femme de mon âge, alors que la plupart passait leurs soirées dans les boîtes de nuit. Comme j'osais l'imaginer, je n’étais pas la seule à avoir des choses à cacher dans ce petit quartier étonnamment calme.

Ce soir là, j’avais décidé de rester Amina, une jeune femme rangée et discrète, qui aimait lire, faire la cuisine et écouter de la vieille musique. Je méritais bien une pause le temps d'une soirée. J’avais mis les restes du ragoût de la veuille dans le four à micro-onde, et m’étais surprise à repenser à cet homme à la cicatrice, ou du moins, comme je préférais le penser, à sa remarque sur mon livre : "vous serez surprise de la fin". J’avais alors décidé d'éteindre l’appareil et de me mettre au lit, enveloppée dans ma couette blanche, avec la ferme décision de finir "La maison du guet".

 

3 heures 30 plus tard, je refermais ce roman pour la dernière fois. Je l'avais lu jusqu’au bout. Les yeux rivés sur le faux plafond de couleur blanche, je réalisais pour la première fois après des années à nourrir ma haine de questions et de patience, que j'étais prête à prendre mon destin en main et passer à l’acte. Il n’y avait plus qu’une seule envie qui animait mes jours : trouver ces hommes sur ma liste pour qu’ils répondent à mes questions. Une nouvelle identité m’attendait dans une autre ville alors s’il le fallait, j’allais pointer mon arme sur chacun d’eux et tirer sans hésiter jusqu’à ce que quelqu’un veuille bien me dire pourquoi maman était morte.

Tu lui diras que tu...