Chapitre 2 - Déclin
Ecrit par NafissaVonTeese
« Il faut viser la lune car même en cas d'échec on
atterrit dans les étoiles. » Oscar WILDE
J’ai visé des années la lune mais pourrai-je un jour
atterrir dans les étoiles ?
Même si j’ai changé de vie et d’apparence, je me rappelle
de qui j’étais dans le passé. A la fois ambitieuse et déterminée à accomplir le
moindre de mes désirs, j’avais l’impression d’être une belle petite fleur prête
à s’ouvrir sous un beau soleil.
Le temps passait et j’avais fini par me rendre compte
que la vie était loin d’être comme je l’imaginais. J’avais eu une enfance pour
le moins tourmentée. Je vivais dans une belle et grande maison, j’avais des
parents aimants, des amis fidèles, ainsi que tout le bonheur et la stabilité
qui pouvaient aller avec. A chaque anniversaire, chaque noël, je pouvais
m’attendre à un cadeau emballé dans du papier cadeau rouge avec des cœurs
blancs. Maman en avait des rouleaux et des rouleaux cachés quelque part dans la
maison. Jusqu’à mes neufs ans, j’étais certaine que les cadeaux étaient
apportés par la petite fée de la sagesse et de l’amour, qui veillait sur les
belles petites princesses comme moi. C’est ce qu’elle me répétait à chaque fois
avec un clin d’œil.
Maman avait les traits du visage très fins, ce qui
faisait d’elle une femme qui reflétait la beauté physique et intellectuelle. Je
ne l’avais jamais vue malheureuse, ou du moins, elle était assez forte pour
cacher avec grâce sa mélancolie derrière un doux sourire, et s’effondrait
seulement quand elle était seule, enfermée dans la salle de bain, sous l’eau de
la chasse d’eau qui coulait à flot. Je l’avais une seule fois entendue, mais
jamais je ne l’avais vue pleurer, jamais avant cet après-midi de Mai. Je ne saurai
dire ce qui s’était réellement passé ce jour-là, alors que je me souviens des
moindres détails, comme si c’était hier, de mon réveil jusqu’au moment où je
m’étais effondrée devant la chambre de maman.
Comme tous les samedis, j’avais passé la matinée chez
Awa, ma voisine d’en face et meilleure amie de l’époque. Elle avait deux années
de plus que moi mais on avait beaucoup de choses en commun comme notre passion
pour le dessin et la musique traditionnelle. Même à 15 ans avec des rêves et
des convictions qui pouvaient de temps à autre
différer, on trouvait toujours le temps de se retrouver « entre filles »
comme on disait. Nous avions l'habitude d'échanger nos reproductions de visages
familiers, peints avec du gouache de la papeterie d’à côté, sur du papier blanc
A4 qu’on appelait avec fierté des créations artistiques. Nous étions
convaincues que l'une de nous deux finirait un jour par remplir une galerie
avec ses œuvres. Je gardais celles qu'elle me donnait dans un vieux sac en cuir
marron qui avait appartenu à maman, avant que je ne le déclare mien.
Aujourd'hui, en plus de mes souvenirs que j’essaye de refouler, ce sont les
seules choses que j’ai gardée de mon passé.
J’avais commencé à parler de notre cours de
mathématiques de la veille et du nouveau stagiaire qui l’avais dispensé.
J’insistais sur le fait que je le trouvais plutôt mignon, mais Awa n’y prêtait
pas grande d’attention. J’avais continué à animer seule la discussion avec les
ragots sur le groupe de petites vipères de la classe de Première L2, la
nouvelle saison de la série Gossip Girl, les bruits qui courraient dans la cour
de récré et mes éclats de rire. Elle se limitait à me jeter de petits sourires,
la tête dans les nuages. Au moment d’échanger nos dessins, juste avant de nous
quitter, un lourd silence s’était installé. Awa me paraissait contrariée, mais
doutant de la délicatesse de la situation qui pouvait la rendre muette elle qui
était d’habitude aussi excitée qu’une puce, je n’avais osé lui demander ce qui
n’allait pas. A chaque fois que nos yeux se croisaient dans le silence, elle
détournait les siens. On était proche, si proche qu’on partageait le moindre de
nos secrets, mais ce jour-là, elle refusa de se confier à moi. Que se
passait-il dans sa tête ? Plutôt que de jouer mon rôle de sœur de cœur en lui
parlant, j’avais préféré m’en aller.
Une fois la porte de ma chambre franchie, j’avais
commencé à regretter de ne pas l'avoir obligé à se confier à moi. J’y avais
pensé pendant au moins deux heures, assise au pied de mon lit, avant de décider
d’aller rejoindre maman qui préparait le dîner dans la cuisine pour lui en
parler. Je m’étais étonnée de ne pas la voir se retourner avec son sourire aux
lèvres, comme elle avait l’habitude de le faire, quand elle m’entendait
m’approcher d’elle. Juste derrière elle, j’avais remarqué qu’elle ne s’était pas
rendue compte de ma présence.
- Ma !
Quand elle se retourna enfin, je découvris ses yeux à
peine ouverts, enfuis dans un visage triste et fatigué. Je me souviens d’avoir
eu du mal à décrypter l’image qu’elle renvoyait d’elle-même. Elle commençait à percevoir mon inquiétude
quand elle força un sourire avant de se mettre à genou devant moi, puis de me
lancer, d’un calme presque déconcertant :
- Même au pied du mur, reste forte et garde toujours
la tête haute.
Elle m’empêcha de prononcer le moindre mot en posant
ses doigts sur ma bouche, me serra fort dans ses bras, avant d’ajouter : « ne l’oublie jamais princesse, jamais ! »
Encore une fois, je m’étais retenue de demander pourquoi. En guise de réponse,
j’avais tout simplement hoché la tête, avant de retourner dans ma chambre. Ce
sont les derniers mots que j’avais entendue maman prononcer. J’étais retournée
m’assoir aux pieds de mon lit avec l’étrange impression d’être entrain
d’attendre une mauvaise nouvelle. Je regardais les aiguilles de la montre
accrochée sur le mur en face du lit tourner lentement.
19h30. 19h58. 20h10. 20h37. 21h32 ! J’étais allongée
par terre quand j’ai entendu la sirène d’une ambulance résonner entre les murs
de ma chambre. Je n’avais eu le temps de me demander ce qui se passait. Mon premier
réflexe a été de courir vers la chambre de mes parents qui se trouvait au
premier étage. La porte était entre-ouverte et j’avais pu apercevoir maman pour
la dernière fois étendue sur le sol près de la porte de la salle de bain, et
juste à côté d’elle papa, qui la serrer contre lui en répétant : « Pourquoi ?
Pourquoi tu as fait ça ? ». A ce moment précis, je ne sentais plus mes jambes,
juste un dernier souffle sortir douloureusement de ma poitrine avant que je ne
tombe dans le noir.
J’avais repris connaissance environ 2h plus tard, en
cherchant désespérément dans les yeux de grand-père, qui était apparemment
resté à mes chevets, des réponses. Il ne semblait pas être très motivé à me
dire ce qui était entrain de se passer. Je ne m’étais pas rendue compte que mes
larmes coulaient à flot, sans que je ne doute une seule seconde que c’était les
dernières que mon corps laissait échapper sans que je ne puisse les contrôler.
Oui, maman était morte.
Comment ? Je n’en avais aucune idée. Je peinais à y
croire. C’était tout simplement insensé. Comment est-ce qu’une personne pouvait
être déclarée décédée, alors que quelques minutes plus tôt, elle préparait
tranquillement son dîner dans sa cuisine ?
Les heures passaient et de parfaits inconnus venaient
défiler dans toute la maison, en donnant l'impression d'avoir de la peine pour
nous, sans pour autant se retenir de murmurer de temps à autre des sottises
inventées de toute pièce sur ma famille, juste pour attirer l’attention.
J’étais physiquement présente mais rien de plus car c’était le vide dans ma
tête. Je les regardais l’un après l’autre, sans aucune expression au visage. Je
refusais d’accepter leurs condoléances et ne m’imposais pas la peine de rester
commode avec eux. Pourquoi ? Je ne les avais jamais vue de ma vie, ni après
l’accident de voiture qui avait failli coûter la vie à mon père, ni quand maman
a fait une fausse couche quatre ans plus tôt. Seuls mes grands-parents, mes
tantes et oncles, s’étaient donnés la peine de venir la soutenir.
D’après les bruits qui courraient, maman s’était
suicidée.
Ma maman une suicidaire ! Comment était-ce possible ?
Et pour quelle raison ce serait-elle suicidée ? Qui aurait pu répondre à mes
questions ? Papa était trop occupé à cacher son chagrin en racontant ses années
à l’université de Champagne Ardenne, à côté de promotionnaires qui étaient
rentrés avec lui après leurs études, et mes grands-parents à consoler mes
tantes. Maman n’était pas du genre à se laisser abattre au point de décider de
mourir du jour au lendemain. Elle était plus forte que nous sa famille,
pouvions l’imaginer. Si tout le monde refusait de s’en rendre compte, moi je le
savais au plus profond de moi-même. Je n’avais jamais douté de sa capacité à
garder le contrôle sur elle-même et ce, dans n’importe quelle situation. Alors
comment est-ce qu’elle aurait pu se suicider ?
Les jours passaient et je me demandais souvent :
pourquoi ma maman et pas celle d’une autre ? Était-ce logique ou mal de penser
ainsi ? Cela ne m’inquiétait guère.
La première semaine, j’étais restée allongée sur le
sofa du salon, convaincue qu’elle allait revenir, ou même qu’elle allait me
réveiller pour me dire que tout cela n’était qu’un mauvais rêve. Ce ne fut
jamais le cas. Quand j’ai enfin réalisé qu'elle était partie pour de bon, j’ai
commencé à essayer de comprendre pourquoi. Il ne m’a pas fallu beaucoup de
temps pour comprendre qu'elle ne m'aurait jamais abandonnée de cette manière.
Rien n’était encore clair dans ma tête jusqu’au jour où, j’ai trouvé une lettre
anonyme, glissée sous la porte de mon studio, cinq années après sa mort.
« Tu ne devrais
pas te sentir en sécurité parce-que t’as changé d’identité. Ceux qui s’en ont
pris à tes parents s’en prendront aussi à toi s’ils te retrouvaient. Ton père
est peut-être innocent de ce qu’on l’accuse mais une chose est certaine, ta
mère ne s’est pas suicidée. Elle a été assassinée. »
Je l’ai lue et relue avant de réaliser ce que ces
quelques lignes signifiaient. Je n’avais aucune idée sur la manière dont je
devais prendre cette lettre, ni comment elle était arrivée là. Était-ce un
avertissement ou une menace ? Quelqu’un, quelque part, savait qui j’étais
réellement et avait pu me retrouver malgré toutes mes précautions. Cependant,
je savais que s’il n’avait pas préféré venir me parler en face, c’est qu’il
souhait rester dans l’anonymat et peut-être qu’il n’avait nulle intention de
s’en prendre à moi, ou du moins, pas à ce moment là.
Les images de maman allongée au sol ne cessaient de
défiler dans ma tête, même sept années plus tard. Je n’avais aucune idée de qui
avait écrit cette lettre ni ce qu’il me voulait, mais ce qui m’intéressait le
plus était de le retrouver. Comment ? Il était clair que la tâche n’allait pas
être facile jusqu’à ce que deux ans après, la lettre se soit glissée entre mes
mains pendant que je la relisais en cherchant à reconnaître une fois encore
l’écriture. Je m’étais rendue compte qu’il y avait une petite tâche colorée,
presque imperceptible sur le verso de la lettre. Cela pouvait certainement me
donner une piste. Il fallait juste que je sache ce qui aurait pu la causer.