Chapitre 10 :

Ecrit par MoïchaJones

- Alors… Tu me racontes ce qui se passe?


Nous sommes allongés, pieds et bras emmêlés. Je lui fais face, mon regard fixé sur le duvet qui recouvre sa poitrine. Sa main monte et descend lentement sur mon bras nu. Mais je ne frissonne plus. Sa question me ramène abruptement à la réalité. Crispée, je murmure avec prudence.


- Tu veux ma version de l’histoire.


Son mouvement ralentit et il prend délicatement mon menton.


- Je veux juste comprendre ce qui met ma mère dans cet état, Belinda

- Elle a déjà dû tout te dire.


Il caresse ma joue en souriant.


- Non


Je lève vivement la tête. 


- Non…?

- Crois-le ou non, je ne suis au courant de rien.


Déstabilisée par ce qu’il vient d’avouer, je scrute son visage à la recherche du moindre indice.


- Alors ? Il insiste devant mon silence.


J’ouvre la bouche pour la refermer aussitôt. Aucun mot ne me vient. Je suis terrifiée à l’idée qu’il ne me croie pas, et que notre vie bascule à nouveau. On vient à peine de se retrouver, je n’ai pas envie de tout perdre encore une fois. Cela me semble si loin... Par moments, j’arrive à me convaincre que ce n’est pas vraiment arrivé. Mais là, impossible de me dérober. J’ai l’impression de m’apprêter à sauter dans un puits sans fond.


J’inspire un bon coup, me redresse et ramène mes jambes devant moi tout en me recouvrant entièrement. Jamais je n’arriverai à en parler en étant nue devant lui. D’ailleurs si je m’écoutais, je me précipiterais vers la porte. Ma respiration se fait saccadée, et mon cœur menace d’exploser, mais impossible de faire machine arrière. La gorge sèche, je me lance.


- Tout a commencé cette nuit-là, je venais à peine d’arriver chez tes parents...


D’un hochement de tête, Uhu m’encourage à poursuivre.


Je me triture les mains en essayant de reprendre contenance, mais son regard patient ne m’aide pas.


Le souffle court et le regard fuyant, je lui rapporte tout (ou presque) dans les moindres détails… La tension entre Jomo et moi… L’épisode de la gifle… La fois où je l’ai surpris dans le bureau de leur père… Les menaces qu’il a proférées contre moi… Et enfin, ce soir fatidique.


Je peux sentir la tension monter au fur et à mesure que j’avance dans mon récit. Bien qu’il soit impassible, j’arrive à percevoir le raidissement de ses muscles. Mon regard reste obstinément fixé sur mes doigts moites et agités. Leurs tremblements vont de pair avec les trémulations de ma voix. J’ai évité le sujet depuis le début, aujourd’hui j’ai juste l’impression d’avoir contribué à minimiser la situation. Son silence, quand je m’arrête de parler, me fait l’effet d’un clou dans l'estomac.  Je retiens ma respiration dans l’expectative de ce qui va suivre.


Les minutes s’égrènent, il ne dit toujours rien. Il se lève et commence à tourner en rond dans la chambre, on dirait un lion en cage. Mon cœur l’implore piètrement de dire quelque chose. Juste un mot. Que je sache au moins sur quel pied danser. Je lui lance des regards furtifs, et à la façon dont ses mâchoires se crispent nerveusement, je sens bien qu’il est à deux doigts de l’explosion.


Parle...Stp !  Je sens les larmes arriver


- Si ce que tu m’as dit est vrai, je vais le tuer.


Il aurait dû continuer de se taire finalement. Mon cœur se brise en mille morceaux. Je m’attendais  d’une quelconque manière à un doute venant de lui, mais une fois que les paroles sont prononcées, elles ne peuvent s’empêcher d’être poignantes. Je suis blessée au plus haut point. D’autant plus que je me sens coupable. Pourquoi j’ai l’impression que j’ai moi-même engendré tout cela. C’est peut-être de ma faute si je me suis retrouvée allongée sous Jomo. Peut-être que oui en fin de compte, j’ai réécrit l’histoire.


- Pose-moi franchement ta question au lieu de tourner autour du pot.


Ma propre voix me surprend, elle est plus ferme, à la limite de la froideur. Il se rapproche et sans une once de gêne me regarde bien en face.


- Tu as encore couché avec Jomo ?


Son ton, plus que la question en elle-même me fait l’effet d’une gifle. 


- Non. Je réponds simplement à bout de souffle.

- Tu en as eu envie ?

- … Pardon ?

- Réponds à ma question, Belinda. Tu as eu envie de te faire sauter par mon frère ?

- Non Uhu, ne soit pas bête. Je n’en ai pas eu envie, ni cette fois-là, ni jamais...


Le regarde menaçant qu’il pose sur moi en cet instant me fait me reprendre instantanément.


- Je suis désolée. Je murmure en baissant les yeux.


Il vient s’asseoir près de moi, et de son index, dessine lentement le contour de mon visage. Il ne sourit pas, et son visage semble plus avenant que tout à l’heure, pourtant mes tremblements s’accentuent. Il a ce truc indéfinissable dans le regard qui me tétanise.


- Pourquoi…?


Me demande-t-il, tandis que son doigt passe de mon menton à ma gorge


- A cause...de tout ça

- Tu n’as pas à t’excuser, mon amour. Après tout, ce n’est pas ta faute, n’est-ce pas?


Je n’aime pas sa voix doucereuse, je me contente de secouer la tête en déglutissant péniblement.


- Bien! Parce que si je découvre que tu me mens, Belinda...


Il ne termine pas sa phrase, il n’en a pas besoin. Il retourne se poster devant la fenêtre tandis que je me recroqueville davantage sur moi-même.  Uhu vient de finir le travail que son frère avait commencé. Je suis brisée. Vidée. Un silence lourd de non-dits s’insinue entre nous, j’ai l’impression que le temps est suspendu dans la pièce.  Au bout de ce qui semble être une éternité, un coup de poing dans le mur me fait sursauter. Le calme de sa voix tranche avec la violence du coup.


- Je vais le tuer… Je vais tuer Jomo.


Il le répète dans sa barbe, mais je l’entends distinctement. Ça veut dire qu’il me croit au final, pourtant je ne peux m’empêcher de me sentir blessée dans mon amour propre.


- Tu as vraiment perdu toute confiance en moi, Uhu ?


Mes yeux sont perdus dans le vide, pendant que j’attends sa réponse.


- Je ne sais pas si tu te rends bien compte, mais tu as couché avec mon frère jumeau.


Il détache méthodiquement les dernières syllabes, les larmes me montent aux yeux, alors qu’il poursuit.


- Qu’est-ce que tu attends de moi ? Que je balaie ça d’un claquement de doigts ? Ou alors tu veux peut-être que je t’offre une médaille pour ça ?

- Uhu, écoute…

- Non Belinda, toi écoute-moi ! hurle-t-il. Sors, vas-y là… Va dehors et pose la question à qui tu veux… N’importe quel homme t’aurait jetée à la rue comme une malpropre après ce que tu m’as fait.


J’arrive à ressentir une rage contenue dans ses paroles.


- Tu sais pourquoi je suis parti si vite ? Pour ne pas te... faire quelque chose que j’aurais pu regretter. Malgré tout ça, j’ai décidé de réessayer… De passer l’éponge… De nous redonner une chance... Alors, quand j’apprends qu’il y a encore eu un truc sexuel entre vous ...


Les épaules secouées de sanglots, je hoquète


- La première fois ne compte pas. Tu sais très bien que je ne savais pas. Jamais je n’aurais pu imaginer que ce n’était pas toi… Uhu, jamais je n’aurais fait ça… Tu le sais ça… Tu le sais.


Il prend une inspiration profonde et se passe la main sur le visage.


- Ca ne change pas grand-chose. Murmure-t-il encore.

- A chaque fois que ça ira mal entre nous tu vas me ressortir ça ? Pendant combien d’année encore je vais entendre la même rengaine ? 

- A ma place, tu aurais fait quoi ?


Je réponds sans hésitation.


- Je t’aurai déjà pardonné et tu le sais... Tu ne serais pas revenu si non.

- Je ne suis pas toi… J’ai besoin de temps.


Je risque un coup d’œil vers lui et croise son regard torturé qu’il essaie de détourner avant que je ne m’en rende compte.


- Je suis désolée. Je répète encore cette fois les yeux fixés aux siens.


On reste ainsi de longues minutes et il ne dit rien en retour. C’est tout ce que je réussi à dire. J’ai une énorme boule dans la gorge, je sens les larmes monter. Je me lève précipitamment et vais m’enfermer dans la salle de bain.


J’ai détruit mon mariage.


Je m’effondre dos contre la porte et pleure tout mon saoul. Une fois vidée, je fais un brin de toilette et je ressors en espérant qu’il ne soit plus là, mais à peine la porte ouverte je tombe sur lui. Il occupe tout l’encadrement de la porte avec sa masse, et empêche toute retraite de ma part.


- Je n’aime pas quand tu pleures à cause de moi.


Il m’attire dans ses bras et élimine toutes les traces invisibles de ma faiblesse.


- Je n’aime pas non plus cette situation qu’il y a entre nous ces derniers temps, mais je ne peux pas non plus effacer ce mensonge-là…. Wapenzi je te jure que j’y travaille de toutes mes forces, mais c’est difficile... Tu dois me faire confiance.


J’ai envie de rire. Il ne m’accorde pas sa confiance, mais il me demande la mienne. Il me regarde avec les yeux d’amoureux transi que je lui connais si bien et ça m’apaise. Le fond est toujours le même, même si la forme a changé.


- Tu me laisses encore un peu de temps ?


Il sourit en me caressant le visage. Je sens l’incertitude dans sa voix.


- D’accord, si tu me promets de te dépêcher. Je ne t’attendrai pas toute ma vie.


La blague le fait rigoler et on retourne dans le lit. On vient de faire un pas de géant et je ne suis pas peu fière de nous. Uhu me prend dans ses bras et bien qu’on reste silencieux, l’ambiance est plus détendue. Le jour s’est déjà complètement levé, et je suis étonnée que Imani ne soit pas encore venue nous rejoindre. Je fais part de ma surprise à Uhu qui me confie qu’elle a eu droit à un couché tardif la veille.


A midi, on déjeune en famille et j’ai vraiment l’impression d’avoir remonté le temps. On donne l’image de la petite famille parfaite qui n’a aucun problème, Amaya serait fière de nous en ce moment. En parlant d’elle, Uhu lui a parlé au téléphone pour lui dire que nous irions diner là-bas ce soir. Sa voix était calme, son regard ne m’a pas lâchée durant toute la conversation. On aurait dit qu’il puisait son détachement en moi. Quand il a raccroché, il m’a fait un clin d’œil complice que j’ai adoré.


J’ai moins aimé le ton avec lequel il vient de m’intimer de me calmer.


- Mère ce n’est pas exactement ce que Belinda m’a raconté


Nous sommes installés à l’arrière de la maison familiale. La grande véranda rectangulaire qui s’étale sur toute la longueur de la demeure est ouverte sur les champs de thé. Un vent léger fait bruisser les plants, et distille dans l’air cette odeur musquée typique du camellia. On a pris le temps de dîner et de prendre un digestif , avant d’aborder enfin LE sujet. Amaya est assise sur l’un des fauteuils en rotin qui occupe l’espace. Elle fait face à Jomo qui est à l’extrême opposé d’Uhu. Ce dernier a choisi de s’assoir près de sa mère pendant que moi je suis allée me mettre en terrain neutre à côté de Joseph.


- Tu n’étais pas là, et je sais ce que j’ai vu.


Elle parle comme si j’étais absente et moi je ne peux pas répliquer parce que mon mari m’a enjoint de me taire comme à une vulgaire écervelée.


- C’est ma femme, elle n’a aucune raison de me mentir.

- C’est vrai que ce serait bien la première fois, marmonne Jomo


Je le mitraille du regard, mais tout ça semble l’amuser follement. Un vrai taré, ce type. Depuis que nous sommes là, il n’a pas arrêté de lancer des piques ou des sous-entendus. On aurait dit qu’il était plus intéressé par la quantité de liqueur dans son verre que par ce qui se passe autour de lui.


- Mais tu vas un peu fermer ta gueule, BORDEL? Hurle Uhu en se dressant brusquement, les poings serrés

- Uhu! S’écrie Amaya en essayant de le retenir par la manche


Il se dégage brusquement et se rassoit en fulminant. J’ai les nerfs à vifs, je ne peux m’empêcher de me dire que j’aurais dû éviter ce désastre. Comment? Je n’en ai aucune idée, mais j’aurais tout donné pour ne pas me retrouver au centre de ce mélodrame familial. 


- Tu sais quoi, frangin? Retourne d’où tu viens, on s’amusait bien sans toi ici


Jomo me lance un regard entendu, vide son verre d’une traite et se lève pour se resservir. Sa phrase a jeté un froid, que le ton ferme de leur père ne fait que rehausser.


- Tu as assez bu Jomo, ça suffit maintenant.

- Papa s’il te plaît, on ne va pas jouer à ça,  j’ai passé l’âge 


Il nous tourne le dos, mais tout le monde reconnaît l’amusement dans sa voix.


- Pour qui tu te prends ?


En quelques enjambées, Uhu le rejoint devant le mini bar près de la porte.


- Tu disparais pendant des années et à peine revenu, tu sèmes la zizanie ?

- Arrête tu vas me faire pleurer, ricane Jomo en se tournant lentement pour lui faire face


L’atmosphère devient irrespirable, je retiens mon souffle dans l’attente de ce qui va suivre. Uhu m’avait pourtant promis de garder son self-control, mais il a fini par craquer face aux provocations répétées de son frère. Jomo a passé toute la soirée à essayer de faire sortir Uhu de ses gonds,  pour une raison que j’ignore. Qui pourrait expliquer ce qui se passe dans la tête de ce détraqué? 


- Les garçons, on se calme. Nous ne sommes pas ici pour envenimer les choses. Revenez-vous asseoir, on va en parler tranquillement.


La tirade de Joseph n’a aucun effet sur Uhu et son frère qui continuent de se défier du regard sans ciller. On dirait deux coqs montés sur leurs ergots, ou plutôt deux gosses se disputant un jouet... Moi, en l’occurrence. Ce qui ajoute à mon malaise. Comment en est-on arrivé là? L’atmosphère est chargée d’électricité, j’attends, impuissante que les choses dégénèrent.


- Très bien. C'est comme vous voulez. Battez-vous, tuez-vous même si ça vous chante, moi je m’en lave les mains.


Amaya a presque crié ces derniers mots en se levant vivement et en frappant ses mains l’une contre l’autre. C’est si inhabituel de l’entendre prononcer un mot plus haut que l’autre que même Jomo semble désarçonné. Il lance un regard mauvais à Uhu, avant de reculer, et de retourner s’asseoir. Le tic qui agite sa mâchoire semble indiquer qu’il est moins détendu qu’il ne veut le faire croire.


Chacun reprend sa place, Amaya hoche la tête de satisfaction, et se remet à parler avec sa douceur caractéristique comme si la réunion n’avait jamais été interrompue.


- Je disais donc que je tenais à ce que toute cette malheureuse affaire soit tirée au clair. Jomo a eu tort de lever la main sur ta femme….

- Mère je crois qu’il serait temps que tu arrêtes de le couvrir. Il doit prendre ses responsabilités et assumer ses actes. Nous tous ici savons que ce n’est pas ce qui s’est passé, et je veux qu’il le reconnaisse en me regardant bien en face.

- Je ne sais pas ce que tu crois qu’il s’est passé… tente Amaya d’une voix hésitante.

- Arrêtez tous de me prendre pour un idiot.

- Uhu, ça suffit maintenant! Tonne Joseph

- Excuse-moi père…

- Encore un écart de langage avec votre mère, et je ne réponds plus de rien! On s’est bien compris?


Je serais presque amusée de la tête penaude de mon mari en d’autres circonstances.


- Et ça veut donner des leçons aux autres, persifle Jomo

- Sois un homme pour une fois, arrête de te cacher derrière les autres. Tu as quelque chose à me dire? Dis-le ou ferme ta gueule, Jomo.

- Vous entendez comment il s’adresse à moi? Je suis ton aîné, Uhu, tu as tendance à l’oublier trop souvent... Comment s’étonner que je sois forcé d’apprendre le respect à ta femme.

- Ca suffit !


Amaya est de nouveau au bord de la crise d’hystérie, l’expression éternellement placide de  Joseph a laissé place à de l’embarras. Uhu et Jomo s’apprêtent visiblement à faire une démonstration de testostérone. Le tout a quelque chose de glauque, d’autant plus que je suis l’objet du scandale.


- Et c’est en essayant de la violer que tu lui apprenais le respect ?

- Uhu !m’écrie-je, choquée

- Je t’ai posé une question, reprend-il, m’ignorant totalement


Mon échine est parcourue de frissons, je fixe, impuissante, la veine sur sa tempe qui bat comme si elle s’apprêtait à exploser. Il est furieux, n’importe qui le serait à sa place. Et n’importe qui face à sa rage arrêterait de le titiller. Mais Jomo n’est pas n’importe qui. Jomo est le diable. Un diable qui me lance un regard lubrique


- C’est ce que tu lui as raconté…”Wapenzi”?

- Sinon tu comptes l'arrêter  quand, ton cinéma? Je réponds en soutenant son regard. Tu sais très bien que c’est la stricte vérité. Et tu n’es pas le seul à le savoir, j’ajoute en portant mon regard sur Amaya qui semble soudain éprouver une fascination soudaine pour ses doigts

- Tu la fermes ou je me charge de refaire ton éducation devant lui


Il le dit sans quitter son jumeau des yeux. Uhu ne dit rien, mais le battement de la veine s’accélère. Je le sens au bord de l’implosion. 


“Je vais tuer Jomo”. Ce matin, j’ai mis ses mots sur le compte de la colère, mais là, tout de suite, j’en mettrais ma main à couper, il serait capable de le faire. Mes yeux parcourent, affolés l’espace, pour m’assurer qu’aucune arme potentielle n’est à sa portée. Comme si elle ressentait elle aussi le danger, Amaya s’interpose de nouveau.


- Jomo arrête ça, tu vas trop loin. 

- Trop loin? C’est de ma faute si mon frère n’arrive pas à combler sa charmante femme, au point où elle se sente obligée de jouer les allumeuses? 

- Seigneur….


La surprise, l’effroi, la honte se disputent mon coeur. Hébétée, je lance un regard à la ronde; les autres semblent tout aussi pétrifiés que moi. Le premier, Joseph arrive à reprendre ses esprits. Lorsqu’il prend la parole, ses mots claquent sèchement.


- Là, tu dépasses les bornes. Tu vas présenter tes excuses à ton frère et à sa femme. Immédiatement.

- Si tu veux. Excuse-moi, belle-soeur. Et excuse-moi, frangin...Au fait, papa, je dois aussi m’excuser d’être le père de sa fille, ou tu crois que ça... 


Une sorte de rugissement retentit, je comprends qu’il provient de Uhu quand je vois son poing s’abattre sur le visage de son frère. Qui se fait un plaisir de lui rendre la politesse. Ils finissent par s’empoigner et basculer sur le sol. Ok, on y est finalement. Ou enfin, je ne sais pas, je me sens presque soulagée qu’ils se battent. Cela a le mérite de nous épargner les insanités qu’ils se sont échangées toute la soirée. Le point culminant étant la dernière connerie de Jomo. Il a dit quoi déjà? Le père de ma fille...prenez du whisky, ajoutez-y une bonne dose de stupidité, ça donne ça comme résultat. Amaya s’écroule sur son fauteuil et Joseph dépassé par la situation se précipite vers sa femme. Je ne sais pas quoi faire. J’essaie d’ouvrir la bouche pour tenter de ramener Uhu à la raison, mais je suis lasse, trop lasse pour trouver la force d’émettre un mot.


Leurs parents semblent eux aussi, vidés de toute énergie;  un éclat de verre alerte le gardien  qui accourt pour essayer de les séparer. Des reniflements me parviennent de la porte donnant sur la salle de séjour. Elle tient sa peluche d’une main, et de l’autre se frotte les yeux emplis de larmes. Je parviens à sortir de ma torpeur pour me précipiter vers elle et l’entraîner loin de cette débauche de violence. 


- Maman...Pourquoi papa et tonton Jomo se font mal?


Du revers de la main, j’essuie ses larmes en lui répétant que ce n’est rien, que ça va s’arranger, faute de trouver une explication qui ferait du sens.


On réussit enfin à les séparer et je vais tirer Uhu à l’écart. Il a le visage recouvert de sang, mais je n’arrive pas à voir d’où ça provient. Je l’emmène dans la salle de bain du ré de chaussée, notre fille dans les talons. Je nettoie au mieux son visage qui commence déjà à être tuméfier. Le combat était rude. J’ai cru que j’allais m’effondrer en les regardant se battre.


Quand nous sortons de la salle de bain, moi devant et Imani dans les bras de son père derrière moi, on tombe sur un Joseph au regard sévère.


- Rien ne vous retient plus ici. Si j’ai besoin de vous, je vous appelle.


Il ne peut pas être plus clair. Notre présence est devenue indésirable.


On regagne la porte sans un mot. Jomo est assis sur les marches du perron, la tête entre les bras. Son frère passe sans un regard, mais je peux voir son poing libre se serrer sur son trousseau de clé.


- Vous  pouvez me déposer en ville ?


Je marque un temps d’arrêt, pas sûre d’avoir entendu cette voix sans honte. Il est fou ce mec. Non mais sérieux il est gravement atteint.


Je me contente d’accélérer le pas quand j’entends son rire grave résonner derrière nous.


Le trajet se fait en silence et une fois à la maison je vais coucher Imani qui s’est effondrée, épuisée d’avoir pleuré. Dans notre chambre Uhu est assis sur le lit, une serviette nouée autour des reins. Il a la tête entre les mains, dans la même posture que son frère tout à l’heure.


Je vais à mon tour prendre une douche rapide. Sa question m’accueille quand je rentre dans la chambre.


- Ce qu’il a dit… Concernant Imani….


Sa voix est à l’agonie, comme moi en ce moment. Je n’arrive pas à croire que Jomo ait pu semer le doute encore une fois.


- N’y pense même pas Uhu.

- C’est fou mais quand j’y réfléchis, les dates peuvent correspondre…

- Tu m’insultes là ?

- Je me fous de ce que ca te fait, je veux savoir.

- Je n’ai pas à répondre à cette question.

- Pourquoi ? Qu’est-ce que tu me caches ?

- Ton frère a encore eu ce qu’il voulait à ce que je vois.

- Laisse mon frère où il est. Je t’ai posé une question, et j’attends toujours.

- Tu ferais mieux de bien t’installer dans ce cas parce que tu vas attendre longtemps.

- Belinda ne m’énerve pas.


Il se rapproche de moi et je vois de près ses prunelles obscurcies par la fureur.


- Tu n’as pas envie de jouer à ce jeu avec moi.

- Je ne joue à rien, contrairement à toi. Je n’en reviens pas que tu oses me poser cette question après la conversation que nous avons eu ce matin. Que tu me prennes pour une catin passe, mais de là à insinuer que…. Non je n’arrive vraiment pas à le croire.


Je lui tourne le dos et entreprends de mettre mon pyjama. Il m’arrache les vêtements des mains et les balancent à l’autre bout de la pièce. Avant que je ne puisse protester, je suis bloquée par l’étau de ses mains d’acier.


- Ne me tourne pas le dos quand je te parle.


Je le regarde fixement et ne dit rien.


- Est-ce que Imani est… sa fille ?


La douleur est intense dans sa voix


- Tu me fais mal Uhu. Arrête !


Il se rend compte de ses mains refermées sur mes poignets et relâche la pression. Je me libère et m’éloigne de lui.


- S’il te plait répond moi. M’implore-t-il.


La sonnerie de mon téléphone retenti à ce moment-là, et je plonge la main que dans mon sac qu’il a abandonné sur le lit.


- Belinda !

- Non Uhu, je ne répondrais pas à cette question. En fait je vais faire comme si je n’ai rien entendu et je te conseille de mieux réfléchir la prochaine fois que tu t’apprêtes à dire une connerie de ce genre.


La sonnerie s’arrête quand je pose de nouveau le regard sur mon téléphone. Je le déverrouille et quand je veux consulter mon journal, il se remet à sonner. C’est un numéro inconnu.


- Belinda…


Je décroche sans plus faire attention à Uhu qui me regarde interloqué.


- Allo ?

- Shangazi Belinda, j’ai besoin d’aide.

Jamais sans elle