Chapitre 10
Ecrit par Auby88
Madame Claire AMOUSSOU
Depuis quelques minutes, je déambule dans le couloir de l'Hôpital. Moi, qui n'aime pas trop les relents d'alcool et de sang, je me retrouve une ènième fois dans ce lieu morbide. Mes yeux convergent en permanence vers la salle 11. J'attends que le docteur sorte et me donne des nouvelles d'Aurore. Il est en train de l'ausculter pour s'assurer que tout va bien. Quelques heures avant, on lui avait fait un lavage d'estomac.
Pourquoi ? Parce qu'Aurore a tenté de se suicider. Je n'en connais pas la raison exacte, mais je parie que c'est lié à Steve. Je me demande ce qui a pu se passer entre eux pour que ma fille, pourtant si gaie ce matin, en vienne à vouloir attenter à sa propre vie. Heureusement que je l'ai trouvée à temps. Elle était inconsciente dans sa chambre. Près d'elle, j'ai trouvé une boîte de somnifères vide.
Une fois encore, je compose le numéro de Steve. Ça sonne en vain. Il ne décroche pas. J'entends un bruit de porte. Il provient de la salle 11. C'est sûrement le docteur qui s'apprête à en sortir. Je range aussitôt mon portable dans mon sac.
C'est bien lui. Il vient vers moi. Mon cœur bat. J'espère qu'il m'apporte de bonnes nouvelles.
- Madame AMOUSSOU, votre fille est hors de danger, commence le docteur. Cependant, je crains qu'elle récidive. Elle reste émotionnellement instable. Avez-vous pu savoir ce qui lui est arrivé ?
- Non, docteur. D'ailleurs, elle ne me dit plus rien de sa vie.
- Il vous faudra pourtant le découvrir pour pouvoir l'aider. Elle a vraiment besoin qu'on la soutienne.
- D'habitude, c'est seulement avec le psychologue qu'elle discute de ses problèmes.
C'est peut-être difficile à comprendre, mais je suis une mère résignée. Aurore me garde à distance d'elle et j'ai fini par l'accepter, même si j'en souffre énormément. Alors, je ne pense pas être celle qui pourrait l'aider.
- A ce stade, votre fille a plus besoin de ses proches que de son psychologue.
- J'en doute fort.
- Vous démissionnez de votre responsabilité parentale ?
- Que puis-je faire, Docteur, si elle me rejette à chaque fois ?
- Vous vous devez d'essayer encore et encore. Croyez-moi, les mamans savent faire des miracles. Vous pouvez aller la voir. Je vous laisse. Bonne journée.
Je le regarde s'en aller en repensant à sa phrase " Les mamans savent faire des miracles". Ce n'est peut-être pas faux, mais quasi impossible à réaliser avec Aurore.
J'inspire profondément puis je me hasarde dans sa chambre. Elle est couchée sur le lit d'hôpital, mais ne dort pas.
- Je ne veux voir personne, encore moins toi ! me lance-t-elle en guise de salutation.
Je n'en attendais pas moins d'elle. Je fais semblant de ne pas l'avoir entendue.
- Bonjour Aurore !
Mon salut, elle ne me le rend pas. Je m'approche du lit et m'assois près d'elle.
- Laisse-moi seule. Je n'ai aucune envie de te voir ou de te parler. Une fois encore, tu t'es permis de me sauver alors que j'aurais préféré mourir. Je te déteste Claire, je te hais de toutes mes forces !
Le ton de sa voix est si arrogant que je n'ai qu'une envie : lui donner deux belles gifles. Mais je me retiens. Ce n'est pas la meilleure solution. Je ne répondrai pas à son mépris ainsi. Je compte agir autrement.
Je m'arme de courage et la redresse prestement de son lit.
- Ah bon, tu me détestes ! Allez, redis-le moi ! ajoute-je en la secouant.
- Lâche-moi, tu me fais mal !
- Je ne te laisserai pas avant que tu me le dises encore, en me regardant droit dans les yeux.
- Je te déteste, je te hais ! répond-t-elle en fuyant mon regard.
Cela se voit qu'elle ne pense pas vraiment ce qu'elle dit.
- Et moi, je t'aime Aurore. Je t'aime depuis le jour où tu es entrée en mon sein. Oh, tu n'as pas idée de combien je t'aime !
- Je m'en fiche complètement, tu sais ! A présent, lâche-moi !
Plutôt que de lui obéir, je resserre mon étreinte. Aujourd'hui, c'est moi qui aurai le dernier mot.
- Tu m'as toujours détestée Claire, tu passes tout ton temps à me faire des reproches et des sermons à n'en plus finir. Tandis que papa…
- Tandis que ton père te chouchoutait tout le temps, te traitait comme une princesse, n'est-ce pas ? vocifère-je.
Elle hoche la tête, tout en me défiant du regard.
- Il y a une chose que ton père ne t'a jamais dite, un secret qu'il gardait bien enfoui, une vérité que tu dois savoir.
- Je n'ai pas envie de t'écouter. Lâche-moi et va-t'en !
Je la fixe droit dans les yeux.
- Non, Aurore. Tu vas m'écouter, que cela te plaise ou non ! Sache que ton père est né de parents très pauvres.
Elle secoue la tête.
- Tu mens. C'est impossible !
- C'est la vérité et c'est aussi le cas pour moi. Sauf que lui a renié ses origines modestes le jour où il est devenu riche. A partir de ce moment là, il a rejeté tout ce qui était lié au mot pauvreté et il a décidé que ce serait pareil pour toi. C'est pour cela qu'il t'a toujours fait croire que tu étais le centre du monde. Certes, il t'aimait vraiment mais il a oublié de t'enseigner que l'argent n'était pas ce qui importait le plus dans la vie. Il a oublié de t'enseigner la valeur de toute personne humaine, de te faire comprendre que tous les hommes sont égaux. Malheureusement, tu as grandi en ayant un complexe de supériorité et tu es devenue cette fille égocentrique et capricieuse que j'ai devant moi. Tu ne peux savoir combien, oh combien, je regrette d'être longtemps restée dans l'ombre... Pendant toutes ces années, j'ai supporté tes caprices, j'ai été une mère passive juste pour ne pas perdre le peu d'affection que tu avais encore pour moi. Mais à présent, c'est fini Aurore. Tu vas devoir grandir, tu vas devoir cesser tes caprices, accepter la vie que tu as même si elle n'est pas ce que tu veux. Tu vas devoir comprendre que ce n'est pas l'argent qui importe le plus mais le respect et l'affection qu'on a pour ceux qui nous entourent. Dieu t'a donné une seconde chance, Aurore, mais tu n'en as pas conscience. Tu ne sais pas ce que Suzanne donnerait pour avoir sa fille encore en vie, même si elle devait être complètement paralysée. Tu ne sais pas le nombre de gens qui auraient voulu avoir ta chance. Je ne sais pas ce qui s'est passé hier avec Steve, mais rien, non rien, ne justifie qu'on veuille se ôter soi-même une vie qu'on a reçue de notre Créateur. Alors, dès maintenant tu sais ce que tu as à faire !
Je sens que mes mots l'ont touchée. Elle ne se débat plus. Je libère ses bras et me dirige vers la sortie tout en ajoutant :
- Si tu as besoin de moi, je serai à coté dans le hall. Bipe mon numéro et je viendrai.
Elle demeure silencieuse. Je ne m'attends pas à ce qu'elle réagisse tout de suite. Je la sais très entêtée. Je reste quand même soulagée d'avoir pu lui dire tout ce que j'avais sur le coeur. Peu importe si après elle m'en veut davantage.
J'avance de quelques pas, ouvre la porte quand je l'entends me parler, avec une voix quelque peu modifiée par des larmes.
- Steve… m'a .... quittée … pour Rita.
Je ne m'attendais pas à une pareille nouvelle. J'ai de la peine pour ma fille. Steve était l'amour de sa vie. Quant à Rita, Aurore ne l'a jamais aimée.
Je reviens vers elle et vais la serrer dans mes bras. Elle ne s'y oppose pas. Cela fait tellement longtemps que je n'ai pas pris ma fille ainsi dans mes bras. Je suis aux anges. C'est un miracle. Elle éclate en sanglots. Je souffre avec elle. Je m'efforce de rester forte. Je m'efforce de ne pas pleurer.
Elle se dégage de mes bras.
- Steve a cessé de m'aimer parce que je suis devenue une ... infirme.
- Ne te dénigre pas autant, Aurore. Ce mot est péjoratif et tu le sais bien.
- Mais c'est bien ce que je suis. Et il en a honte, maman.
- Alors, si c'est le cas, il ne mérite pas tes larmes. Il ne les mérite du tout du pas, Aurore. Car son comportement prouve qu'il ne t'a jamais vraiment aimée. L'amour, le Vrai, supporte tout. L'amour, le Pur, sait conjuguer épreuves et joies au quotidien.
- Peut-être, mais actuellement je me sens complètement perdue, complètement vide sans lui. Je ne sais pas si je pourrai m'en sortir. Steve était toute ma vie, tu sais. Steve était mon tout !
- Non, Non Aurore. Ne dis plus jamais cela !
- Je l'aime tellement, maman. Tu ne peux savoir à quel point. Je serai même prête à lui pardonner s'il revenait vers moi.
Silence. Je ne sais pas quoi lui dire. Comment lui demander de cesser d'aimer un homme qu'elle idéalise autant ?
- Pleure autant que tu veux, ma fille ! finis-je par dire. Pleure si cela peut te soulager. Mon épaule est là, rien que pour toi. Je ne sais comment, ni combien de temps cela te prendra, mais je suis certaine que tu parviendras à surmonter tout ça. Tu es une femme forte. Tu es tel un roseau qui plie mais ne rompt pas.
- Je me sens seule et abandonnée, maman.
- Non, tu n'es pas seule. Tu m'as moi. Jamais je ne te laisserai tomber, jamais ! Même si tout le monde te tourne le dos, moi je serai toujours là pour toi.
- Pourquoi est-ce que tu continues de m'aimer alors que je passe mon temps à te martyriser ?
- C'est pourtant simple, Aurore. Je suis ta mère et je t'aime inconditionnellement. Tu comprends ?
- Je… balbutie-t-elle.
- Tu n'as pas besoin de dire quoi que ce soit, ma fille. Sache que dès à présent tu as une épaule sur laquelle tu pourras toujours t'appuyer, une maman sur laquelle tu pourras toujours compter.
- Merci, maman.
A mon cou, elle se jette à nouveau. Je soupire de bonheur.
*******
Madame Suzanne ZANNOU
Sur les conseils de ma soeur aînée, j'ai décidé de suivre une thérapie. Même si je doute que cela puisse m'aider.
Hélène, qui se trouve près de moi dans la salle d'attente du psy, trouve que je vais de mal en pire.
Il ne pouvait pas en être autrement. Perdre un enfant est une douleur tellement indescriptible, qu'il n'existe pas de mot pour le définir. "Veuf/veuve" désigne celui ou celle qui a perdu sa femme/son époux. "Orphelin(e)" qualifie celui qui a perdu son père et/ou sa mère. Mais qu'en est-il des gens comme moi ? Il n'existe aucun mot qui nous caractérise. D'aucuns diront que je suis "orpheline ou veuve de ma fille". Mais est-ce vrai ? Je n'en ai aucune idée. Tout ce que je sais, c'est que je souffre terriblement de l'absence de ma fille.
Si Hélène a tenu à m'accompagner, c'est pour me soutenir. Selon ses dires, bien sûr. Mais je suis certaine qu'elle tient juste à s'assurer que je ne me m'enfuirai pas à la dernière minute.
- Madame ZANNOU, c'est à vous ! me notifie la secrétaire du psy.
Je suis tellement déboussolée ces temps-ci que je ne sais plus si c'est un psychologue, un psychiatre ou autre.
Je prends mon sac et entre à l'intérieur. Je balaye grossièrement la large pièce du regard. Elle est climatisée. L'homme, un quinquagénaire aux grosses lunettes, est assis derrière son bureau. Dans un coin, j'aperçois un grand canapé, avec un fauteuil à côté. Je devine que cet espace sert aussi pendant la consultation.
- Bonjour, madame ZANNOU ! commence-t-il , en me priant de m'asseoir dans le fauteuil juste en face de lui.
En me parlant, il affiche un sourire que je trouve niais.
- Bonjour, monsieur NOUGBODOHOUE, réponds-je simplement.
- Et ce matin, comment vous sentez-vous ?
Cet idiot se moque de moi ou quoi ! Il est censé avoir déjà la réponse à cette question ! Si je me sentais bien, je ne serais pas en face lui ! Quel con !
Sans dire mot, je hausse mes épaules tout en le fixant droit dans les yeux.
- Très bien, madame ZANNOU. A présent, suivez-moi.
Il me propose de le rejoindre dans le petit coin et de m'asseoir dans le canapé. Je le suis sans grand intérêt.
- Parlez-moi de vous, de la raison de votre présence ici, de vos attentes, de…
Là, c'en est trop pour moi. Je ne suis plus d'humeur à jouer cette comédie. Si c'est cela une séance chez le psy, je préfère me soigner moi-même plutôt que de venir perdre mon temps ici.
Je me lève aussitôt du canapé et saisit mon sac.
- Mais madame ZANNOU, que faites-vous ?
- Je m'en vais. Je n'aurais jamais dû mettre les pieds dans votre cabinet médiocre. Vous êtes un incompétent ! Jamais plus, vous ne me reverrez !
Sur ce, je referme violemment la porte, qui émet un bruyant VLAN. Je m'éloigne à pas pressés. J'ai hâte de sortir de cet endroit. Hélène essaye de me rattraper.
- Suzanne, attends-moi !
Je ne l'écoute pas. Je continue mon chemin. Ce n'est que près de la voiture que je prends une pause.
- Hélène, que s'est-il passé ?
- C'était une grosse erreur que de venir ici.
- Suzanne, voyons ! Qu'est ce que tu racontes ?
- Figure-toi que cet idiot a osé me demander la raison de ma visite, mes attentes. Il a aussi voulu que je lui parle de moi. Pourtant, il est sensé savoir tout cela. Sinon pourquoi sa secrétaire m'a fait remplir ce long questionnaire !
Elle soupire.
- Donc, tu as quitté son bureau pour si peu ?
- Oui, en lui promettant de ne plus jamais revenir. C'est un vrai incompétent !
- C'est pourtant la routine ici. Il a besoin de t'écouter, d'entendre tes propres mots. Il n'y a rien de mal là. En réalité, tu te défiles, n'est-ce pas ? Tu fuis ! Tu n'as aucune envie de t'ouvrir sur cette douleur qui te ronge, alors tu trouves à chaque fois un prétexte pour rester dans ta bulle. Avoue-le !
- Pense ce que tu veux, Hélène. Je veux juste m'en aller d'ici. Ouvre-moi la portière !
- Tu ne pourras pas continuer de souffrir en silence, petite sœur. Il faut que tu ailles de l'avant ! Réagis, bon sang !
- C'est normal que tu parles ainsi quand tu as encore tes trois enfants près de toi. Moi, je n'en avais qu'une seule et elle n'est plus là.
- Suzanne …
- Je n'ai plus envie de t'écouter. Je veux rentrer chez moi. Si tu persistes, je prendrai un taxi.
Elle soupire longuement puis s'exécute. Je prends place à l'avant, côté passager. Elle me rejoint à l'intérieur et me scrute attentivement. Je fuis son regard. Je suis consciente que j'ai merdé, mais je m'en fiche. Tout ce que je veux, c'est qu'on me ramène ma Bella. Rien d'autre ne pourra m'aider.