Chapitre 11

Ecrit par Auby88

Aurore AMOUSSOU

 J'entends quelqu'un crier mon prénom devant la porte de ma chambre. C'est maman. Je me dépêche de déposer mon téléphone. Tout à l'heure, j'étais occupée à visionner des photos de Steve. Je sais que je dois le sortir de mon cœur, mais je n'y arrive pas. Il est tellement présent en moi. Je sens encore l'odeur de son parfum. Hier, j'ai dormi avec l'une de ses chemises qui traînent encore dans mon dressing. Avant-hier, j'ai même tenté de l'appeler. (Soupir). Je n'arrive pas à tourner la page. Je n'arrive pas à l'oublier, malgré les semaines qui passent.


- Aurore, je peux entrer ?

- Oui, maman.

- Je vois que tu es prête. Tu ne veux vraiment pas que je vienne avec toi au centre de rééducation ?

- Non, maman. Je ne veux pas que tu te déranges autant pour moi. Aujourd'hui, je veux me débrouiller toute seule. Sans toi et sans les infirmières ! dis-je en souriant.

- Tu en es bien sûre ?

- Oui, maman. Allez, viens me faire un gros câlin.

Elle ne se le fait pas dire deux fois. J'avoue que c'est vraiment réconfortant d'avoir ses bras autour de moi.


- A présent, il faut que j'y aille maman.

- D'accord, ma fille. Mais appelle-moi si nécessaire et je te rejoindrai. C'est compris ?

- Oui, maman.


Combien ai-je été bête ? Pourquoi ai-je autant repoussé une aussi bonne femme ? Pourquoi a-t-il fallu que je perde l'usage de mes jambes et l'amour de Steve pour réaliser combien ma mère m'aime, pour me rapprocher d'elle ?


Elle tient à m'aider à descendre et à me conduire jusqu'à la voiture. Je la laisse faire. J'aime bien qu'elle me chouchoute. Je lui fais un signe d'aurevoir de la main, pendant que le chauffeur m'aide à entrer à l'intérieur.

* *
 *

Aujourd'hui, j'ai l'impression qu'il y a beaucoup plus de monde au Centre. Tout me semble si nouveau. Le psychologue m'a demandé de prêter plus attention à toutes ces personnes qui vivent avec un handicap comme moi, d'en apprendre plus sur eux et de nouer si possible de nouvelles relations. Je compte essayer.


D'habitude, je viens juste faire mes séances et je m'en vais sans regarder qui que ce soit. J'ai souvent la tête dans mon mobile. Peut-être est-ce pour cela que tout me semble différent aujourd'hui.


Tandis que j'observe le monde autour de moi, un jeune homme s'approche de moi. C'est la troisième fois que je le vois. Ce qu'il fait exactement ici, je ne le sais pas. Il a l'habitude de parler avec les patients, d'amuser, de dire des blagues que je trouve plus niaises que drôles. A part cela, je le vois parfois faire des massages.


- Bonjour, mademoiselle Aurore ! dit-il en me souriant largement comme à son habitude.

Je me demande pourquoi il reste toujours aussi aimable avec moi, tandis que moi j'affiche toujours un visage ferme en sa direction.

C'est juste que je ne le sens pas, ce type. Je le trouve juste hypocrite et autant niais que ses blagues à la conne. Je ne le supporte vraiment pas. Je ne sais pas comment l'expliquer. En tout cas, ce n'est pas de l'égocentrisme. Il arrive qu'on déteste quelqu'un sans raison valable. Et bien, c'est le cas. Et puis ce sourire qu'il affiche à chaque fois m'indispose. On dirait une femmelette. Je parie qu'il doit être de "l'autre bord" en matière de sexualité. Autrement dit, cela ne m'étonnerait pas qu'il soit homosexuel.

- Bonjour, finis-je par dire en regardant ailleurs.

- J'espère que vous avez passé un bon weekend.

Je hoche simplement la tête. J'ai hâte qu'il passe à quelqu'un d'autre. Mais au lieu de cela, il s'assoit sur une chaise vide près de la mienne.

- L'homme au chapeau vert, amputé d'un pied s'appelle Laurent. Il a été victime d'un accident de travail. Cela n'a pas été facile pour lui car il a perdu son travail et sa femme l'a quitté. Mais il se reconstruit peu à peu.

Je lève les yeux vers l'homme qui me parle. Il me sourit encore.

- Ne soyez pas autant étonnée, Aurore ! Je vous observais tout à l'heure et j'ai remarqué que vous scrutiez tout autour de vous aujourd'hui, ce que vous ne faisiez pas avant. Vous savez, depuis la première fois que je vous ai vue ici, je n'ai cessé de prêter attention à vous.

- Pourquoi ? demande-je en levant un sourcil.

Je connais déjà la réponse. Il me dira sûrement que c'est parce que je suis belle et que je lui plais. Si monsieur croit que mon handicap signifie faiblesse, il se trompe largement sur mon compte.

- C'est simple, Aurore. Vous êtes la seule ici qui ne se mêle pas aux autres. La preuve, vous ne connaissez personne ici. Vous ne connaissez même pas mon prénom. Pourtant les gens passent leur temps à le crier dans le hall. Je me trompe ?


Hypocrite ! Je parie qu'il ne dit pas le fond de sa pensée. Et puis qu'est-ce qu'il croit ! Il se prend pour la reine d'Angleterre ou quoi ! Qu'est ce que son prénom doit avoir de si fameux pour que je le retienne. C'est vrai qu'on lui fait beaucoup appel, que les gens l'adorent mais je ne rappelle pas s'il s'appelle marc ou jean... Bof.

Et puis, ce n'est même pas mon type d'homme. Comparé à Steve, ce gars est tellement négligeable, complètement à l'opposé. Cela se voit qu'il est bien pauvre. Il porte un simple boba, une tenue locale en pagne même pas chic d'ailleurs. Je ne vois aucune montre, ni chaîne de valeur et son visage est quelconque. Je ne dirai pas qu'il est laid mais pas trop beau non plus. Bref, comparé à mon apollon de Steve, ce gars là est banal. Steve ! J'ai beau m'efforcer à ne pas penser à lui​, je n'y arrive pas. Tout me ramène à lui. (Soupir)


- Vous m'écoutez toujours ?

Je quitte mes pensées.

- A vrai dire, non. Vous voulez que je vous dise la vérité ?

- Dites- la moi. Je suis là pour vous écouter.

- Vous êtes d'un ennui mortel !

- Vraiment ! me demande-t-il en gardant son même sourire.

Je hoche fièrement la tête.

- Alors, je m'excuse de vous avoir volé votre temps. Je promets de ne plus vous embêter. Excusez-moi.

Je sais pertinemment que j'ai un peu exagéré, que je l'ai certainement vexé, qu'il a souri malgré lui, mais je ne compte pas m'excuser.

Je voulais qu'il s'en aille. Et il l'a fait. Bon débarras. Enfin, c'est mon tour.



Des minutes plus tard.

A nouveau, je suis dans le hall du Centre. Tandis que j'ouvre mon sac pour prendre mon mobile, je sens une frêle main se poser sur moi. Je lève les yeux et qu'est-ce que je vois ? Une magnifique fillette qui me sourit. Un vrai sourire d'ange, si beau que je me surprends à lui sourire en retour.

- Bonjour princesse !

Elle continue de me sourire sans dire mot et s'accroche au bras de mon sac.

- Où sont tes parents ?

Son sourire demeure impertubable. Aucun mot ne sort de sa bouche. Peut-être qu'elle ne parle pas français ! Tandis que j'essaie de comprendre la raison de son mutisme, une ombre vient près de nous et prend la fillette par la main. Je lève les yeux et je la vois devant moi.


- Baï ! m'exclame-je.

Elle me toise puis s'éloigne avec… sa fille. Il ne peut pas en être autrement. Je remarque que l'enfant porte des prothèses. Elle semble avoir été amputée des deux jambes. Je me demande bien ce qui a pu arriver à cette gamine.

Mon cœur se serre. Je repense à toutes les humiliations que j'ai infligées à cette pauvre mère de famille. Comment ai-je pu la maltraiter autant, juste par caprice !

"Aurore, tu es un monstre ! " murmure-je.



*******

Rita MARTINS


Il est 13h environ. Je viens d'arriver devant la banque où travaille mon petit-ami. Je porte une jupe crayon en pagne africain dans laquelle j'ai enfoncé un polo blanc. Je me dois d'être​ toujours pimpante et séduisante où que je sois. Après tout, je suis l'égérie d'une grande marque sud-africaine. Et je suis également en passe de devenir l'une des meilleures mannequins du pays. Je remercie le destin d'avoir écarté Aurore de mon chemin.

Tiens, Tiens. "Quand on parle du loup, on voit sa queue ! ". Cette fille n'a vraiment aucun amour propre.

J'aperçois sa voiture. Elle vient de se garer pas loin de la mienne. Je reconnais l'immatriculation. En plus, je viens de la remarquer à l'arrière de la voiture.

Je bipe à nouveau Steve pour lui faire savoir que je l'attends. Dix minutes plus tard, je le vois descendre. Aurore est encore là. C'est parfait. Je sors précipitamment de ma bagnole et accourt vers lui, me jetant à son cou. Mon geste est si brusque qu'il manque tomber.

- Rita, qu'est-ce tu as ? me demande-t-il encore surpris.

- Rien. C'est juste que je suis heureuse de te revoir. Tu ne peux savoir à quel point tu m'as manqué.

- Ah bon ! Pourtant nous étions ensemble toute la nuit !

- Oui, mais je t'aime tellement que chaque seconde sans toi signifie une éternité pour moi.

Il me sourit.

- Et moi, je t'aime encore plus.

Sans prêter attention au monde autour de nous, je l'embrasse par surprise.


- Rita ! s'exclame-t-il.

- Quoi !

- Nous sommes devant mon service !

- Et alors ? Nous nous aimons. C'est quoi le problème ? Allez, on y va. J'ai faim, moi ! conclus-je en mettant un bras sous le sien.


En réalité, si j'ai pris une telle initiative, c'est pour rendre Aurore encore plus jalouse. Et je ne me suis pas trompée. De là où je suis, j'ai pu voir son visage s'assombrir et sa voiture démarrer en trombe. Je jubile intérieurement. Pauvre Aurore ! (Rire)


Je dois quand même avouer, qu'au départ je me suis rapproché de Steve juste pour faire du mal à Aurore. Elle n'était pas au pays et c'était le moment idéal pour me rapprocher de son mec. Tout le monde sait que les hommes ne peuvent pas se passer de sexe, encore moins ce beau Steve.

Je me suis donc pointée un jour à son bureau. Nous avons discuté comme de bons amis, j'ai pris son numéro de téléphone et on s'est mis à converser sur les réseaux sociaux. Puis un jour, j'ai débarqué chez lui en tenue plutôt sexy. Et le charme a opéré. Après un ou deux verres, nous avons fini sur son lit. Et depuis, nous ne nous sommes plus quittés.


Cela peut paraître bizarre, mais je m'attache de plus en plus à lui. Je n'arrive pas à décrire ce que je ressens pour lui, mais ce n'est pas de l'amour. Du moins pas encore. Mais c'est plus que de l'attirance. Sinon comment comprendre qu'une fille comme moi, qui déteste les longues relations, soit depuis tout ce temps avec le même homme ?

Peut-être est-ce parce que Steve remplit tous les critères de "mon homme idéal" : il est grand, beau, riche, élégant, attentionné et surtout très endurant au lit. Pour ce qui est du dernier critère, aucun de mes ex ne l'égale. Steve est unique en la matière. Quand je pense que cette avare d'Aurore voulait se garder cette "huitième merveille du monde" pour elle seule ! Heureusement que je le lui ai piqué ! (Rire).



*********

Aurore AMOUSSOU

Dans la voiture qui me ramène à Abomey-Calavi, je repense à ce que j'ai vu tout à l'heure.

Je n'aurais pas dû me rendre là-bas. Qu'est-ce qui m'a pris de vouloir apercevoir Steve une dernière fois, ou peut-être​ de tenter de lui parler ?

Je ne savais pas que Rita serait là. Je ne suis qu'une idiote.


Folle de rage, je m'empare de mon téléphone et m'apprête à supprimer toutes les photos de Steve. Mais je me ravise. Je n'en ai pas le courage. Du moins, pas encore. Et puis, effacer ses photos ou son numéro de téléphone n'effacera pas toute la douleur que je ressens, tous les souvenirs bons comme mauvais que j'ai de lui et qui restent ancrés dans mon cœur et dans ma mémoire.

Comment parvenir à oublier celui qui vous a faites femme, celui à qui vous avez offert​ votre pureté, celui à qui vous avez offert votre cœur ? Comment ?


Tandis que je cogite, je me rappelle les mots de maman : " Steve ne mérite pas tes larmes, Steve ne t'a jamais vraiment aimée !"

Du revers de la main, j'essuie mes larmes et inspire profondément. Je suis tombée mais je me relèverai. Et je prouverai à Steve et à Rita qu'ils n'ont pas réussi à me détruire, que je reste forte malgré tout. Je leur prouverai que je vaux mieux qu'eux. Ce ne sera certes pas facile, mais j'y arriverai. J'arriverai à surmonter tout cela parce que je suis Aurore AMOUSSOU, "un roseau qui plie mais ne rompt pas".







SECONDE CHANCE