Chapitre 11

Ecrit par Meritamon

Diarri, Fouta Djalon.

 

     -       Allo, Serena? 

     -       Oncle Charles... tu m’entends? 

La ligne était mauvaise. Charles entendit la voix étouffée et les sanglots de Serena qui le suppliait de la ramener à Nairobi.


    -       Il faut que tu viennes me chercher... s’il te plaît, parles à mon père. Il t’écoutera, toi. Dis-lui que j'ai compris ma leçon. Cet endroit est horrible!  

La jeune femme semblait en détresse. Cela brisa le cœur de Charles Ogbufo. Peut-être que la décision de l’éloigner dans une contrée sauvage et de la laisser aux mains d’un homme que lui-même Charles connaissait à peine n’avait pas été judicieuse. Il fallait donner une leçon à Serena mais pas au prix de sa santé à elle.

     -       Respire Serena... calme toi!

Serena de sangloter plus fort derrière le combiné. La jeune femme craquait. Elle avait du mal à s'adapter à son nouvel environnement, loin de toutes les facilités.

 

     -       Comment a été ta semaine, ma puce? S’enquit Charles, préoccupé.

    -       Horrible, horrible! Ne cessait-elle de répéter. Il me torture, m’humilie et me fait faire des travaux durs. C'est une torture.

     -       Qui ça? Tahaa? 

Serena devait exagérer. Tahaa ne devait pas être aussi exigeant que ça. Peut-être qu’elle faisait semblant? Parfois, la jeune femme avait tendance de fabuler pour s’attirer les bonnes grâces. Mais comment le vérifier, après tout, qu’elle était sincère?


      -       Tu es plus forte que ça, Serena. Encore quelques semaines... 

    -       Je ne pourrais pas survivre à une autre semaine en compagnie de cet homme! Oncle Charles? Je vais fuguer... je m’enfuirais si ça continue! Menaça-t-elle, décidée. Lui, Charles, savait que la jeune femme n’hésiterait pas.

     -       Serena, ne fais pas une chose pareille, pour ta sécurité. Attends…

Puis la ligne avait coupé. Charles contacta immédiatement Tahaa Badr. L’homme de confiance de Malick Hann n’en revenait pas de ce manque de sérieux. Est-ce que Tahaa était au courant des plans de fugue de la jeune femme, de sa détresse?


     -       Allo? Tahaa, c'est Charles Ogbufo. Je suis énormément déçu. 

    -       Serena vous a parlé? Je constate qu'elle n’a pas tardé de se plaindre. C’est moi qui suis déçu en réalité. Je pensais qu’elle était plus tenace que ça, mais elle craque facilement, cette petite peste !

Tahaa était pourtant calme et gardait son sang-froid. Limite de l’arrogance dans sa voix. Cela déplut à Charles qui nota son écart de langage.

     -       Comment cette situation s'est produite? Elle affirme que vous la torturez!

    -       Elle travaille c'est tout. Elle appelle ça de la torture? Par ailleurs, Votre nièce est impossible! Elle a même essayé de m'empoisonner!  Elle a appris que j’étais intolérant aux protéines de lait de vache, et en mettait dans ma bouillie, tous les matins.

Tahaa raconta à Charles qui n’en revenait pas, qu’il a eu des crampes au ventre pendant deux jours et des vomissements, avant de comprendre que la jeune femme, assignée à la cuisine, mettait un soin particulier à verser du lait dans sa gamelle le matin pour l’empoisonner.

      -       Serena est tout simplement espiègle, c’est son âge qui fait ça, minimisa Charles Ogbufo, amusé de la situation. Comment vous sentez-vous à présent?

       -       Je vais mieux mais furieux. Honnêtement, avec tout le respect que j’ai pour vous, je regrette d'avoir accepté ce marché. Et si je pouvais revenir en arrière, je le ferais.

Tahaa ajouta : « Votre nièce est entourée de bienveillance, ma grand-mère l'adore. Quel est son problème? »

Charles se froissa qu’on lui parle de cette façon. Tahaa recevait beaucoup d'argent pour compenser, alors de quoi il se plaignait?

      -       Vous n'avez pas à me parler sur ce ton, Tahaa ! Estimez-vous heureux que son père Malick Hann ne soit pas au courant de la situation. Je vous faisais confiance voyons! je vous ai dit d'aller avec douceur avec elle.

      -       Le problème est que vous l'avez trop gâtée, cette fille.

      -       C'Est possible, mais il est trop tard à présent. Je veux que vous arrangiez les choses.

Tahaa raccrocha en pestant. Si seulement il pouvait revenir en arrière.

  


***********

 

Lorsque Serena descendit de sa chambre à l’aube, Inna l’attendait dans la cuisine et lui dit sans préavis :

      -         Viens avec moi, nous allons chercher du bois mort.

Un sentiment de gêne s’empara alors de Serena au souvenir de son comportement, de la manière qu’elle avait quitté rudement la table au repas. Cela avait dû être perçu comme malpoli. Et surtout quand il s’est avéré que c’était elle qui empoisonnait Tahaa Badr avec le lait de vache que son système à lui, ne supportait pas.

     -         Inna, je m’excuse pour tout. Je n’ai pas pu me contrôler. C’est que Tahaa me met dans tous mes états… tenta d’expliquer la jeune femme.

Inna, sans un mot, lui fit signe de la suivre dehors dans l’aube naissante au milieu du brouillard qui se dissipait. Elles prirent, ensemble, le chemin qui menait dans le petit bois, Inna devant, droite sur sa canne de bois, son voile blanc soulevé par la petite brise du matin.

Lorsqu’elles arrivèrent à la clairière, Serena aida la vieille femme à ramasser le petit bois mort qui servirait de combustible pour la cuisine. Inna tenait à son bois mort malgré les fourneaux au gaz et au charbon de bois qui avaient été installés.

Alors que la jeune femme faisait un tas avec ce qu’elle avait ramassé, Inna l’interpella.

      -         Serena, il est important que tu apprennes à gérer tes émotions. Pour cela, je vais t’enseigner le code d’honneur du Pulaaku, le code des Peuls, c’est notre façon d’être qui nous élève et nous fait grandir en tant qu’humain dans la société. C’est quelque chose qu’on ne vous apprend pas à l’école occidentale. Ce qui est dommage.

Inna s’assit sur un rocher, elle sortit la brindille d’écorce d’eucalyptus avec laquelle elle avait l’habitude de se curer les dents, qui lui donnait une haleine fraîche en tout temps. Serena s’assit en face d’elle, docilement, comme une élève. La présence d’Inna lui procurait beaucoup de paix. Il n’y avait aucun bruit aux alentours, hormis le bruissement des hautes herbes.

La vieille femme se recueillit et commença :

      -         Dans le Pulaaku, ou la manière d’être peule, il y a des valeurs que nous partageons, partout où nous sommes. La première de ces valeurs est :

« HAKKILO , c’est le bon sens, l’intelligence. Tu es intelligente, Serena. Mais il te faut plus, il est important que tu développes ton intelligence émotionnelle pour gérer les complexités de la vie sociale"

La jeune femme hocha la tête, à l’écoute de ces enseignements.

La deuxième valeur :

       -         « MUNYAL » c’est la plus importante à mon avis. C’est la réserve, la patience, la maîtrise de soi. La vie n’est pas un long fleuve tranquille, il y a pleines de situations fâcheuses qui peuvent nous être imposées, ou qui peuvent émerger dans notre vie. MUNYAL, cette valeur, permet d’accepter les choses comme elles sont…

Inna s’interrompit. Une toux venait de la secouer. Serena l’aida à serrer son châle en laine autour de ses épaules. L’aube était très fraîche dans la région.

       -         Merci.... Toi, Serena, tu es impétueuse. Tu ressembles à ces oiseaux qui meurent de désespoir quand on les enferme dans des cages. Cependant, il faut que tu apprennes à tempérer ta nature, à te maîtriser. MUNYAL doit être ton compagnon de tous les jours.

 

       -         Mais Tahaa, lui? Il me pousse à bout! Protesta la jeune femme.

Inna la coupa d’un geste de la main :

-         Tu es une femme. Tu n’es pas obligée d’affronter les hommes en te servant des mêmes armes qu’eux. Tu dois être plus subtile. Tahaa a son tempérament mais il a aussi le MUNYAL, la maîtrise de lui, en partie parce qu’il a baigné dans notre culture. Toi, tu dois tout apprendre.

« La troisième règle :

-         SEMTEENDE, la pudeur. Il y en a peu de nos jours. C’est la retenue face à ce que notre dignité nous interdit d’être ou de faire.

À cela s’ajoutent, le courage, le sens de l’honneur, de la parole donnée ».

 

      -         Moi Inna, mon objectif n’est pas de te transformer en une personne que tu n’es pas, puisque tu as ta nature propre. Je veux seulement te transmettre ces choses qui serviront à t’élever, à te faire grandir. Je tenais à te les enseigner parce qu’elles pourront te servir un jour dans la vie.

 

     -         Vous êtes une femme sage, Inna. Je n’ose même pas imaginer aspirer à devenir comme vous, soupira découragée, Serena.

      -         Pourquoi pas? Tu en es capable. Je n’ai pas toujours été comme ça, dit la vieille femme, avec son sourire mutin.

« Quand j’étais jeune, il y a des lustres de cela, j’étais comme toi. Le père de mon père a été roi, j’avais accès à des privilèges et je méprisais tout ce qui n’était pas comme moi ou qui ne provenait pas de la cour royale. Puis un jour, tout ça a changé brusquement. Aux lendemains des indépendances, le premier régime dans ce pays a mis fin aux chefferies, aux titres de noblesse. Nous avons tout perdu du jour au lendemain. Il a fallu que je m’adapte. MUNYAL, a donc été mon compagnon.

      -         Bon! On a assez de bois pour préparer le repas. Nous allons retourner à la maison.

À ce moment là, les oiseaux s’agitèrent dans les arbres aux alentours et poussèrent des petits cris stridents. Inna se crispa. Elle détecta un mouvement ondulatoire suspect à quelques centimètres d’elles. Avant que le serpent n’émerge des hautes herbes, Inna, alerte et vivace, l’avait assommé à l’aide de son bâton. Serena avait alors poussé un cri de surprise. La vipère gisait morte, son ventre jaune en l’air, écrabouillé.

     -         Ne crains rien, il est inoffensif à présent.

La femme cracha sur le serpent. Serena comprendra plus tard que l’alarme lui avait été donnée par les oiseaux qui détectaient les serpents et poussaient des petits cris pour prévenir comme un système d’alarme, pour celui qui était à l’écoute de la nature.

 

Sur le chemin du retour, elles firent la rencontre inattendue de Farba, le marabout-féticheur. Affublé de gris-gris, il semblait revenir du royaume de la nuit et des ombres. Il ne cacha pas sa surprise de voir les deux femmes de si bonne heure. Son regard sournois alla sur Serena, qui ne put expliquer pourquoi elle se sentit glacée au sang. Elle garda un visage impassible en se convainquant qu’elle détestait cet homme, qui qu’il fut.

     -         Assalam aleikoum, hadjaen, salua-t-il de façon obséquieuse. (La paix sur vous, Hadja)

     -         Aleikoum Salam, Farba, lui rendit brièvement Inna, sans s’attarder devant l’homme.

 

     -         Qui est cet homme? Je n’aime pas son regard, chuchota Serena en Swahili, quand elles s’éloignèrent.

  

     -         Tu as raison. C’est important que tu te fies à ton instinct. C’est un homme qui a pour métier de donner des faux-espoirs à ceux qui sont faibles. Il fait affaire avec les choses de l’ombre.

      -         C’est un sorcier? Je ne crois pas en ces choses.

      -         C’est normal que tu n’y croies pas parce qu'à l'école des blancs on vous apprend à être objectif, à croire en la science. Mais il y a des choses que la science ne peut pas toujours expliquer.

Si tu veux savoir, cet homme-là se nourrit du désespoir des autres, des femmes au cœur brisé, des hommes trop ambitieux, qui s’accrochent aux illusions de la magie…

 

Inna pensa alors à Zeinab et elle en eut un pincement au coeur. Elle savait que Zeinab voyait Farba, qu’elle utilisait des pratiques occultes pour charmer Tahaa. Sans succès, puisqu’une vieille magie dans la famille protégeait les Badr. C’est alors qu’Inna pensa qu’il fallait protéger Serena du mauvais œil. Elle lui fabriquera, si elle l’accepte, un talisman qu’elle portera sur elle.

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Coucou tout le monde.

Merci d'avoir été patients! À mes nouveaux lecteurs, bienvenue. N'hésitez pas à commenter ou à liker.

Je publierais un autre chapitre vendredi.Prenez soin de vous et de vos proches.

PS: Serena va-t-elle fuguer un jour? Tahaa et elle, finiront-ils par s'entendre ? 

PPS: la photo au-dessus représente une femme peule avec sa coiffe traditionnelle.

bisous!



   
L' héritière