Chapitre 11
Ecrit par leilaji
LOVE SONG
Tome II
(suite de Xander et Leila + Love Song)
LOLA
Episode 11
(Psssssss… merci pour les 1000 likes sous le premier chapitre de Love Song 2, vous êtes géniaux même si après la paresse s’empare de vos doigts heinnnnn !!! quand j’ai commencé à écrire sur facebook il y a deux ans, je ne pensais même pas qu’un jour, mille personnes dans le monde prendraient le temps de me dire merci par un like. Merci )
Il a perdu beaucoup de sang mais l’opération s’est bien passée. Je fais partie des gens qui ont une peur monstre de rentrer dans une clinique à Libreville. On ne sait jamais si en en ressortira vivant même lorsqu’on est interné pour un simple palu. Trop de tragédies pour être confiant. Mais parfois, les choses se passent comme elles le doivent, et des vies sont sauvées. J’ai donc apporté un whisky au chirurgien qui a effectué l’opération et celui-ci a poliment refusé ma bouteille. Il m’a dit : « je suis payé pour sauver les gens. Je ne vois pas ce qu’il y a d’extraordinaire à me voir faire mon travail ! » Mais j’ai insisté et c’est maladroitement qu’il m’a dit merci avant de s’enfuir avec ses grosses lunettes de premier de la classe.
Je ne sais pas si je peux me permettre de me relâcher dans la prière quand je suis dans la chambre avec Gabie. J’ai l’impression que si je m’éloigne physiquement de lui, Dieu va me l’arracher. Comme ca a été le cas avec Mickael. Peut-être que si j’étais allée le chercher à sa sortie, il serait encore là. Il n’aurait pas eu son stupide accident de moto. Peut-être que je n’aurai pas à me demander si j’ai le droit d’être là, prêt de lui… je soupire. Gabriel n’aimerait surement pas me voir ressasser le passé ainsi. Il faut que je tourne la page.
Je donc reste autant que je peux. Parce que la première fois je ne l’ai pas fait. Et je refuse de refaire la même erreur deux fois. Gabriel a eu droit à beaucoup de visites de la part de sa famille. Des cousins, des tantes, plein de personnes qui se demandaient ce que je faisais là. Je n’ai évidemment pas satisfait leur curiosité. Même si je suis quelqu’un d’assez exubérant, je sais aussi être réservée quand il le faut.
Les infirmières m’ont surnommée : madame Gabriel. J’ai essayé de corriger en vain puis j’ai abandonné. Trop d’énergie à dépenser pour rien. L’horloge murale signale 22 heure 37 minutes. Il est tard et je ne devrai pas être là, mais hier j’ai chanté à voix basse une louange qui a fait pleurer Madame Ditona, la cheffe des infirmières. Je ne suis pas une spécialiste des chants bibliques mais maman dit que ça ne peut pas lui faire de mal d’entendre ma voix. Elle dit aussi que ça fera plaisir à Dieu de savoir que cette belle voix qu’il m’a donnée, je ne l’utilise pas que pour le « monde ». Il faut entendre par le « monde » toutes les personnes qui ne pratiquent pas leur foi chrétienne. Grace à ma mini prestation, je peux désormais me permettre de grignoter quelques heures de plus dans la chambre sans qu’on ne m’en sorte à coup de pied !
— Il serait peut-être temps de rentrer chez vous, jeune fille.
Je tourne la tête vers la porte d’entrée et me lève précipitamment pour libérer la chaise sur laquelle je suis assise. Le père de Gabriel est là. C’est fou ce que son fils lui ressemble.
— Bonsoir monsieur Valentine, dis-je en essayant de remettre de l’ordre dans ma tenue.
Evidemment, c’est peine perdue. Ce n’est pas avec ma main comme peigne que je pourrai coiffer mes extensions ou effacer toute trace de fatigue sur mon visage. En plus j’ai trop pleuré ces derniers jours. Et là, mes yeux bouffis par les larmes séchées me disent : si tu pleures encore, on va sortir de tes orbites et rouler aux pieds de cet homme et tu ne nous verras plus jamais!
— Bonsoir… dit-il en fouillant dans sa mémoire pour se rappeler mon nom.
— Lola. Je suis une amie de Gabriel et de … Une amie de Gabriel.
— Ah Lola. Oui c’est ça.
Il ne me remet toujours pas et est trop bien élevé pour le dire. Ses yeux se posent sur ma main qui enserre celle de Gabriel. Je la retire, repose la main de Gabriel sur le drap refroidi par l’air conditionné et croise les bras car je ne sais pas quoi faire d’autre.
— Ne vous dérangez pas pour moi. Je suis juste venue voir … enfin, voir s’il n’y avait pas d’évolution…
— Non. Il ne s’est toujours pas réveillé. Mais les médecins disent qu’il n’y a pas à se faire de souci.
— D’accord.
— Merci de m’avoir autorisée l’accès à sa chambre…
— Oh. Ce n’est pas moi… ca doit venir d’Eloïse ça.
— Ah d’accord. Je lui dirai merci quand elle appellera. Elle appelle quasiment tous les jours pour donner des ordres. Je n’ai jamais vu quelqu’un autant aimer mener à la baguette qu’elle…
— Elle tient ça de sa mère.
— Les officiers de police judiciaires aussi sont passés. Je leur ai raconté ce que j’ai vu mais ils disent qu’ils vont être obligés d’attendre qu’il se réveille pour pouvoir faire avancer l’enquête.
— Je ne m’inquiète pas pour ça. On trouvera qui a fait ça !
Son téléphone sonne et il me fait un léger signe avant de décrocher. J’en profite pour l’observer un peu mieux. A le voir, on comprend tout de suite d’où Eloïse et Gabriel tiennent leur sens inné de la mode. Il a ce charme discret mais puissant que seuls les hommes myene possèdent, passé un certain âge. La dernière fois que j’ai vu le père de Gabriel, sa tête n’était pas aussi blanche, ni son visage aussi marqué. C’est un homme effrayé par le sort de l’unique fils qui lui reste qui parle au téléphone. Apparemment Eloïse sa fille, est au bout du fil car il discute de l’état stable de Gabriel et lui dit de ne pas s’inquiéter. Il n’arrive même pas à poser les yeux celui dont il parle. Je ne peux pas le juger. Je ne peux même pas me permettre d’imaginer ce que ça fait de perdre ses enfants dans des circonstances tragiques.
Je remets ma main sur celle de Gabriel par habitude. Elle est un peu froide. Je frotte légèrement pour la réchauffer. J’aime avoir sa main dans la mienne. Ca fait remonter des souvenirs en moi. Les bonnes choses qu’on a partagées ensemble, comme les mauvaises : ma carrière et notre séparation. Je lui ai fait beaucoup de mal, ça c’est indéniable. Je lui ai brisé le cœur mais il continue toujours de veiller sur moi. Gabriel et ses multiples facettes cachées ! Il y a tellement à lui dire mais pour cela il faudrait qu’il ouvre les yeux. Aucun organe vital n’a été touché par la lame. Les médecins disent qu’ils ont fait le maximum et qu’il faut juste attendre qu’il veuille bien se réveiller. Pourquoi ne se réveille-t-il pas ? Est-ce une manière de me préparer doucement à le perdre ?
— Vous êtes la chanteuse c’est ça ?
— Oui…
— Il vous a embarqué dans sa folie des grandeurs et son amour pour la musique, constate-t-il en souriant.
— Oui. Mais il m’a surtout appris à ne pas sous-estimer mon talent. Personne ne le fait mieux que lui. Il vous regarde et son regard dit : tu es la chose la plus importante sur terre. Et on le croit immédiatement.
— Vous semblez très proche de lui. J’en suis heureux.
Il se racle la gorge l’air de chercher ses mots. Qu’est-ce qu’Eloïse lui a dit ?
— Êtes-vous la même Lola que celle dont Eloïse m’a parlé pour … Mickael ?
Bon la c’est sur, il me reconnait enfin. La dernière fois qu’il m’a vue, il m’a prise pour la femme de Mickael. C’est très gênant qu’il comprenne à demi mot que ma relation avec ses deux fils est très … compliquée. J’ouvre la bouche pour répondre puis la referme sans rien dire avant de tenter une nouvelle fois de répondre sans succès. Je dois ressembler à un poisson qui gobe l’air. Mon Dieu. J’ai envie de disparaitre. Est-ce que je peux m’évanouir de honte ? Oui ? Je ferme les yeux très fort et compte jusqu’à trois. Je soupire. Une tête aussi dure que la mienne ne peut pas défaillir aussi facilement. Je retire ma main de celle de Gabriel.
— Oui c’est moi.
Il a toujours son air avenant et ses pattes d’oies qui lui donnent ce regard de vieux séducteur mais quelque chose en lui, se contracte imperceptiblement. Il est en train de me juger. Ca se lit dans son attitude. Suis-je ce que je semble être ? Une fille sans morale qui passe d’un frère à un autre ?
Non je ne le suis pas. Je n’ai pas couché avec Gabriel.
Non je ne le suis pas. Qu’il arrête de me juger comme ça !
— Je vais y aller. S’il a besoin de quoi que ce soit appelez moi.
— D’accord.
— Avez-vous mon numéro ?
— J’ai son téléphone. Je suppose que votre numéro y est.
Evidemment dit comme ça, ça prête à interprétation. Bordel, il faut que je me taise. Mais comment fait cet homme pour me mettre aussi mal à l’aise sans rien dire de méchant.
— D’accord. Bonne nuit mademoiselle.
— Bonne nuit à vous Monsieur Valentine.
Il s’en va peu après. C’était la conversation la plus gênante de toute ma vie. Je reporte de nouveau toute mon attention sur son fils.
— Valentine, il faut vraiment que tu te réveilles là. Ta famille va finir par me faire jeter dehors et je ne pourrai plus te voir… C’est ce que tu veux ? C’est ta manière de te venger de moi parce que je t’ai tenu éloigné de ma vie ? La rancune ca ne te ressemble tellement pas, j’ajoute en scrutant son visage.
Je me fais un peu l’effet d’une folle à parler toute seule dans sa chambre mais en même temps ça me fait tellement de bien de pouvoir lui parler sans qu’il ne me réponde. Lorsque j’ai fini de le taquiner, je sors mon téléphone de mon sac à main et y branche mes écouteurs avant d’aller sur youtube. Je retrouve la vidéo de la soirée chez les Khan et place les écouteurs dans ses oreilles.
— Ton téléphone ne cesse de sonner avec des appels professionnels. Tu m’as dit avoir tout misé sur ton émission, il faut que tu reprennes les choses en main avant que les sponsors et autres t’abandonnent et foutent le camp. Après tous tes efforts ?
Seul le bip discret des appareils électroniques de la chambre répondent à mes questions. Mes épaules s’affaissent.
Peu de temps après, une infirmière entre avec un plateau. Il est temps que j’y aille mais je n’ai pas envie de le laisser seul dans cette chambre. Je n’arrive pas à me lever, je reste assise sur la chaise visiteur à contempler son visage qui me semble si paisible.
— Je sais que c’est difficile pour toi mais il va falloir que tu rentres te reposer un peu. Tu as vraiment l’air fatigué et ce n’est pas en tombant malade à ton tour que tu pourras veiller sur lui.
— Je ne veux pas qu’il reste seul.
— Sa famille lui rend visite souvent. Il n’est pas seul ma chérie. Je veillerai scrupuleusement sur lui en ton absence. C’est promis.
Elle pose son plateau et se tourne vers moi en enfonçant ses mains dans ses poches. Je l’observe d’un œil méfiant. Sa blouse est propre et elle n’a pas l’air trop incompétent. C’est une femme petite de taille mais qui dégage une autorité naturelle. Elle a une énorme tignasse naturelle qu’elle a savamment coiffée.
— Rentre chez toi dormir et reviens demain en après midi. Tu es fatiguée.
Son regard sans appel finit de me convaincre. Je quitte les lieux peu de temps après. Sur le chemin du retour, mille questions se bousculent dans ma tête. La principale c’est comment je vais payer mon loyer puisque je ne chante plus dans la boite de strip ?
Après une nuit sans rêve, je me réveille tard dans la matinée. Je devais être plus fatiguée que je ne le pensais. Je baille à m’en décrocher la mâchoire puis saute hors du lit. Il y a un message de Raphael qui me demande si l’état de Gabriel a évolué. J’écris rapidement que non. J’envoie par la suite un message d’information à Madame Khan et à Denis. Je n’ai pas eu de leurs nouvelles, comme s’ils s’étaient volatilisé tous les deux. Je sais que ce sont des personnes occupées alors je ne m’en suis pas formalisée. Je reçois de courts messages de réconfort de leur part.
Une rapide douche et une séance de maquillage encore plus rapide plus tard et je suis prête à retourner à la clinique. Mais je pense à faire un petit saut par le centre commercial Mbolo. Non loin de son parking, il y a des jeunes hommes qui y vendent des bouquets de fleurs naturelles. Evidemment, ce ne sont pas des orchidées ou des roses mais c’est le genre de plantes décoratives qu’on peut mettre dans un salon sans honte. Elles sont moins chères que celles des fleuristes situées en ville mais je suis sure que Gabriel saura apprécier quand il ouvrira les yeux. C’est le genre de choses qu’il aime. Avec quinze mille, j’ai un petit bouquet sans prétention.
J’ai mauvaise conscience de prendre le temps de faire ce détour mais au moins ça me permet de souffler un peu. Je commence à chercher des yeux un taxi lorsque le téléphone de Gabriel sonne dans mon sac. Puisque je vois afficher « papa », je décroche.
— Venez tout de suite. Venez.
Je n’ai même pas le temps de demander ce qui se passe qu’il a raccroché. Ma main tremble quand j’arrête le premier taxi que je vois et prends une course pour rejoindre la clinique. Je me remets à prier tandis que le taxi s’arrête à l’entrée de la ruelle qui mène à SOS Médecin. Je descends rapidement oubliant le bouquet sur la banquette. Le taximan klaxonne pour me le signaler, m’obligeant à revenir sur mes pas le récupérer. Puis je me précipite dans le bâtiment principal peint en blanc.
Je n’ai ni le temps de saluer la réceptionniste à l’entrée ni le temps de demander si les heures de visites ont débuté. J’ai le cœur qui tambourine dans ma poitrine à une allure telle que j’ai l’impression qu’il va littéralement exploser. Je fonce vers la chambre VIP pour tomber sur le père de Gabriel statufié devant la porte. Il a la main posée sur le poignet de la porte à laquelle il tourne le dos, la tête baissée, je n’ose m’avancer vers lui. Le bouquet dans les mains, je me sens soudainement tellement insignifiante et inutile devant cet homme que la douleur scie en deux. Les larmes me montent aux yeux. La douleur comme la joie sont les seuls sentiments à être aussi contagieux qu’une mauvaise toux. Les épaules de Monsieur Valentine sont secouées de tremblements incontrôlables. Je n’avais encore jamais vu un homme de son âge pleurer. Il ne fait aucun bruit mais tout son corps manifeste sa peine. Ca le rend si misérable que j’en oublie de respirer.
Le bouquet me glisse finalement des mains et s’écrase au sol en un bruit mat à peine perceptible. Monsieur Valentine semble enfin s’apercevoir qu’il n’est pas seul au monde et lève les yeux vers moi. Il prend le temps de souffler, de respirer profondément et de se calmer. La douleur disparait et il me regarde intensément puis murmure :
— Il va bien. Va le voir.
Je comprends que cet homme à l’attitude si guindée a eu peur de perdre son fils et qu’il a pleuré de s’être longtemps retenu d’exprimer sa peur. C’étaient des larmes de soulagement.
J’entre dans la chambre à pas lents. Une infirmière le fait boire et me sourit en remarquant ma présence. C’est la même qu’hier, celle qui m’a promis de prendre soin de lui. Je n’ose pas sourire. Non pas encore. Il a toujours les yeux fermés. Je m’arrête devant le lit et l’infirmière me jette un coup d’œil attentif avant de nous laisser seul.
— Viens Bekale, dit-il en ouvrant les yeux.
J’ai vraiment cru que plus jamais je n’entendrais Valentine m’appeler par mon nom.
J’ai vraiment cru que plus jamais il n’y aurait de Valentine à mes cotés.
J’ai vraiment cru le perdre alors que j’ai déjà perdu son frère.
J’essuie une larme qui roule sur ma joue. Satanées émotions de merde ! Je dis la première chose qui me vient à l’esprit.
— Les fleurs sont tombées.
Je sais que c’est stupide mais je n’arrive à rien dire d’autres. A quoi je pense à cet instant précis ? Que grâce à lui j’ai fini par pardonner à Mickael d’être parti trop tôt mais qu’à lui je n’aurais jamais pardonné de me laisser seule. Jamais. Gabriel a toujours été là pour moi.
— Lola...
Sa voix est rauque et je sens qu’il fait des efforts pour parler. Un sanglot terrible s’échappe de ma gorge. Et je n’y vois plus rien parce que mes yeux se sont emplis de larmes. Satané cœur de merde qui me fait souffrir même quand je devrais le bénir de battre si fort pour quelqu’un de nouveau.
— Il faut que j’aille te chercher les fleurs. J’ai cru que tu … et je les ai laissées tomber … Et j’ai cru que … je pensais ne plus jamais te revoir et … j’ai cru …
Je suis toujours debout face à lui. J’essuie la morve qui coule de mes narines et regarde ailleurs un moment. Je ne sais pas pourquoi Dieu a inventé l’amour. A ce moment précis je trouve que c’est un sentiment bien lourd à porter dans un cœur. Tant pour lui que pour moi.
— Lola... je ne peux pas me lever… alors viens là…
— Ne me donne pas d’ordre. Tu es toujours si autoritaire…
— Parce que tu … es sauvage ! Comme la plupart des filles … fangs d’ailleurs…
— Pfffff, les myene et leur vanité… Les blancs vous ont gaspillé.
Il me sourit. Je n’ai jamais vu son visage exprimer une telle douceur auparavant. Je souris à mon tour. Mon cœur n’a plus envie de pleurer, il ne tremble plus de peur mais de soulagement.
— Viens là… S’il te plait…
Mes pieds me répondent enfin et je m’avance vers son lit. Je glisse ma main dans la sienne.
— Plus prés Lola. S’il te plait.
Je grimpe sur le lit et me positionne confortablement à ses cotés. Il dégage une odeur d’antibiotique mais ça ne me gêne pas. Son corps est chaud et ferme. C’est agréable. Il regarde le plafond un moment avant de fermer les yeux. Son corps se détend près du mien. Gabriel et moi n’avons plus été aussi proches depuis très longtemps.
— Si on me trouve là, je vais avoir des problèmes.
— Si j’avais ouvert les yeux et que tu n’étais pas là, là tu aurais eu de vrais problèmes, me dit-il en tournant la tête vers moi.
— Je sais.
— Ca valait la peine, tu sais.
— Quoi ?
— De se faire poignarder et de t’avoir dans mes bras comme ça.
Il grimace. Peut-être ai-je touché le pansement de la blessure. J’essaie de m’écarter un peu.
— N’y pense même pas, murmure –t-il en me serrant encore plus. Tu sens bon.
— Tu ne risque pas de trouver le nom du parfum. Il coute 2 000 francs. C’est de l’eau de Cologne pour bébé pas du vrai parfum.
— Et c’est censé me dégouter ? Tu sens bon.
— Merci. La prochaine fois trouve un moyen moins risqué pour m’avoir dans mes bras. Ok ?
— Ok.
On ne dit plus rien. Je me demande s’il ne s’est pas endormi lorsqu’il reprend la parole.
— C’était flippant.
— Je sais.
— Et ca devait l’être encore plus pour toi. Je suis désolé.
Je ferme les yeux pour ne pas lui faire remarquer qu’il n’a pas à être désolé pour moi. C’est lui qui a failli mourir pas moi. Moi j’ai juste failli mourir de chagrin.
— Gabriel ?
— Oui ?
Non, ce n’est pas le moment de parler de tout ça. Il doit d’abord se reposer.
— Tu as l’haleine d’un chacal.
Je l’ai dit avec tellement de sérieux qu’on éclate de rire tous les deux. Enfin plus moi que lui car il a mal quand il rigole. Je dépose un doux baiser sur sa joue piquante de barbe non rasée pour soulager sa douleur. Il tourne de nouveau la tête vers moi et plonge ses yeux dans les miens.
Le monde s’arrête.
Son père ouvre la porte… La bulle éclate.
Je me lève promptement sans le regarder. Je sors de mon sac son téléphone que j’ai gardé avec moi depuis le début et le lui rends. Je récupère le mien avec ses écouteurs sur la tablette.
— Je vais y aller...
— Pourquoi ? Reste Lola…
— Non. Je t’ai assez dérangé comme ça et puis j’ai des choses à faire. Préviens moi quand tu sors, ok.
Il passe de son père à moi, essayant de deviner ce qui cloche. Je souris, fais un petit signe d’au revoir à son père et disparais sans rien ajouter.
*
**
Gabriel a encore fait trois jours à la clinique avant qu’on ne l’autorise à sortir. Puisque les clefs de chez lui sont restées dans la veste ensanglantée et que je ne les lui ai pas rendu, je suis allée chez lui faire un peu de ménage et préparer sa maison pour l’accueillir. Je l’ai prévenu par texto pour qu’il en cherche pas ses clefs. Je n’ai rien déplacé juste fait les poussières et passé la serpillère. Je sais que Gabriel aime bien contrôler son environnement et que cela implique que chaque chose reste à sa place. Sa garçonnière est impeccable. Il est 11 heures 30, il devrait être bientôt de retour. J’ai acheté de nouvelles fleurs fraiches et j’ai fait la table.
Dix minutes plus tard, le gardien ouvre son portail et la voiture de son père se gare dans l’allée. Monsieur Valentine aide son fils à descendre et l’accompagne jusqu’à la porte que j’ouvre pour eux. J’aurai préféré qu’il le dépose et s’en aille mais apparemment ce n’est pas dans son plan.
Gabriel me sourit tandis que son père fronce les sourcils. Je les installe rapidement et propose qu’ils passent à table. La nourriture de l’hôpital on ne peut pas dire que ça tient au corps.
— J’ai fait un peu de feuille de manioc avec la pâte d’arachide. Comme je ne sais pas si tu manges ça comme ça, je n’ai pas mis beaucoup de pâte, tu ne la sentiras pas. Mais maman dit que c’est ce qu’il faut pour rapidement retrouver des forces. J’ai aussi fait un bouillon de carpes. De la banane et du riz et j’ai acheté un jus d’orange. Nature, avec de vraies oranges pressées, du moins c’est ce qui est écrit dessus. C’est pas du POP hein…
— Dis donc ! C’est gentil ça, dit Gabriel en s’asseyant. Papa prend place.
Son père n’en fait rien et petit à petit mon sourire s’efface.
— Qu’est-ce qui se passe entre toi et cette jeune fille ? Je pensais que c’était l’amie de Mickael.
Je prie pour que Gabriel ne réponde pas.
— Oui c’était elle, dit-il en faisant tourner son assiette comme si la conversation n’avait pas d’importance.
— Donc tu trouves normal de la mettre dans ton lit à ton tour ?
— Depuis quand tu t’intéresses à ma vie sexuelle ?
— Gabriel… j’interviens doucement gênée d’assister à cette discussion. Ce n’est pas grave, je vais y aller…
— Non Lola, arrête. Mon père et moi avons toujours eu des relations compliquées. Ca n’a rien à voir avec toi.
Je me rapproche de Gabriel et tourne sa tête vers moi.
— Peut-être mais je ne peux pas accepter que tu lui parles sur ce ton. C’est ton père. Adresse-toi à lui avec respect. C’est ce petit coté petit blanc pourri gâté que je n’aime pas chez toi. Je vais y aller. Il a raison Gabriel. Il n’y a pas de mal. Faut que j’y aille.
— Allez-y, dit Monsieur Valentine en me désignant la porte.
— Non. Tu restes là. On en parle une bonne fois pour toute, dit Gabriel d’un air buté.
— Gabriel ce n’est pas le moment… Vraiment… Arrête !
— Il n’y a pas de bon moment pour ce type de discussion Lola. On en finit maintenant. Je ne vais pas me cacher…
— Avec ton frère depuis le début ça a toujours été une compétition, intervient son père. Mais ça. Ce que tu fais là. Je ne peux pas l’accepter. Personne ne l’acceptera crois moi ! Si cette jeune fille accepte de passer d’un frère à un autre, ça témoigne de son absence de moralité. Qui sera sa prochaine cible ? Moi…
— Je t’interdis de parler d’elle ainsi. Tu ne la connais pas…
— Ah bon ? Je suppose que le fait qu’elle vienne d’un milieu défavorisé et que toi tu sois mon fils ne joue pas non plus. Si tu n’avais rien, est-ce qu’elle serait avec toi ? Elle est comme toutes les filles fangs. Ambitieuse et prête à tout. A-t-elle fait des études ? N’est-ce pas elle qui a un enfant qui pourrait être son frère tellement elle l’a eu jeune ? Je suis désolé jeune fille mais c’est ce que je pense… Gabriel tu penses qu’il s’agit d’amour et que pour ça, on peut se passer de moral ! Mais ce n’est pas le cas… Mets un terme à tout ça maintenant !
Je ne suis pas prête à écouter ça. Je ne suis qu’à quelques pas de la porte d’entrée. J’ai mon sac avec moi en bandoulière. Rien ne me force à rester… Je veux partir. Je dois partir. Tout ce cirque encore une fois ? Non. Je viens à peine de tourner la page de Mickael. Je ne peux pas me jeter dans les bras de Gabriel. Ce n’est pas correct. Plus que trois pas et je serai hors de chez lui, loin du regard méprisant de son père. On m’a déjà beaucoup jugé dans ma vie. J’y suis habituée. Mais cette fois-ci j’ai réellement tort. Une chaise racle le sol. Je ne me retourne pas mais je sais que c’est Gabriel qui se lève.
— Je ne sais même pas par où commencer papa parce que quand elle a décidé de me quitter ça a été douloureux. Elle m’a manqué comme si on m’avait arraché quelque chose de vital qui m’empêchait de réellement profiter de la vie.
— Je comprends mon fils…
— Non tu ne comprends pas. ce que j’ai ressenti… personne d’autre ne l’a ressenti parce que personne d’autre n’aime Lola comme je l’aime. Malheureusement pour moi, elle a aussi aimé Mickael. Je ne me le cache pas. Je ne peux pas dire que ça ne me gène pas, ce serait mentir… Et je préfère être vrai avec moi-même. J’ai failli mourir. En fait… je ne devrai plus être là à te parler, à me justifier. Je devrai être entre quatre planches. Et puisque la vie m’a fait le cadeau sublime de ne pas me quitter, alors je vais profiter de chaque instant comme s’il était le dernier parce qu’en réalité, aucun d’entre nous ne sait de quoi demain sera fait.
— Gabriel…
— Tu dis qu’elle est ambitieuse moi je dis qu’elle est travailleuse… Elle est courageuse papa. Et si avant de la juger tu lui avais demandé ce qu’elle a traversé pour en arriver là où elle en est aujourd’hui… tu l’estimerais. Toi qui as toujours mis le travail au centre de la réussite. Elle n’est pas diplômée c’est vrai. Mais elle a bon cœur et elle ne se laisse pas marcher dessus. C’est Lola. Moi je la connais, comme personne d’autre ne la connait et j’en suis très heureux.
L’entendre parler de moi ainsi m’émeut. Il marche lentement vers moi. Je sens chaque pas qui le rapproche de moi tandis que je continue de scruter l’horizon à travers la porte ouverte. Puis je sens des bras puissant m’envelopper. Des bras protecteurs.
— Que personne ne te fasse croire que je te fais une faveur en t’aimant comme je t’aime. C’est moi qui suis heureux que tu m’accordes ton estime et ton temps et crois moi Bekale… J’attendrais, je patienterai… jusqu’à ce que tu ne ressentes plus cette culpabilité en restant à mes cotés… L’amour est un vide constant. On pense souvent qu’il remplit notre cœur mais non… Il le vide de toute substance. L’amour c’est un vide sans fond… un trou béant qu’une seule personne au monde peut remplir en faisant de nous à son tour son vide béant. Une seule personne. Une seule. Et pour moi cette personne c’est toi. Ce que je veux à cet instant précis c’est que tu me promettes de me laisser une chance d’être aussi cette personne pour toi et cela sans tenir compte de ce que les gens diront… Si ce n’était pas toi, je ne serai pas là aujourd’hui…
*
**
Il fait nuit noire et je suis toujours chez Gabriel. Son père est parti sans rien ajouter. Et moi je n’ai rien dit non plus. Pourquoi ? Je n’ai pas de mots qui peuvent exprimer tout ce que je ressens simultanément.
— Merci pour le ménage.
On est tellement proche que lorsqu’il parle sa voix vibre dans mon corps. Les mots de Gabriel m’ont fait rester. Les mots de Gabriel sont magiques.
— Il n’y a pas de quoi.
— Merci aussi pour le rasage. Je ne me sentais pas moi-même avec cette barbe.
J’essuie le reste de mousse avec une serviette chaude et il ronronne presque. Assise sur ses cuisses, je peux l’admirer à volonté. Je peux tracer du doigt ses sourcils fournis, ses yeux en amande, la courbe sensuelle de ses lèvres pleines. Je peux toucher du doigt la douceur de sa peau et le souffle qu’il exhale à chaque fois que je bouge sur ses cuisses. Ses mains sont délicatement posées sur mes hanches.
— Gabriel…
— Oui ?
— Et l’émission dans tout ça ? Tu en reste le producteur et moi une participante. Je vais me faire lyncher si tout ca se découvre… Après l’émission encore ça peut aller mais pendant l’émission ce serait suicidaire n’est-ce pas ?
— Figure-toi que j’ai travaillé ces trois derniers jours.
— A la clinique ?
— Oui par téléphone interposé mais ça en valait la peine. Et apparemment, tu fais partie des favoris du jury avec Prince. Evidemment je ne suis pas censé te le dire. Mais, l’émission va tout faire pour vous rapprocher… Vous allez avoir des duos et des défis à relever ensemble…
— Quoi ?
— Les histoires d’amour ça fait vendre Lola. Vous faite un couple idéal. Apparemment.
— Et tu vas dire oui ?
— Je vais dire oui pour te protéger. Tant que les gens sont focalisés sur vous deux. Ils ne s’intéresseront pas à nous deux.
J’ai envie de me lever mais il me retient fermement.
— Gabriel… Tu vas me pousser dans les bras de Prince c’est ça ?
— Pour l’émission…
Vu la tête que je fais, il s’empresse de me questionner.
— Quoi il te plait ?
— Quoi ? C’est quoi cette question de merde ? Et pourquoi il me plairait ?
— Parce qu’il a des airs de Mickael. Mais en moins torturé.
— Franchement la tout de suite j’ai envie de te gifler !
— Parce que je suis honnête avec toi ? je ne peux pas me permettre des zones d’ombre Lola. Ca nous détruirait. Je t’aime. Et je suis franc.
— J’espère que tu sais ce que tu fais.
— J’ai confiance en toi alors oui je sais ce que je fais.
A bientôt
Leilaji.
On aime (pour me faire plaisir), on commente (pour débattre avec les autres et donner son point de vue), on partage (pour faire découvrir l’histoire).