Chapitre 12
Ecrit par leilaji
LOVE SONG
Tome II
(Suite de Xander et Leila + Love Song)
LEILA
Episode 12
— Si tu recommences à te retrancher dans ta coquille, je vais me fâcher.
— Je ne me retranche pas Elle. Il ne s’agit pas de ça. C’est juste que je te connais et je sais déjà ce que tu vas dire.
— Et je te le dis : respecte la tradition. Ne te mets pas en conflit avec ton grand-père. Ce n’est pas le moment d’ajouter des problèmes à ceux que vous avez déjà.
— Je peux aussi juste lui tourner le dos…
— Et faire perdre à ton mari ses sociétés grâce au merveilleux plan que tu as toi-même concocté pour ton grand-père ? Très bonne idée. Je sens que Xander va adorer. Ajoute-t-elle de manière ironique en sirotant son café noir sans sucre.
Nous nous sommes barricadés dans mon bureau et j’essaie du mieux que je peux de ne pas montrer mes doutes à Elle. Monsieur Okili m’a fait parvenir très tôt ce matin par courrier, le dispositif mis en place par ses avocats, grâce à mon conseil. Il me fout la pression parce qu’il souhaiterait que l’on se revoit une nouvelle fois mais en tête à tête. Il a accompagné sa lettre, au ton plus qu’intimidant, d’effets personnels de mon père.
Il souffle le chaud et le froid à sa guise. J’ai montré le tout à Elle qui m’a fait constater que j’ai failli m’appeler Okili au lieu de Larba. J’ai eu un frisson.
Mon téléphone sonne et je vois le nom d’Eloïse s’afficher.
— Qui est-ce ?
— Eloïse, je réponds en me massant les tempes hésitant à décrocher.
— Tu ferais mieux de décrocher. Cette femme ne sait pas abandonner un appel. Elle va te harceler jusqu’à ce que tu décroches.
Je décroche.
— Bonjour la paresseuse ! Ca fait une heure que j’attends qu’Elle et toi m’appeliez pour qu’on puisse débuter la réunion. QU’est-ce que vous foutez ? J’ai du décaler un rendez-vous pour être prête à temps.
Ca m’était complètement sorti de la tête et je suppose qu’à Elle aussi. Je pose une main sur le micro et murmure à Elle qu’on avait une réunion… Elle lève les yeux au ciel et de son index trace une ligne droite sur son cou pour nous signaler qu’on est mortes si on avoue à Eloïse qu’on a oublié.
— Petit problème technique très chère. Le net ici n’est pas très sur. Elle est déjà là et on attendait tout simplement que la connexion revienne.
— Ah Ok, je préfère ça.
— Je nous mets sur haut parleur.
Eloïse commence avec un exposé très détaillé des idées qu’elle a pour la marque de cosmétique qu’elle veut mettre en place et dans laquelle elle nous a proposé d’investir. L’idée est de créer des produits de beauté avec des produits africains comme le beurre de karité, l’huile d’amande mélangée aux produits indiens tels leurs huiles et poudres pour les soins des cheveux et de la peau. Pour elle, ça allait partir comme des petits pains surtout chez les clientes nappy qui ne voyaient aucun inconvénient à utiliser des produits venus d’ailleurs, à partir du moment où ils sont naturels.
Mais très vite elle remarque le manque d’engouement dans la conversation et finit par demander s’il y a un problème. Je fais signe à Elle de ne rien dire mais évidemment, elle vend la mèche et la met au courant en lui faisant un bref résumé de toute ma vie suite à ma rencontre avec Xander.
— What the fuck are you talking about! s’exclame Eloïse à la fin de son récit.
Je soupire.
— Donc tu voulais me trier quoi ? Tu n’as pas confiance en moi ? Ou le fait que j’ai un show télévisé t’effraie. What the fuck !!!
— Non… c’est juste que c’est … compliqué, j’explique, espérant ne pas la vexer.
— Ma chérie. Ma toute belle, la femme que j’ai envie de maquiller et d’habiller avant de mourir… tu vois, je te caresse d’abord dans le sens du poil avant de parler… Tu me connais… donc va pas prendre mal ce que je vais te dire…
— Hum. Si elle prend des pincettes pour te parler, intervient Elle que je fais taire d’un coup d’œil furieux car c’est elle qui m’a mise dans l’embarras.
— Baise tranquillement ton mari et ferme la porte de ta maison.
J’éclate de rire et Elle écarquille les yeux devant un conseil aussi « bref ».
— Quoi c’est tout ce que tu as à lui dire? demande Elle
— Oui Elle c’est tout ce que j’ai à lui dire. Franchement, les africains me fatiguent. Il faut vivre avec son siècle, hein. Avant on était dans les villages et on épousait des gens de notre ethnie etc. parce que les voitures, les trains et les avions n’existaient pas. Aujourd’hui, le village c’est le monde. Les couples mixtes, ca ne devrait plus choquer… donc je répète mon conseil… bai…
— … ca va je coupe immédiatement. J’ai compris le conseil, je dis en posant mon front contre mon bureau.
— Quoi ça te choque ce que je dis ? demande Eloïse qui je le sens se retient de rire.
— Tu ne la connais pas encore…il y a des choses qui choquent ses oreilles.
— Tu sais moi quand je dis à des gabonais que je suis en couple avec un nigérian. On me dit : quoi !!! Un feyman (faussaire)! Et ça me fait rire quand j’imagine Mugusi en train de faire de la fausse monnaie. Il est incapable de porter une copie et c’est la fausse monnaie qu’il va faire ?! L’homme qui m’a fait du mal était gabonais, si un nigérian me rend heureuse, je ne vois pas qui ça concerne. Si un indien te rend heureuse, je ne vois vraiment pas qui ça concerne. Parce que quand tu vas les écouter pour te maquer avec un gabonais qui te rendra malheureuse et couchera avec toutes les femmes de ta famille, et sous prétexte que tu ne lui fais pas d’enfant engrossera tes employés dans ton dos, personne ne viendra à ta rescousse.
— Denis ne ferait pas ça… murmure Elle avant de se mettre les mains sur la bouche pour ne plus rien dire.
— Denis ? Pourquoi on parle de lui ? demande Eloïse.
Je crois que je vais tuer Elle.
— Pourquoi on parle de Denis Elle ? insiste Eloïse.
— Apparemment les Okili et les Ondimba ont une vieille alliance à mettre au gout du jour en la personne de tes deux amis. Ce qui exclut Alexander de l’équation.
— Quoi ? Tu blagues là !
— Non. Ce sont de vieilles traditions mais c’est quand même nos traditions Eloïse. Tu ne peux pas être aussi … aussi … blanche ! dit-elle à défaut de trouver un autre mot plus adéquat.
— Quoi parce que je refuse que des personnes prennent des décisions à ma place, je suis blanche ? Donc si je refuse qu’on excise de petites filles je suis blanche aussi ?
— Ne sois pas de mauvaise foi, tu as très bien compris ce que je voulais dire. Tout ce qui est traditionnel n’est pas forcément mauvais. On peut faire un tri. On ne doit pas refuser notre identité et copier bêtement ce que les autres font.
— Est-ce que tu te rends compte que tu parles d’une femme mariée ! Mariée. Alexander ce n’est pas son copain du quartier et Denis le prince charmant qui va la sortir du caniveau.
— Woooo Eloise ne monte pas sur tes grands chevaux. La seule qui a eu l’expérience du mariage ici c’est moi. Ok. Je sais ce que c’est que d’être mariée à la mauvaise personne et de penser malgré tout que c’est la bonne personne. Lutter chaque jour pour un peu de bonheur. Je vois Leila lutter chaque jour et j’avoue qu’il m’arrive de me poser des questions. J’ai le droit de m’en poser. Aujourd’hui je suis avec Adrien et je ne dis pas que tous les jours c’est facile mais en même temps à aucun moment je ne me sens… misérable. Ce n’est pas une lutte de chaque instant.
— Mais qui a dit que l’amour devait être un truc tout plat et tout … gentil. Moi aussi je pense être avec la bonne personne et crois moi, c’est loin d’être facile. Mais jamais je ne laisserais quelqu’un venir me dire que parce que c’est difficile je ferai mieux d’aimer une autre personne.
— Je ne suis pas la méchante de l’histoire Eloïse, se défend-Elle. Mais je préfère dire ce que je pense.
— J’en fais de même ma très chère.
L’ambiance est un peu tendue là. Plus personne ne parle. Ce qui devait être une réunion business s’est transformée en débat.
Je dois prendre une décision et même les personnes qui me conseillent ont des avis opposés. Je connais Elle depuis des années et je sais qu’elle est très traditionnaliste. C’est elle-même qui a pensé à organiser le mariage coutumier à l’époque parce qu’elle voulait qu’Alexander obéisse à nos traditions. Mais maintenant que j’ai une famille paternelle qui se profile à l’horizon, elle espère me voir encore mieux embrasser ma culture. Je sais qu’elle me trouve « déracinée », qu’elle n’aime pas mon coté « working girl » parce qu’elle pense qu’une femme africaine doit être bien plus qu’une femme d’affaires, qu’il faut toujours développer autant que faire se peut son coté « famille-foyer ». Mais Eloïse, c’est tout son contraire. Elle est très indépendante, très bornée et carriériste. Ca ne m’étonne qu’à moitié qu’elle me dise de me concentrer sur moi et mon couple plutôt que sur une famille qui n’a jamais été là pour moi.
Elle se lève de sa chaise et s’approche de moi pour s’assoir sur l’accoudoir de la mienne. Elle glisse ses deux mains dans les miennes.
— Le mot de la fin t’appartient. Mais sache que quelle que soit ta décision je te soutiendrai. Ok ?
— Ok…
— C’est trop mignon ça, ajoute Eloïse ironique.
— La ferme Elo ! lui dit Elle en levant les yeux au ciel avant qu’on éclate toute trois de rire et que je nous remette dans l’ambiance d’une réunion de travail.
*
**
Il est assis, adossé à la porte du placard de la chambre, un verre de whisky dans sa main droite et son paquet de cigarette dans la main gauche. Le téléphone fixe de la chambre dont le fil traverse toute la pièce est à ses pieds. Il pose le verre et sors une cigarette du paquet qu’il plante entre ses lèvres. Il a l’air ailleurs… très loin d’ici … très loin de nous. Si nous n’étions pas dans une situation si difficile, je lui ferai la guerre pour cette cigarette qu’il s’apprête à fumer dans la chambre. Mais c’est devenu si futile. J’ai pas le cœur à ça.
Je passe à côté de lui et me rends dans la douche où j’échange mon tailleur pantalon gris perle contre un simple pagne qui me laisse libre de mes mouvements. Je reviens dans la chambre dont la lumière tamisée dissimile à moitié nos expressions tourmentées et m’assois sur notre lit, juste en face de lui.
Il semble prendre enfin conscience de ma présence. Je ne dis rien et lui non plus. Il joue avec son briquet et finis par allumer sa cigarette.
— La première fois que je t’ai vu… j’ai aimé cette espèce de froide assurance que tu as affichée. Sur le coup ça m’a agacé mais en vrai j’ai aimé. Et puis il y a eu le premier baiser, dit-il en se triturant la lèvre inférieure… Ah le premier baiser… C’était quelque chose hein.
Il plisse un œil à mesure que les volutes de fumée s’envolent loin de lui, avant de fourrager dans sa chevelure pour se détendre.
— Je pense que je suis tombé amoureux ce jour là. Ca aussi ça m’avait agacé. Cet orgueil démesuré que tu m’as jeté au visage en même temps que les billets. Mais en vrai j’ai aimé aussi. Tu t’en souviens ?
— Oui.
— Et la première fois qu’on a fait l’amour… J’étais tellement en colère contre toi après cette fête où tu as dansé avec cet imbécile. Je t’ai ramené à l’appartement et pour tout ce qui s’est passé ensuite, j’étais hors de contrôle. Je crois que j’ai déchiré ta robe. Elle était rouge ?
— Oui.
— Ca n’a jamais été simple entre nous, n’est-ce pas ? Jamais, murmure-t-il. Le temps passe et tu n’as peut-être plus cette patience d’affronter à chaque fois vents et marrés… Tu aimerais surement que les choses soient plus …
— Simples ?
— Oui c’est ça. Plus simples.
Il se tait une nouvelle fois, le temps de tirer une bouffée. A ce moment précis, je me dis qu’Eloise comme Elle disait la vérité. Sauf qu’elles n’avaient pas conscience que de la même manière que nous sommes tous différents les uns des autres c’est de cette même manière que nous ne pouvons pas tous concevoir l’amour de la même manière. Il y autant d’histoires d’amour qu’il y a de couples sur terre.
— Et là je me demande … jusqu’à quand tu tiendras.
— Quoi ?
— Je suis terriblement impulsif et colérique et je sais à quel point ça te met dans des situations difficiles… La preuve, j’ai pas pu me contrôler chez ton grand père. J’ai l’impression d’être en train de tirer sur une corde en permanence et d’attendre bêtement qu’elle casse. Sauf que maintenant d’autres se sont joints à moi pour tirer plus fort. Cette putain de corde va finir par casser… Tu vas finir par te casser.
Je plie les poings d’appréhension.
— Il ne sortira rien de bon si on se met à dos les gens de ton entourage.
— Je le sais mon bébé.
— J’ai donc appelé ma mère pour lui expliquer la situation sans entrer dans les détails.
— Et ?
— Ca faisait longtemps que je l’avais vu si heureuse…
— Heureuse …
A plusieurs reprises, il cogne doucement sa tête contre le bois du placard, vaine tentative pour se calmer.
— Heureuse parce que j’ai besoin d’elle et je lui offre l’occasion de me dire d’aller me faire foutre. Même si je réunis la fameuse dot, ils ne viendront pas. Elle m’a répondue en ricanant presque : que personne ne viendra. Ton grand père pourra à son aise me mépriser toute notre vie durant. Et un jour tu te lèveras et tu te demanderas : « mais pourquoi je supporte tout ça ? »
— J’en ai assez entendu, je coupe en fermant les yeux
Je repense à tout ce par quoi nous sommes passés. Je n’ai pas l’intention de le perdre. J’ai sacrifié trop de moi-même dans tout ça et ça me fait mal de le voir... baisser les bras.
— Tu sais de quoi moi je me rappelle aussi. Je me rappelle que j’ai abandonné une occasion en or aux Etats-Unis pour revenir te retrouver ici baisant une blonde.
Oui, je suis en colère et j’utile ce mot pour qu’il le comprenne.
— Je me rappelle aussi d’avoir laissé mon poste au cabinet pour te suivre à Mumbai, une ville que je ne connaissais pas du tout où j’ai vécu les pires moments de ma vie…
— Leila…
— Je me rappelle aussi de ta foutue mère magouillant pour glisser une indienne dans tes bras. Je me rappelle t’avoir tout donné, tout Xander et surtout ce que j’ai de plus précieux : ma confiance. Et comment les choses se sont passées ? Oh laisse-moi te les rappeler… Tu as eu une jolie petite fille Puja avec Neina. Elle t’a offert ce que je ne pourrai probablement jamais t’offrir.
— Ne dis pas ça…
— Arrêtons de nous voiler la face Xander. On essaie fort depuis je ne sais plus quand sans aucun succès. Tu couches avec elle une fois et elle tombe enceinte. C’est comme si même le ciel se liguait contre nous. Je me rappelle aussi de ça Alexander ! Chaque putain de matin quand je me lève. Je me rappelle de tout ça. Tu crois que j’ai oublié ? Non. Mais je me dis… attends Leila, malgré toutes ces difficultés, tu as encore envie de te réveiller dans les bras de cet homme ? Et je me réponds à moi-même : évidemment quelle question… Tu sais pourquoi ?
— …
— Tu sais pourquoi ?
— Non.
— Parce que je t’aime. C’est aussi simple que ça. Je t’aime comme je n’aimerai personne d’autre Alexander. Tu m’as fait comprendre que je pouvais aimer un homme sans avoir besoin d’être une autre personne. Toutes mes imperfections, mon orgueil, mon ambition, mes lacunes en cuisine… tu les affectionnes comme personne et toutes les tiennes me font vibrer…
C’est la vérité telle qu’elle m’apparait chaque jour. Je me lève du lit et le regarde, complètement désarmées par tous les mots qui sortent de moi et que je ne peux pas retenir.
— Et parce que nous ne sommes pas comme les autres, nous devrions nous sentir fautifs ? Parce que nous ne nous ressemblons pas nous ne devrions pas être ensemble ? Je suppose que c’est justement à cause de ça que nous nous sommes aimés. Est-ce que je suis folle d’imaginer que personne d’autre ne m’aimera comme tu m’aimes ?
— Non.
— Alors la seule personne qui pourra m’empêcher de t’aimer c’est toi. Toi. Pas mon grand-père, pas ta mère, pas Neina mais toi. J’ai tout misé, tout risqué pour toi… et là je suis en train de tomber en chute libre et je n’ai qu’une envie Alexander…
Je n’ai pas pensé à me démaquiller alors je suppose que le mascara mis ce matin est en train de couler sur mes joues. Il se lève et s’approche de moi.
— Une seule envie… ne rien craindre, fermer les yeux et être sure que mon mari me rattrapera avant que je ne m’écrase au sol. On est marié putain. Je sais que j’ai toujours dit à qui voulait l’entendre que le mariage est un contrat et comme tout contrat il peut se rompre si on est prêt à en payer le prix. Mais …C’était avant d’être moi-même mariée et de comprendre qu’il y a des contrats qu’on ne veut jamais rompre. Jamais. Dans cette vie et dans toutes les autres, tu as promis d’être à mes cotés… Si je suis pour toi, ce que tu es pour moi alors je n’ai rien à craindre de tous ceux qui essayeront de nous séparer, n’est-ce pas ? Ma foi et mon amour pour toi sont plus grands que toutes mes peurs réunies, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Alors il n’y a rien d’autres à ajouter, dis-je avec un sourire vacillant.
Il essuie toutes traces de larmes et pour ne pas que d’autres coulent, je recule jusqu’à m’assoir de nouveau sur notre lit. Lui ne bouge pas.
— Je ne doute pas mera dil. Du moins je ne doute plus. C’est juste que je prends conscience de certaines choses et je me dis : « à ton tour de serrer les dents ». J’ai l’impression que jusqu’à présent tu me tendais un bouquet dont je ne voyais que les roses. Je profitais des couleurs vives et du merveilleux parfum sans savoir ce que tu devais endurer pour m’en faire profiter. Et maintenant que j’ai posé mes mains sur les tiennes et que je les ai finalement écartées du bouquet, je remarque enfin toutes les épines qui te traversaient les mains quand tu m’offrais les roses. Comme si toutes seules depuis le début tu as tenu et caché les épines pour que je puisse profiter sans culpabilité des fleurs. Ca ne devrait pas être à toi de le faire pour moi…
Il se tait comme pour me laisser le temps de comprendre qu’il prend conscience de plus que ce que je crois. Je soupire et souris cette fois ci avec moins de peur. Ses yeux brillent et il se mort la lèvre inférieure. Il s’avance vers moi et franchit rapidement la petite distance qui nous sépare encore.
Il pose ses genoux, juste entre mes pieds et ses mains sur mes hanches. J’adore quand il fait ça. Quand il prend de manière possessive contact avec mon corps.
— Je suppose qu’au final c’est une question de perspective.
— De perspective ?
— Si on aime assez les roses pour accepter que ses épines nous blessent. Si on se concentre sur les blessures ou sur les fleurs. Si on accepte de souffrir pour le bonheur de l’autre. Si on partage… si ceci … si cela…
— Ca fait beaucoup de si…
— Oui. Mais à partir du moment où il y a une seule constante… tous les « si » ne gênent pas.
— Quelle constante ?
— Tu l’as déjà dit mera dil, d’être pour toi ce que tu es pour moi.
Il s’immisce entre mes jambes et m’enserre la taille. Je caresse tout doucement sa tête et prends le courage d’aborder le sujet que nous évitons soigneusement.
— A un moment ou à un autre, il faudra qu’on parle de Denis, bébé.
Il s’éloigne tout doucement de moi de manière à pouvoir me regarder dans les yeux. Tous les muscles de son corps sont bandés d’irritation contenue. Je refuse de baisser les yeux malgré l’intensité de la désapprobation que reflète son regard vert.
— Autant te le dire tout de suite, je suis allée le voir.
— Pourquoi ?
— Pour comprendre ce qui s’est passé… Pour écouter sa version des faits.
— Je n’ai pas besoin d’entendre sa version des faits, mera dil. Je connais Denis par cœur et je suis sûr qu’il ne savait pas de quoi il en retournait avant d’aller voir ton grand-père.
— Mais pourquoi es-tu tellement en colère contre lui alors ?
— Je sais quelle tête il fait quand il est embarrassé par ce qu’il s’apprête à faire. Et il faisait cette tête ce jour là, comme s’il était indécis. Je connais Denis et sa grande gueule. On ne peut rien lui imposer qu’il n’a pas envie de faire. Il a toujours été ainsi. Ton grand-père parle et il se tait. Denis se tait ! Denis et sa grande gueule se taisent ! C’est une première Leila crois-moi.
Il parle et de nouveau ses mains s’enfoncent dans mes hanches. Il me fait mal même s’il ne s’en rend pas compte.
— Denis traite ses affaires comme d’autres vont en guerre, sans pitié. Il en a rien à foutre de rien. Tu veux lui souffler un deal qu’il veut absolument, il baise ta femme. Il ne se cache pas, ne fait rien dans ton dos. Devant tout le monde, il la noie d’attention, lui donne ce qu’elle n’a jamais eu de toute son existence. Il te la prend et te le fait comprendre. L’humiliation est publique. Puis il dit à ta femme qui vient de te quitter d’aller se faire foutre aussi. Je l’ai vu faire ça un nombre incalculable de fois. C’était assez comique. J’ai vu tellement de femmes lui dire au début : « tu es un mec détestable, je ne suis pas intéressée », puis finalement sortir de son lit et pleurer de s’être fait plaquer comme des gamines. Mais cette fois-ci c’est de ma femme qu’il s’agit, de mon mariage. C’est de toi qu’il s’agit. Alors quand ton grand père suggère… ce qu’il suggère et que Denis ferme sa grande gueule…
— Alexander calme-toi… ca n’arrivera pas.
— Mera dil, je ne veux pas juste être père. Je veux être le père de tes enfants. Rien qu’à l’idée que tu puisses me quitter pour qu’un autre homme te donne ce que nous n’arrivons pas à avoir ensemble… ca me rend fou…
— Calme-toi. Ca n’arrivera pas bébé.
Il pose son front contre mon ventre, me serre fort puis se redresse. Sa main gauche m’enserre la mâchoire et me force à le regarder. Je pose ma main sur la sienne pour le calmer.
— Oui. Ca n’arrivera pas mera dil. Parce que jamais je ne te laisserai me quitter. Jamais. Je vais attraper les épines et tu vas contempler les roses. Je suis heureux qu’on ait pu se parler encore une fois et mettre les choses à plat. Les épreuves ne nous ont pas éloigné l’un de l’autre. Au contraire, Lei, ça nous a rendus plus fort, malgré les doutes et toutes les personnes qui se liguent contre nous. Malgré tout ça, mes fautes, mes colères, les problèmes… mon alliance brille toujours à ton doigt. N’est-ce pas merveilleux mera dil ?
— Si.
— Alors je vais convaincre ma mère de venir quoi qu’il m’en coute. Je vais aller à Mumbai et je vais la convaincre. Je ne veux plus que tu te rabaisses devant elle en espérant qu’un jour elle comprendra que c’est toi que j’ai choisi. Je vais arranger les choses. Et toi, tu vas parler à ton grand-père pour qu’il nous dise ce qu’il acceptera. Juste ça, ne négocie rien d’autre, n’entre pas dans son jeu.
— D’accord bébé.
Les paillettes dorées qui habituellement donnent de l’éclat à ses yeux ont viré au brun tandis que le vert de son regard s’est assombri comme à chaque fois que la colère s’empare de lui.
— Ce sera toujours toi et moi, Lei… il n’y aura pas de Denis. Je vais aussi lui parler, d’homme à homme. Et s’il ose s’interférer, s’il ne redevient pas le Denis que je respecte et en qui j’ai toute confiance… je te le jure sur ma vie Leila… je le tuerai. Je tuerai quiconque se mettra entre toi et moi.
*
**
Trois jours plus tard.
Je prends mon temps pour préparer ses affaires et vérifier qu’il a bien imprimé son billet tandis qu’il prépare le petit déjeuner. J’aime bien quand c’est lui qui s’y colle parce qu’il fait de merveilleuses omelettes. J’ajoute deux autres paires de chaussettes et regarde à mon poignet le bracelet qui ne me quitte jamais. Au grand maux, les grands remèdes. Je fais une courte prière et demande à Dieu d’accompagner ses pas et de lui ouvrir les portes. Puis je glisse mon bracelet dans la poche de son pantalon noir préféré et ferme la valise.
S’il fait de son mieux à Mumbai, il faut aussi que je fasse de mon mieux ici. Je prends mon téléphone et appelle mon grand-père.
— Bonjour Monsieur Okili.
— Bonjour ma chérie.
— Est-ce … qu’on peut se voir ?
— Quand tu veux. Tu veux que je passe au cabinet ?
— Non. C’est à moi de venir te voir. Je serai chez toi à ma pause-déjeuner, entre midi et deux. Ce ne sera pas long.
— Les capitulations ne le sont généralement pas tu as bien raison.
— Oh, le papi montre ses vieux crocs limés par le temps à ce que je vois !
Il éclate d’un rire franc qui me fait presque sourire. Presque.
— J’ai hâte de te voir, finit-il par dire.
— Moi pas. Mais bon, on ne peut pas toujours ne faire que ce que l’on veut dans la vie.
— Ca ma chérie, je me charge de te l’apprendre.
— Bon, je peux raccrocher maintenant ou tu as d’autres menaces à ajouter à la longue liste.
— L’existence de cette liste de menaces est liée à ton entêtement.
— Oui je sais.
— Bon, je sais que je t’ai paru brusque. Mais au moins les choses sont claires. A tout à l’heure ma chérie.
— A tout à l’heure.
Le téléphone de la chambre sonne. Je décroche.
— Viens manger… Si je traine trop je vais rater mon vol.
— Ok. J’ai fini ici. Tu pourras monter descendre ta valise ? Trop lourde pour moi.
— Oui. Viens manger.
Je porte juste un de ses longs tee-shirts, je n’ai pas encore eu le temps de me doucher. Après avoir pris dans un tiroir une enveloppe préparée la veille, je descends rapidement et le rejoins à la cuisine où il a déposé un plat sur le plan de travail qui trône au milieu de la pièce.
— Tu ne manges pas ?
— Pas très faim.
— Assieds-toi quand même.
Il prend place face à moi et me regarde picorer mon assiette. Il triture sa bague pendant qu’il boit son thé lacté. Je lui tends l’enveloppe.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Tu remettras cette enveloppe à ta mère. Ne l’ouvre pas Xander. Tu la lui remets.
— Dis-moi ce qu’il y a dedans.
— Je te laisse partir loin de moi pour régler une situation désespérée. Tout en moi me crie de te retenir mais je te laisse partir parce que tu veux résoudre les choses. Parce que j’ai confiance en toi. Fais-moi confiance bébé et donne-lui cette enveloppe.
Il la fait tourner encore et encore avant de la mettre dans sa poche. Je lui souris, délaisse mon assiette et cours me réfugier dans ses bras. Il me serre fort. J’essaie de me détendre et de puiser toute la force possible dans cette étreinte.
— Je crois qu’on devrait se disputer plus souvent… je lui dis taquine.
— Pourquoi ?
— Pour qu’on puisse se réconcilier comme on l’a fait ces derniers jours. En se parlant, en passant du temps ensemble…
— Tu es sure que la réconciliation n’avait rien à voir avec ma langue qui léchait…
Je pose ma main sur sa bouche et fronce le nez. Ses yeux me sourient.
— Dirty talker.
— Tu sais ce qui me plait dans ça ?
— Non.
— C’est le fait que je suis le seul à savoir à quel point tu aimes ça.
— Le seul, je confirme en déposant un baiser sur ses lèvres.
Je sens son cœur qui bat à vive allure.
— Ne pars pas pour ne plus jamais revenir… je murmure à son cœur
Il lève mon menton et me répond :
— Teri saanson mein chain mil gaya (j’ai trouvé la paix dans ton souffle) kaise rahein ab hum juda (comment est-ce que je pourrai rester loin de toi ?)
Je lui souris de nouveau et reste dans ses bras un moment, le temps que son cœur se calme.
Je ne finis pas mon assiette et monte me préparer. On part une trentaine de minutes plus tard. Je le dépose à l’aéroport et retourne au boulot. La matinée file vite d’autant que j’ai du travail à rattraper et des clients à rencontrer. Lorsque midi sonne, je me rends chez monsieur Okili qui m’attend à sa terrasse comme à notre première rencontre chez lui. Sauf que cette fois ci, il n’y a personne d’autre que nous.
Je m’assois après avoir déposé un baiser sur sa joue gauche, ce qui le déconcerte un tout petit peu.
— Bonjour Monsieur Okili… Comment ça va aujourd’hui? Je lui demande avec un grand sourire.
— Ca va, ca va… Tu me fais de grands sourires pour mieux me trancher la gorge ?
— Ce n’est pas mon style.
— Je peux t’apprendre.
— Non. Merci. Parlons peu, parlons bien. Je suis venue négocier, dis-je sans préambule.
— J’adore quand tu fais ça.
— Quand je fais quoi ?
— Quand tu me ressembles autant… Tu penses que je suis méchant… Mais tu n’as pas idée de ce que toi tu es vraiment.
Je respire un bon coup, ne fais aucun commentaire face à ses piques et sors de mon sac un acte de cession que je lui tends. Si je lui ressemble tant comme il se plait à le dire… il ferait mieux de se méfier de moi. Que le jeu commence…
A bientôt
Leilaji.
On aime (pour me faire plaisir),
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