chapitre 12

Ecrit par leilaji

Chapitre 12

 

Elle

 

Je me demande pourquoi l’élève Bekale me regarde aussi intensément. Je sais que c’est la petite protégée de Leila puisqu’elle me demande souvent de ses nouvelles. Heureusement pour moi que c’est la meilleure de la section coiffure et qu’elle se débrouille plutôt bien en esthétique. Je suis sure que Leila aurait exigé que je lui serre les vis si jamais Lorelei s’était avérée paresseuse.

La liste de présence en main, j’appelle toutes les élèves de la classe de coiffure esthétique et je leur explique que désormais, celles qui ont des enfants en bas âge non scolarisés de moins de trois ans pourront bientôt les déposer gratuitement à la nurserie de la fondation. Une fois mon petit discours terminé sur l’honneur que nous fait la fondatrice Khan, je demande à Lorelei de rester et libère les autres.

 

Nous sommes dans la bibliothèque et je n’ai pas beaucoup de temps à lui consacrer puisque je dois faire le même discours à chaque section de l’école. Mais Leila a insisté pour que je garde un coup d’œil sur Lorelei alors je fais mon job. Je lui demande de prendre place en face de moi à une des nombreuses tables de travail qui jalonnent la bibliothèque.

 

— Alors ? Comment ça va ?

— Je m’accroche.

— Si tu as un problème, tu peux toujours venir me voir. Je verrai dans quelle mesure je pourrais t’aider. 

— C’est Madame Khan qui vous envoie ? demande t-elle, très perspicace.

— Je suis la grande sœur de Madame Khan donc elle ne m’envoie pas, elle me demande un service que je suis disposée à lui rendre.

— Ah ok. C’est vous la championne des bons conseils alors.

 

Qu’est-ce que Leila a bien pu raconter à cette petite ? Je dépose mon dossier de liste de présence en face de moi pour me concentrer sur notre discussion.

 

—Oui, on peut dire ça.

—Est-ce qu’on a le droit d’avoir envie d’être avec un homme qui est à une autre ? demande-t-elle après un moment de réflexion.

 

Seigneur ! Des millions de questions qu’elle pouvait poser, il fallait qu’elle choisisse celle là. Est-ce que j’ai envie d’y répondre ? Serai-je impartiale en y répondant ?

Je pense à Denis. Je l’ai tellement voulu dans ma vie que j’ai failli en crever quand j’ai découvert que son cœur était déjà pris et par qui il l’était.

 

— Tu veux des conseils qui vont t’empêcher de le voir ou qui au contraire vont te donner envie de l’arracher à celle avec qui il est…

—Vous êtes drôle madame la Directrice.

— Tu sais, dis-je doctement, l’expérience corrige mieux que les conseils. T’es jeune et rien de ce que je te dirais ne t’empêchera de faire ce que tu as dans ton cœur.

 

Elle soupire et semble prendre le temps de choisir ses mots.

 

— En fait c’est aussi mon patron et madame Khan …

— T’as demandé de ne pas coucher avec lui… ca ça ne m’étonne pas venant d’elle. Et elle a bien raison. La promotion canapé ça n’a jamais rien donné de bon. A part salir ta réputation, tu n’en tireras rien de glorieux. Alors, je vais te parler comme j’aurai parlé à Leila si elle avait été dans ton cas : Travaille et ferme tes cuisses ma petite.

 

Elle écarquille ses grands yeux, choquée par ce que je viens de lui dire.

 

Leila se sent seule, je le sais parce qu’elle me l’a dit. Elle veut des enfants pour les entendre courir dans l’immense maison bâtie par Khan. Mais ces enfants tardent à venir. Alexander a beau la couvrir de cadeau, ça ne suffit pas. C’est une famille qu’elle veut, des gens qui l’entourent et dont elle pourra s’occuper à loisir. Et la connaissant, je comprends pourquoi elle a choisi de protéger Lorelei.

 

C’est une battante, tout comme elle.

 

Mais c’est aussi parce que notre amitié s’est distendue avec le fossé qui s’est creusé dans nos deux vies. Elle s’est mariée avec un riche homme d’affaires et moi j’ai divorcé d’un riche avocat. Son train de vie s’est multiplié par mille alors qu’après mon divorce j’ai du me débrouiller avec un seul salaire et trois bouches à nourrir en dehors de la mienne puisque mon très cher ex-mari a fui ses responsabilités.

 

Cette période a été difficile et parce que je ne voulais pas qu’elle me fasse la charité, elle m’a proposée la place de directrice de sa fondation avec une coquette somme comme salaire. Ma famille est désormais à l’abri.

 

Mais l’argent et l’amitié ne font pas toujours bon ménage. Quand elle me demande de faire quelque chose pour elle, je ne sais pas si c’est la patronne qui l’exige ou si c’est l’amie qui le demande. J’essaie à chaque fois de trouver le juste milieu.  Et pour le moment ça marche. Leila reste ma petite sœur malgré tout. Malgré Denis. Et si elle veut prendre sous son aile une nouvelle petite sœur comme moi je l’ai aidée à l’époque, je ne m’y opposerai pas car ça fait son bonheur.

 

****Gabriel****

 

— Qu’as-tu fait ?

— Mais de quoi parles-tu ? demande Sydney

 

Je la connais tellement que je devine qu’elle a peur. Et si elle a peur c’est qu’elle n’a pas la conscience tranquille. Je débouche la bouteille de bordelais que j’ai mise quelques minutes au frais et me sers un verre plein. Je le vide d’un trait devant elle.

 

Je sens que les choses ne vont pas bien se passer.

 

— Ton père me demande de lui rembourser les trois dernière échéances cette fin de mois. Je suis coincé, je dois payer…

— Je ne sais pas de quoi tu parles. Ca fait longtemps que j’ai parlé à mon père, dit-elle en se retournant pour mettre son assiette dans l’évier de la cuisine.

— Arrête de faire semblant Sydney, ça m’énerve encore plus.

—Tu deviens parano Gabriel.

 

Je la retourne pour pouvoir lire dans ses yeux. Elle me regarde sans ciller mais se tort les mains d’appréhension. A-t-elle idée de ce que représente cette entreprise pour moi ? C’est le rêve de toute ma vie qu’elle veut briser par pure jalousie ?

 

— Ecoute moi, j’ai du cash, finit-elle par dire, dis moi de combien tu as besoin et je te donnerai la somme. Tu n’auras même pas à me rembourser.

 

Alors c’était ça le but à atteindre ? Me mettre aux abois et venir ensuite à ma rescousse pour que je lui en sois reconnaissant une nouvelle fois. Elle est vraiment prête à tout pour m’obliger à rester avec elle. Et mes sentiments dans tout cela, où les met-elle ? Il faut absolument que j’éclaircisse la situation:

 

— Est-ce que je te dois ma réussite ?

— Pourquoi tu me le demandes ?

— Réponds !

—Arrête Gabie, tu me fais peur…

— Il va falloir que tu intègres deux ou trois petites choses. Tu m’as épaulé quand j’en avais besoin et pour cela, je t’en serai toujours reconnaissant. Mais c’est tout ! Ca ne doit pas devenir une dette morale qui te permettra de régenter ma vie.

— Je t’ai épaulé ? Je n’ai pas fait que t’épauler, tu me dois tout, absolument tout ! s’écrit-elle complètement hystérique.

 

Je n’en reviens pas qu’elle me dise une pareille chose. Je me serre un second verre pour faire passer la bile qui remonte dans ma gorge.

 

- Sydney. C’est moi qui rembourse ton père. Moi, pas toi. Il m’a prêté de l’argent, oui mais je le rembourse avec des intérêts de 35%. Bordel, c’est plus que les taux pratiqués par les banques. Il ne m’a pas prêté cette somme par pitié ou par amour pour toi mais par intérêt. C’est moi qui fais fonctionner mon entreprise, paie les factures, les salaires, me démène pour ramener des contrats. Moi, pas toi. J’ai fait la bêtise de croire que mon projet t’avait séduit et que c’est pour cela que tu as tant tenu à y participer. Je ne savais pas que pour toi c’était une manière de me tenir en laisse. T’as mal calculé ton coup ma belle. Je ne suis pas un chien errant que tu as pris sous ton aile, qui doit te jeter sa gamelle pour que tu le nourrisses.

 

Je la vois déjà en train de raconter à tout le monde que c’est elle qui a créé les studios Valentine avec l’argent de son père. Est-ce qu’elle aura le cran de dire toute la vérité ? Dire que j’ai payé son master quand son père lui a coupé les vivres à causes de ses caprices. Sydney a un problème avec l’alcool et je ne lui en ai jamais tenu rigueur. Au contraire, je l’ai soutenue du mieux que je pouvais sans jamais rien lui demander en retour. Mais elle, n’hésite pas une seconde…

Je voulais une femme indépendante et je me suis retrouvée avec une harpie d’une jalousie maladive qui a fait place nette parmi tous mes amis pour que je ne me consacre qu’à elle. Je m’y suis plié de bonne grâce parce que je croyais sincèrement qu’un jour, elle pourrait partager avec moi ma passion pour la musique.

 

— Je ne suis pas un bâtard, Sydney. Je suis peut-être un chien pour toi mais alors dis toi que  je suis un chien de race, un bulldog. Par conséquent, je mords méchamment.

 

Elle semble effrayée par mes paroles.

 

— Je vais te le demander une dernière fois Sydney. Qu’as-tu fait ?

— …

—Ok.

— Quoi ok, quoi ok ?

— Je sors, dis-je en sortant de la cuisine, Sydney sur mes talons.

 

Elle me suit. Je prends ma veste abandonnée plus tôt sur le canapé du salon contrairement à mes habitudes de maniaque de l’ordre.

 

— Où vas-tu ?

— Ca ne te regarde pas.

 

Et je quitte la maison pour prendre l’air.

Mais j’ai surtout envie de revoir Lola.

 

****Lorelei****

 

Cet après-midi, je sèche le studio Valentine. Nadine m’a convaincue d’inscrire Raphael au même cours de judo que sa fille Keith. Si Raphael apprend à se défendre, cela me fera un souci de moins à gérer au quotidien. Je suis donc ravie qu’elle me l’ait proposé. Le gymnase se trouve au camp de gendarmerie du quartier Gros bouquet. Une fois dans le Dojo, je peux voir les apprentis judoka s’entrainer ensemble. Je cherche Raphael des yeux parmi ceux qui portent une ceinture blanche. Il est à l’écart…

 

Je questionne Nadine du regard et elle hausse les épaules car elle non plus ne comprend pas ce qui se passe. Elle me montre sa petite princesse Keith âgée de 13 ans. Cette dernière porte une ceinture verte et anime un petit groupe composé de gamin de mois de cinq ans. C’est marrant de voir des petits-bouts de chou habillés comme des combattants.

 

Nous nous asseyons sur les bancs réservés aux visiteurs et patientons jusqu’à la fin de la séance. 

 

— Il est où l’enseignant ?

— On dit le sensei Lola.

— Il est où le sensei ?

— C’est celui qui entraine les tous petits au fond à gauche avec la ceinture noire. On l’appelle sensei Izzy. Franchement, c’est un vrai papa gâteau alors les enfants l’adorent. Keith a commencé chez lui. Puis je l’ai inscrite chez le sensei Mike quand elle est entrée dans sa période « je suis une ado rebelle ».

 

Je rigole. Elle fait des grimaces quand elle décrit sa fille en adolescente rebelle. Moi aussi j’ai posé des problèmes à ma mère une fois l’âge de la déraison atteint.

 

— Il y a très peu d’élèves chez Mike parce qu’il est très … Bref. J’ai donc inscrit ton frère chez le sensei Izzy.

— Avec les enfants ?

— Oui pourquoi ? Il a onze ans n’est-ce pas ?

— Aie.

 

Raphael ne supporte pas d’être rétrogradé. Il lutte tous les jours pour paraitre plus adulte qu’il ne l’est réellement pour être en adéquation avec son intelligence. Je comprends donc pourquoi, il a refusé de s’entrainer avec les tous petits. Le sensei Mike ne peut-il rien faire ?

 

La séance se termine après un salut exécuté par l’ensemble du groupe. Et Raphael vient me rejoindre. 

 

— Tu es beau en kimono, lui dis-je en passant la main sur le tissu blanc.

 

Il me regarde sans rien dire. Keith rejoint à son tour sa mère après avoir bavardé un peu avec les petits qu’elle entrainait. Raphael s’efforce de ne pas la regarder. C’est une très jolie fille aux longs cheveux d’ébène. Mon frère me semble crispé et nerveux. Ah je comprends tout !

 

Je m’excuse auprès de Nadine et tire Raphael dans un coin de la salle où nous pourrons signer sans être vus des autres.

 

En LSF

 

— Tu ne veux pas signer devant les autres ?

— Non ce n’est pas ça. Je ne veux plus faire de judo. On m’a mis avec les bébés.

—Tu es sûr que ce n’est pas plutôt pour rejoindre le groupe de la jolie Keith que tu boudes ?

— Arrête !

 

Il sourit. Quel idiot ! Puis il change d’humeur et soupire.

 

— J’ai demandé au maitre Mike de me prendre mais…

— Mais…

—Il a dit… qu’il n’avait pas le temps pour les … handicapés.

— Il a dit quoi ?

— Laisse tomber ce n’est pas grave.

— Si c’est grave ! Je vais lui parler et tout de suite. Où est-il ?

— Dans les vestiaires il me semble.

 

Comment ça il n’a pas le temps pour les handicapés ? Il va m’entendre celui là. Oser traiter mon petit-frère d’handicapé. Je me dirige droit sur les vestiaires. Je ne laisserai jamais personne traiter mon frère avec mépris. Et tant pis s’il nous vire de son cours et de tous les gymnases de Libreville. Je vais lui dire ses quatre vérités. Je suis devenue une experte là dedans avec tout l’entrainement que j’ai effectué sur Sydney.

 

Un jeune judoka sort des vestiaires.

 

— Où est le maître Mike ?

— Heu là-bas dans le bureau des sensei, me répond-il en pointant du doigt une porte métallique.

 

Tant mieux s’il n’est pas à la douche. Je pourrai ainsi lui parler avant que ma colère ne retombe. Je cogne et j’ouvre la porte…

 

… pour le regretter à l’instant même où je le vois.

 

Mais depuis quand un bureau est fait pour s’habiller, ou se déshabiller, ou je ne sais pas ce qu’il est en train de faire. Mais pourquoi je m’embrouille. J’essaie de toutes mes forces de fermer les yeux mais je n’y arrive pas. Il ne porte rien. Pourquoi est-il dévêtu dans un bureau. Quelqu’un peut m’expliquer !

 

Un soupire involontaire m’échappe.

 

Lui me regarde, pas le moins du monde gêné par mon intrusion. Je n’arrive pas à détourner mes yeux de son corps aux muscles finement ciselés par le sport. Il remonte correctement son boxer. J’avale difficilement ma salive. Le silence qui s’est installé entre nous est chargé de mots retenu, l’air crépite.

 

—Oui ?

 

Sa voix est aussi douce que les traits de son visage. Il est beau. A damner un saint. Mais il émane de lui quelque chose que je n’arrive pas à cerner. Dans mon esprit, la candeur de ses traits contraste violemment avec ce que sa seule présence me fait ressentir.

 

— Vous voulez me parler ?

 

Je suis une frondeuse oui ! Mais là j’ai un malaise qui s’étire et s’installe. Il s’avance vers moi d’une démarche féline. Je serre encore plus fort le poignet de la porte comme si ce poignet allait venir à ma rescousse. Il attrape au passage un jean et l’enfile tranquillement devant moi. J’observe ses mains pendant qu’il tire la fermeture éclair d’un geste très lent, provocateur. Le jean lui tombe très bas sur les hanches, à la limite de l’impudeur, juste comme j’aime. Mon malaise grandit. Je me rends soudainement compte que je suis en train de dévisager de manière éhontée un inconnu à demi nu. Putain Lola arrête de mater son corps  ainsi ! Allez lève les yeux. Me dis-je. Je constate avec désarroi que je n’arrive pas à arrimer mon regard au sien plus de quelques secondes. Ses yeux me brulent.  Je ne me reconnais pas.

 

— Je vous écoute, continue-t-il tout en me fixant à son tour.

 

Il plonge enfin son regard dans le mien. Un regard terriblement intimidant.

Je suis terrifiée sans trop savoir pourquoi.

Je ne comprends pas. Depuis quand moi Lorelai Bekale je réagis ainsi devant un homme… Et pour la première fois de ma vie, je choisis de prendre la fuite. Je referme prestement la porte et inspire pour calmer les battements désordonnés de mon cœur. Puis je cours rejoindre mon frère oubliant autant que faire se peut le frisson glacial qui m’a parcouru à son approche alors que je mourrai de chaud. 

Ce n’est que lorsque mon téléphone se met à sonner que je m’arrête pour répondre de manière mécanique, sans réfléchir.

 

— Lola, c’est Gabriel. Peut-on se parler ?

— …

 

Valentine, mon Valentine que je ne peux avoir me parle avec douceur. Je reprends enfin mes esprits mais j’ai le plus grand mal à lui répondre.

 

— S’il te plait, ajoute –il.

LOVE SONG