Chapitre 13 Mike

Ecrit par leilaji

Chapitre 13

 

****Lorelei***

 

Ce mec m’a réellement court-circuité le cerveau… Ca y est je me le suis avoué et maintenant il faut que je passe à autre chose.

Je me concentre sur la voix de Valentine. Est-ce qu’il vient de me dire s’il te plait ? A quoi joue t-il ? Il me jette, puis il me supplie de lui parler.

 

— Lola ?

— Valentine t’es sérieux là ?

— Ecoute, il faut qu’on se parle.

— Arrête ce que tu es en train de faire. Je me suis fourrée dans une situation humiliante avec toi. Je t’ai laissé me traiter comme une moins que rien. Crois-moi, ça ne risque plus d’arriver. Je vaux mieux que le petit jeu auquel tu es en train de jouer avec moi. Sydney est ta tête d’affiche n’est-ce pas ? Bah va la retrouver. Vous vous méritez tous les deux.

 

Et je raccroche ! Contre toute attente, je raccroche ? Alors que le fait qu’il m’ait rappelé me fait chaud au cœur.

Je suis en colère et je ne sais même pas pourquoi ! Il y a trop de chamboulement dans ma vie en ce moment. Je ne sais pas ce qui m’a énervé à ce point…

Enfin si je le sais mais je ne veux pas analyser plus en avant le trouble qui s’est emparé de moi. Je croyais être imperméable … Non, non, non ! Je refuse de laisser un homme m’impressionner. Valentine a une très forte aura et pourtant je suis tout à fait à l’aise avec ce qu’il m’inspire. Mais ce Mike. C’était quelque chose de tout à fait différent, de quasiment animal qui m’a secoué de l’intérieur. Et moi, la petite pipelette je n’ai même pas pu lui placer un mot. Il a  dû me prendre pour une demeurée complète.

Mes pensées retournent vers Valentine. Je ne sais pas ce qu’il a  à me dire mais je ne veux rien entendre. Comme il est riche, il se croit tout permis et ben non. Pas avec moi.

Ferme les cuisses et travaille. C’est exactement ce que je compte faire.

 

Quelques minutes plus tard, je rejoins le groupe que forment Nadine, Raphael et Keith. Mes yeux ne quittent pas un seul instant mon petit frère. Il est mignon en garçon timide. Pourvu qu’il le reste encore très longtemps. Je ne sais pas si je saurai gérer un adolescent plongé dans les premiers émois.

 

****Raphael****

 

Ma sœur a dit qu’elle allait parler au sensei Mike mais elle est revenue dans un état d’agitation peu habituel. Que se sont-ils dit ? Je la questionne du regard et elle me fait comprendre qu’on en parlera après. Je n’insiste pas.

 

****Trois jours plus tard. ****

 

Lola revient de chez le boutiquier avec deux baguettes de pain encore croustillantes et un pot de margarine. J’ai fait la table pour l’aider à gagner du temps parce qu’elle est fatiguée. Le matin, elle se réveille très tôt alors qu’elle rentre tard de son travail de nuit. Elle fait la bouffe de la journée qu’on réchauffera à midi et le soir s’il en reste encore. Sinon, la plus part du temps on ne mange copieux qu’à midi et le soir, on achète des beignets de farine que vend la petite famille béninoise du coin.

 

Elle revient en riant.

 

En LSF

 

— Tu ne le croiras jamais. Il y a un commerçant chinois qui vient de livrer des bouteilles d’huile et d’autres trucs à Diallo et il m’a dragué.

 

Elle pose les baguettes sur notre table à manger et étire ses yeux de ses doigts pour se donner un air asiatique.

 

—Pquoi ti manges pain matin, moi acheter toi nourriture…

 

Et elle s’esclaffe de plus belle. Je ne vois pas tellement ce qu’il y a de drôle dans ce qu’elle dit mais je ne veux pas gâcher sa bonne humeur matinale. Elle est très bizarre depuis qu’elle a vu le sensei Mike. On s’attable pendant que maman et papa sortent de leur chambre commune. Le matin, maman sent toujours bon l’eau de Cologne. Elle me prend dans ses bras pour me saluer. J’apprécie l’instant parce qu’elle ne le fait pas souvent. Lola aide papa à s’installer et lui sert du lait.

 

Depuis qu’il suit ses séances de rééducation, il va de mieux en mieux. J’ai tellement eu peur de le perdre quand il est tombé malade. Heureusement que le sort en a décidé autrement. On a perdu le soutien de la famille qui petit à petit s’est éloignée de nous à cause des factures d’hôpital qui s’accumulaient. Personne ne voulait nous prendre en charge en sachant que papa n’avait pas grand-chose.

 

En somme, malgré tout ce qu’on a eu à traverser, c’est une très belle journée qui commence. Je finis rapidement de manger et prends mon sac à dos. Après un bref regard circulaire pour dire au revoir à tout le monde, je m’achemine vers la route.

 

Une fois les ruelles sinueuses des bas fonds traversées, je rejoins la route principale en attente d’un taxi quand je remarque une voiture qui ne m’est pas inconnue. Je m’en approche et reconnais aussitôt que c’est celle de Monsieur Valentine. Il est adossé à la portière et scrute l’horizon l’air perdu dans les vagues. Lorsque je ne suis qu’à deux pas de lui, je cogne sur la carrosserie pour lui signaler ma présence. Il me voit enfin.

 

— Bonjour Raphael.

 

Je lui tends la main. On se salue cordialement.

 

— Ta sœur est là ?

 

J’acquiesce. Mais que fait-il dans notre quartier à six heures du matin ?

 

— Elle est fâchée contre moi. Ca fait quatre jours qu’elle n’est pas venue au studio. Je l’appelle et elle ne décroche pas.

 

Et c’est pour cela qu’il se pointe chez nous à six heures du matin ? Quel patron vient prendre des nouvelles de son employée à six heures du matin. Je l’observe. Il a des cernes et semble ne pas avoir bien dormi. Pourtant, il est aussi classe que la dernière fois que je l’ai vu. Dans une chemise blanche d’un blanc immaculé avec ce qui me semble être un nœud papillon défait. Est-ce que ce mec sait s’habiller décontracté ? A six heures du matin il porte un nœud papillon ? Ou alors je me trompe complètement et il n’est pas encore rentré chez lui.

Je sors mon carnet de mon sac et écris rapidement :

 

« Vous comptez rester là longtemps ? Ca ne servira à rien vous savez, Lola est du genre rancunière. Si vous l’avez blessée, elle va vous bouder longtemps »

 

Il soupire et regarde notre entrée un instant. Une jeune fille passe mais ce n’est pas Lola. Il est déçu.

 

« Je ne peux pas rester plus longtemps. Je dois aller au collège. »

 

Il regarde sa montre et me propose de me déposer pour gagner du temps.

 

« Non merci, vous êtes dans l’œil du cyclone. Si elle est fâchée contre vous et qu’elle découvre que je vous ai parlé, ça va être ma fête »

 

Il rigole. Ca lui donne l’air moins sérieux quand il rigole. Je réfléchis un bref instant et le regarde. Après tout, il a quand même été gentil la dernière fois que je l’ai vu. Il a accepté mon argent et m’a raccompagné dans sa superbe voiture de l’espace qui ne fait aucun bruit quand elle roule. C’était trop coooool. Dommage qu’aucun des idiots du collège ne m’ait vu en descendre.

 

Je lui laisse un dernier feuillet et le quitte. Il en fera ce qu’il voudra.

 

****Gabriel ****

 

 Je lis le mot qu’il m’a laissé avant de traverser la route prendre un taxi bus.

« Toutes les filles aiment être traitées comme des princesses.  Lola ne fait pas exception à la règle »

 

Je me demande quel âge a ce garçon. Il est d’une exceptionnelle perspicacité pour un enfant. Au moment où je fourre le mot dans ma poche, Lola apparait vêtue d’un uniforme. La connaissant assez excentrique, je sais que ça ne doit pas beaucoup lui plaire de porter ce type de vêtements.

Elle est belle et maquillée avec art. J’imagine les merveilles que mon assistante Nadine, qui a une formation de maquilleuse pourrait faire avec son visage.  Elle tend le doigt pour arrêter un taxi.

 

— Lola ! je l’interpelle

 

Elle lève la tête. Et me regarde. Un taxi s’arrête. Sans hésiter un seul instant, elle monte et s’en va. 

Elle a la rancune tenace cette fille.

Mais je suis aussi têtu qu’elle.

 

****Des heures plus tard, en fin d’après midi****

 

****Lola****

 

J’ai la dalle. Je sors des cours et je n’avais pas assez sur moi pour m’acheter un sandwich. J’espère que quelqu’un a pensé à me laisser un peu du riz et du poulet préparés ce matin. Il faudra aussi que je sorte du congélateur la marmite de feuilles de manioc préparée pendant le week-end.

Je descends du taxi et paie. Quelque chose me dit de regarder de l’autre côté de la route. Il est toujours là. A croire que rester debout ainsi toute la journée lui a fait le plus grand bien. Même à cette distance, je vois bien que sa chemise n’est même pas un peu froissée et que la fatigue qui se lisait sur son visage le matin a complètement disparu de ses traits.  Je pensais ne plus le trouver là ou dans le meilleur des cas, le voir bien énervé prêt à me hurler dessus et à me traiter de tous les noms.

Ce n’est pas du tout le cas. Il semble amusé par mon attitude. Il a le regard du mec qui voit sa copine délirer et qui se dit : « elle n’a qu’à continuer son cirque je l’aurai au tournant ! ». Ca m’énerve qu’il soit aussi zen. Et puis c’est quoi ce nœud papillon ! La seule différence avec ce matin c’est qu’il a roulé les manches de sa chemise.

J’ai envie de traverser la route et lui demander ce qu’il fait là. Le souci c’est que ma mère a installé ses légumes sur sa table au bord de la route et qu’elle attend de potentiels clients. Il ne faut pas qu’elle me voit avec lui sinon elle va déclencher des séances de prières pour moi avec ses copines de l’église.

 

Je m’assois sur le petit banc à côté d’elle et sors mon portable. S’il est malin, il comprendra qu’il peut parler avec moi par le biais du téléphone.

 

En fang

 

— Bonjour maman.

— Bonjour Lola. Et l’école ?

— Ca va. Bientôt les examens.

 

On doit être la seule famille fang (ethnie du Gabon) à ne pas parler fang en permanence. Habituellement, on ne peut pas être en présence de deux fangs qui ne font pas basculer leur conversation du français au fang de manière systématique. C’est une fierté pour nous de nous exprimer dans notre langue. Mais avec le handicap de Raphael, c’était très difficile de l’intégrer dans nos conversations en langue vernaculaire. Il apprenait la langue des signes en français et ne pouvait nous comprendre en fang. Alors on a cessé de parler fang en sa présence.

Je jette un coup d’œil à Valentine. Il est enfin monté dans sa voiture.

 

Après toute cette attente, il abandonne !

 

— L’homme là est étrange. Il est débout là depuis le matin. Hum. J’espère que ce n’est pas un de ces francs maçons là. On lui a peut-être demandé de venir rester debout bêtement dans un quartier pour avoir plus d’argent.

 

Ah maman et ses superstitions. Pour elle, tous les mecs à peu près riche du Gabon sont soit des francs maçons soit des rosicruciens qui ont vendu leur âme au diable pour or et argent. Si elle pouvait savoir que c’est pour moi qu’il poirote comme ça et non pas pour de l’or elle me ferait les yeux ronds. J’ai presque pitié de lui mais rien que de me revoir dans ses bras avec sa main posée sur ma bouche… me donne envie de le laisser patienter encore très longtemps. Enfin, s’il reste encore bien entendu.

 

Il pourrait traverser non ! S’il s’attend à ce que je vienne le rejoindre dans sa voiture, il se met le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Il va apprendre à me connaitre.

Mon ventre gargouille bruyamment. J’ai faim, horriblement faim mais je vais rester à côté de maman et le contempler se dessécher sous le soleil…

 

Ding ! Message. Numéro inconnu de mon répertoire. Hum !

 

Lui : « T’as pas fini de bouder ? »

Moi : « Qui est-ce ? »

 

Je sais parfaitement que c’est lui. Qui d’autre pourrait avoir un numéro masqué ?

 

Lui : « Ne me cherche pas Lola »

Moi : « Qui est-ce ? »

Lui : « Gabriel »

Moi : « Ah. On n’a pas élevé les moutons ensemble. Bonjour. »

Lui : « Bonjour Lola. J’aimerais te parler, juste un instant »

 

Je prends une mangue sauvage sur la table de maman et croque dedans après l’avoir essuyée sur ma jupe. J’ai l’impression de sentir des petites cornes de démon qui me poussent sur la tête comme dans les dessins animés que regarde Raphael.

 

Moi : « Je suis très occupée là. Prends rendez-vous »

 

Je le vois rire en face dans la voiture dont il a baissé les vitres. Ca l’amuse hein.

 

Lui : « Ok. Pourrais-je avoir un rendez vous avoir vous demain mademoiselle Bekale ? »

Moi : « Un rendez-vous pour quoi ? »

Lui : « Parler de nous ».

 

WTF ! Y’a pas de nous qui tienne.

 

Moi : «  Je ne vais pas coucher avec toi »

Lui : « Ne sois pas vulgaire s’il te plait »

Moi : « Je ne pourrai jamais être plus vulgaire que ta Sydney ! Laisse-moi tranquille. »

Lui : « Tu ne veux plus chanter ? »

Moi : « Je ne peux pas vivre et ne pas chanter. Ca fait partie de moi. Je trouverai un autre moyen de chanter »

 

Cinq minutes passent. Plus de réponse. Je commence par écrire un nouveau message puis l’efface avant de l’envoyer. C’est à son tour de me répondre, donc j’attends.

Cinq autres minutes passent. Il ne bouge pas d’un iota. Quoi il ne sait plus quoi me répondre?

 

Ding ! Une délicieuse chaleur m’envahit. Il est vraiment là que pour moi monsieur Chocolat. Depuis six heures du matin…

 

Lui : « Accorde-moi la journée de demain. C’est samedi. Donne moi juste cette journée puis tu décideras si tu peux à nouveau m’accorder ta confiance ou pas. »

 

Maman commence à ranger ses affaires. Elle remet ses fruits dans un carton et essuie sa table en bois rafistolée de partout. Cette table c’est papa qui la lui a bricolée quand il était encore valide. Elle en prend soin comme s’il s’agissait d’un trésor. Puis elle plie le parasol avec le logo d’airtel (maison de téléphonie mobile) qui la protège du soleil. Elle est un peu déçue par sa journée car elle n’a pas vendu grand-chose.

 

En fang

 

—Descends avec le carton, je vais te ramener le reste plus tard, je lui propose.

— Ne traine pas trop ici, avec l’autre fou qui est toujours dans sa voiture, on ne sait jamais.

 

Je rigole doucement pour ne pas éveiller ses soupçons. Elle s’en va pressée d’aller retrouver son mari resté seul à la maison.

 

Ding ! Putain il me fait sursauter à chaque message. Je déverrouille le clavier d’un geste souple du doigt et lis le message.

 

Lui : « Qu’en dis-tu ? »

Moi : « Pas assez alléchante ta proposition » 

 

Une minute passe puis une deuxième et une troisième. Peut-être l’ai-je vexé… Je suis parfois trop directe. Pourvu qu’il le prenne comme une taquinerie. Il démarre sa voiture. Rhooooo ! J’ai envie de bondir le rattraper. Mais il fait une manœuvre difficile rapidement comme la voie est libre et se retrouve de mon côté de la route. 

Je dis hein, l’homme là ne pouvait pas tout simplement traverser la route. Il descend de sa voiture et vient se positionner pile face à moi. Le soleil s’est couché depuis une quinzaine de minutes. La route est déserte.  Je me rends compte à quel point j’aime ses yeux bridés.

 

— Ma proposition n’est pas alléchante ?

 

Il a ce sourire. Celui qui doit surement faire tomber toutes les filles à ses pieds. Celui qui me fera certainement tomber à ses pieds s’il continue à jouer à Monsieur sourire et dents parfaits…

 

- Pas assez j’ai dit… Du moins pas assez pour que je te pardonne… Et je te …

 

Ses lèvres ont fondu sur ma bouche et sa langue s’est enroulée autour de la mienne. Seigneur mais qu’est-il en train de faire ? Tout le monde pourra nous voir… je voudrais le repousser mais je n’y arrive pas. Il sent bon, surement un parfum luxueux qui pourrait payer quelques soins à mon père… cette pensée me rappelle douloureusement que nous ne sommes pas du même monde. Qu’il m’embrasse ainsi parce que personne ne nous regarde, qu’il suffirait que sa sœur passe par là pour qu’il me jette dans un fossé pour me cacher d’elle.

 

Je mets fin au baiser bien malgré moi.

 

— Ne fais plus jamais ça…

— Je recommencerai … tant que tu en auras envie.

— Je ne coucherai pas avec toi.

— Je ne te l’ai pas encore demandé.

 

Il m’exaspère. Il a une meuf (une copine) et il me court après. Je n’ai plus envie d’être à l’origine d’embrouille de ce genre. D’une main douce, il me caresse les cheveux ce qui me fait automatiquement oublier ce à quoi je pensais.

 

— Je sais à quoi tu penses. Accorde-moi la journée de demain et je te prouverai qu’il n’y a plus de Sydney. J’attends un signe de ta part. Demain.

 

Comment ça plus de Sydney ?

 

 

 

****Mike****

 

Depuis ma rencontre avec cette fille, je me sens mal à l’aise. Un peu comme si quelqu’un s’était introduit chez moi sans mon consentement. Ce malaise persistant n’est pas dû au fait qu’elle m’ait vu nu, loin de là. Je suis parfaitement à l’aise avec mon cœur. Les femmes aiment mon corps.

Mais son regard apeuré m’a déstabilisé. Je ne comprends pas ce qui l’a fait fuir comme ça.  C’était comme si elle m’avait … percé à jour.

 

En myènè (ethnie du Gabon)

 

—Qu’est-ce qui se passe ? Tu m’as l’air préoccupé… me dit ma grand-mère.

— Rien pourquoi…

— Dis-moi. Tu sais que je te connais par cœur. Que s’est –il passé ?

 

Je ne peux rien lui cacher très longtemps. Ma grand-mère a pris soin de moins depuis l’âge de sept ans. Elle est tout ce que j’ai de plus cher au monde. C’est ma mère.

 

— Je ne sais pas. Une … femme.

 

Elle qui brodait tranquillement ses napperons, lève soudainement la tête.

 

— Une femme ! Quelle femme ?

 

J’en ai trop dit … ou pas assez. Je me décide à me confier autant que je peux. Les mots ont toujours eu du mal à franchir mes lèvres depuis mon enfance agitée. 

 

— Je ne saurai pas te dire ce qui me dérange réellement…

— Mais raconte-moi.

 

Elle quitte son fauteuil et vient s’attabler avec moi, tendue à l’extrême. Ma grand-mère est toujours d’une patience sans limite alors ça m’alarme un peu qu’elle réagisse ainsi à mes propos.

 

— Tu sais avec quelle facilité les femmes m’approchent… et tu sais ce qu’elles veulent toutes de moi…

 

Elle pose sa main sur la mienne pour que je m’exprime un peu plus. Je ne suis pas un grand bavard alors j’ai toujours eu du mal à me confier, même à elle.

 

— Elle m’a regardé et elle était complètement tétanisée comme si elle pouvait voir ce que je suis vraiment…

— C’est l’impression que tu as eu ?

— C’était désagréable, elle s’est enfuie.

 

Elle se tait un moment et pose son napperon et son aiguille sur la table. Je me suis assez exprimé comme ça. Je me tais de nouveau. Elle semble réfléchir, hésiter à me dire quelque chose. Je n’insiste pas. Je lui ai dit ce qui me tracassait et je n’ai plus rien à ajouter. Je finis mon assiette, débarrasse la table et l’embrasse avant de m’en aller.

A une époque, elle se plaignait de mes manières de rustre. Puis j’ai dû partir faire mes études en France et je suis rentré au pays. Maintenant elle ne me dit plus rien, elle se contente de me plaindre moi et ma vie d’ermite. 

 

****Grand-mère Eugénie****

 

Est-ce enfin le moment de vérité ? Mais pourquoi maintenant. Est-il prêt à la rencontrer ? A quel âge ai-je rencontré son grand-père ? On devait être de la même génération que mon bébé.

 

Il ne se doute même pas du chamboulement qui l’attend. Je ne sais pas comment le préparer à ce qui l’attend. Seigneur vient moi en aide. Mais il faudrait que ce soit elle. Comment en être sure ? S’il s’ouvrait un peu plus à moi je pourrais le déterminer selon ce qu’il me dira. Mais il a toujours été tellement secret, tellement distant… La blessure que la vie lui a infligée très tôt n’a jamais cicatrisé. Jamais.

Je suis la seule personne à être proche de lui. Pourtant, les rares fois où il vient me rendre visite, il ne reste jamais plus de quinze minutes. Est-ce une vie pour mon petit-fils ? Je dois la rencontrer. Si je la vois, je saurai si c’est elle ou pas…

LOVE SONG