CHAPITRE 12

Ecrit par Flore LETISSIA

Désolée pour la longue absence…



~ la vie est pleine de surprise, il suffit d'ouvrir les yeux pour voir les choses cachés ~



Quand l'heure du déjeuner arriva ils retournèrent à la voiture de Mohamed en faisant une course poursuite, leurs rires gais et frais s'élevaient dans la nature. Il ouvrit le coffre et Dorlande découvrir toutes sortes de victuailles empaquetées dans un sachet. Elle fut surprise de constater que tout avait été manifestement acheter dans un restaurant, même les verres et les couverts étaient en plastique jetable. 

En lieu et place de l'habituel nappe de pique-nique, Mohamed avait acheté une toile cirée de 2 m sur 2 avec certes des motifs fleuris mais bien moins romantique. On aurait dit que tout était improvisé. Dorlande fut d'ailleurs tenté de lui demander s'il ne venait pas de chez lui aussi s'il n'avait ni couvert, ni nappe, ni panier. Puis elle se dit qu'il devait détester faire la vaisselle et les rangements, comme la plupart des hommes. 

Ils s'installèrent sous un grand arbre feuillus et commencèrent à déjeuner. Entre les bouchers, Mohamed lui disait des mots doux qui la charmait. 

- tu m'as l'air d'une pierre précieuse tombée de son coffret, ignorée, dépréciée. L'étoile de David m'a guidé sur ton chemin pour te mettre en relief, te faire apprécier à ta juste valeur.

Dorlande , les yeux débordant de plaisir opinait de la tête, séduite par tant de beaux compliments.

Ils s'étaient rapprochés inconsciemment, pour mieux percevoir leur chuchotement. Leurs têtes se touchaient presque, et sans que elle ne sût comment cela était arrivé Mohamed lui donna un baiser appuyé sur les lèvres. Sa surprise fut telle qu'elle en restant sans la moindre réaction.

- tu avais promis d'être sage… Lui rappela t-elle quand enfin il lâcha.

- mais je le suis, plus qu'hier, moins que demain. Un chaste baiser donné en pleine nature n'est rien d'autre qu'un gage d'amitié éternelle ayant les nymphes pour unique témoin.


~~Ibra~~

La vie professionnelle d'Ibra était une réussite exemplaire. En un rien de temps, il avait fait ses preuves en tant que chef de département. Au sein de la société chaque agent était désormais convaincu de sa compétence. Même ceux à qui ça nomination avait fait grincer les dents durent reconnaître qu'il méritait vraiment cette promotion. Le DG ne tarissait pas d'éloges à son endroit. 

La courtoisie et les prévenance d'Ibra avait également joué en sa faveur et séduit ses collègues. Comme il se l'était promis le jour même de sa nomination, il offrait une fois sur deux un déjeuner à toute la direction souscription. Ils se retrouvaient tous chez Simone, la sœur de Germaine et secrétaire du DG, qui tenait un restaurant à 500 m de la société. C'était un cadre propre et gai ou l'on servait une cuisine raffinée et variée. Le DG avait lui-même reconnu que l'on déjeunait chez Simone avec le même appétit et le même plaisir qu'en mangeant chez soi.

À ces occasions là, ils mangeaient tous assis autour de la grande table dans une ambiance bon enfant à la bonne franquette. Certains d'entre eux n'hésitaient pas à se servir une seconde fois et à exiger un vin, déjeuner au frais de la princesse suscitait leur gourmandise.

Seul innocent, quand il les accompagnait, contribuait au dépenses malgré les vives protestation d'Ibra.

Ibra offrait également des bons de carburant a ses collègues. Il lui arrivait parfois de distribuer la moitié de ce qu'il avait, surtout quand il partait en mission. 

Comme les mouches on attrape pas avec du vinaigre, ses largesses vinrent a bout de ses irréductibles ennemis. Rapidement Ibra était rentré dans la peau d'un véritable chef de département, avec tout l'étoffe que cette situation conférait. Sa carrure imposante, sa voix de stentor et sa parfaite maîtrise des dossiers en imposèrent a chacun.

Le directeur général lui-même avait contribué à assoir l'autorité d'Ibra par certains de ses agissements. Lors d'une absence du sous directeur, aucun autre n'avait été désigné pour assurer l'intérim comme cela était de coutume. Ibra avait en toute latitude gérer la direction en dirigeant la réunion hebdomadaire et en signant des documents importants. Ce qui était une première…

Dans la même période, il eut l'insigne honneur de présider un séminaire de trois jours qui se tient sur Grand Bassam, a l'Etoile du Sud. Cette rencontre avait pour objectif principal de permettre à Continental Ré d'entamer son processus démarche qualité en vue d'une certification. C'était un projet qui tenait à cœur au directeur général. Il a porté son choix sur Ibra pour sa double casquette d'ingénieur informaticien, qualifications qui lui permettait de cerner le cœur du métier.

Ibra aimait joindre l'utile à l'agréable. Il se donnait à fond dans le séminaire au cours de la journée, mais la nuit venue, après la séance de synthèse des travaux, il quittait l'Etoile du sud situé en bordure de mer dans un cadre féerique, pour se fondre dans la nuit chaude de Bassam sans destination précise, en quête de lui-même, comme il aimait a le dire à Innocent. Il aimait l'imprévu. Il sirotait a ses occasions un verre de Johnnie Walker, dans un bar climatisé, seul ou avec un conquête, selon son inspiration. Il marchait longuement sur la plage, admirant les étoiles, pour s'aérer l'esprit. Il pouvait terminer la nuit dans lit seul, en observant la chasteté ou s'égayant avec une aventurière. Mais jamais l'aurore ne le surprenait dehors. Le soleil le voyait pimpant, propre, disponible et prêt à coordonner les activités de la journée. Personne, parmi les participants au séminaire ne sût qu'il avait deux faces, menait une double vie, diurne et nocturne.

Durant son séjour à Bassam, jamais il ne reçut le moindre coup de fil de Dorlande, pas une seule minute elle ne l'avait appelé pour se plaindre et l'accuser d'infidélité. Bien avant cela, elle ne lui faisait plus de remarque à propos de ses sorties. Même sa série habituelle de questions, « tu es où ?», « tu fais quoi ?», « avec qui ?», qu'Ibra qualifiait ironiquement de « triade d'enquiquinement », avait également disparu. Tout se passait comme si chacun d'eux avait pris son parti et se laissait vivre en prenant la vie du bon côté.

Ce changement de comportement surpris Ibra dans un premier temps, puis il se dit que sa campagne s'était fait une raison puisque jamais elle n'avait pu détenir de preuves palpables de ses allégations. 

Quand il rentra de Bassam, Ibra dût se rendre au Nigeria en mission expresse pour deux semaines. Il devait rencontrer les décideurs de ce pays pour leur proposer leurs services dont le coût avoisinait le milliard de FCFA. Il devait également monter un dossier d'appel d'offres relatifs à diverses prestations informatiques a ce pays frère. C'était tout un programme en perspective qui avait énormément d'importance pour ses responsables.

Ces quinze jours d'absence d'Ibra laissèrent a Dorlande et à Mohamed le loisir d'assoir véritablement leur relation. Dorlande s'investissait pleinement dans cette relation qui venait à point nommé combler un vide affectif. Mohamed, toujours aussi enthousiaste et enjoué lui faisait une cour empreinte de poésie qui transportait son âme.

Depuis l'épisode du jardin botanique de Bingerville, il ne l'avait plus embrassé par surprise. Il se contentait de la prendre amoureusement par la taille ou de lui enfermer les mains dans les siennes, en posant sur elle un regard brûlant. Et elle en était charmé, heureuse et susciter chez cet homme une tendresse a la fois si douce et si intense.

Cependant, le fait que Mohamed n'avait encore pas manifesté le désir d'emmener Dorlande chez lui alors que cela faisait déjà un bout de temps qu'ils se fréquentaient, avait pendant un moment intrigué la jeune femme.

Puis elle se rassura, car Mohamed n'était pas marié. Elle avait aussi pensé qu'il vivait en concubinage, mais la grande disponibilité dont il faisait l'avait convaincue du contraire. Et ce constat suscita une autre interrogation dans son esprit comment un bel homme de quarante ans, qui manifestement ne manque pas d'argent, peut-il n'avoir personne dans sa vie ? C'était la une situation un peu curieuse qui suscitait a juste titre quelques questionnements…

Au cours d'un dîner au Montparnasse, Dorlande finit par aborder la question avec lui. Ils s'y rendaient quand elle manifestait le désir de manger français. Pour la cuisine asiatique, c'était la Nuit de Saïgon qui les accueillait et pour déguster des mets africains, ils prenaient systématiquement la direction du restaurant Aboussouan.

Ce soir-là, Dorlande voulut assouvir sa curiosité et amena la conversation sur la vie de Mohamed.

- pourquoi vis-tu seul ? J'ai la certitude que plus d'une femme est tombé sous ton charme, je me trompe ? Demanda-t-elle.

- hélas, les apparences sont souvent trompeuses car je vis dans une profonde solitude.

- pourquoi ? Cela n'a pas de sens…

- et pourtant…

- alors, quel vice caches tu ?

- aucun, je suis blanc comme neige, pur comme une âme de nouveau-né

- le mystère est donc entier ?

- sans doute étais-je en quête de mon âme sœur, de mon yin…

- qu'est-ce que c'est ? Je crois en avoir vaguement entendu parler, mais je ne pourrai donner une définition précise de ce vocable.

- le yin ne peut pas être appréhendé sans le yang. Il s'agit d'un couple de choses, d'éléments ou de principes à la fois opposés et complémentaires du point de vu physique, émotionnel, énergétique ou spirituel… C'est le masculin et le féminin, c'est Osiris et Isis, c'est la lune qui réfléchit la lumière du soleil, c'est la nuit de laquelle naît le jour, c'est le vide dans lequel le plein s'encastre… Bref, c'est la moitié que j'attends pour m'unifier, fusionner parfaitement et former une seule entité. Sans elle je ne saurais être.

Dorlande l'écouta attentivement, buvant ses paroles, toujours séduite par sa culture. Elle ne put s'empêcher de le comparer à Ibra. Assurément, ce dernier n'avait aucune poésie en lui... Jamais elle ne l'avait vu avec un roman, hormis ses ouvrages d'informatique et de management.

Après le dîner, quand il l'a raccompagna, Mohamed prit la main de Dorlande qu'il carresse longuement.

- merci de m'avoir permis de passer l'une des charmantes soirées de ma vie, lui susurra-t-il.

- tout le plaisir a été pour moi.

Puis, il sortit une enveloppe de sa poche et la lui remit.

Dorlande regarda longuement l'enveloppe, en se posant des questions. Elle était trop plate pour contenir de l'argent. A moins que ce ne fut un chèque ! Mais un tel geste serait déplacé de sa part, et telle qu'elle le connaissait il était trop fin pour ignorer cela. Il savait que jamais elle n'accepterait de l'argent de lui. Un cadeau certainement, mais pas de l'argent.

- qu'est-ce que c'est ? Finit-elle par demander.

- tu n'as qu'a l'ouvrir, répondit-il énigmatiquement. 

Dorlande s'exécuta et découvrir un contrat de travail à durée déterminé de trois mois, que lui proposait une société de communication. Elle n'en revenait pas. Pour une surprise c'en était une !

- Mo & Noke Communication comme son nom l'indique, est une société qui évolue dans le domaine de la communication. Elle est spécialisée dans le conseil et la conception de supports publicitaires. Tu commenceras par un salaire de 150.000 FCFA. Je sais que c'est peu au regard de tes qualifications, mais si tout va bien, mon ami qui est directeur général ne ferra aucune objection à revoir ce salaire a la hausse.

Dorlande fut émut aux larmes, face à cette délicate attention. Des jours avant, au cours d'une discussion, Mohamed lui avait dit qu'il pourrait lui trouver un petit emploi, mais elle n'avait pas accordé grande importance à ses dires. Elle ignorait qu'il était sérieux.

Elle réagit spontanément en l'embrassa sur la bouche, éperdue de joie et de reconnaissance. Elle qui n'avait jamais eu de stage rémunéré, trouvait sa solde convenable et voulait commencer son travail dès le lendemain. Mohamed lui expliqua qu'elle jouerait un rôle polyvalent, comme s'était le cas dans les petites structures. Elle aurait a tenir le secrétariat, le standard, conseillerait des clients sur place et ferait de la prospection à l'occasion. Mais elle l'assura vivement que tout cela était dans ses cordes. 

Mohamed la regarda avec un sourire satisfait au coins des lèvres. Il venait de marquer un grand coup. Encore une fois son intuition ne l'avait pas trompé. Il était sûr que Dorlande n'était pas le genre de fille à accepter de l'argent. S'il le lui avait proposé, non seulement elle l'aurait refusé, mais elle se serait méfiée de lui. Avec ce poste qu'il dénichait, il devenait pour elle la providence même, la générosité désintéressée faite homme. En principe, le plan devrait suivre son cours normal, tout devrait marcher comme sur des roulettes. En la laissant bien macérer dans sa joie de nouvelles salariée, elle ne devrait plus lui opposer la moindre résistance. C'était une stratégie infaillible qu'il avait eu le temps d'éprouver après quelques erreurs de parcours.

En effet, une fois il avait surestimé ses chances en demandant à sa conquête du moment, le jour-même ou il lui avait remis le fameux contrat de travail, de coucher avec elle. Mal lui en prit ! Elle lui avait jeté son papier à la figure en lui rétorquant qu'a ce prix-là, elle resterait éternellement une épouse au foyer, modèle et vertueuse.

Il avait retenu la leçon et désormais, il attendait que ses conquêtes prennent l'habitude d'aller chaque matin au travail, qu'elles s'attachent à cette nouvelle situation qui les valorisait, avant de les mettre face à une espèce de dilemme tacite mais cornélien.

Dorlande avait commencé son travail depuis deux semaines quand Mohamed passa à la dernière étape de son plan. En dragueur qui savait épouser les contours de la psychologie féminine pour mieux les interpréter, il avait lu les signes du temps et trouva le fruit mûr, prêt à être cueilli. Et il abattit sa dernière carte. Celle qui était décisive. Il invita la jeune femme a prendre part à une fête de génération à Ebra, un village lagunaire dans le Sud du pays, à quelques kilomètres de Bonoua.

Ibra étant en mission au Nigeria, Dorlande accepta spontanément l'invitation. Elle se sentait seule, délaissée et en avait marre de jouer les gardiennes de maison. Elle avait besoin de se changer les idées. Elle n'était certes pas malheureuse au point d'en verser des larmes, mais elle pouvait profiter de son temps libre pour connaître du pays.

D'ailleurs Mohamed était d'agréable compagnie, intelligent, spirituel, cultivé avec un réel sens de l'humour, jamais elle ne s'était ennuyée un seul instant en sa présence.

Ils se donnèrent rendez vous au carrefour Saint Jean. Quand Dorlande arriva au lieu convenu, Mohamed y était déjà, mais contrairement à la première fois, il n'était pas descendu de voiture. Dorlande monta à ses côtés et ils partirent. Chemin faisant, il lui expliqua qu'ils étaient les invités d'honneur du président du Conseil général de Grand Bassam, lequel était comme un frère pour lui.

Mohamed conduisait avec beaucoup de prudence même si la circulation était fluide. Ils atteignirent rapidement le boulevard lagunaire et peu après, passèrent le pont général de Gaulle. Ils firent une escale à Cap Sud, sur le boulevard Giscard d'Estaing pour prendre un petit déjeuner. Mohamed expliqua que la route était assez longue et qu'en général, au cours des manifestations de ce genre, l'on déjeunait relativement tard. Il valait mieux pour eux avoir quelque chose dans le ventre. 

Une heure plus tard, ils mirent le cap sur Grand Bassam. Quand ils arrivèrent dans l'ancienne capitale ivoirienne distante d'Abidjan d'une quarantaine de kilomètres, ils se rendirent directement au bureau du Conseil général où le président et son vice-président les attendaient.

Visiblement, les trois hommes étaient heureux de se retrouver et saluèrent chaleureusement avec des accolades et des plaisanteries que Dorlande jugea un peu grivoises. Elle comprit qu'ils étaient effectivement très proches, comme le lui avait dit Mohamed. Mais ce dernier ne l'a présenta pas à leurs hôtes et cela la surprit. Les deux hommes s'étaient contentés de la saluer avec une chaleur familière, en l'appelant, l'un « ma chérie » et l'autre « ma beauté » ; comme si elle avait été une vielle connaissance pour eux.

Il discutèrent un court moment, avant de quitter les lieux. Le président que Mohamed appelait Antoine, s'approcha d'une porte qu'il ouvrit. Il y passa la tête et on l'entendit s'exclamer d'une voix gaie :

- on y va mes belles !

La minute qui qui suivit, Dorlande vit sortirent deux jeunes femmes d'environ vingt cinq ans, mises comme des poupées de vitrine, qui s'approchèrent du groupe minaudant.

Là encore, aucune présentation ne fut faite. Seul, Mohamed leur serra la main avec chaleur, en les appelant « mes jolies » comme l'avait fait Antoine et Patrick avec elle quelques minutes plus tôt. Elle comprit qu'il s'agissait de leurs maîtresses ou petites amies. Elle en déduisit qu'ils pensaient qu'elle également était la maîtresse de Mohamed… Mais étrangement, cette idée, loin de la choquer, l'amusa plutôt…

Tous les six prirent place dans la Audi Q7 d'Antoine stationnée dans le parking intérieur et partirent pour Moossou. Jouxtant le fleuve dont il portait le nom, c'était dans ce patelin que se faisaient les embarquements à destination des autres localités côtières et des îles environnantes. 

A l'intérieur du véhicule, la discussion allait bon train. Seuls les trois hommes parlaient, les femmes se contentaient de les écouter et de rire quand elles saisissaient le sens de leurs propos très imagés.

Antoine était au volant, avec Mohamed a ses côtés. Dorlande, Patrick, Annie et Keren occupaient le siège arrière. Les deux belles minaudières étaient comme à leurs habitudes très gaies.

Quand ils arrivèrent à Moossou, Dorlande constata que de nombreuses personnes attendaient d'embarquer à destination d'Ebra dans des pinasses. Il y avait un monde fou qui voulait prendre part à la fête de génération, manifestation d'envergure de la localité. Ils étaient encore à regarder la lagune quand ils virent un bateau de plaisance. Tous comprirent que c'était celui qui devait amener le président du Conseil général et ses amis à Ebra. On leur dit de la place, il s'avancèrent vers la lagune et montèrent à bord. La traversée se dit tranquillement. Dorlande, assise aux côtés de Mohamed, regardait le beau paysage lagunaire qui défilait sous ses yeux. Il était essentiellement composé de grands palétuviers dans lesquels nichaient toute une colonie d'échassiers. Tout au long de la berge, il y avait également des nénuphars dont les grandes feuilles laissaient entrevoir des inflorescences multicolores.

Quand ils arrivèrent à destination, ils furent reçus par un comité d'accueil officiel au nombre duquel figuraient des notables. Ce fut une mémorable journée dont Dorlande garda un impérissable souvenir…

Dorlande et Mohammed avaient pris le chemin du retour mais, quand ils arrivèrent au carrefour de Grand Bassam, au lieu de poursuivre tout droit devant lui, en direction d'Abidjan, Mohammed bifurqua sur sa gauche. Grand Bassam était une ville animée de nuit, surtout en fin de semaine. Les noctambules locaux et ceux venus d'Abidjan envahissaient les rues et points chauds. Cette gaité et cette vie qu'ils communiquaient aux visiteurs de cette splendide cité balnéaire avait fait sa renommée. après quelque distance, la Murano passa le pont qui séparait l'ancienne ville de la nouvelle, parcourut encore quelques centaines de mètres et s'immobilisa devant un superbe hôtel.

Mohammed avait décidé de trancher le vif. Il sentait Dorlande très proche et ne percevait plus le moindre obstacle entre eux. Il avait vu ses remparts s'abattre progressivement sur leur parcours, en fonction de ses présents et de leurs sorties. Dragueur invétéré, il savait que cette journée décisive couronnerait ses efforts car il la découvrait sans aucune défense, désarmée, offerte à son plaisir. Il pouvait enfin cueillir le fruit qui avait naturellement mûri au fil du temps et de ses investissements.

Dorlande jeta un coup d'œil interrogateur à son voisin. Ce dernier entendit cette question muette et lui répondit immédiatement. Manifestement, il s'attendait a cette éventualité. 

-  nous faisons une halte de quelques minutes, juste pour récupérer. je crois avoir un peu forcé sur apéros, le vin et le champagne. J'ai la tête un peu lourde, et dans mon état, j'aurai du mal a conduire jusqu'à Abidjan. Allez, viens, descendons, ajouta t-il, en ouvrant sa portière. 

Dorlande s'exécuta et ouvrit la portière de son côté. Elle aussi avait besoin de repos et le suivit. ils pénétrèrent dans l'enceinte de l'hôtel. Le cadre était agréable, avec une profusion de statues qui conféraient à l'endroit un aspect aussi pittoresque qu'insolite. Il y en avait de toutes les tailles et de toutes les formes, astucieusement disséminées depuis l'entrée principales jusqu'en bordure de mer en passant par le hall, le bord de la piscine et les jardins.

Mohammed passa rapidement à la réception pour récupérer une clé pendant que Dorlande l'attendait dans le hall d'entrée. puis, il lui fit signe et elle le suivit. Ils se dirigèrent vers la chambre qui leur était attribuée.  Mohammed semblait parfaitement maîtriser les lieux et ouvrit la porte sans hésiter. Il se tourna vers Dorlande et lui tendit la main dans un geste éloquent d'invite. Elle hésita un court instant, puis finit par prendre sa main dans la sienne. Et ce fut à cet instant précis qu'elle eut pleinement conscience de la situation qu'elle vivait, et de ce qui était sur le point de se produire. C'était un instant décisif de son existence, un moment capitale de sa vie de couple. Depuis cinq ans qu'elle vivait en ménage, ce serait la première fois qu'elle entrerait dans une chambre avec un homme autre que celui dont elle partageait la vie. Cela créa en elle un émoi intense, un bouleversement de tout son être.

Elle n'était pas naïve au point d'ignorer ce qui se produirait dans cette chambre, pendant le repos. Et telles que les choses se présentaient, il lui était impossible de s'échapper. C'était l'aboutissement d'un processus minutieux. Il ne pouvait pas y avoir d'issue moins fatale à cette situation, car toutes les conditions étaient réunies pour faire vaciller sa volonté. Alourdie par toutes les pensées bouleversantes qui l'emplissaient, sa tête pesa instantanément des tonnes ; elle eut une défaillance et la posa sur l'épaule de Mohammed alluma le Split après avoir refermé la porte derrière eux. Dorlande ôta ses chaussures et s'assit sur le lit, pendant que son regard parcourait la chambre et se posait sur chaque bibelot. Mohammed profita de ce laps de temps pour enlever son pantalon et son polo qu'il posa sur des cintres, dans la penderie. il ne garda que son caleçon américain, au moment où il avançait vers Dorlande, leurs regards se croisèrent ; celui de Mohammed était illuminé par un désir intense que la jeune femme capta immédiatement. il vint vers et s'assit tout contre elle. il caressa tendrement la joue du revers de la main, puis il passa un autour de sa taille pour mieux la la rapprocher de lui et il l'embrassa. Ce contact a la fois doux et sensuel électrisa Dorlande, provoqua en elle une série d'agréables sensations qui mirent en branle les automatismes propres à la fusion érotique. Elle se surprit à répondre à son baiser  de tout son être, avec une fougue inhabituelle. Sans doute était-ce parce qu'elle était sevrée d'affectation. oui, elle était sevrée d'affection… Pourquoi alors se refuser à un homme si attentif, tellement présent ? Pourquoi se préserverait elle pour un autre qu'elle ne semblait plus intéresser, qui donnait parfois l'impression de ne plus la voir ni de vouloir d'elle ? Elle eut beau se sonder, elle ne trouva point en elle les raisons suffisantes, les ressorts capables d'être un frein à sa faiblesses. Il n'y avait plus le moindre obstacle, tout allait de soi, sa chute était inéluctable. Elle était un véhicule au point mort, abandonné sur une pente, sans cale ;  entraînée par le triple poids de ses frustrations, déconvenues et mécomptes, sa vertu ne pouvait que succomber.

Elle se laissa déshabiller, puis elle dépouilla elle-même Mohammed de son ultime vêtement. Des comparaisons se firent dans esprit. Il avait une « masculinité » moins opulente que l'autre, mais cela pouvait faire l'affaire. Elle s'étendit sur le lit, mêla ses caresses aux siennes. Cependant Dorlande ne put empêcher son esprit de voguer vers Ibra. Avec qui était-il à cet instant précis en terre Nigériane ? Que faisait-il ? Même à cette minute fatidique où elle allait appartenir à un autre, sa rancœur contre lui ne désarmait pas. N'était-ce pas lui qui de par son comportement, la poussait dans les bras d'un autre ?

Ce fut alors que Mohammed la prit enfin… Et tout son être goûta à la délicieuse ivresse du plaisir, de ce trophée chaudement conquis de haute lutte. Des clameurs victorieuses envahirent son âme, un sang conquérant pulsa dans ses veines et dans son sexe. C'était pour cet instant à la fois magique et magnifique qu'il vivait et prenait des risques inouïs. Son épouse, riche héritière qui tenait fermement les cordons de la bourse conjugale, était d'une jalousie maladive. Elle ne lui pardonnerait jamais de tels écarts si d'aventure elle les apprenait. Elle ne demanderait certes pas le divorce pour cela, mais à coup sûr elle le réduirait à la portion congrue. La seule parade que Mohammed avait trouvée pour minimise les risques était de jeter son dévolu uniquement sur des femmes mariées ou vivant en perdre. Plus discrètes, car ayant aussi beaucoup à perdre, elles ne faisaient jamais le moindre esclandre ; quand enfin rassasié, il les quittait pour se lancer à l'assaut d'autres conquêtes…


Le temps passait avec son cortège de regrets. Depuis qu'elle était devenue la maîtresse de Mohammed beaucoup de choses passaient par la tête de Dorlande. Elle ne pouvait pas s'empêcher de penser à tout instant à cette soirée fatidique pendant laquelle elle s'était laissée aller dans ses bras. le plaisir physique avait certes été au rendez vous, mais pas la quiétude de l'âme. Après l'apaisement de la chair, elle était assaillie par les assauts répétés de sa conscience , elle avait beau se trouver des raisons et excuses, elle n'arrivait pas à empêcher le remord de l'envahir. Cette situation était désormais la source de fréquentes interrogations introspectives. Fallait-il être homme pour posséder l'art de l'infidélité et tromper sa partenaire sans état d'âme, la conscience nette, la chair tranquille ? Trouver autant d'apaisement dans la débauche ? Les hommes étaient-ils donc si différents dans leur conception biologique, leur conception de l'amour pour ainsi s'offrir, corps et sexe, sans apport sentimental, sans interférence affectueuse ? Comment fonctionnaient-ils donc ? Peut-être que cela demandait du métier et qu'elle se sentait si mal mal dans sa peau parce que qu'elle était à ses débuts, neuve en la matière, en pleine phase initiatique ? Sans doute ira-t-elle mieux avec l'expérience, quand elle serait aussi rodée qu'Ibra ? L'habitude n'était elle pas une seconde nature ?

Pour l'heure, l'acte qu'elle avait commis créait en elle un fort séisme, un flot de sentiments contradictoires et anxiogènes. Pourtant, elle était vengée. Ibra et elle étaient à présent quittes. D'ailleurs, il n'était écrit nulle part que la vengeance avait forcément un goût exquis. Malgré la tourmente, Dorlande retrouva Mohammed deux jours après entre midi et deux. Ils déjeunaient dans un restaurant chic, puis ils se rendirent dans un hôtel pour se reposer en remettant l'acte du weekend… On aurait dit que Dorlande espérait trouver l'apaisement dans la source-même de ses bouleversements, comme un alcoolique recherchant la lucidité et quiétude au fond de son verre.



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PASSION DÉVORANTE