Chapitre 12
Ecrit par sokil
- Comment va-t-elle ?
- Elle est encore sous le choc ! Elle se repose ! Ne la réveillons pas !
- Tu as raison ! Il vaudrait mieux qu’elle dorme assez longtemps !
- Oui ! Elle se sentira peut être bien mieux après ! Viens !
Ne restons pas là ! Le moindre bruit peut la réveiller et la perturber
encore plus !
- Oh ! Tata que se passe-t-il ?
C’est… on… on dirait que nous sommes en plein rêve éveillé ! Le ciel
nous tombe tout simplement sur la tête !
- Ça va aller ! Ça va aller ! Faut pas se décourager !
- Nous sommes fichues ! Je n’arrive pas encore à réaliser !
Mon père… Il n’a pas de sentiments, il n’en a jamais eu d’ailleurs ! !
- Ton père… Hum ! Ton père !!!
- Cette femme ! Carine… Machin ! C’est…
- C’’est exactement ça ! C’est son épouse depuis longtemps,
depuis des décennies ! Tout comme toi, je tombe des nues, tout est
écrit noir sur blanc ! Il n’a jamais été clair ce type ! Jamais ! Mes
amis et relations m’ont toujours parlé de lui en mal, jusqu’à ce que
l’un d’eux me fasse cette révélation à savoir qu’il a une double vie.
J’ai longtemps peiné à le croire, mais j’avais quand même un petit doute
là-dessus. C’est alors que ta mère et moi on décide de fouiller son
bureau de fond en comble avant de découvrir toute la supercherie !
- C’est pas possible ! Pauvre d’elle ! Tout ça lui tombe sur la tête, tout d’un coup !
- J’ai toujours eu mal … pour ma sœur ! J’ai toujours eu mal de la
savoir dans ce mariage maudit ! Ça l’a détruite ! Une belle femme
Juliette ! Il fallait la voir quand nous étions jeunes ! Snif !
C’était une vraie beauté ! Vous vous ressemblez, mais tu n’atteint même
pas le tiers de sa beauté d’antan ! Tu… tu vois ? Ce salaud de
Tsoungui excuse-moi, mais c’est parce que je crois en Dieu… Sinon…
sinon…
Elle n’a pas terminé sa phrase qu’elle s’est levée
brusquement, encore très choquée par ce qui vient de se produire. Tante
Claude, c’est vrai, elle est la plus solide de nous toutes. Elle a une
vie bien plus misérable que la nôtre, mais au moins elle, elle sait
avoir les pieds sur terre et s’en sort très bien avec son petit commerce
; elle tient une petite échoppe au centre commercial en ville, et s’en
sort pas mal ; elle se sent libre comme l’air, mais il n y a que
l’alcool qui la toujours retenue prisonnière.
J’ai extrêmement
mal pour ma mère ; elle fait pitié à voir ; les deux jours qui ont
suivis, elle est tombée gravement malade. A l’hôpital, on a parlé de
surmenage, mais nous savons toutes que c’est bien plus que ça. Elle a
essayé de tenir bon en prenant soin d’elle tout en respectant les
prescriptions médicales. Mais ce n’est ni le fait de savoir que mon père
demande le divorce, ni le fait qu’il nous demande de sortir de la
maison qui l’anéantissent à ce point, c’est tout simplement le fait
d’avoir reconnu Carine Abessolo, et tout ce qui va avec ! Dès ce
moment, tout a commencé à aller de travers. Nous ne savons et n’avons
nulle part où aller, et avec l’état de ma mère qui ne s’améliore pas,
nous craignons de ne pas pouvoir quitter les lieux aussitôt. Elle a
quand même prit la peine de lui faire cette doléance, la mort dans
l’âme; elle s’est encore rabaissée une fois de plus auprès de ce tyran
que moi j’appelle le monstre ! Elle l’a presque supplié de nous laisser
encore un peu temps. Nous n’avons eu pour réponse que la visite de
l’huissier de justice, un certain maître Owona.
- Mon
client est actuellement très pris, il a reçu votre doléance et m’a
chargé de venir vous remettre ce document ; il vous accorde un délai
d’un mois, pas plus ! Vous ferez mieux de partir avant…
- Et pourquoi ne vient-il pas lui-même nous le dire ? Hein ?
- Madame selon les…
- Je me fiche pas mal de vos lois à la con ! Vous êtes son larbin n’est-ce pas ? Il vous a payé combien pour ça ?
J’ai regardé ma mère défier ce type à la courte taille, qui n’a fait
qu’en ajouter et lui répondre avec une telle arrogance qu’il a fallu que
ma tante la soutienne et la calme pour que ça ne dégénère pas. Hébétée
et n’en pouvant plus, ma mère a fini par sombrer dans une profonde
dépression, tout est devenu trop lourd pour elle à supporter. Depuis
deux semaines donc elle sous des anti dépresseurs. Elle a cessé de
crier et de se plaindre, elle a cessé de gémir, de se lamenter sans
cesse, avant de se murer dans une sorte de mutisme ! Par moment, il
peut lui arriver de dires des choses pas très nettes, son état ne
supportant pas la trop forte pression, elle peut se mettre à délirer, à
divaguer, et à se perdre dans ses propos.
- Je suis
anéantie, je suis fichue mon Dieu Ferdinand! Carine Abessolo ! Carine
Abessolo ! La vraie sorcellerie ! Carine Abessolo, j’étais juste ta
remplaçante ! Carine Abessolo ! J’étais juste ta remplaçante ! La
vraie sorcellerie ! Tsoungui ! A fait ça ! Oui ! Il fait ça ! La
vraie sorcellerie ! Cruauté ! Quelle cruauté ! Carine Abessolo au
ministère des finances, une fonctionnaire… comme moi ! Carine Abess ! La
sœur aînée de Flavie !
Les mots et les actes sont si forts
qu’elle a fini par craquer et son état psychique en est un peu affecté.
On aurait dit que durant toutes ses années elle avait été engloutie,
aveuglée ou apeurée ; j’essaie de la soutenir comme je peux ; j’entre à
peine dans l’âge adulte que tout s’écroule subitement comme un château
de cartes. Mon père est tout simplement l’incarnation du démon. Carine
Abessolo, femme mystère, femme de l’ombre, l’authentique, la vraie dame
Tsoungui n’est autre qu’une femme ordinaire, qui travaille aussi dans le
gouvernement, ma mère l’a reconnue, mais elle ne s’est pas étalée sur
les détails, elle en souffre encore ; nous n’avons pas voulu la forcer,
préférant lui donner la force de surmonter cette terrible épreuve. Tous
les soirs nous essayons de la calmer et surtout de l’aider à s’endormir ;
lorsqu’elle y parvient péniblement, nous sortons prendre l’air,
marcher, ou encore cogiter sur l’avenir. Ma tante, je la vois subitement
allumer une cigarette, j’ouvre grand les yeux, et j’en reste bouche
bée.
- Depuis quand tu… fumes ?
-
Depuis que j’ai su que la vie, tout est éphémère dans cette vie… Tout
passe ! On finit par laisser tout derrière nous…C’est ce que je me tue à
dire à ta mère et à toi aussi ! Il vous fiche à la porte et alors ?
Tu vois ? Moi je m’en fou du quand dira-ton ! C’est vous… Les riches !
Vous avez ce complexe-là ! Juliette je ne lui en veux pas trop, je la
comprends, mais elle doit se ressaisir ! Je sais qu’elle est encore
sous le choc et que toutes ses copines vont se poser des questions, et
bla bla ! Vous risquez même être la risée de tout le quartier pendant un
bon bout… Je ne te parle pas alors de ces tigresses de belles sœurs !
Mais je dis, et alors ? Tout ça finira bien par passer et tout le monde
va vous oublier ! Il faut partir d’ici et au plus vite et surtout,
savoir recommencer à zéro, à partir de rien … Voilà pourquoi j’allume
une cigarette ! Voilà pourquoi je fume ! Le reste basta !
Je
n’ai pas eu de mots pour lui répondre, je n’ai fait que l’écouter, et
elle m’a semblé très juste dans ses dires ; je crois qu’elle a raison,
mais pour le moment c’est trop fort ce qui se passe ; j’accuse le coup
et je sanglote un tout petit peu. Elle me tapote délicatement l’épaule
en guise de consolation.
- Aller courage mon enfant,
tout ira bien par la grâce de Dieu ! Pleure un bon coup ça va te faire
du bien, mais ne sombre pas… Comme ta mère ! Ce n’est pas la fin du
monde ! Il n’a qu’à se conforter dans les bras de l’autre …
-
Mais pourquoi il a d’abord quitté cette femme avant de retourner auprès
d’elle ? Après toutes ses années ? Je trouve que ça n’a pas de sens !
- C’est ce que nous cherchons à comprendre ! Ta mère est encore très
touchée, mais je crois qu’elle pourrait connaître les vraies raisons !
Les absences répétées de ton père le prouvent bien, qu’il retournait
tout simplement dans son vrai cocon, jouer les époux aimants !
- Et qui c’est Flavie ? Maman a évoqué une certaine … Flavie
- Flavie était tout simplement la camarade de classe de ta mère au
lycée ! Elles ne s’entendaient déjà pas très bien à l’époque ! Et quand
ta mère rencontre ton père, Flavie le prend très mal ; ton père finit
par menacer cette dernière qui finit par quitter le lycée et même la
ville juste après ! Nous ne savions pas ce qui se passait, on a
toujours pensé que cette Flavie était jalouse et convoitait ton père,
alors que la réalité était tout autre. Bien avant que Flavie ne
disparaisse dans la nature, elle s’était chamaillée avec ta mère et
cette dernière lui avait dit : « Tu ne sais pas où tu mets les pieds!
Carine… Carine.... » ta mère avait pris ça à la légère; elle n'avait pas
trop prête attention. Flavie partie, ta mère épouse Ferdinand et on en
reparle plus… Jusqu’aujourd’hui ! Voilà ce qu’elle me raconte juste
avant de s’endormir …C’est tout, elle n’en dit pas plus !
- Et où elle ? Flavie ? Carine et Abessolo et papa ? où sont-ils ?
- Je sais ??? En France ? Ici au pays, Yaoundé ? A Douala ? On ne
sait pas encore, mais cette femme travaille normalement à la fonction
publique, tout comme ta mère ! Ferdinand est injoignable! Les avocats
parlent à sa place surtout ce nabot d'Owona de mes deux! Il mange bien
l'argent de Tsoungui!
- Je suis complètement dépassée, on dirait que nous sommes en pleine série télévisée, je …
- Ce sont des choses qui arrivent ! Parfois ce sont nos choix qui nous
condamnent plus tard ! Julie aimait ton père, elle s’est beaucoup
sacrifiée, mais au fil du temps, elle s’est bien rendue à l’évidence…
Maintenant va dormir, il se fait tard…
- Bonne nuit !
Je n’ai presque pas pu fermer l’œil cette nuit, j’avais encore tout un
tas de questions dans ma tête, curieuse de savoir ce qui se passe
réellement ; il a fallu que cet incident malheureux arrive pour que ma
tante et même ma mère s’ouvrent un peu à moi dans ce sens. Claude a
dormi près de maman, ce qui m’a rassurée. Effondrée, j'ai pris mon
vieux teddy et je l’ai serré très fort contre moi. Tous ces derniers
temps je n'ai presque pas vu Steve; nous nous sommes à peine vus ces
derniers jours ! Et le fait que je sois dans les problèmes n’ont pas
trop l’air de l’alerter ; il est dans son monde, dans sa bulle, absent,
ou plus précisément dispersé par je ne sais quoi ! A en croire que mon
destin et celui de ma mère sont liés mystérieusement. Ses agissements
me mettent la puce à l’oreille ! A cause de cette Carine Abessolo, je
commence à voir le mal partout.
- Je ne te sens pas vraiment !
- Je pense à toi tous les jours mon bébé ! Tous les jours… Je viendrai
te voir promis, j’ai juste quelques affaires à régler et après je …
Pfff ! Je lui ai raccroché violemment au nez ! Il a d’autres soucis
beaucoup plus importants, ai-je fini par conclure et l’envie de lui
relater toute l’histoire et d’entrer dans les détails de tout ce qui se
passe avec ma famille, j’ai préféré remettre ça à plus tard, voulant me
retrouver seule avec moi-même. J’ai besoin de ce moment de solitude
pour faire le vide et me préparer en conséquence... J’ai essayé de me
rappeler les moments de bonheur passés avec mon père, je n’en ai trouvé
aucun, ou si, presque ! Nos fameuses vacances au Maroc, ou encore les
multiples cadeaux que je recevais de lui, mais jamais il n’était présent
à 100% ; et lorsqu’il l’était, c’était juste pour me « recadrer » comme
il avait l’habitude de me le répéter à la moindre incartade. C’est
tout, rien de plus ! Les seuls souvenirs à être plus ancrés dans mon
esprit sont ceux-là, les pires !…. Cette nuit-là, je crois que j’ai
pleuré toutes les larmes de mon corps, avant de plonger dans un sommeil
entrecoupé par de hoquets incessants.
C’est comme ça tous les
soirs où je m’endors avec une âme bien plus tourmentée que la normale.
Ce sont les appels de Steve qui m’ont tirée un matin de mon profond
sommeil, j’ai fini par décrocher, avec un mal de crâne de chien.
- Allo ? Allo ? Chou ? Mais qu’est ce qui se passe ? Tu me
zappes ! Je suis inquiet ! Ça fait des jours que je n’ai pas de
nouvelles ! En plus tu me raccroches au nez!
- On est là, ça va pas fort !
- Oui je sais ! Aux dernières nouvelles tu me faisais
comprendre que le pater a décidé de partir et que pour la suite tu
devais me dire…
- On causera de vive voix, le moment
venu ! La mater ne va pas bien, elle est malade ! On… du moins le pater
nous a demandé de sortir de la maison !
- Quoi ? Attends tu dis quoi ? Sortir ? Pour aller où ?
- Comme je te dis là !
- Non ! Attends ! Est-ce que je peux venir ? S’il te plait ! On doit en parler !
- D’accord ! Passe en début d’après-midi !
- C’est bon ! Je serai là ! A tout à l’heure…
- A toute !
Steve, semble affecté par la nouvelle, il me prend dans ses bras avec
douceur, et du coup je finis par oublier un peu nos petits différends.
Il est présent et ça me rassure quand même un peu.
- Chou je suis tellement désolé de tout ce qui arrive, je t’assure je suis sans voix … C’est terrible tout ça !
- Tu parles ! Maman, ça fait des jours qu’elle déprime, elle
est devenue l’ombre d’elle-même en quelques jours ! Tu imagines ?
- C’est affreux !
Depuis lors, Steve n’a pas arrêter de prendre de nos nouvelles, et tout
en me remontant le moral ; il a su se faire pardonner, il a su s’y
prendre avec tact et douceur. Toute la maisonnée a recommencé à revivre
progressivement; ma mère a recommencé à manger, elle semble reprendre
peu à peu goût à la vie malgré tout ce qui se passe. Sa sœur et elle ont
commencé à réfléchir au plan B, celui de partir de la maison avant
qu’il ne soit trop tard. Un mois s’est écoulé depuis l’annonce de cette
terrible nouvelle et nous n’avons pas respecté les délais. Mais qu’à
cela ne tienne, je les entends toutes les deux commencer à se préparer.
Nous sommes toutes assises ce matin à la cuisine, je bois mon bol de
chocolat chaud sans rien dire, pensive, quand je sursaute soudain, c’est
ma mère qui me demande :
- Klari ? Tu m’entends ?
- Euh… oui maman !
- Dis-moi tu as encore toutes tes économies au moins ? Ça pourra nous être utile !
- Euh… Oui … oui … bien sûr !
Je me racle timidement la gorge ; en réalité je n’ai presque plus rien !
Mes économies, Je les ai presque toutes dilapidées, il ne reste plus
grand-chose dans mon compte ; Steve avait souvent besoin d’argent pour
lui; je ne pouvais pas rester insensible, je me suis sentie obligée de
l’aider de temps en temps, sans oublier sa formation en hôtellerie dont
j’ai payée plus de la moitié pour l’année en cours… A peine sont-elles
entrain de spéculer afin de trouver une sorte de solution qu’il a été
décidé nous irions squatter chez tante Claude pour un début ; nous
partirons le lendemain, samedi, car j’ai cours le lundi suivant, et avec
le déménagement, je risque ne pas être très en forme. A peine
avons-nous convenu de cela que la sonnerie du portail retentit
soudainement et avec violence.
Effrayées dans un premier
temps et sur le qui-vive, persuadées qu’il ne peut que s’agir que de
lui, Ferdinand ! Il est venu en personne nous jeter dehors, les délais
n’ayant pas été respectés. Mais non, il se sent trop fier et trop digne
pour venir se rabaisser de la sorte ! Il s’agit tout simplement de
Rachel et compagnie, toute la bande Tsoungui, les trois sœurs de
Ferdinand. Au même moment ma mère se lève pour aller à leur rencontre ;
mais tante Claude l’en empêche.
- Reste où tu es ? Ce n’est pas la peine ! Tu vas te faire du mal pour rien, elles viennent te provoquer ! Je m’en charge !
Toutes les trois attendent patiemment au salon lorsque tante Claude les rejoint.
- Que voulez-vous ? Vous avez eu ce que vous vouliez n’est-ce pas ?
Alors laissez là tranquille et laissez nous nous en aller en paix !
L’une d’elle prend la parole et dit sans ambages.
- Nous ne voulons pas d’histoires ! Nous sommes venus récupérer ce qui nous appartient !
- C’est – à dire ? Vous n’avez aucun droit !!! Non seulement vous
pénétrez dans une propriété privée, mais il vous faut un mandat ! Julie
partira d’ici selon les règles !
Rachel qui n’attendait qu'une occasion de se faire entendre rétorque.
- Toi-même est ce que tu es chez toi ici ? Hein Claude ? Nous ne
sommes pas venues faire les histoires, Ferdo, a permis que nous venions
récupérer certains effets, c’est tout ! La maison lui appartient quand
même!
A peine ma tante et ces femmes ont-elles voulu engager
une dispute, nous n’avons pas entendu la sonnerie retentir une seconde
fois, c’est Suzy la femme de ménage qui revient en courant, toute
paniquée, elle s’adresse directement à ma mère, qui a fait l’effort de
rester en retrait selon les conseils de sa sœur.
- Suzy ? Qu’il y a-t-il ?
- Madame ? Il y’a des hommes qui désirent vous voir ils disent que c’est très urgent !
- Des hommes ? Qui sont-ils ?
- Le monsieur de la dernière fois, le court type là ! Maître
Owona, l’huissier, il n’est pas venu seul ; il dit qu’il a un avis
d’expulsion…