Chapitre 12
Ecrit par Auby88
Des jours plus tard.
Aurore AMOUSSOU
J'ai décidé de rayer Steve de ma vie. Pas à pas. Jour après jour...
Hier, j'ai donné ses habits au jardinier.
J'ai également décidé de devenir une meilleure personne. Pour cela, je compte réparer, du mieux que je peux, mes erreurs du passé.
Je sors de ma chambre et vais frapper à la porte de maman. Elle doit y être encore. Je ne me suis pas trompée.
- Bonjour, maman.
- Bonjour, princesse ! me répond-t-elle avec le sourire aux lèvres.
Avant qu'elle ne continue sa longue suite de salutations, je lui fais part de la véritable raison de ma visite.
- Dis maman, t'as des nouvelles de Baï ?
- Baï ! reprend-t-elle avec étonnement.
- Oui, c'est bien d'elle que je parle. Je l'ai vue avec sa fille, la dernière fois au Centre. Savais-tu que sa fille …
Avant même que je ne termine ma phrase, maman fait oui de la tête.
- Sa fille a souffert d'une méningite bactérienne qui lui a coûté les jambes. Baï travaillait encore ici quand la petite a été amputée.
Je me rappelle cette fois-là où Baï avait les yeux rouges, mais je n'avais pas daigné lui demander ce qu'elle avait.
- J'ai vraiment été cruelle avec elle, maman !
- Oui, Aurore. Tu as "torturé" cette pauvre femme. C'est parce qu'elle avait besoin d'argent pour subvenir aux frais médicaux de sa fille et aux besoins de ses deux autres enfants, qu'elle t'a longtemps supportée.
- Je ne savais pas qu'elle souffrait autant.
- Malheureusement, oui. Baï n'a pas eu une vie facile. Elle est née dans un petit village du Bénin où elle a pu fréquenter jusqu'au CE2. C'est pour cela qu'elle s'exprime un peu en français. Elle a ensuite suivi une connaissance pour venir apprendre la couture en ville. Mais elle a eu la malchance de s'amouracher du "mauvais garçon" quand elle était encore une apprentie. Elle est tombée enceinte et a fini par quitter l'atelier sans jamais avoir son diplôme, l'homme n'étant plus disposé à l'aider dans ce sens. Ils ont emménagé dans le terrain vide d'un monsieur qui avait pitié de les voir dormir dans les rues.
J'écoute maman sans dire mot.
- Le mari de Baï, paresseux comme il est, a trouvé refuge dans le sodabi qu'il consommait quotidiennement soi-disant pour oublier ses soucis. Pendant ce temps, Baï multipliait les petits boulots pour s'occuper des deux autres enfants qu'ils se sont permis d'avoir malgré leurs conditions de vie déplorables. C'est à ce moment là que je l'ai engagée ici. Puis quand la petite dernière, née sourde-muette, a contracté la méningite bactérienne, le mari de Baï a préféré délaisser son foyer pour ne pas avoir à supporter les charges financières qu'occasionnait la maladie. Fort heureusement, elle a pu compter sur mon aide, sur celle de mes amies et d'autres associations pour soigner sa fille. Hélas, l'amputation n'a pu être évitée. Je la revois encore ce jour-là à l'hôpital, toute en pleurs...
L'histoire de Baï est si émouvante que j'en ai les larmes aux yeux. Je comprends maintenant pourquoi la fillette ne me répondait pas.
- Tu sais où je peux la trouver ?
- Non, Aurore. Je l'avais recommandée à l'une de mes amies. Mais j'ai appris qu'elle avait dû démissionner pour mieux veiller sur sa fille. Je ne sais donc plus rien d'elle aujourd'hui.
- Zut. Et moi qui pensais pouvoir l'aider.
Là, je suis vraiment déçue.
- Tu peux toujours te renseigner au Centre. Tu auras sûrement des informations sur elle.
J'étais tellement désespérée que je n'y ai pas pensé. D'ailleurs, je sais déjà qui peut m'aider.
- Tu as raison, maman. Je ne perdrai pas une minute de plus. Je vais au Centre.
- Tu veux que je vienne avec toi ?
- Non, maman. C'est gentil de ta part, mais je veux le faire toute seule.
- D'accord.
Elle me dépose une bise sur la joue. Tandis que j'atteins la sortie, je l'entends m'appeler.
- Aurore !
- Oui, maman.
- Je suis très fière de toi !
Ses mots me vont droit au cœur. Je lui envoie un bisou de la main.
- Merci, maman chérie.
Sur ce, je referme la porte derrière moi.
* *
*
A présent, me voilà au Centre. Il est là, celui qui peut m'aider. Je l'avais vu converser avec Baï la dernière fois. Sauf que j'hésite à aller lui parler. J'ai vraiment été grossière avec lui auparavant.
Tout en avançant vers lui, je me mords les lèvres. Je ne le vois que de dos. Il me faudra ravaler ma fierté auprès de cet homme.
Mais… grande est ma surprise quand il se retourne vers moi. Je viens de l'interpeller par un "Bonjour" presque inaudible.
- Bonjour, mademoiselle Aurore. C'est un véritable plaisir de vous revoir. Je ne pensais pas vous voir ici aujourd'hui. Vous n'avez pas rendez-vous, n'est-ce pas ?
Je m'attendais à tout, sauf à un accueil aussi chaleureux. Je suis tellement perdue que je me contente de secouer la tête.
- Alors, en quoi puis-je vous aider ?
- Eh bien, je… tiens d'abord à m'excuser pour la dernière fois. J'ai été très discourtoise avec vous.
- Ce n'est pas bien grave, mademoiselle. C'est mon quotidien ici. Et puis, ce n'est pas tous les jours qu'on se réveille de bonne humeur. Il m'arrive à moi aussi d'être grincheux.
Je me surprends à sourire.
- Vous devriez toujours sourire ainsi. Non seulement c'est bon pour votre santé, mais en plus vous paraissez encore plus radieuse, tel votre prénom.
Son compliment me flatte quelque peu. Cela fait longtemps qu'un homme ne m'a pas dit de si beaux mots. Quoi qu'il en soit, je me dois de garder la tête sur les épaules. Il fait juste son travail en étant gentil et attentionné avec les patients du Centre.
- Merci.
- Je vous en prie. Vous pouvez continuer.
- En fait, j'ai besoin d'avoir des renseignements sur une femme que j'ai vue ici la fois passée. Elle a une fille d'environ 3 ans qui porte des prothèses et elle s'appelle …
- Baï !
- C'est exact ! m'exclame-je.
Une lueur d'espoir se lit dans mes yeux.
- Vous savez où je peux la trouver ?
- Bien sûr que oui. D'ailleurs, dans une heure, je serai chez elle pour la visite périodique qu'on rend à certains patients démunis.
- Donc Baï a des problèmes financiers ? m'enquiers-je, même si je connais déjà la réponse.
- Oui, il est très difficile pour cette mère de trois enfants de joindre les deux bouts. Son irresponsable de mari l'a quittée quand on a décelé une méningite bactérienne chez la fillette...
Tout ceci confirme les dires de maman.
- ... Heureusement, grâce aux donations, le Centre a pu récemment offrir des prothèses à sa fille.
Je baisse les yeux. J'ai tellement honte de moi.
- C'est bien triste ! murmure-je.
- En effet. Est-ce l'une de vos proches ?
- Non… Elle a eu à travailler chez nous en tant que … femme de ménage. Et je l'ai perdue de vue depuis.
Je n'en dis pas plus.
- Je vois. Alors, vous venez avec moi ?
- Oui.
- Sauf qu'il y a un petit problème.
- Lequel ? m'enquiers-je aussitôt.
- J'ai une moto et il me sera difficile de vous remorquer avec.
- Ne vous inquiétez pas. Mon chauffeur m'attend en bas. Nous vous suivrons donc.
- Parfait. A présent, je dois vous laisser. Le devoir m'appelle. On se revoit tout à l'heure. En attendant, vous pourriez vous familiariser avec certaines personnes ici.
L'idée ne m'enchante pas vraiment.
- Je ne suis pas trop…
- Allez, dites oui. S'il vous plaît.
Je finis par hocher la tête. Il sourit en ma direction.
- Aujourd'hui, je vais vous présenter Victoire, qui se déplace en fauteuil roulant comme vous. Sauf que contrairement à vous, elle est née ainsi. Grâce au Centre, elle a pu acquérir son fauteuil roulant, bénéficier d'une formation en couture et ouvrir son propre atelier. Victoire reste un exemple de détermination au féminin.
- Intéressant. J'ai bien hâte de la rencontrer, dis-je sans grand enthousiasme.
Je ne sais pas trop ce que cette simple couturière pourra m'apporter. Mais si cela peut me permettre de tuer le temps, tant mieux.
Il tient à pousser mon fauteuil. Je ne m'y oppose pas. Nous nous approchons de Victoire qui, dès qu'elle me voit, affiche un large sourire qui dévoile la fente au milieu de ses dents. Elle porte sur ses joues des balafres qui me rappelle les moustaches d'un chat. (Sourire). C'est en langue locale fongbé, qu'elle s'exprime. Je m'efforce de répondre aussi en fongbé.
Contrairement à ce que je pensais, Victoire n'est pas ennuyeuse. C'est vraiment un modèle de femme. C'est une vraie battante. Son histoire m'émeut beaucoup, tandis qu'elle garde le sourire tout en me parlant. Victoire n'a ni mari, ni enfant mais le vit bien malgré ses 35 ans d'âge. Je reconnais qu'il est bien difficile pour les femmes comme nous de se caser, sans être victime de stigmatisations et de préjugés sociaux. C'est vrai que le monde évolue mais pas vraiment les mentalités.
Victoire, c'est la femme qui a su puiser toute son énergie dans ses mains. Elle coud uniquement à la main et adore son métier. Ses pieds que je qualifierais de "tordus" ne lui servent pas vraiment. Elle a même tenu à me montrer des photos de ses réalisations et j'avoue que j'ai bien aimé. Si seulement, j'avais le millième de son courage !!! Si seulement…
Discuter avec elle était si enrichissant que je n'ai même pas vu les minutes passer. C'est quand j'ai entendu la voix de … (j'ignore encore son prénom ) que je suis revenue à la réalité.
- Ça y est, mademoiselle Aurore. Nous pouvons y aller.
- D'accord, fis-je en promettant de continuer prochainement la discussion avec Victoire.
Je pense lui venir en aide financièrement. J'ai donc pris son contact avant de quitter le Centre.
Encore une fois, il a tenu à pousser mon fauteuil. Encore une fois, je n'ai pas refusé. Je me suis promis de rester courtoise et polie envers lui. Il m'a même portée à l'intérieur de la voiture. Quelle galanterie au final ! (Sourire). J'ai entouré mes mains autour de son cou et… en un court instant, il m'a rappelé … Steve (soupir). Bon sang, pourquoi ce traître occupe encore mes pensées ? Pourquoi je l'aime encore ?
Je secoue la tête et m'efforce de penser à autre chose.
J'aperçois ... (il faudra que je demande son prénom) qui s'éloigne en direction du "garde-vélo". Je le regarde en souriant. Je me rends compte que ma première impression sur lui était fausse. Il revient quelques minutes plus tard sur sa moto et fait signe au chauffeur de le suivre.
Nous longeons les rues de Cotonou, puis descendons dans un bas-fonds qui nous mène devant une demeure très précaire. Le nom du quartier, je ne m'en souviens pas. Je me demande bien comment j'entrerai dans la maison. J'ai bien peur que mon fauteuil s'enfonce dans ce sol boueux.
Tandis que je cogite encore là-dessus, mon "chevalier servant" quitte sa moto et s'empresse de venir vers moi. Il tient à me porter tandis que le chauffeur garde mon fauteuil roulant.
La maison que nous pénétrons semble être un terrain non exploité, comme l'a dit maman. La majeure partie est pleine de broussailles. Dans un coin, je remarque une petite cabane en tôle et bambous, devant laquelle sont assis deux bambins et une jeune fille.
J'apprends que les gamins sont les enfants de Baï. La jeune fille, quant à elle, est sa sœur. Baï est partie faire la lessive pour des gens pas loin d'ici. Depuis quelques temps donc, elle offre ses services ponctuels en tant qu'aide-ménagère. Et sa benjamine l'accompagne dans ses déplacements.
Pauvre Baï ! Pauvres enfants ! Et moi qui passe mon temps à me plaindre sur mon sort. Je suis vraiment égoïste !
Tandis que nous attendons, mon accompagnateur en profite pour jouer avec les bambins. Cela se voit qu'il a beaucoup de tact avec les enfants. Ceux-ci rient à n'en plus finir. Je souris devant cette scène. Les enfants ne sont vraiment qu'innocence !
Enfin, Baï finit par s'amener. Les enfants accourent vers elle dès qu'il la voit. De son dos, elle détache la dernière. Elle feint de ne pas m'avoir vue.
- Bonjour Baï, commence l'homme. Nous sommes venus te visiter, toi et les enfants.
- Bonjour, monsieur, réplique-t-elle faiblement.
A ma salutation, elle ne répond pas. Je n'insiste pas.
A son aise, Baï n'est pas. La fillette semble m'avoir reconnue. Elle tient à s'approcher de moi mais Baï l'en empêche. Je peux comprendre qu'elle soit encore fâchée contre moi, mais je ne tiens pas à faire du mal à sa fille.
- Baï, poursuit l'homme, la demoiselle que voici a tenu à te voir. Elle m'a dit que tu avais travaillé chez elle.
Elle hoche la tête.
- Baï, je reconnais que je t'ai mal traitée et je m'en veux énormément. Avant, j'étais pleine d'orgueil mais aujourd'hui je suis différente. Je te demande sincèrement pardon.
Elle fuit mon regard.
- Je n'ai rien à vous dire, mademoiselle Aurore.
- Baï, intervient l'homme. Je pense que la demoiselle est sincère. Elle tient aussi à t'aider financièrement. Tu en as grand besoin.
- Je préfère mourir que de prendre son argent !
- Baï, …. balbutie-je.
Sans me laisser terminer ma phrase, elle rentre précipitamment à l'intérieur de sa case en nous lançant un sec "Aurevoir".
Je soupire profondément.
Nous quittons les lieux. Je suis abattue. L'accompagnateur tente bien que mal de me remonter le moral.
- Ne vous en faites pas, mademoiselle ! Vous avez essayé et c'est l'essentiel. Il est possible qu'elle change d'avis plus tard. Baï reste une femme fière malgré sa condition de vie. Ne désespérez pas. Vous savez, peu de gens auraient reconnu leurs torts et tenté de changer. Je suis vraiment fier de vous. Et vous aussi devriez l'être. Croyez-moi, vous êtes une femme exceptionnelle !
- Merci, dis-je en m'efforçant de sourire.
Ses mots m'ont quelque peu apaisée.
- Au fait, comment vous appelez-vous ?
- Enfin, vous me le demandez !
J'éclate de rire, rien qu'en entendant le ton qu'il emploie et la mine qu'il fait à cet instant.
- Eh bien mademoiselle Aurore, je m'appelle Oluwafemi AKONDE. Mais vous pouvez simplement m'appeler Femi.
- Femi ! murmure-je. C'est un joli prénom et c'est assez commun. Je ne pense pas pouvoir l'oublier.
Il me sourit et j'en fais autant. Je me sens beaucoup plus détendue.
- Allez, je vous laisse. Portez-vous bien mademoiselle.
Je fais oui de la tête et lui fais un signe d'aurevoir. Je le vois monter sur sa moto puis démarrer. Cet homme est vraiment quelqu'un de bien !
Zut, j'ai oublié de prendre son numéro de téléphone. Comment pourrais-je le contacter si j'ai encore besoin de ses services ? Quelle tête en l'air, je fais ! (Sourire)