chapitre 13
Ecrit par Meritamon
Les vaches du domaine étaient parfois
sournoises. Elles pouvaient ruer sans prévenir et donner des coups de sabot
quand on n’y prenait garde. Serena l’apprit à ses dépens et ne tarda pas à
recevoir une solide ruade qui l’envoya à l’autre bout de l’étable, complètement
sonnée. Comme elle ne se sentait pas bien, les bergers l’exhortèrent à aller se
reposer.
Lorsqu’elle se déshabilla ce soir-là, dans sa
chambre, tout son corps n’était que douleur, surtout le dos. Avec frayeur, la
jeune femme aperçut dans le miroir, la marque rosée causée par le coup de sabot,
qui était en train de tourner au violet. Fébrile, elle prit un bain et
s’enveloppa dans son peignoir en maudissant sa journée et son travail.
La jeune femme ne pouvait compter le nombre de
fois qu’elle s’était faite uriner dessus par les satanées vaches quand elle
tirait le tabouret pour les traire. Il y avait aussi l’odeur de l’étable qui
lui collait à la peau, la forçant tous les soirs à se frotter le corps jusqu’au
sang et à laver ses longs cheveux au shampoing. Pour la provoquer, Zeinab, se
pinçait le nez à son passage et la surnommait « la fille de
l’étable ». Ce qui, bien sûr, mettait Serena hors d’elle. N’eût été la
leçon de maitrise de soi donnée par Inna, elle lui aurait réglé son compte à
cette fille.
Alerté par l’incident, Tahaa entra dans la
chambre sans frapper comme à son habitude. La jeune femme maudit intérieurement
ses irruptions brusques. Elle se promit de rajouter un loquet à sa porte.
-
Vous ne pouvez
pas frapper avant d’entrer?
-
Je ne me
donnerais pas cette peine, je suis dans ma maison après tout.
Serena leva les yeux au ciel en contenant sa
colère puisqu’il ne semblait pas être familier avec le concept de vie privée,
ou s’en fichait carrément. L’homme s’était rasé de près et avait mis des
vêtements de ville. Il portait une veste un peu trop étroite pour ses larges
épaules sur un pantalon jean’s foncé. Il semblait prêt à sortir et son eau de
toilette poivrée embauma la chambre.
-
Je voudrais être
seule, Tahaa. L’une de vos vaches m’a démolie et je n’ai aucune envie de vous
tenir tête ce soir.
Serena était épuisée et commençait un début de
fièvre. Elle avait pris une aspirine et comptait s’endormir.
-
Laissez-moi voir
ça, exigea Tahaa en s’approchant d’elle.
Ce qui la troubla. Il lui arrivait de plus en
plus qu’elle se trouble en sa présence. Si Tahaa l’avait peut-être remarqué, il
n’en fit pas paraître.
Alors, il toucha de la paume de sa main son
front brûlant de fièvre.
-
Vous êtes
brûlante.
-
Ça ira, j’ai pris
un cachet.
-
Où avez-vous mal?
-
C’est dans le bas
du dos… ce n’est pas si grave, fit-elle en le repoussant faiblement, en partie parce
qu’elle n’était pas habituée à tant de sollicitude de sa part.
Sans
dire mot, Tahaa sortit. Il ne tarda pas à revenir quelques minutes plus tard
avec un pot en terre cuite qui contenait une mixture à appliquer pour son dos.
Tahaa lui demanda ensuite cette chose insensée.
-
Ôtez votre
peignoir et allongez-vous sur le ventre dans le lit.
La jeune femme écarquilla les yeux, estomaquée
par une telle demande. Elle ne pouvait pas faire ça. Elle était quasiment nue
en dessous! Comment lui expliquer alors?
-
Je suis capable
de me soigner toute seule, Tahaa. De toute évidence, je vais mieux.
L’homme la toisa au bord de l’énervement face
à son entêtement.
-
Je ne me
répéterais pas deux fois. Ôtez ce peignoir ou vous m’obligerez à l’enlever
moi-même!
Serena paniqua à cette idée, et de mauvais
gré, elle se retourna pour cacher son corps et commença à défaire sa ceinture.
-
Retournez-vous.
Ne me regardez pas! Exigea-t-elle.
Le cœur de la jeune femme battait si fort dans
sa poitrine qu’elle craignit qu’il ne l’entendît. Mais Tahaa regardait
ailleurs, le temps qu’elle fit ce qu’il lui demandait.
Serena fit glisser le peignoir de ses épaules
à ses hanches, découvrant uniquement son dos. Le reste du peignoir continuait à
recouvrir le bas de son corps. Très pudique, elle cacha aussi ses seins dans
ses mains et s’allongea sur le ventre, non sans avoir jeté un dernier coup
d’œil à l’homme pour vérifier, avec appréhension, ses intentions.
Elle l’entendit seulement qui émettait un
juron de colère à la vue de la marque de sabot.
-
Cette vache ne
vous a pas ratée, on dirait, ajouta-t-il, moqueur.
Comme ça, il n’était pas totalement
indifférent de son bien-être, malgré ses airs rugueux. Tahaa semblait
préoccupé.
-
C’est dangereux
de travailler pour vous, Tahaa. Dangereux et épuisant. À ce rythme, je vais bientôt
souscrire pour une police d’assurances.
Elle l’entendit qui riait, amusé.
-
Le fait est que
vous êtes fragile comme une porcelaine. Les filles de la campagne sont plus
robustes que vous, Serena.
-
Je ne veux
surtout pas devenir une fille de la campagne. Je termine ma sentence sur votre
domaine, encore pour quelques semaines et je retourne à ma vie. Avec tous mes
os, j’espère.
-
Évidemment…
Les mains de l’homme ne tardèrent pas à
s’activer délicatement sur son dos. Il étala le mélange de beurre de karité
avec quelques plantes médicinales macérées qu’il avait apporté.
-
C’est Inna qui
fabrique cette préparation, expliqua-t-il. Quand j’étais petit et que je me
blessais, cela arrivait souvent, ma grand-mère m’en mettait. Ça marche à tous
les coups. Est-ce que vous aimez? Ça vous soulage?
Si elle aimait ça? Jamais personne ne l’avait touchée de cette
façon. C’était si bon qu’au-delà de l’aspect thérapeutique, il éveilla sans le
vouloir toute la sensualité qu’elle croyait ne pas avoir.
-
Oui… répondit
Serena dans un souffle, envahie par le bien-être.
Sans s’en rendre compte, un gémissement
involontaire lui avait échappé. Elle se mordit la lèvre, gênée. Elle ne comprit
pas non plus pourquoi elle avait frissonné. L’homme s’en préoccupa et pensa
qu’elle avait mal.
-
C’est douloureux
?
-
Non, non, c’est
bon… je veux dire… Continuez,
s’entendit-elle lui répondre, une boule dans la gorge, embarrassée par la
situation, de la douce chaleur qui l’avait envahie.
Seigneur, que lui arrivait-t-il? Est-ce que
c’est décent, tout ça? Et lui, qu’allait-il penser d’elle? Se posa-t-elle comme questions.
-
Vous êtes tendue…
Laissez-vous aller.
Elle s’abandonna les yeux fermés aux mains
viriles qui la massaient, bercée par la proximité troublante de l’homme qu’elle
côtoyait depuis trois semaines.
Tahaa, de son côté, sentit une brûlure dans
son ventre, à l’endroit où siégeaient ses pulsions, tant elle avait la peau
douce et soyeuse sous ses doigts.
À vrai dire, Tahaa aimait déjà ce corps.
Seulement, sa conscience le tempéra: « Tu peux toucher à toutes les
femmes, mais pas celle-ci ». Puisqu’il avait promis à l’homme
d’affaires, Malick Hann, de veiller sur la prunelle de ses yeux. Serena représentait
le fruit défendu sur les branches hautes d’un arbre que Tahaa pouvait seulement
regarder. Il ne pouvait savoir quel goût elle pouvait avoir.
De plus, Serena était attirante et accrochait le regard
des hommes, même avec ses nombreux défauts. Surtout avec ses défauts…
pensa Tahaa. L ’idée qu’elle ne soit plus innocente s’imposa à lui.
À cette pensée, Tahaa se leva brusquement et
s’éloigna du lit comme si ce dernier eût été recouvert par des braises. L’homme
garda le visage impassible.
-
Ça ira pour
aujourd’hui. La fièvre a baissé. Vous allez vous reposer cette nuit et vous
avez congé demain matin. Je vous autorise à faire la grasse matinée,
ajouta-t-il amusé.
Serena remit le haut du peignoir et serra la
ceinture autour de sa taille, d’un geste ferme pour dissimuler les tumultes de
son cœur.
-
Merci, répondit-elle,
soulagée.
Il avait hoché la tête. Puis l’avait regardé
dans les yeux.
-
Je demanderai aussi
à ma belle-sœur Nafi de venir vous appliquer la mixture pour les prochains
jours. Elle saura vous masser comme je l’ai fait. Une servante montera vous
porter une infusion de kinkéliba et de citronnelle.
C’était mieux qu’il ne s’implique plus trop
dans ces choses-là, vu l’attirance qu’il éprouvait pour elle. Serena fut
presque déçue d’entendre qu’il ne reviendra plus. Elle ne le fit pourtant pas
paraître.
-
C’est une bonne
idée. Pouvez-vous avant de partir me donner ce vêtement sur la chaise? Lui
demanda-t-elle une dernière fois.
Il prit dans ses
mains la nuisette qu’elle lui demandait de lui passer.
-
C’est ce que vous
portez pour dormir? Demanda-t-il surpris en dépliant le délicat vêtement de
soie noire, alors que son imagination à lui s’emballait.
-
Oui.
Serena est
embarrassée et essaya de se justifier.
-
J’aurais dû prendre
d’autres vêtements en venant ici. Mon père ne m’a pas donné beaucoup d’indices quant
à ma destination. Sinon, j’aurais emporté avec moi des vêtements plus adaptés
pour la vie ici.
-
C’est joli, lui
dit-il en lui tendant la nuisette, et en résistant à l’envie de humer le
vêtement pour sentir son doux parfum.
Cette fille
l’intriguait.
Il y eut un silence gêné alors qu’ils se
regardaient. Elle, assise au milieu du lit; lui, à l’autre bout de la chambre,
près de la porte d’entrée. Et le désir qui se dressait entre eux comme
l’éléphant dans la pièce.
-
Je vais y aller,
dit Tahaa presqu’avec regret, la main sur la poignée de la porte.
-
Pourquoi
portez-vous cette veste? Est-ce pour une occasion spéciale?
Il soupira, découragé par ce qu’il s’apprêtait
de faire.
-
J’ai un
rendez-vous galant. J’ai promis à Inna de faire des efforts et de rencontrer de
potentielles parties intéressantes à épouser. Ma grand-mère en a assez de mon
célibat.
Sans le vouloir, Serena en eut un pincement au
cœur. Comme ça, il avait des plans de rencontrer d’autres jeunes femmes, de se
marier bientôt. De plus, dans sa culture à lui, il pouvait se permettre de prendre
plusieurs épouses. Serena pensa à Zeinab qui se consumait pour lui et qui
devait en avoir le cœur brisé. Elle ressentit presque de la pitié pour la
femme.
-
Et Zeinab? Elle
en pense quoi de votre projet de rencontrer d’autres femmes?
-
Zeï et moi, nous
ne sommes plus ensemble… enfin, comprenez que je peux être un homme faible. Ma
faiblesse c’est les femmes, se justifia Tahaa.
Serena haussa les épaules d’indifférence
feinte.
-
Ce n’est pas mon
problème, après tout c’est votre vie. C’est vous qui avez la responsabilité d’épouser
une femme de votre condition.
-
Vous semblez très
au courant des choses qui me concernent, Serena. Si je ne vous connaissais pas,
je pourrais croire que vous avez de l’intérêt pour moi, jugea l’homme d’un ton provocateur.
Elle le fusilla du regard, scillée par son assurance.
-
Vous savez,
Tahaa, les choses peuvent changer entre nous. Nos relations pourraient
s’améliorer si seulement vous remballiez votre prétention. Vous pouvez même
être sympathique malgré vos grands airs.
Il éclata de rire en l’entendant. C'est lui qui avait des grands airs? Cette fille
l’amusait. Il risquait d’être en retard à son rendez-vous, mais il s’en
fichait, du moment qu’il avait cette conversation avec cette petite
impertinente. C’était la première fois depuis trois semaines qu’ils n’avaient
pas envie de s’arracher la tête. Ou presque.
-
Quelle est cette
bague que vous portez?
-
C'est un cadeau,
dit brièvement la jeune femme.
Tahaa sentit son
hésitation, son envie de se dérober comme une anguille, prudente et difficilement cernable.
-
J’ai remarqué que
vous la triturez quand vous êtes nerveuse.
-
Je fais ça? Je ne
m’en rends pas compte.
-
Moi aussi je sais
être observateur. Et, il y a pleines de choses que je peux dire de vous
seulement en vous regardant.
-
Ah? Comme quoi?
-
Vous mordez vos
lèvres quand vous êtes embarrassée. C’est sexy. Vous aimez avoir le contrôle
sur les choses. Ensuite, à votre réaction à l’étable l’autre jour, avec les
animaux, je peux être presque sûr que vous n’avez pas connu beaucoup d’hommes.
J’ignore la raison, vous n’êtes pas laide pourtant.
- Ce n’est pas dans mes priorités, coupa-t-elle sèchement en sentant les choses déferler entre eux sans qu'elle puisse contrôler.
"Aussi, cette discussion avec vous est inappropriée. Je vous
souhaite une bonne soirée, Tahaa".
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Coucou, j'espère que vous allez bien. Un autre chapitre. On réchauffe la pièce comme il faut avec nos deux personnages. Le prochain chapitre risque d'être plus hot :-).
Merci de suivre! bisous.