Chapitre 13
Ecrit par MoïchaJones
- Je pense qu’il te raconte des histoires.
J’arrive à capter l’amusement dans sa voix. Il m’écoute d’une oreille distraite, le regard plongé dans le document sur lequel il bosse.
- Tu peux au moins t’arrêter une minute pour m’écouter.
Il secoue vigoureusement la tête, mais la garde baissée.
- Uhu ?
- Oui ma chérie. J’écoute.
- Non, tu ne m’écoutes pas. Tu t’en fou de ce qui peut bien lui arriver de toute manière. J’ajoute, énervée, car il ne fait toujours aucun geste dans ma direction.
Je me lève pour sortir. Ca ne sert à rien de vouloir avoir une vraie conversation avec lui, quand il y a le boulot à côté. Rien n’est plus important pour lui à ce moment-là, que de brasser l’argent.
Avant que je n’atteigne la porte, il pousse un soupir las et pose le stylo qu’il tient.
- Je suis tout à toi.
- Ne te force surtout pas, je n’ai pas envie de te faire perdre ton temps.
J’entends la couverture qu’il repousse, mais ne ralentit pas.
- Belinda, arrête-toi…
J’ouvre la porte.
- S’il te plait.
Sa main se pose sur mon épaule pendant que l’autre referme doucement le battant. Il me fait un bisou dans le cou avant de me retourner, et je frissonne malgré moi.
- Ne t’énerve pas. Vient on va s’assoir.
On retourne près du lit, il écarte tous les papiers épars sur la couette, puis m’attire avec lui. Je lève mon regard et le plonge sans hésiter dans le sien. Il est grave, plus aucune trace d’amusement. Il me prend enfin au sérieux.
- Et si c’est vrai tout ce qu’il dit ? Que son père l’a vraiment vendu à ce… Mzuka.
- C’est une histoire à dormir debout. Quel parent irait vendre son enfant pour quelque sous ?
Je le regarde ébahi. Soit il veut juste me rassurer, soit il est encore plus naïf que moi.
- Je ne sais pas mais quand on ne roule pas sur de l’or, on peut être prêt à tout.
- Et même si c’est vrai. Cette histoire ne nous regarde pas. Ce n’est pas à toi de le sauver. Tu vas le faire pour tous les enfants de la rue que les parents auront vendus ?
Je retiens ma respiration. Je n’arrive pas à croire qu’il l’ait dit. Je le dévisage sans vergogne à la recherche d’un indice qui le disculpe. Mais je ne trouve rien.
- Tu le penses ?
Il se passe une main sur le visage, avec un soupir.
- Ne le prends pas mal Belinda, mais je pense que nous avons déjà suffisamment d’embrouille à gérer pour y rajouter ceux du reste du monde.
Je me lève d’un bon.
- Je ne te savais pas égoïste à ce point.
- Ce n’est pas l’égoïsme, c’est la réalité. Même le Christ n’a pas réussi à porter tous les problèmes de la terre…
- Ne me la joue pas prédicateur. Je ne te parle pas d’une histoire qu’on te raconte. Je te parle de cet enfant qui vit dans ta maison depuis 3 jours et qui est mis en danger par ses parents.
- Non je suis désolé, mais je te connais Wapenzi. Aujourd’hui c’est Jason, demain ce sera qui ?
- Selon toi je dois rester les bras croisés devant des abominations pareils ?
Il me rejoint en un mouvement.
- Je n’ai pas dit ça…
Mon œillade le stop.
- Enfin, pas exactement. Rajoute-t-il en prenant doucement mes mains dans les siennes.
- Et tu voulais dire quoi exactement ?
Je le vois hésiter. Il pèse surement ses mots.
- La première chose à faire est de se rassurer que cette histoire de vente est vrai, ensuite on avisera. Mais je le répète, ce n’est pas à toi de le faire.
Il pose un doigt sur mes lèvres alors que je m’apprête à parler.
- Je vais charger Aba de cette histoire. Et s’il faut agir, c’est la police qui le fera.
- Selon toi, pourquoi la police ne fait rien depuis tout ce temps ? Ca ne doit pas être un trafic qui date d’hier.
- Ne soit pas parano, la vie n’est pas un film.
- Oui mais on se sert d’elle pour en faire.
- Je t’interdis de remettre les pieds dans ce quartier.
Il est à bout et ça se ressent à sa voix devenue acide. Mais je suis une adulte et il n’a pas à m’interdire quoi que ce soit.
- Je ne suis pas ton enfant Uhu.
On s’affronte des yeux, pendant une éternité.
- Je ne plaisante pas Belinda.
Sa voix est basse et imperturbable. Il cherche à m’intimider, et ça marche. Je fais un gros effort pour ne pas laisser paraître ma peur. Jason a besoin de moi, vu que ses parents répondent absents. Je ne vais pas moi aussi l’abandonner.
- Moi non plus.
Il pousse un juron et lève la main vers moi. Elle s’arrête à quelque centimètre de mon visage. Je peux voir la houle dans ses yeux assombris. Il mène une bataille contre lui-même pour se contenir. Ses narines sont dilatées et son souffle chaud vient s’abattre sur mon visage.
- Maintenant c’est contre moi que tu veux te battre ?
Ma phrase fait mouche et il ferme les yeux. Sa respiration se fait lente et régulière. Il ferme le poing et le ramène lentement à son front.
- Tu te bruleras à force de vouloir jouer avec le feu, Belinda.
Quand il ouvre de nouveau les yeux, ils sont injectés de sang. Je pousse un soupir abattu, rien ne sert d’envenimer la situation.
- C’est toi qui prends ça comme un jeu Uhu. Tu laisserais la vie d’Imani en danger si…
- On n’est pas en train de parler d’Imani, ne mélange pas tout.
- Un enfant est un enfant et une vie vaut une vie.
Il va se mettre à la fenêtre, le regard perdu à l’extérieur.
- Chéri, je t’en prie. On en peut plus faire comme si on ne sait rien de ce qui se passe. Notre devoir c’est d’en savoir plus, et de faire quelque chose pour le bien de cet enfant.
Il se retourne et met les mains dans les poches de son jogging.
- Aba va voir de quoi il en retourne et à ce moment-là, on verra ce qu’on fera. En attendant tu dois me promettre que tu ne mettras pas les pieds là-bas.
- D’accord.
- Je suis sérieux, Belinda. Tu déroges à la règle et notre accord tombe à l’eau.
Je me contente de lui tendre une main conciliante. Il avance, les yeux toujours fixé aux miens. Ses mains toujours enfouies profond dans ses poches, comme pour me laisser le temps de me désister. Mais ma main reste tendue jusqu’à ce que la sienne vienne l’empoigner.
Je lui fais un sourire étincelant, mais ne réussis pas à lui en arracher un en retour.
- Tu lui en parles quand ?
Il me regarde étonné.
- Ca ne peut pas attendre ?
- Il ne vaut mieux pas. Plus vite on éclaircira tout ça, plus vite j’aurai le cœur tranquille.
Son sourcil droit se lève dubitativement, quand moi je fais l’innocente et je continue de lui sourire à pleine dent.
- Tu sais que tu es une emmerdeuse ?
- Une emmerdeuse que tu aimes.
- Je ne suis plus sûr de t’aimer en fait.
Ses paroles m’auraient blessé, si je les avais sues sincères. Il veut juste me heurter, par ce que j’ai réussi à lui tenir tête.
- Prévient-moi quand tu seras sûr, j’irai voir ailleurs si quelqu’un d’autre veut bien de moi.
Je lui fais un clin d’œil avant de sortir rapidement de la chambre. M’attarder serait la pire des folies. Je n’ai pas envie de finir, étripée, au fond d’une benne à ordure. Je suis encore jeune, et j’ai encore pleines de belles choses à vivre.
Je rigole en descendant l’escalier.
Les enfants s’amusent sur la terrasse. Jason est un garçon responsable, je n’ai pas besoin d’avoir un œil sur eux. Je vais rejoindre Raïla à la cuisine. Elle effeuille des épis de Maïs. A nous deux on vient rapidement à bout du tas qui git sur le sol.
Il est presque 18 heures quand je ressors de là, couverte de crasse et des émanations du repas. Une bonne douche et on pourra passer à table. Je croise Uhu dans le hall d’entrée. Il me jette un regard contrarié, et moi je cache ma joie.
- Il s’y met quand ? Je demande d’une voix niaise.
Il me passe sans un mot, et se dirige vers l’escalier.
- Uhu !
Il continue son chemin comme si ce n’est pas à lui que je parle.
- Un homme qui boude c’est chou. Je finis par dire dans un éclat de rire.
Je n’ai pas pu résister, ça me démangeait déjà depuis un moment.
La porte de notre chambre claque à l’instant où je pose mon pied sur la première marche, et le carillon d’entrée m’empêche de rétorquer.
- J’y vais ! Je lance en me dirigeant vers la porte.
J’ai besoin de me pincer à plus d’une reprise pour être sûre de ne pas avoir un mirage en face de moi.
- Qu’est-ce que tu fous là ?
- Garde tes griffes, je ne suis pas là pour toi… pas encore.
Le regard et le sourire carnassier de Jomo, sont plus qu’explicitent. Il ne faut pas être intelligent pour comprendre ce qui se passe dans sa tête quand il inspecte mes courbes. J’ai des démangeaisons partout, comme une réaction allergique à l’intérêt qu’il me porte.
- Mon frère est là ?
- Je ne pense pas qu’il ait envie de te voir.
- Tu n’es pas là pour penser. Laisse-moi entrer, je dois lui parler.
- Non mais, tu n’es pas normal. Après ce qui s’est passé, tu te pointes ici la bouche en cœur en espérant peut-être qu’on va t’accueillir les bras ouverts…
- Wapenzi, j’attends avec impatience le jour où je m’occuperai enfin de faire ton éducation. Je vais t’apprendre à te tenir à carreau.
- Tu peux toujours rêver. Rentre d’où tu viens, tu n’es pas le bien venu ici.
Je veux refermer la porte quand il la bloque avec le bout de sa chaussure.
- Imbécile !
Avant que je ne puisse finir ma phrase, sa main empoigne mon cou. J’ai le souffle coupé, et je lâche prise.
- Comme je l’ai déjà dit, je ne suis pas ici pour toi, alors tu vas me laisser entrer. A moins que tu veuilles que je m’occupe d’abord de toi ?
Il ne desserre pas ses doigts et je commence à manquer d’air. Je me débats comme une furie pour décoller la main d’acier, mais mes doigts n’arrivent pas à la faire bouger d’un iota. Jomo en profite pour ouvrir grandement le battant et entrer dans le hall. Il me pousse violement et mon dos vient heurter le mur dans un bruit sourd.
- Sale chien.
Je réussi à dire après avoir repris mon souffle, une main me frictionnant le cou.
- Tout ce que tu veux, mais je n’ai pas de temps à perdre. Va dire à ton mari que je veux le voir.
Mon œillade antipathique n’a aucun effet sur lui. Je tourne le dos et le laisse planter là.
Uhu a de nouveau le nez plongé dans ses dossiers. Quand j’entre, c’est à peine s’il lève les yeux.
- Tu ne devineras jamais qui est en bas ?
J’ai chuchoté et mon ton a fini de l’alerter. Il me regarde cette fois avec intérêt.
- Ton frère.
D’abord la surprise, l’incompréhension, puis la fureur s’accapare de ses traits. Il se lève d’un bon en vociférant avec force.
- Il n’a pas osé…
- Calme-toi !
- Ne me demande pas de me calmer. Qu’est-ce qu’il vient faire chez moi ?
- Les enfants sont à la maison Uhu, calme toi s’il te plait.
Il veut passer pour gagner la porte, mais je pose le plat de ma main sur son torse.
- Si vous vous battez encore, il n’y aura personne pour vous séparer. Je n’ai pas envie que les petits voient ça.
Son visage est déformé par la rage. Ses muscles tressautent au niveau de sa mâchoire, et j’essaie de capter son regard pour qu’il s’apaise un tout petit peu.
- Imani n’a pas besoin de voir ça de nouveau.
- Tu as raison. Fini-t-il par murmurer.
- Essaie de te maitriser. Il fera surement tout pour faire sortir de tes gongs, mais ne le laisse pas gagner.
Je réussi à lui insuffler un calme que je suis moi-même très loin de ressentir. Mais Joseph et sa voix tonitruante ne sont pas là pour les séparer si jamais ils en venaient à se prendre par le col.
- Ca va aller ? je lui demande, les yeux toujours plongés dans les siens.
- Je vais tout faire pour… Merci.
Il me caresse la joue du pouce, le regard légèrement adouci.
On sort et pendant que lui descend, moi je vais sur la terrasse.
- Les enfants, il est l’heure de la douche. On va bientôt passer à table.
Imani rechigne un peu à laisser tomber la partie en cours, fini par se précipiter vers la douche de notre chambre pendant que Jason lui va dans la sienne. J’aide Imani et directement après je me débarbouille aussi vite que je peux. Au final, quand je sors de la chambre, je croise Uhu dans le couloir. Il est toujours en colère, mais cette fois il a en plus, sa tête des mauvais jours. Je ne sais pas ce qu’ils ont bien pu se dire. Ca n’a pas été long, mais je peux affirmer ça n’a pas été plaisant.
J’hésite à lui demander ce qui était si important, pour finalement, je le laisse tranquille. Il referme doucement la porte de la chambre, et la minute d’après je peux l’entendre pousser un juron. Je ne peux pas imaginer de quoi ils ont bien pu discuter, et ce n’est pas Uhu qui me el dira maintenant.
Je descends mettre la table. Chaque chose en son temps. Je finirai bien par savoir.