Chapitre : 14
Ecrit par MoïchaJones
- Maman, ton téléphone sonne !
Crie Imani depuis le salon.
- C’est qui ?
- Allo Bibi… Oui je vais bien. Et toi ? Toi aussi tu me manques…. Et Babu ? Non, je ne sais pas.
Quand j’entre dans le salon, elle est bien installée dans le sofa, les pieds sur l’accoudoir et le téléphone coincé entre l’épaule et l’oreille.
- Non mais… Achète-toi un téléphone.
- Bibi, elle est déjà venue. Attend je te passe maman.
Elle me tend l’appareil comme si de rien n’était et retourne à son dessin animé.
- Allo ?
- Bonjour.
- Bonjour maman.
- Avons-nous un différent ?
La voix à l’autre bout du fils est atone, et je suis quelque peu surprise par sa question.
- Pardon ?
- Tu m’as bien comprise. Je te demande si nous avons un problème toutes les deux ?
- Euh… Comment ça ?
Je ne vois pas où elle veut en venir. Qu’est-ce que j’ai fait ou dit qui va encore se retourner contre moi ? Nous ne nous sommes pas vu depuis l’incident, et j’avoue que je n’ai rien fait pour rétablir le contact avec elle. J’en avais gros sur le cœur. Je veux bien entendre ce qu’elle va encore me sortir de rocambolesque.
- Ne fait pas celle qui ne comprend pas. Tu ne m’appelles, tu m’empêches de voir ma petite fille. Je ne sais pas ce que je t’ai fait pour mériter pareil traitement.
La dramaturge, elle mériterait un oscar. Je roule des yeux avant de lui répondre calmement.
- Je n’ai jamais rien fait de tel. C’est juste que, j’ai été prise ces derniers jours.
- Oui j’imagine que t’occuper d’Imani, maintenant qu’elle est en vacances n’est pas de tout repos.
Je ne la détrompe pas.
- Alors ça veut dire que je peux vous avoir tous à diner ce soir ?
La comédienne. Comme par magie elle a retrouvé tout son entrain habituel et il ne reste plus aucune trace d’abattement dans son intonation.
- Je vais d’abord en parler avec Uhu, je ne sais pas s’il avait prévu quelque chose pour ce soir
Je prie très fort qu’il ait prévu quelque chose.
- Fait donc.
Son ton est de nouveau affecté, et ça me fait sourire.
- De toute façon, je suis déjà habituée à être abandonné par mes propres fils. Je les ai porté 9 mois durant et c’est comme ça qu’ils me traitent.
Quelle manipulatrice, cette femme. Comme quoi les fruits ne tombent jamais loin de l’arbre.
- Mais non maman, ne dit pas ça. Tu sais très bien qu’Uhu ne peut pas vivre loin de toi longtemps.
- C’est ce que tu dis maintenant, alors que c’est toi qui est venu me le voler.
Silence. Que vais-je ajouter à ça ?
- Parles-en à ton mari. De toute façon, je ne peux rien faire de plus, il ne décroche plus mes appels.
Première nouvelle, Uhu qui boude sa mère. C’est du jamais vu.
- Je t’appelle ce soir.
Je lui dis simplement avant de couper l’appel.
- Les amis, dans 5 minutes je démarre.
Jason se lève sur le coup, pendant que la princesse de son papa fait ce qu’elle fait de mieux.
- Non maman. S’il te plait attend encore un peu.
Je lui jette à peine un regard avant de sortir du salon. Je vais prendre mes clés de voiture et mon sac à main, puis rejoins Jason qui m’attend déjà sur le pas de la porte. Une fois assise et prête à démarrer, Imani est toujours aux abonnés absents. Mes coups de klaxon ne réussissent pas à la faire sortir de la maison. Je laisse le moteur tourner et redescends, énervée. Elle va me sentir passer cette fois.
Je la retrouve dans la même position, avachi dans le fauteuil au salon, les pieds suspendus sur l’accoudoir.
- Imani !
Elle sursaute et se lève d’un bon.
- Tu crois que je n’ai que ça à faire ? Dépêches toi d’aller mettre tes chaussures.
Elle me supplie du regard, mais je ne déroge pas. Le mien est toujours sévère et intransigeant. Enfant unique ne lui va plus du tout. Elle se croit tout permis.
- Mais maman, Bloom n’a pas encore…
- Tu peux rester avec Raïla, si tu veux. Nous on s’en va.
Je la laisse planté là. Elle coure dans sa chambre en me criant de l’attendre, mais je fais celle qui n’entend rien. Une fois devant la porte, je la vois qui redescend avec une paire de basket en main. Je serre mes lèvres, l’une contre l’autre, pour ne pas sourire. Mais j’y arrive à peine.
- Tu ne vas pas mettre ça avec cette robe ? Où est la sandale que j’ai mise de côté tout à l’heure ?
Elle me regarde comme si je lui parle dans une autre langue.
- Va la chercher.
Elle marque un temps d’arrêt et me regarde hésitante.
- Tu vas me laisser ?
Je réussis à garder ma mine sévère malgré mon hilarité.
- Tu me perds le temps, Imani, j’ai une journée chargée.
Ses yeux sont maintenant humides, mais aucunes larmes ne s’en échappent pour l’instant.
- Ca t’apprendra à m’écouter quand je te parle.
Elle me regarde, toujours indécise. Je vois bien le match qui se déroule dans sa tête en ce moment. Allez prendre ses sandales, ou alors ne pas me faire confiance et me désobéir.
- Imani, tu as trois secondes. Ce n’est pas toi qui me paye le carburant.
Elle détale vers l’escalier en me suppliant de l’attendre et moi je sors pour pas qu’elle me voit rigoler. Avant que je n’ai eu le temps de me remettre derrière le volant, je la vois qui dévale le perron pieds nus, les dites sandales dans les mains.
- Ne vient pas me mettre la poussière dans ma voiture, c’est pas toi qui la lave.
Elle ralentit le pas et fait mine de s’arrêter pour mettre ses chaussures, mais moi je continue d’avancer. Je referme ma portière et éclate de rire sous le regard étonné de Jason qui ne comprend pas ce qui se passe.
Elle nous rejoint et nous sortons enfin de la maison. Une fois dans la circulation, je branche le kit main libre et appelle Uhu. Il décroche à la 3e sonnerie et son ton bourru me mets aux aguets. Il est ainsi depuis hier. Depuis sa conversation avec son frère. Et le fait que je l’ai vu s’enfermer dans son bureau avec Aba, n’arrange pas la situation. Au contraire, quand je suis venue lui annoncer qu’on passait à table, j’ai eu l’impression de tomber au milieu de quelque chose de gênant. Depuis lors, il me tient à distance.
- Qu’est-ce que tu veux Belinda, je n’ai pas beaucoup de temps.
Son ton austère me donne froid dans le dos, mais ne m’arrête pas.
- Bonjour ! Je dis calmement.
Il soupire, las, avant de répondre bougrement à mon bonjour.
- Ta mère veut savoir si elle peut nous avoir à diner ce soir ?
- Je n’ai pas le temps, j’ai beaucoup de travail.
Je veux me contenter de ces paroles salvatrices, mais au fond de moi je suis gênée. Je dois faire un effort pour briser cette glace qu’il a érigé entre eux, et à ce moment-là, s’il ne veut toujours pas y aller, ce sera parfait.
- Je croyais que tu étais venu pour te reposer et passer un peu de temps avec ta famille ?
Je ne sais pas pour quelle raison je me sens coupable qu’il puisse filtrer les appels de sa mère. Parce que je suis presque sure de ne pas en être la cause... Enfin j’essaie de me convaincre. Depuis que le connais, jamais il n’en est arrivé là. Il a fallu que je sois au centre d’un affrontement avec son frère pour qu’il se retrouve à éviter sa maman chérie.
- Belinda…
- Pourquoi tu filtres ses appels ?
- Je ne filtre rien du tout. Me dit-il brusquement.
- En tout cas ce n’est pas ce qu’elle m’a dit. Je ne veux pas être la cause d’autres conflits avec ta famille.
- Tout ne tourne pas autour de toi Belinda.
Sa voix est glaciale et blessante.
- Parfait. Charge-toi donc de lui transmettre toi-même ta réponse.
Je raccroche d’un geste sec et retire brutalement l’oreillette que je laisse tomber sur mes jambes. Ca y est, je suis de mauvaise humeur maintenant. Il n’en a pas fallu de trop. Je conduis rageusement et manque à plusieurs reprises de renverser des piétons.
Je gare bien assez tôt devant les locaux du centre et donne les dernières recommandations aux enfants, avant de les laisser rentrer dans le bâtiment. Je continue vers le consulat où je dépose la demande pour un passeport express pour Imani et moi, puis je vais à la banque. La journée est déjà bien avancée quand je reviens les récupérer pour aller au cinéma. La salle est pleine de nouvelles têtes. Les rires fusent de partout, faisant passer mon entrée inaperçue. Je m’arrête après avoir passé le pas de la porte et cherche Jason et Imani des yeux. Je les aperçois au fond, devant la table sur laquelle repose un Ludo usé. Ils sont tous concentrés sur le match qui se joue et ne m’ont pas encore vu.
J’avance à pas de loup, et réussis à me rapprocher sans que personne ne s’en rende compte.
- Alors, qui gagne ?
Des yeux surpris se posent sur moi.
- Maman !
Imani atterrit dans mes bras pendant que Jason me fait un sourire.
- Ca va toi ?
- J’ai battu Jay au Ludo tout à l’heure.
Se hâte-t-elle de m’annoncer fièrement. Ca se voit qu’elle a passé une bonne journée.
- Ah oui ?
- Oui.
Elle secoue la tête et je peux lire la suffisance sur ses traits. Je constate subitement à quel point elle a grandi.
- Je suis fière de toi.
- Oh mais c’est parce que je l’ai laissé gagner.
J’éclate de rire devant la tête qu’elle fait quand la voix de Jason s’éteint.
- C’est même pas vrai.
- Si c’est vrai.
Ils se taquinent ainsi pendant quelques minutes et je les laisse faire, le temps pour moi de dire bonsoir à monsieur Ifousa. Quand je reviens vers eux, ils se sont rabibocher et je les entraine vers l’extérieur. Le trajet jusqu’à Westgate se fait dans le même climat facétieux. Je les écoute se chamailler d’une oreille distraite, les yeux braqués sur la route. Une fois sur place, on décide du film que nous allons voir et je nous prends des tickets.
A 20 heures, je gare devant le porche, épuisée. Imani est endormie à l’arrière et Jason somnole près de moi. Je les regarde silencieusement un instant, puis me décide à les réveiller une boule au ventre. Quelques minutes plus tard la porte s’ouvre sur Uhu. Je suis surprise de le voir là à cette heure. Je croyais qu’il devait rentrer tard. Quand je veux m’en étonner, je me souviens du coup de fil que j’ai reçu plus tôt dans la journée.
- Merde, le diner.
- Maman tu as dit un gros mot.
Sa voix est endormie, mais le reproche est clair.
- Désolée. Je murmure en ouvrant ma portière. Réveillez-vous, nous sommes arrivés.
Uhu nous attends sur les pas de porte. Sa silhouette massive se dessine dans le halo de l’éclairage du hall, on dirait un démiurge venu tout droit d’un comics.
- Je croyais qu’on dinait chez les parents ce soir.
Il a le ton atone, mais je sais qu’il boue à l’intérieur.
- Désolée j’ai oublié. Et puis tu ne m’as pas appelé, je me suis dit que ce n’était plus d’actualité.
- Il fallait encore que l’appel passe. Où est-ce que tu as mis ton foutu téléphone, ça fait plus de 2 heures que j’essaie de savoir où vous êtes.
Je le regarde, ébahie, sans savoir quoi dire. Je réfléchis rapidement et me souviens que j’ai éteint mon téléphone avant d’entrer dans la salle de cinéma tout à l’heure. J’ai oublié de le rallumer quand nous sommes allés diner.
- Désolée, je l’avais éteint.
- Tu n’as que ce mot à la bouche ma parole.
Il me retient par le coude alors que j’essaie de passer. J’attends que les enfants disparaissent par l’embrasure de la porte pour répliquer sèchement.
- Je me suis déjà excusée, qu’est-ce que tu veux de plus.
- Je n’aime pas ne pas savoir où tu te trouves.
- Tu es sûr que c’est ça le problème ?
Je le regarde bien droit dans les yeux, il se risque à ne pas de se défiler.
- Où étiez-vous ?
Je me sens tout d’un coup épuisée par ce jeu fade dans lequel il veut m’entrainer à chaque fois. Il éprouve continuellement le besoin de faire peser sa frustration sur moi, quand il se sent impuissant. Je commence en avoir plus qu’assez de tout ça.
- Je les ai emmené au cinéma puis nous sommes allés manger au Lounge Botanical. Satisfait monsieur l’agent ?
Il pose sur moi un regard mauvais, puis me lâche.
- Tu as 10 minutes pour te changer, les parents nous attendent.
Je remarque alors qu’il ne porte plus les mêmes vêtements que ce matin. Il sent l’aftershave et sa barbe de trois jours a disparu. Le Uhu négligé sexy a laissé la place au Uhu super dandy.
Il ne me laisse pas le temps de répliquer et tourne le dos. Je prends une minute avant de le suivre à l’intérieur. Je passe par la cuisine pour confier les enfants à Raïla, avant de monter prendre une douche rapide. Plus de 10 minutes plus tard, je redescends fin prête dans une robe en toile bleue nuit qui descend, fluide, sur mes mollets. Je finis de fixer mes boucles d’oreille en entrent dans le salon. Uhu est debout devant le mini bar, un verre de whisky en main. Je vais vers lui et lui tends le collier de perle que j’ai dans les mains.
- Tu peux m’aider s’il te plait ?
Je lui mets le collier dans la main avant de me retourner sans attendre de réponse. J’imagine très bien la surprise sur son visage, et je me félicite intérieurement. Les effluves fuitées de mon parfum flottent allégrement autour de nous. Je ne le vois pas, mais je sais que ça le rend fou. Comme pour me donner raison, je sens sa présence plus près qu’il n’en faut pour nouer un simple collier.
- Je suis toujours contrarié.
Son souffle effleure ma peau et je frissonne.
- Je n’ai pas dit le contraire. Je murmure en m’éloignant. Nous sommes en retard.
Il vide son verre d’une traite avant de m’emboiter le pas. Je vais souhaiter bonne nuit aux enfants, puis le rejoins à l’extérieur. Le trajet se déroule en silence. Chacun de nous, plongé dans ses pensées. Je ne sais pas à quoi m’attendre ce soir. Est-ce qu’il sera là ? Comment ça va se terminer. Tout ça me rend nerveuse. Je n’ai pas envie que la soirée se termine encore en grabuge.
Nous sommes accueillis par Joseph. Amaya n’est en vue nulle part. Encore moins Jomo. Je respire librement. On s’assied après des accolades timorées. La maîtresse de maison nous rejoins peu de temps après, avec entrain elle nous prend dans ses bras. L’ambiance devient moins électrique. Je la remercie secrètement pour l’effort qu’elle fait de détendre l’atmosphère, et m’applique à lui rendre la tâche facile.
On passe à table et toujours aucunes traces de Jomo. Uhu arrive à son tour à se détendre. Les conversations sont légères et anodines. Tout y passe sauf le sujet qui fâche et ce n’est pas pour me déplaire. Jusqu’à la fin, tout se déroule sans anicroche. Il est près de minuit quand on reprend le chemin de la ville. On ne se dit toujours rien, mais c’est moins tendu. La circulation est fluide, et je laisse reposer ma tête contre la vitre. Je flotte docilement dans un état de semi conscience que l’exclamation d’Uhu fait dissiper.
- Qu’est-ce qui se passe ici ?
Je me redresse, le portail d’accès à la maison est grand ouvert. La cours est déserte. Aucune trace du Suv de M&M.
A peine le moteur coupé, je pose pieds à terre.
- Attend !
Je me tourne vers Uhu qui referme silencieusement sa portière.
- Reste derrière moi.
Il avance prudemment vers la maison dont la porte d’entrée est entrebâillée. Mon cœur tambourine fiévreusement dans ma poitrine. La peur me glace les jambes. J’arrive difficilement à suivre Uhu qui est déjà parvenu dans le hall. Les lumières éclairent hardiment toutes les pièces, pourtant il y règne un calme inquiétant. Mon cœur fait un bon dans ma poitrine, quand je remarque des traces rouges, qui jonchent le sol immaculé.
- Uhu ! C’est du sang ?
Il suit mon regard et pousse un juron en se courbant pour passer la main dessus. Je sens mes yeux s’embuer rapidement.
- Imani !
Je cours à l’étage, Uhu dans mes talons. Sa chambre est vide, le lit défait semble nous narguer.
- Non… Non non non !
Je redescends aussi vite que je suis montée, pour aller inspecter celle de Jason. Vide, elle aussi. Je crie ma frustration de toutes mes forces.
- Ils ne sont pas là. Uhu ils ne sont pas là.
- Calme-toi, il doit y avoir une explication.
- Ne me demande pas de me calmer alors que ma fille a disparu.
- Crier ne changera rien à la situation. On doit réfléchir à tête reposée.
J’essaie de me calmer, mais je n’y arrive pas. Je suis dans un état d’agitation sans pareil. Tout mon corps tremble, et je ne peux retenir plus longtemps mes larmes. Uhu se détourne et sors son portable. Il le garde à l’oreille longtemps, mais ne semble pas avoir de réponse. Il lâche un autre juron frustré, avant de composer de nouveau un numéro. Quand il se met à parler, je comprends qu’il s’adresse à son père.
Je sors de la chambre et va dans le salon. Une énorme flaque de sang m’arrache un nouveau cri hystérique. Elle trône en plein milieu de la pièce, comme dans une grotesque scène de crime.
Mon Dieu, une scène de crime. Je n’arrive plus à respirer. Mon souffle est court et je sens mon esprit s’alourdir de plus en plus.
Faite que ce ne soit pas ça. J’implore silencieusement le Seigneur. Faite que je me trompe. Je vous en prie.
- Qui a fait ça Uhu ? Où sont-ils ?
Je le tiens par son chandail et le secoue violement.
- Trouve les, je t’en prie.
Il m’attire dans ses bras sans rien dire, et je me laisse aller. Je suis en plein dans un cauchemar. Je vais bientôt me réveiller et me rendre compte que rien de tout ça n’est vrai.