CHAPITRE 14 : La coupure du cordon ombilical
Ecrit par delali
Les sens automatiquement mis en alerte, maman Claudine se presse à son chevet.
- Kady ! Kady ! répète-t-elle en la secouant.
Aucune réponse, la jeune fille ne réagit pas. Maman Claudine essaye de la tâter dans tous les sens et c’est à cet instant qu’elle réalise que Kady saigne de la tête. Dans sa chute, elle a dû se cogner la nuque contre le rebord de la minuscule clôture en béton faite pour délimiter l’espace des fleurs de la route. Elle l’appelle encore mais Kady ne réagit toujours pas. Elle sort un mouchoir de son sac pour faire pression contre la blessure et se dit donc qu’il faut l’amener à l’hôpital. Rapidement elle demande l’aide d’un passant pour soulever la jeune fille de terre en faisant attention à sa tête et rejoindre l’autoroute afin d’emprunter un taxi
- Mais elle a eu quoi ? demande le passant
- Elle … elle est tombée ! Aidez-moi s’il vous plait !!!
Grâce au ciel, ils trouvent très vite un taxi, et en une quinzaine de minutes, maman Claudine arrive au grand hôpital avec Kady. Le chauffeur de taxi l’aide à transporter la jeune fille jusqu'à l’intérieur :
- Au secours ! aidez-nous s’il vous plait !!! Hurle presque sans arrêt maman Claudine.
Assez tôt, Kady est admise aux soins intensifs après que maman Claudine ait expliqué ce qui lui est arrivé. Maman Claudine reste seule à l’entrée avec les affaires de Kady, à attendre de ses nouvelles, « la pauvre petite, elle est toujours aux soins intensifs » se dit-elle. Elle regarde autour d’elle, il y a une agitation palpable aux urgences, de nombreux cas de blessures, d’accidents et autres arrivent de manière fréquente et à des intervalles très courts. Certains cas sont rapidement pris en charge, et d’autres non, compte tenu du fait que les proches de ces victimes n’ont pas de quoi régler la note des premiers soins. Maman Claudine n’a qu’une seule envie, quitter cet endroit insensible où l’argent à plus de valeur que l’être humain. Mais elle ne peut pas, à n’importe quel moment, on peut demander un proche de la petite, et il faut qu’elle soit présente. Heureusement qu’elle a pris le soin d’emporter son sac à main avant d’emprunter le taxi. Si cela n’avait pas été le cas, peut être que la petite Kady aussi serait délaissée comme ces nombreuses personnes. Dans un pays en voie de développement comme celui-là, et surtout dans les villes reculées, le bon Dieu est très souvent meilleur médecin que le docteur en médecine moderne. Elle confie alors sa petite Kady à ce Dieu.
Il était 20h30 lorsqu’elles sont arrivées à l’hôpital, quatre heures de temps sont passées et toujours pas de nouvelles de la petite, mis à part le fait qu’elle a dû remplir les formalités financières pour qu’on lui fasse des radios de la tête, des échographies et aussi pour le scanner. C’est seulement après avoir faite ces choses nécessaires que Maman Claudine se rend compte qu’aucun proche de la petite n’est informé. Voilà qu’elle ne sait comment prévenir les parents de Kady de ce qui lui arrive. Elle essaye à maintes reprises de joindre Béatrice, mais sans succès, cette dernière à éteint son téléphone. Prise de panique aussi, elle n’a pas eu le réflexe de l’informer avant de quitter la maison pour l’hôpital avec la petite Kady. Elle ne connaît pas non plus le domicile des parents de la petite, et la voilà qui ne se réveille pas : « oh mon Dieu, sauvez cette petite ! Faites qu’elle réagisse ! »
Trente minutes plus tard, une infirmière sort et demande les parents de Kady, maman Claudine s’avance :
- Venez avec moi madame, le docteur veut vous parler.
Maman Claudine la suit le long d’un couloir envahit par l’odeur de l’éther, pendant le trajet elle ne fait que prier qu’on lui annonce une bonne nouvelle :
- Madame, les nouvelles ne sont pas très bonnes ! Commence le docteur. C’est votre fille ?
- Non, c’est la fille de… enfin, je ne sais pas comment joindre ses parents. Elle fréquente la maison où je travaille.
- Ok. Cette fille est entrée dans le coma.
- Quoi ? Coma ? Comment est-ce possible ?
- Heureusement que vous saviez ce qui lui est arrivé. Cela nous a évité de perdre un temps précieux aux urgences et de l’amener aux soins intensifs pour sa réanimation. On lui a fait un bilan complet et je crois qu’elle a dû être victime d’une hypotension. Cela lui a certainement donné le vertige, ce qui a donc provoqué sa chute…
- Hypotension ?!
- Oui ! Elle était à 7/8 de tension quand elle est arrivée. On n’a pas encore réussi à la stabiliser d’ailleurs. La plupart du temps les femmes enceintes souffrent d’hypotension dans les deux premiers trimestres de leur grossesse suite aux nombreux changements que le corps subit durant cette période. Mais là, elle a eu la malchance de se cogner violemment la tête lors de sa chute. Son cerveau a reçu un coup, il s’est comme … endormi.
- Elle va s’en sortir n’est ce pas docteur ?
- Normalement, elle n’aurait même pas dû entrer dans le coma puisque la blessure qu’elle a à la tête est superficielle. Aussi le crane n’a aucune fracture et le cerveau aucune lésion grave. Elle pouvait perdre connaissance pendant un moment, mais elle aurait dû revenir à elle ensuite.
- Et … et son bébé ?
- Il se porte bien… pour l’instant. Mais tenez-vous à la disposition des agents de santé au cas où on aurait besoin de quelque chose pour son état.
Durant le reste de la nuit, Kady a eu des crises d’agitation répétées, plus de deux fois, l’on a eu besoin de lui administrer des calmants appropriés, et heureusement que maman Claudine est là. Un peu après l’aube, aux environs de huit heures, neuf heures du matin, le médecin de garde affirme à maman Claudine que l’état de Kady est maintenant stable :
- La jeune fille est hors de danger à présent, mais on ne comprend pas ce qui se passe, c’est comme si elle refusait de se réveiller d’elle-même. Il faudrait que des personnes qui tiennent à elle, viennent la soutenir, lui parler régulièrement, ça pourrait vraiment l’aider.
- Ok, merci docteur.
Elle décide alors de rentrer et d’informer Béatrice, elle c’est sûr, elle saura comment joindre les parents de Kady. Après un court voyage d’une quinzaine de minutes, elle arrive dans son quartier, elle parcourt quelques mètres à pieds et arrive enfin devant la maison de ses employeurs. Chose curieuse, elle y rencontre la gérante de l’agence immobilière qui s’occupe de la location de la maison, celle d’ailleurs qui gère l’agence de placement des femmes de ménages par la même occasion. C’est elle qui a placé Claudine chez les SANDOL-ROY :
- Bonjour Madame Angèle, je ne m’attendais pas à vous ici ce matin ! Commence Claudine.
- Bonjour Claudine, en effet, tu as raison. C’est Madame SANDOL-ROY qui m’a appelé hier pour me demander de passer chercher les clés, comme quoi ils libèrent la villa.
- Quoi ??? Et elle est déjà partie ?
- Oui ! tôt ce matin. Elle m’a dit qu’elle devait prendre la route à 6 heures pour rejoindre sa famille à Abidjan.
- Non mais, c’est pas possible !
- Ne t’inquiète pas, elle a payé tes droits, puisqu’elle m’a dit qu’elle n’a pas eu le temps de te le dire. Alors passe à l’agence dans la journée pour retirer ce qui t’es dû, ok ?
Claudine reste sans voix, elle pense être dans une émission de télé réalité. La minute d’après, elle voit une dame qui lui semble familière s’approcher de la maison :
- Bonjour madame ! Pardon, je cherche les gens qui habitent dans cette maison. Demande la dame.
- Ils ne sont plus là, moi-même je viens de l’apprendre !
- Plus là ? !!! Et ils sont où ??? Où est MA FILLE ?!!
- Comment ça votre fille ? demande Claudine
- Ma fille a disparu de la maison depuis hier soir, je la cherche partout, je pensais qu’elle serait ici ! mon Dieu ! ma fille ! Kady ééh ! Où es-tu ? se lamente la dame sans répits, en se mettant les mains sur la tête.
- Madame calmez-vous ! du calme ? c’est vous la maman de Kady ?
- Oui, c’est ma fille !
- Ah oui, je me rappelle de vous à présent, vous étiez venu ici avec elle la dernière fois !
- Oui ! oui ! c’est ça !
- Je sais où elle est !
- Eeh Dieu merci ! Dieu va te bénir ooh ! Dieu va te bénir ! où est ma fille ?
- Il faut vous calmer d’abord, venez, on va s’asseoir.
- Non madame, faut vite me dire où elle est, tout le monde à la maison va se rendre compte qu’elle a disparue pardon. La famille de son futur mari va commencer à venir à la maison.
- Quoi ? donc vous voulez la marier ? Devine immédiatement Claudine.
- Son père a décidé, c’est mieux ainsi pour elle, pardon amène moi à elle.
- Eh bien, je suis désolée pour vous madame, je ne crois pas que votre fille puisse se marier dans l’état où elle est ! Répond-t-elle d’un air révolté.
- Quoi ? elle est où ?
- Elle a eu un malaise hier, elle est à l’hôpital !
- Han ! comment ? elle a eu quoi ?
- Je comprends mieux maintenant, c’est certainement votre mariage forcé là, en plus de la réaction de Chris qui l’a mise dans cet état, la pauvre.
- A l’hôpital ? comment elle va ? je veux la voir. Pardon accompagne moi.
- Ok, je vous accompagne, mais je ne pourrai pas rester avec vous, j’ai presque pas dormi de toute la nuit.
Claudine accompagne la mère de Kady à l’hôpital où se trouve la jeune fille. Une fois au chevet de sa fille qui est toujours inconsciente, Claudine lui explique un peu ce qui lui est arrivée pour qu’elle soit dans cet état, et que personne ne savait quand est ce qu’elle se réveillerait. Assita se recueille au chevet de sa fille, ses larmes commencent à couler. En tant que mère, elle a mal pour sa fille, mais en même temps, elle pense à ce qui l’attend quand elle rentrera sans Kady. Que va-t-elle dire ? Comment expliquer qu’elle est dans un état pareil parce qu’elle n’a pas su s’occuper d’elle ? Mille et une questions lui trottinent dans la tête sans réponse. Le pire est qu’elle n’est pas consciente et que les docteurs disent qu’ils ne comprennent pas pourquoi elle ne réagit pas encore. Elle s’en veut, elle a échoué dans son rôle de mère. Que va-t-elle faire à présent ? Elle est restée ainsi assise devant Kady sans parler pendant des heures, au point où, elle ne s’est pas rendu compte du retour de Claudine auprès d'elle. Celle-ci est rentrée plus tôt se reposer :
- Votre fille a besoin de vous plus que jamais actuellement. Lui dit maman Claudine
- Il est quelle heure ?
- Déjà 16 heures et quart.
- Qu’est-ce que je vais dire à son père ? à la famille ?
- … la vérité.
- La vérité !? que je l’ai pas bien surveillée, qu’elle est tombée enceinte d’un étranger, et que maintenant elle est entre la vie et la mort ?
- Ce n’est pas de votre faute madame.
- Personne ne va comprendre ça.
- Vous voulez que je vous accompagne pour vous soutenir ?
- Si seulement cette dame m’avait appelé plus tôt, on lui aurait certainement déjà enlevé cette grossesse et ma fille serait avec moi !
- Quelle dame ?
- La maman du garçon qui l’a enceinté là, c’est ce qu’on c’était dit.
- Quoi ? vous vous êtes entendu avec cette dame pour la faire avorter ? vous avez acceptez de risquer la vie de votre fille ?
- Non, moi-même j’étais contre l’avortement, mais elle m’a dit que si c’est un bon docteur qui faisait ça, Kady ne risquait rien, donc j’ai accepté… mais comme on est à l’hôpital, on peut demander au docteur de lui enlever ça en même temps !!! là je pourrai trouver une explication à donner à son père, et on va repousser le mariage à quand elle sera guérie !
Maman Claudine est scandalisée par ce que dit la dame. Elle peut comprendre que celle-ci soit désemparée et ne sache plus où donner la tête, mais de là à penser à une chose pareille pendant que sa fille se bat pour rester en vie ?! Toutefois elle préfère garder le silence :
- J’en sais rien madame, demandez au docteur.
Et sur ce, Assita va voir le docteur, pour lui faire part de sa requête :
- Mais madame, ici on sauve les gens, on ne les tue pas !!! La grossesse ne joue en rien sur l’état de santé de votre fille, alors il n’y a pas de raison de l’interrompre.
Assita est comme perdue, elle ne sait plus quoi faire ou penser. Maman Claudine, l’observe et a même pitié d’elle. Mais elle la comprend, elle a évolué dans un système où on leur a inculqué ces mœurs depuis leur naissance, du coup cette manière de penser est normale. Elle s’approche d’elle pour lui dire ce qu’elle en pense :
- Vous savez madame, ce n’est pas seulement la vie qu’on peut perdre avec un avortement. Si par la grâce de Dieu, vous sortez vivante de cela, une faute idiote peut faire de vous une femme stérile. Ou vous pouvez à la suite d’un mauvais suivi du processus, qu’on ne vous administre pas certains soins qui vont faire que vous ne ferez que faire des fausses couches dans votre vie de foyer. Est-ce cela que vous voulez pour votre fille ? Sans compter le côté spirituel qu’on ne voit pas qui peut aussi détruire sa vie. Une vie de femme sans enfant, cela ne vaut rien de nos jours…
Maman Claudine a presque les larmes aux yeux quand elle a parlé à la mère de Kady, comme si elle veut éviter qu’une situation dramatique n’arrive, à cet instant précis, elle aurait aimé être la véritable mère de Kady :
- Mais voilà que le garçon qui l’a enceintée à fuit avec ses parents. Qui va s’occuper de cet enfant qu’elle attend ?
- Il a laissé de l’argent, ça ne suffira pas à subvenir aux besoins de l’enfant jusqu'à sa maturité certes, mais ça peut aider et un enfant c’est une bénédiction !
- C’est le nom de l’argent que cet enfant va porter ? Elle va rester où avec cette grossesse ? Cet enfant à la peau blanche qui va naître va nous rappeler tout le temps la honte. Elle ne pourra plus jamais trouver un bon mari, non ! moi je ne peux pas supporter ça ! J’ai pourtant tout fait pour essayer de rattraper son erreur, mais rien… C’est ta vie Kady, c’est ton choix, moi je ne pourrai plus rien pour toi ! Dit-elle en s’essuyant le visage du revers de la main.
Sur ce Assita prend le chemin de la sortie. Claudine essaie de la retenir :
- Vous partez ? Vous revenez n’est-ce pas ? Vous n’allez pas laisser votre fille passer la nuit seule à l’hôpital ?
- Ma fille ? Elle est morte quand elle a fait ce choix.
Claudine est restée sans voix. Malgré tout ce qu’elle a pu faire ou dire, Assita, la mère de Kady est partie. Claudine a mis cela sur le coup de l’émotion, et l’état de choc qu’elle-même a subi, quand cela lui passera, elle reviendra certainement. Après tout, c’est sa fille, et les liens filiaux ne se brisent jamais dit-on.