Chapitre : 15

Ecrit par MoïchaJones

Mardi, 9 Décembre 2013 - 4 heures du matin 


Il devait être 1 heure du matin quand nous avons découvert la scène macabre. A plus de 3 heures plus tard, nous en sommes toujours au même point. La maison entière grouille de policiers en uniforme. Ils l’ont déjà fouillé de fond en comble, mais toujours aucunes traces des enfants. Personne ne veut m’écouter quand je m’évertue à répéter qu’il faut les chercher ailleurs. Pas besoin d'être un génie pour le deviner. Par contre, nulle n’est en mesure de dire avec certitude à qui appartient le sang sur le sol, et ça m’angoisse énormément. 


Et si c’était celui de ma petite fille… 


Je me fustige d’être aussi alarmiste. Un corps aussi frêle que le sien ne peut pas se défaire d’autant de sang, et se maintenir en vie. Et je me refuse d’y croire. 


Bon sang ! Pourquoi aurait-on voulu la tuer ? Ca ne peut pas être ça. 


La police pense à un cambriolage qui a mal tourné. Ils se basent sur la disparition de quelques objets çà et là. 


Peut-être… Ces bandits de basses échelles ont même eu le temps de vider le mini bar. Qu’elle ânerie !


Mercredi, 10 Décembre 2013 – 12 heures


Je suis sans voix. Littéralement comme allégoriquement. Je n’ai de toute façon plus rien à ajouter. Je les observe monter et descendre sans avoir rien de nouveau à m’apprendre. Souvent à la télé, ils sont équipés d’un matériel ultra sophistiqué, mais là, je n’en vois nulle part. Ils n’ont même pas prélevés le sang, comment vont-ils me convaincre que ce  n’est pas celui de ma fille ?


Je me lève et sort sous les yeux inquiets d’Uhu et de ses parents. Mon pauvre mari a vieilli en quelques heures. Amaya se lève pour me suivre, mais je l’arrête d’un signe de la main. J’ai envie d’être seule. Je suis fatiguée de tout ce cinéma. Les allées et venues des uns et des autres me donnent le tournis. 


Je vais dans la chambre vide à l’étage, et m’allonge sur le lit. L’odeur de la lavande m’enivre, et je la revois sur le sofa. Ses pieds menus reposant sur l’accoudoir, mon téléphone à l’oreille. 


Mon Dieu, Pourquoi ?


Je me remets à sangloter bruyamment. 


20 heures du soir


- Arrête de pleurer Wapenzi, Tu vas te rendre malade.


Je ne l’ai pas entendu entrer. Il vient doucement s’allonger dans mon dos.


- Je veux ma fille. 


Ma voix est complètement enrouée.


- Trouve-moi mon bébé. J’ajoute dans un murmure.

- On va la retrouver. 


Il me serre dans ses bras et j’essaie de puiser un peu de réconfort dans ses bras. Je ne suis plus qu’une coquille creuse. 


- La police pense que…


Ils ne font que ça, penser. Personne ne cherche, tout le monde pense. La colère prend le pas sur la tristesse.


- Je n’en ai rien à faire de ce qu’ils pensent. Je veux qu’ils les retrouvent. 


Il hésite un instant avant de parler de nouveau.


- Le crossover est équipé d’une puce électronique. Il a été localisé à quelques kilomètres au nord de la ville. Une équipe est déjà sur place.


Mon cœur fait un bon dans ma poitrine. Je me tourne pour le regarder. 


- On va les retrouver sains et saufs, ne t’inquiète pas. Ce n’est plus qu’une question d’heure.


Je prie de tout mon coeur qu’il dise vrai. Je ne suis pas une grande chrétienne, mais rien n'est plus efficace que l'épreuve pour raviver la foi. 


On reste dans cette position jusqu’à ce que je sombre dans un sommeil houleux. 


Jeudi, 11 Décembre 2013 – 9 heures du matin


- Qu’est-ce qu’ils foutent nom de Dieu.


Je n’arrive plus à me retenir. Je boue et ma tête est en surchauffe. Je tourne en rond depuis le lever du soleil. Quand la voiture de police a ramené Raïla et Aba, j'ai cru qu'on touchait presque au but. Le sang au milieu du salon était celui de Dominique. Le pauvre, il a voulu tenter une action et ses salopards lui ont fait sa fête. Je suis triste pour lui, mais en même temps, mon cœur est soulager d’un poids immense. Les enfants sont en vie et en bonne santé, de ce qu'ils ont vu avant d'être séparé d'eux. Enfin, ce qu’on peut considérer comme être en bonne santé entre les bras d’inconnu qui évaluent votre vie en quelques Shilling.


- Calme-toi Belinda, ça ne sert vraiment à rien de te mettre dans cet état-là.


Joseph a parlé de sa voix calme, et tous les regards sont maintenant tournés vers moi. J’essaie de m’arrêter, mais je n’y peux rien. Mon corps a pris l’ascendant. Je tremble comme une feuille. Raïla entre dans la pièce, la mine sombre et portant un plateau. Où est-ce qu’elle trouve la force de faire e qu’elle fait ?  Je la revois, descendant de la voiture comme une âme égarée, inconsolable, recouverte de sang séché. Plus rien à voir avec cette jeune femme qui se balade, le visage fermé, remplissant les tasses des uns et des autres de liquide fumant. 


Uhu est allongé sur le canapé, un bras en travers du visage, comme endormi. Il a arrêté depuis longtemps de me répéter cette même phrase, après s'être rendu compte que ça ne servait à rien. Je n’arrive pas à endiguer cette tension au fond de moi, c'est plus fort que moi. 


- Ils n’ont qu’à passer ce putain de coup de fil.


Mon ton est hystérique et vulgaire à la fois, mais je n'en ai cure. C'est comme un exutoire .


- Ca suffit maintenant, Belinda. 


Cette fois, c’est Uhu qui me rappelle à l’ordre. Il n’a pas bougé d’un pouce. Si je ne connaissais pas toutes les inflexions de son timbre, j’aurai juré que c'est quelqu'un d'autre.


Il règne un silence de mort dans le salon, on pourrait entendre voler des mouches à 10 kilomètres à la ronde. 


Je me force à rejoindre la chaise que j’ai rapprochée de la table ronde. Le portable d’Uhu y trône comme une pièce de valeur, exposée dans un musé. Un objet minuscule, mais commissionnaire inestimable. Aba a laissé entendre que les ravisseurs ont évoqué une rançon. Ils vont nous informer le moment venu de combien, où et quand. Voilà déjà 5 heures que je suis alerte, et toujours aucuns signes d’eux. Cette attente va finir par me tuer.


Trois heures plus tard, le son salvateur retenti enfin. Je me lève d’un bon, mais pas assez rapide pour m’emparer de l’appareil avant Uhu.


- Allo ?


Il est dressé de tout son long. Tendu comme la corde d’un arc. Les mâchoires serrées, le poing fermé, je le vois qui raccroche sans rien dire de plus.


- Mais…


Il nous coupe tous, en colère. 


- C’était Jomo, rien d’important.


Je me retiens de justesse de jurer, pendant qu’Uhu explique au commissaire de police et à ses hommes, qui est Jomo. 


La sonnerie s’élève de nouveau, réduisant à néant leurs murmures. Il regarde d’abord l’écran avant de décrocher une fois de plus.


- Oui ?


Son regard se tourne vers moi, et je n’ai aucun doute sur l'identité de l’interlocuteur. 


- Où sont-ils ?


Il ne me quitte pas des yeux un seul instant. Le flegme de sa voir contraste avec Typhon qui le ravage. Pendant tout le temps que dure l’échange, je me fais un scénario dans ma tête. Je les retrouve dans leur planque, et je m’occupe de ces types, autant qu’ils soient. Du premier au dernier. Et je ramène les enfants à la maison.


- 10 Milles…


Il se passe la main sur le visage et je le sens prêt à flancher. Je m'approche encore plus de lui, pendant qu'il raccroche.


- Qu’est-ce qu’ils disent ?


Il prend la main que j’ai posée sur son torse et la serre avant de me répondre, embêté.


- 10 Millions dans trois heures.

- Quoi ?


Amaya et moi, avons crié d’une seule voix. 


- Où pense-t-il que nous allons trouver une somme pareille, en si peu de temps ?


Je le regarde poser le téléphone sur la table d’un air absent.


- Uhu, tu aurais dû leur dire que c’est impossible.

- Il ne m’a pas laissé le temps. 

- Est-ce qu’il vous a donné l’assurance que les enfants vont bien ?


C’est en entendant la voix du commissaire que nous nous rendons compte qu’Uhu n’a rien respecté des consignes qui lui avaient été données un peu plus tôt. S’assurer que les enfants allaient bien avant de discuter du montant. 


- Vous avez tous pu constater que je n’ai pas eu le temps d’aborder le sujet. 


Son ton est sec. Et plus personne ne parle pendant une minute.


- La livraison se fait où ? 

- Ils me rappellent dans 3 heures.


Le commissaire se frotte la tête comme s’il réfléchissait déjà à un nouveau plan d’action.


- Vous avez l’argent ?

- Je pense que je peux en avoir une partie… Commence-t-il en se tournant vers son père.

- Je vais voir ce que je peux faire fiston. 


Ils sortent tous les deux, portables fixés aux oreilles. Amaya retourne s’assoir en m’entrainant dans son sillage.


- Laisse les hommes s’occuper de ça. 


C’est ce que j’ai fait pendant les 3 heures qui ont suivi. Puis les 3 autres… jusqu’à ce que n’en pouvant plus, j’ai essayé le numéro de Joseph pour tomber sur sa boite vocale. Je n’ai pas voulu occuper la ligne en appelant Uhu. 


A l’heure actuelle, ils ne sont toujours pas revenus, et Uhu ne répond pas à mes appels. Je ne sais pas sur quel pied danser. 


Sur un coup de tête, je vais me réfugier sur la terrasse. J’en ai marre de sentir les regards pesants d’Amaya et de Raïla sur moi. J’en ai marre d’être impuissante. Je suis à bout de nerf. J’ai envie d’une clope et je ne vais pas m’en priver. 


*

**


La porte s’ouvre sur eux, et mes yeux se posent sur elle. Elle est endormie dans les bras de son père. Son corps maigrichon est coincé dans ses gros bras, on aurait dit un vase de porcelaine dans une ossature d’acier. Je suis immobile en plein milieu de l’escalier. Maintenant que je la vois, je ne sais plus si je dois courir, crier, pleurer… Je me retiens de faire le moindre bruit, ça la réveillerait. 


Uhu lui chuchote dans l’oreille et je la vois remuer. Elle se redresse et je peux enfin me précipiter pour la prendre dans mes bras. 


- Mon Dieu !

- Maman !


Sa voix est endormie, mais ses bras son vigoureux autour de mon cou. Je respire son odeur qui se perd dans les émanations qui lui collent à la peau. Je n’ai plus envie de la lâcher. Uhu nous prend toutes les deux dans une étreinte et je ferme les yeux pour savourer. 


- Je peux la prendre dans mes bras, moi aussi ?


Amaya nous sort de notre catalepsie. Elle l’a porte, et Uhu m’attire à lui. Il biffe d’un coup de pouce, les larmes que je n’avais pas senties jusque-là.


- Elle est là, tu n’as plus de raison de t’en faire. 


Je le regarde, satisfaite. Toute cette frustration que j’ai ressentie ces 2 derniers jours, s’est subitement envolée, comme neige au soleil. 


- Mais, pour ce qui est de Jason…


Jason ! Mon Dieu. Comment ai-je pu l’oublier. 


Je me retourne vers la porte et ne le vois pas. C’est évident qu’il n’est pas là.


- Où est-il ? 


Je m’en veux de l’avoir oublier, même si ce n'est que l’espace d’un instant.  


- Uhu… Ne me dit pas qu’il est…

- Je n’en ai aucune idée. Imani était seule à l’endroit indiqué. 


Il me regard d’un air désolé, et moi je le suis encore plus. D’avoir ressenti la joie de retrouver ma fille, sans m’être assurée qu’ils étaient tous les deux sains et saufs. 


- Ce n’est pas possible. Qu’est-ce qu’ils ont dit ? 

- Je te jure que je n’aurai jamais imaginé ne pas les retrouver ensemble. Quand on a essayé de les rappeler, le numéro était injoignable. 


Je m’écroule lentement sur le sol. Mon cœur vient juste de se briser en mille morceaux.


- Pourquoi ? je n’arrête pas de psalmodier en me balançant d’avant en arrière. 

- Je suis désolé chérie…


Je pleure toute les larmes de mon corps. Et même plus. C’est tout ce que je peux faire. Personne n’a aucune idée de l’endroit où il peut se trouver en ce moment, s’il est en vie… Il a beau être fort et courageux, il reste un enfant entre les griffes de viles personnages. 


Samedi, 13 Décembre 2013.


Elle gesticule dans mes bras, mais je ne consens pas à la laisser filer. C’est ainsi depuis qu’elle est rentrée à la maison. La maison… Si ça en reste une. Le souvenir de cette tragédie est encore fort dans nos esprits. Je n’y ai plus mis les pieds depuis ce sombre après-midi. Une fois les retrouvailles passées, nous avons pris le nécessaire et sommes retournés au domicile familial. Uhu n’a pas eu besoin d’en faire trop pour me convaincre. Imani avait besoin de s’éloigner, elle n'était pas la seule d’ailleurs. J’ai donné son congé à Raïla et nous sommes partis sans un regard en arrière.


Aujourd’hui j’ai toujours cette appréhension qui m’étouffe, mais j’arrive quand même à jouir de sa présence. 


- Je veux faire pipi.


Je me contrains à relâcher l’étreinte, mais me redresse de concert avec elle. 


- Je vais t’accompagner.


Je l’emmène et ne la quitte pas des yeux une seule seconde. Quand on ressort, Amaya m’attend sur le pas de la porte.


- Je peux te parler une minute ?


Je marque un temps d’arrêt avant d’acquiescer. Imani continue sa route et moi, je croise mes bras en prenant appuis sur le cadre de la porte.


- Je sais ce que tu peux ressentir après ce qui s’est passé, mais tu n’arranges rien à la suivre ainsi partout où elle va.


Elle le dit affectueusement, et il n’y a aucune trace de reproche sur ses traits.


- Je ne vois pas de quoi tu parles.

- Au contraire je pense que tu vois très bien ce que je veux dire. 


Je ne dis rien et détourne mon regard. Elle prend mes mains dans les siennes.


- Belinda, c’est très traumatisant ce que nous avons vécus. Mais la vie continue. Elle doit retrouver ses marques et reprendre ses habitudes. 


J’ouvre la bouche pour protester, mais la referme ensuite. Je sais que j’en fais trop, mais j’ai peur qu’elle disparaisse de nouveau.


- Elle ne va plus aller nulle part.


Elle le dit comme si elle a lu dans ma tête.


- Qu’est-ce qui me prouve qu’ils ne vont pas revenir ? Je n’ai pas envie…


Ma voix se brise dans un sanglot.


- Chut… 


Elle m’attire dans ses bras. 


- C’est fini. 

- Non ça ne l’est pas et tu le sais. Ils ne l’ont toujours pas retrouvé.


Je murmure en reniflant, la tête en appuie sur son épaule.


- Oublie cet enfant !


Je me redresse vivement.


- Comment peux-tu me dire une chose pareille ? Tu es une mère.


Je sens l’énervement prendre possession de moi.


- Et toi, tu n’es pas la sienne. 


Je la regarde, ahuri d’entendre ces mots de sa bouche.


- Non mais, tu t’entends parler ?

- Ca peut te sembler choquant, mais il est surement mieux là-où il est, que dans ce quartier.


Elle insinue qu’il est mort ? Je n’en crois pas mes oreilles. 


- Mais... Tu es monstrueuse.

- Belinda !


Elle tend la main vers moi, mais je m’éloigne vivement. Je la regarde avec dégoût. Je me serai attendu à tout venant d'elle mais ça... Non


- Ne me touche pas. 


Je porte une main tremblante sur mon front. Je n’arrive pas à encaisser. Elle ne semble pas les regretter non plus, et ça me rebute encore plus. Je la laisse en plan et descends rejoindre ma fille. 


- Belinda !


Son cri me suit jusqu’au salon, où j’entre en trombe. Uhu s’y trouve avec son frère. C’est encore froid entre eux, mais depuis que nous sommes revenus, il n’y a pas eu un mot plus haut que l’autre. D’un commun accord, ils ont hissé le drapeau immaculé. 


- Pourquoi elle crie ?

- Demande-lui toi-même.


Uhu sent à ma réponse que je suis contrariée, il ne dit rien. Je vais m’allonger près d’Imani sur le canapé, et fait mine de regarder les images qui s’animent sur l’écran. Quelques minutes plus tard, c’est au tour de cruella de faire son entrée. Elle marque un temps d’arrêt sur le pas de la porte, probablement surprise de la présence des hommes. Puis elle fait demi-tour, immédiatement suivi par Uhu. On n'entend plus que les conversations enfantines dans le salon. Je ne bouge pas, bien que je sente peser sur moi l’œillade de Jomo. Il est très énigmatique ces derniers temps. Il ne parle pas beaucoup, se contente de garder ce sourire satisfait aux lèvres. A chaque fois que je le surprends en train de me scruter, ses prunelles brillent diaboliquement. J’en ai froid dans le dos. Encore heureuse qu’il me dispense de ses piques, on dirait presque qu’il est devenu plus humain. 

Jamais sans elle