Chapitre 15 - Du bout des lèvre

Ecrit par NafissaVonTeese

Précédemment

Seydina, après avoir disparu sans laisser de trace, réapparait dans la chambre de Fama à Dakar. Avant que sa surprise ne s’estompe, Isabella se retrouva aussi sur les lieux. Pour éviter une confrontation, Seydina demanda à Fama de le suivre sans lui donner la moindre explication. Quelques secondes plus tard, sans comprendre comment, elle s’était retrouvée avec lui à Kumassi, en 1674.

***

-         D’accord, je te ramène si tu y tiens autant. Mais sache que tu as une chance de changer le passé pour que nous puissions être ensemble sans que ma mère ne cherche à te rayer de ma vie. Tu as le choix. Soit tu retrouves ton petit appart et tes ridicules scooters de livraison, soit tu me fais confiance et on essaie de trouver ensemble un moyen de tout remettre dans le bon ordre. C’est à toi de voir.

 

Seydina avait marqué une petite pause, et ne détournant pas une seule seconde son regard de celui de Fama, il ajouta, l’estomac noué de peur qu’elle ne le prenne plus jamais au sérieux :

-         Je t’aime Fama, plus que tu ne puisses l’imaginer, alors même si tout cela te semble insensé, je te demande juste de me faire confiance et que tu me laisses la chance de te prouver que tout ce que je te dis, c’est la stricte vérité, et c’est pour notre bien à tous les deux.

 

-         T’as fini maintenant ? lui demanda Fama, sans aucune expression au visage.

Seydina savait ce que cela signifiait : il n’avait aucune chance qu’elle change d’avis ; mais il était prêt à insister encore et encore, jusqu’à ce qu’elle cède.

 

-         Oui ; dit-il en laissant échapper un long soupire. Tout cela est insensé, j’en suis conscient mais si j’ai réussi à comprendre, je suis certaine que toi aussi tu y arriveras.

 

Seydina pensa alors à sortir sa dernière carte, celle qui pouvait rapidement faire tourner les certitudes de Fama à 180°. Il laissa se dessiner sur son visage son petit air de chien battu, avant de commencer à s’avancer vers elle, pour la prendre dans ses bras. Fama fit aussitôt un pas en arrière pour lui faire comprendre qu’elle n’allait certainement pas se faire avoir, encore une fois, en le laissant jouer avec sa conscience.

 

-         Je veux rentrer chez moi ; c’est tout ce qu’elle avait dit.

 

-         C’est à cause de cet idiot aux scooters ? ; répliqua aussitôt Seydina.

 

L’expression qu’affichait Seydina avait subitement viré au noir. Il paraissait beaucoup moins sûr de lui et presque colérique. Fama ne comprit pas ce à quoi il faisait allusion.

 

-         Ali ? Qu’est-ce qu’il a à voir avec cette histoire ?

 

-         Tu crois que je ne sais pas ce qui se passe entre vous deux ? Il n’en a rien à foutre de toi. Quand il en aura assez de toi, il te jettera comme il l’a fait avec plein d’autres filles avant toi.

 

Fama avait étouffé un rire puis l’avait regardé quelques secondes sans savoir quoi lui dire. Elle se convainquit qu’il y avait sérieusement quelque chose qui ne tournait pas rond dans la tête de Seydina.

 

-         D’accord. Apparemment, cela ne risque pas de s’arranger de sitôt. T’es cinglé ! Toi, ta mère, ton autre mère, vous tous. Vous êtes tous cinglés dans votre famille. Maintenant ça suffit. Je ne sais pas ce que tu m’as fait mais débrouille-toi pour me ramener tout de suite chez moi. Et après je ne veux plus jamais entendre parler de toi. Plus jamais. Tu entends ?

 

-         C’est vraiment ce que tu veux ?

 

-         J’ai l’air de plaisanter ?

***

   

Trois semaines étaient passées à une vitesse surprenante, sans que Fama ne puisse se rendre à Saint-Louis comme prévu. La routine s’était très vite installée. Elle ne mettait que quatre petites minutes pour se rentre à son travail, y restait jusqu’à 14h30 avant d’enchainer les rendez-vous externes jusqu’à 17 heures. Elle retournait ensuite à son bureau pour s’acquitter de ses corvées que Monsieur Sylla « Petit Model » lui imposait : faire un compte rendu détaillé de sa journée, suivi de deux longues heures de séance de travail sur le lancement. Ali était extrêmement pointilleux, comme si sa survie et celui de toute l’espèce humaine ne dépendait que du bon déroulement du lancement de la petite filiale que son père avait bien voulu lui confier. Il était conscient, comme toutes les personnes qui travaillaient dans l’entreprise, qu’il devait impérativement faire ses preuves, sinon, il allait se retrouver sans travail et sans la confiance de son cher père.

 

Ali était de moins en moins désagréable avec Fama, sans doute parce-qu’elle avait très vite appris à ignorer ses attaques. De plus, elle l’avait agréablement surpris en prenant volontairement de l’avance dans son planning. Cependant, elle n’avait eu droit à aucun remerciement ni au moindre compliment de sa part. C’était tout le contraire avec Monsieur Sylla « Grand model ». Tous les jours, sans faute, il lui demandait si son travail continuait à lui plaire. Il lui rappelait à la moindre occasion qu’elle pouvait compter sur lui pour tout ce dont elle avait besoin. Fama comprit qu’il se sentait coupable de l’avoir éloigné de sa famille, et qu’il essayait de soulager sa conscience en étant le plus attentionné avec elle. Il avait même eu la délicatesse de lui faire livrer chez elle un grand paquet accompagné d’une carte où il y avait inscrite :

 

« J’admire ton dévouement dans ton travail. Je te renouvelle ma confiance.

P.S. Un petit cadeau de bienvenue dans la grande famille TranSylla.

M. Sylla »

 

Elle ne savait pas encore ce que cela pouvait bien être comme cadeau avant d’ouvrir le paquet, mais elle se sentit affreusement gênée. Fama commença à avoir un petit doute car pour elle, autant de gentillesse annonçait souvent quelque chose qui n’allait certainement pas lui plaire. Depuis toujours, « cadeau » rimait avec « arrière-pensée » pour Fama. Soit le big boss se sentait terriblement mal de l’avoir fait quitter sa ville et sa famille pour la laisser à la merci de son insupportable de fils, soit il était sur le point de faire quelque chose qui allait le faire culpabiliser et il ressentait la nécessité de la corrompre à l’avance. Quoi que cela puisse être, Fama était quand-même contente de recevoir un cadeau. Toujours gênée, elle se dit qu’elle allait lui envoyer un mail de remerciement après avoir regardé ce que contenait le paquet. C’était la manière la plus subtile qu’elle connaissait pour dire merci, tout en rappeler à son patron que même si elle appréciait toutes les attentions dont il faisait preuve depuis leur rencontre dans sa grande salle de réunion qui était désormais aussi la sienne, seule une relation de travail pouvait les lier, et absolument rien de plus.

« Il saura lire entre les ligne » se convainquit Fama.

 

Quand elle déballa le paquet, Fama eut le souffle coupé. La même sensation d’être spéciale qu’elle ressentit, l’envahit deux jours plus tard, quand elle enfila la robe couleur pourpre que son patron lui avait offerte. Elle s’était attardée devant le miroir de la salle de bain, avec satisfaction son reflet dans la glace. La lampe au-dessus du lavabo faisait scintiller les bijoux qui ornaient sa robe de la taille au décolleté en cœur. Elle se sentit comme une princesse, prête à aller au bal avec ses cheveux attachés en queue de cheval et son maquillage sobre, cachant mal ses cernes.

 

Tout était fin prêt. Il ne manquait plus que les 90 chefs d’entreprises invités au cocktail dinatoire du lancement si attendu, pourtant Fama eut le sentiment que quelque chose restait à revoir. Elle creusa dans sa tête un long moment mais n’arriva pas à trouver ce que c’était. Elle jeta un dernier regard attentif à son reflet et laissa échapper une grimace en constatant que le vieux médaillon que Seydina avait accroché à son cou, n’allait vraiment pas avec sa robe. Fama l’enleva aussitôt pour le poser sur le bord du lavabo. Elle allait s’en débarrasser à son retour puisqu’elle n’avait plus rien à faire avec Seydina et tout ce qui avait un rapport avec lui. Cette pensée lui pinça le cœur mais elle n’avait pas le temps de laisser son amour accompagné d’un léger mépris pour cet homme, s’emparer d’elle. Elle avait besoin de tout son esprit et sa force pour la longue soirée qui l’attendait. Elle se résigna alors et tourna le dos au miroir.

 

Il était 16h passées d’une trentaine de minutes. Ses invités n’allaient certainement arriver qu’à partir de 19h comme indiqué sur les cartons d’invitation, mais son « patron » lui avait ordonné d’être sur place avant 18h, pour vérifier que le dispositif prévu avait bien été respecté par le personnel de la salle qu’ils avaient réservé.

 

En quittant son studio, il lui vint à l’esprit d’appeler ses parents. Fama les appelait tous les jours à l’heure du déjeuner et en début de soirée pour raconter dans les moindres détails, tout ce qui lui arrivait à sa mère, avant d’écouter son père lui rappeler encore et encore qu’elle devait bien se tenir dans ce qu’il appelait désormais « la ville des péchés ». Elle connaissait sa chanson par cœur, mais le laissait quand-même se répéter pour se rappeler à elle-même que quelque part, il y avait des personnes qui se préoccupait de son sort.

Doutant de trouver le temps de le faire durant le cocktail, elle décida de les appeler sans plus attendre. A la première sonnerie, sa mère avait décroché, mais n’avait prononcé aucun mot. Fama avait regardé sur l’écran de son téléphone pour vérifier si l’appel avait été interrompu, mais son interlocutrice était bien en ligne.

 

-         Allo Ma ! T’es là ?

 

-         J’allais t’appeler ; dit-elle d’une voix étouffée.

 

-         Tout va bien ?

 

-         Oui, répondit-elle après une petite hésitation.

 

Fama connaissait sa mère beaucoup plus bavarde quand elle l’appelait. Elle qui voulait qu’elle lui raconte tout ce qu’elle avait pu faire, dans les moindres détails, s’était vite lancée dans un monologue sur l’école de ses petits garçons, la dernière visite des amis de son mari à la maison et même sur la voisine d’en face qui avait un fils politicien ; ce qu’elle n’avait jamais fait auparavant. Fama n’avait pu placer le moindre mot. Elle sentit que quelque chose n’allait pas, et elle allait en faire part à sa mère quand elle étendit les klaxons répétitifs d’une voiture garée de l’autre côté de la rue. Ne la reconnaissant pas, elle en retira son attention.

 

-         Ma, avait-elle lancée pour l’interrompre.

 

-         Oui

 

-         T’es sûre que tout va bien ?

 

-         Bien-sûr ; répondit-elle sur un ton pour le moins convaincant.

 

Des klaxons consécutifs avaient de nouveau retenti avant que l’occupant de la voiture ne la quitte. Fama fronça les sourcils en reconnaissant Ali. Ce dernier lui avait jeté un regard noir avant de s’écrier :

 

-         Lâche ce maudit téléphone et ramène-toi ! Je n’ai pas que ça à faire.

 

-         Qu’est-ce qu’il fout là ce connard ; murmura Fama.

 

-         Hey petite, surveille ton langage ; lui dit sa mère à l’autre bout de la ligne. Quelques jours dans la capitale et tu commences à parler comme si je ne t’avais jamais éduqué.

 

-         Désolée Ma ; dit-elle, pour éviter qu’elle se lance dans ses leçons sur le respect, la bonne tenue et tout ce qui allait avec.

 

Elle en avait déjà eu droit deux jours plus tôt avec son père, quand elle avait laissé échapper « merde » en parlant du bug qui lui avait fait reprendre tout un mail qu’elle rédigeait pour l’un de ses prospects. Elle n’avait pas encore eu le temps de les oublier, alors il n’y avait nul besoin que sa mère y revienne.

 

-         Ma, je te rappelle plus tard. Il faut que j’y aille.

 

-         Attends Fama !

 

-         Ouais ?

 

-         Tu as des nouvelles de Seydina ?

 

« Seydina ! » Cela faisait plus d’une semaine que sa mère ne me parlait plus de lui. Fama avait fini par croire qu’elle s’était résignée à la laisser tranquille avec lui. A force de se répéter, elle pensait avoir enfin réussi à la convaincre de ne plus jamais lui parler de lui.

 

Ali lui faisait des signes de la main. Il s’impatientait mais Fama lui tourna le dos. Il n’avait pas prévenu avant de débarquer alors il n’avait qu’à attendre sagement qu’elle termine son appel.

 

-         Non Ma. Je t’ai déjà dite que je n’ai pas eu de ses nouvelles depuis que j’ai quitté Saint-Louis. Qu’est-ce qu’il y’a ? Il est mort ?

 

-         Astaghfiroullah, s’écria-t-elle. Fama Guèye, arrête de dire des énormités.

 

-         Quoi ? Je demande tout simplement.

 

-         Ne redis plus jamais cela. C’est sa mère, la blanche, qui vient de quitter la maison. Elle a fait tout en scandale car elle est persuadée que tu sais où est son fils. Tu es sûr que tu n’as pas eu de ses nouvelles ?

 

-         Ma, arrête s’il te plait. Cette femme est folle. La prochaine fois qu’elle se pointe à la maison, dis-lui d’aller voir si son fils n’est pas en enfer.

 

-         Fama arrête !

 

-         Ma, il faut que je te laisse. Et arrête de t’inquiéter pour Seydina. Je suis certaine qu’il va très bien. Pas de nouvelle, bonne nouvelle. Il va revenir. Enfin j’espère, sinon tant mieux !

 

-         C’est bon avec tes bêtises. Tu peux y aller. A plus tard alors.

 

-         Ouais à plus tard ! Et salue les garçons de ma part. Dis leur que je les appellerai ce soir.

 

Aussitôt elle avait raccroché, Fama s’était dirigée vers Ali, décidée à lui faire comprendre qu’être son supérieur ne lui donnait pas le droit de venir la harceler jusque devant chez elle.

 

-         Tu es retard !

 

-         On avait rendez-vous ?

 

-         Je te rends service petite prétentieuse en venant te chercher alors vire-moi cette mine de mourante de ton visage et fais-moi un mignon petit sourire avant que tu ne fasses fuir à mes invités.

 

« Pauvre crétin » pensa Fama. Elle se retint de toutes ses forces pour ne pas lui sauter dessus et le tabasser à mort. A force de ne pas l’avoir provoqué les jours précédents, elle avait fini par oublier à quel point Ali pouvait se montrer vache avec elle. Elle se consola en se disant qu’il ne payait rien pour attendre. Elle allait finir par trouver un moyen de se venger de lui.

 

Fama avait ouvert la portière arrière, mais avant même de monter dans la voiture, Ali lui avait demandé de s’arrêter.

 

-         Je ne suis pas ton chauffeur alors tu te mets devant.

 

-         Bien-sur grand chef ; avait répondu Fama en lui lançant un sourire qui ressemblait plutôt à une grimace.

 

Ali était visiblement de très mauvaise humeur. Il devait sans doute être sous pression. Il avait préparé et attendu ce jour comme rien d’autre, et son paranoïa le poussait certainement à se répéter sans cesse dans sa petite tête de petit idiot, que tout devait être parfait. C’était le bon moment pour Fama de lui laisser un avant-gout de sa future riposte. Elle avait attendue qu’il se lance dans le tunnel de la Corniche à vitesse maximum autorisée, pour lui demander :

 

-         Dites-moi grand chef, qu’est-ce que vous avez fait de votre scooter ?

 

-         C’est un Tmax bon sang ; cria-t-il presque. T’es bête ou quoi ? Combien de fois vais-je devoir te l

Du bout des lèvres